3 février 2018

Engagement des oeuvrants

Xavier BARON /Corinne COLSON LAFON  26/01/2018

Modalités de mobilisation du travail dans les activités de Facility Management

Cette recherche porte sur les formes et les évolutions observables des modalités et conditions de mobilisation de la main d’œuvre dans les activités de Facility Management.

Elle pose la question de la pertinence et de la pérennité des formes classiques de contrat de travail salarié telles qu’elles sont organisée dans le cadre d’un rapport de subordination.

1- Contexte de la recherche

Le Facility Management regroupe les activités relevant traditionnellement des services généraux, à savoir le pilotage et la réalisation des services de propreté, de sécurité, d’accueil, de restauration, etc, de maintenance technique des équipements dans les espaces de travail.
De manière générale le Facility Management a pour mission de garantir un bon entretien des immeubles et de proposer les services appropriés au poste de travail et même progressivement, au-delà.
Depuis une dizaine d’année, la forte pression pratiquée sur les coûts liés à ces activités a entraîné le développement du recours à la sous-traitance et, sinon à des formes précaires d’emploi, au moins à des modalités de mobilisation peu attractives de la main d’œuvre. La tendance confirmée à l’externalisation, ainsi que la multiplicité des conventions collectives qui encadrent les relations de travail au sein des entreprises du secteur, aboutissent à une interrogation sur les formes contractuelles de la relation de travail qui lient les professionnels à leurs employeurs. Par ailleurs, la tendance à la déflation salariale, associée à des conditions de travail souvent pénibles, achèvent de susciter des tensions sur le recrutement et la fidélisation de ces professionnels.
Dans le même temps, les donneurs d’ordre, les entreprises prestataires et les organisations professionnelles du secteur s’accordent sur la nécessité d’améliorer la qualité des services rendus dans le cadre des contrats de prestation en FM. Une partie d’entre elles voient dans la professionnalisation des travailleurs et la mobilisation de leur engagement subjectif un prérequis pour atteindre cet objectif. Dans ce cadre, elles souhaitent dans un premier temps poser un diagnostic quant aux modes de contractualisation du travail pratiqués au sein du secteur et leur relation avec les modalités de mobilisation et d’engagement des professionnels dans l’activité.
Cette recherche est portée au sein du CRDIA par Madame Corinne Colson Lafon (Steam’O).

2- Finalités et objectifs de la recherche

La recherche doit permettre d’observer et comprendre les évolutions en cours (plateformisation, ubérisation) relativement aux emplois de services et plus particulièrement, les emplois de services aux immeubles et habitants des espaces de travail. Elle doit éclairer les limites des modalités actuelles (contrats en CDI, CDD, précaires, auto entrepreneuriat) s’agissant de garantir des conditions d’emplois durables, juridiquement sécurisées et socialement légitimes.

L’exploitation de la recherche, doit permettre d’éclairer les enjeux liés :
– aux pénuries de main d’œuvre constatées de manière récurrente dans les activités de FM,
– à la difficulté d’attirer des profils de tous niveaux dans ces métiers perçus comme à faible valeur ajoutée,
– à la difficulté d’exprimer le ‘’sens’’ de ces services effectués dans l’ombre, au service des clients utilisateurs de leurs ensemble immobiliers,
– à la faiblesse des investissements des employeurs du secteur en matière d’encadrement, de formation et de parcours professionnels,
– aux caractéristiques de pénibilité des conditions de travail (horaires, isolement, déplacements, dévalorisation sociale…),
– à la structuration des activités par le recours étendu à des relations de sous-traitance à plusieurs niveaux et régulièrement réorganisées à l’occasion d’appels d’offres,
– aux lacunes de la régulation collective et du dialogue social (accords de branches, convention collective) s’agissant d’un métier empruntant à plusieurs branches (propreté, maintenance industrielle et énergie, restauration collective, construction…) mais en émergence sur un mode de plus en plus intégré,
– aux recherches et expérimentations de formes nouvelles de mobilisation de la main d’œuvre constatées ici et là dans les services en général et dans ou à proximité de ce secteur en particulier.

Ces évolutions et enjeux feront l’objet d’un état des lieux des connaissances, d’une revue de littératures et d’un séminaire de recherche à l’horizon du 3ème trimestre 2018. Cette étape sera le préalable à l’élaboration de problématiques, d’objets d’observation et d’expérimentations, permettant de construire des protocoles de recherche dont les moyens seront déduits en termes de :
– Conventions de recherches,
– Mise en œuvre de prototypes ou d’expérimentations,
– Promotion de thèses de type CIFRE ou autre.

3- Constats et hypothèses à l’origine de la recherche

De nos travaux précédents ressortent les constats suivants :

– A – Les modalités actuelles de contractualisation du travail privilégient un rapport de subordination en partie contradictoire avec les conditions d’encadrement et plus encore, d’engagement des salariés. Les prestations, sont valorisées le plus souvent à l’aide de coûts unitaires horaires plus ou moins standards, relativement à l’exécution conforme de prestations définies techniquement, mais sans valoriser la pertinence située du travail effectué au service des bénéficiaires. L’engagement subjectif, pourtant exigé de plus en plus explicitement, et requis par les conditions organisationnelles, n’est ni reconnu, ni valorisé.

– B – Les activités sont plus ou moins bien identifiées en référence à des « métiers » existants, relativement codifiés (propreté, accueil, maintenance des équipements….), mais sans visibilité sur les enjeux d’intégration et de polyvalence « inter métiers ». Le FM en émergence rassemble plus d’une vingtaine de métiers. Les enjeux d’intégration de ces activités en « écosystèmes fonctionnels productifs des aménités des milieux de travail » sont porteurs de performance économique et d’ouverture à des possibilités de parcours professionnels. Ils sont contrariés par la segmentation des activités (et des entreprises employeurs) héritée de la compréhension industrialiste des conditions de la performance.

– C – Alors que le droit social ne veut connaître que des obligations de moyens, les œuvrants sont de fait soumis à des obligations de résultats, souvent sans la médiation suffisante d’un encadrant de proximité porteur de la responsabilité d’employeur. La qualité et l’impact socialement utile de l’activité des œuvrants du FM (les résultats) sont ainsi mis en invisibilité derrière l’exécution conforme de prestations techniques (des moyens), quelle que soit la sophistication des contrôles.

– D – Les activités de FM de services aux immeubles et aux habitants des espaces de travail sont aujourd’hui durablement externalisées ou en voie de l’être. L’émergence du FM comme secteur d’activité issu de l’externalisation, transfère la responsabilité de l’employeur sur le FMer et ses sous-traitants s’agissant de la mise en œuvre de l’activité de service et de l’employabilité des salariés. La force de travail est l’essentiel de l’échange marchand, le travail est ainsi « marchandisé ». Sa valeur et son prix doivent être évalués et monétisés dans un cadre commercial et non plus principalement dans celui du droit du travail (minima et conventions collectives). La valeur produite, au-delà de son coût est pourtant nécessairement coproduite et co-évaluée, sans que soient écartés les risques d’une prédation de cette valeur par l’un des acteurs dans la chaine constituée ders clients, des prestataires, et souvent de plusieurs niveaux de sous-traitance.

– E – Gage de professionnalisation progressive, de mutualisation et de massification (leviers industrialistes), cette tendance séculaire à l’externalisation porte le risque d’une dualisation, d’inégalités de traitement au sein des collectifs réels et de confusion dans le rapport de subordination. Elle porte le risque d’une extension du domaine de la servilité. Le client (lui-même divers) est arbitre du résultat (la valeur d’utilité sociale), mais sans qu’il soit toujours en capacité de le définir en qualité, en contexte et dans sa singularité. Les enjeux de compétences, de confiance, de qualité et de coopération entre les techniciens et les « habitants » (leviers serviciels) ne sont pas mis en visibilité et a fortiori non valorisés. L’intelligence du travail, l’engagement des techniciens, la pertinence des arbitrages quotidiens sur ce qu’il convient de faire prioritairement…, ne sont pas (ou très mal) reconnus.

– F – Le monde bouge très vite autour du FM. Dans les activités de mêmes types en BtoC émergent des modalités nouvelles d’accès aux services par l’arrivée de plateformes digitales (ex : « Mes dépanneurs », « Les Jules »), qui mobilisent aussi bien des indépendants, que des PME ou des autoentrepreneurs. Des plateformes collaboratives entre particuliers offrent de nouvelles possibilités (ex : « Lulu dans ma rue »). Si les grands clients sont évidemment méfiants, ces nouvelles formes de mobilisation interpellent les opérateurs de Facility Management en BtoB .

4- Une recherche pariant sur la centralité du travail

La volonté de protéger les salariés de demandes illégitimes des bénéficiaires (non prescrites et non monétisées) peut ainsi conduire parfois les encadrants de proximité des prestataires à inciter les techniciens à ne pas répondre à des attentes locales non prévues et pourtant pertinentes, au motif qu’elles les éloignent de la stricte exécution de la prestation contractuellement prévue (exécution conforme/KPI/pénalités) en obligations de moyens.
Le respect de la lettre du droit, des conventions collectives et des conventions commerciales est ainsi parfois contre-productif, au risque de tirer vers le bas durablement la qualité du travail et les contreparties salariales.
Du fait des contrats en général et du contrat de travail en particulier, l’œuvrant du FM est alors pris dans des injonctions contradictoires :
– Il est au service de bénéficiaires bien présents, mais subordonné juridiquement à un employeur souvent éloigné voire absent et qui peut changer à l’occasion d’un renouvèlement de contrat.

– Le client, lui répète–t-on, est roi. L’œuvrant doit faire preuve d’un esprit de service, mais il ne doit pas accepter, en principe, les ordres directs des bénéficiaires et de leur management.

– Il est soumis à une relation contractuelle doublement domestique. Il est sous la domination de son employeur (obligation de moyens) et de celle de ses clients (obligation de résultat). La qualité de son travail exige autonomie, initiative et compromis…. Autant de capacités que l’on ne peut attendre ou exiger que d’un acteur égal en dignité et en droit (I. Ferreras) et reconnu dans sa contribution.

– L’œuvrant du service est appelé à concevoir en même temps qu’il exécute. Il est en même temps toujours soumis à l’injonction de conformité à des prescriptions nécessairement incomplètes, standardisées et définies loin de lui, dans une logique de division du travail.

– Il est, pour les besoins même de la productivité, en situation de coproduction. La qualité de son travail dépend largement des « utilisateurs », mais ces derniers n’en sont pas responsables aux termes des contrats.

Dans le cadre du rapport de subordination, le salarié est évalué par son employeur relativement à une conformité jugée par le client (acheteur et prescripteur).
En pratique, son travail réel, la qualité effective de son engagement et de ses initiatives…, ne peuvent être que co appréciés par lui-même et les bénéficiaires finaux de son activité productive, dans l’intention et les finalités, très au-delà du « prescrit », c’est-à-dire, dans une relation politique.

5- Une recherche mobilisant le droit social, le droit de la représentation collective, les sciences politiques et les sciences de gestion

Dans le champ du droit du travail, une des hypothèses est que la pression sur les prix / salaire, ajoutée à des contrats de travail habituels et aux contraintes des conventions collectives, constituent des verrous préjudiciables, voire contre-productifs, pour réunir les conditions de réalisation d’un travail de qualité.
Au lieu d’instituer une coopération pourtant nécessaire, ils tirent au mieux la relation vers la coordination. Au pire, ils alimentent un rapport de défiance et de domination, de désappropriation des enjeux du service réalisé à tous les étages hiérarchiques, non seulement de l’employeur, légitime, mais potentiellement relayée par le et les clients utilisateurs.
Tout particulièrement dans les activités de FM, pour partie du fait même du rapport de subordination organisé par la relation salariale, le management et l’organisation du travail sont pris dans une contradiction. Le Client/Donneur d’Ordres doit éviter d’interférer dans la relation de subordination entre l’œuvrant et son employeur, le FMers (ou son sous-traitant). Il risque le délit de marchandage et la reconstitution du lien salarial. Pour autant, la pertinence (qualité, valeur ajoutée) de la prestation dépend de l’intensité et de la qualité relationnelle entre les habitants des espaces de travail et les œuvrants, localement et au quotidien. Le lien de subordination institué et régulé par le rapport salarial ignore, voire occulte la dimension servicielle de l’activité ; non un « esprit », mais une exigence d’engagement des œuvrants, de leur capacité d’intelligence, de jugement et d’innovation.
Une seconde hypothèse est que, en même temps que contrainte, les contrats de travail habituels encadré par le droit social et les conventions collectives :
– sont faiblement protecteurs des mauvaises conditions de travail,
– ne sont pas suffisamment incitatifs à des parcours de carrière et garants de l’employabilité,
– sont faiblement protecteurs des exigences abusives et illégitimes des « clients », de leur exposition à des risques de servilité,
– ne garantissent pas les travailleurs de l’isolement et du délitement de leurs collectifs de travail,
– ne sont pas suffisants pour garantir l’accès à une représentation et une protection collective efficace.

6- La première étape méthodologique de la recherche : un séminaire

La recherche doit permettre un approfondissement/partage du diagnostic de l’impact des modalités actuelles de mobilisation du travail dans le secteur particulier du FM. Elle doit repérer et discuter l’apparition/extension de modalités alternatives de mobilisation de la main d’œuvre dans ce secteur et d’autres des services.

Une première étape sera constituée de l’organisation d’un séminaire de recherche en septembre ou octobre 2018 à Paris, occasion de bénéficier des apports des chercheurs et spécialistes faisant autorité.

Il sera préparé par la production d’un état des lieux et d’une revue de la littérature scientifique et professionnelle.