31 janvier 2018

Innovations servicielles : Quelles définitions ? Quelles expérimentations ?

Xavier Baron

Version du 29/03/2016

 

Les éléments rassemblés ci-après sont une synthèse de définitions, d’hypothèses et de pistes méthodologiques susceptibles d’aider à l’élaboration d’un projet de recherche expérimentation en coopération avec le CRDIA.

1 – Définition ; objet, finalités et objectifs

Innovation servicielle et gains de productivité

Innover n’est pas inventer. Promouvoir des innovations servicielles dans le FM, c’est rendre possible et mettre œuvre des actions (dispositifs/ une intégration des technologies disponibles/ des processus nouveaux…), utiles en termes d’enrichissement des aménités des espaces de travail.

L’innovation servicielle vise l’obtention de gains de productivité de l’activité servicielle en situations réelles, en matière économique, sociale et environnementale.

L’obtention de gains de productivité par l’innovation servicielle est un enjeu central pour limiter les impacts négatifs de l’application d’une logique de gestion par les coûts. Il s’agit de construire les moyens d’une valeur accrue et de sa reconnaissance afin de :

  • Eviter les risques de politiques de déflation salariale,
  • Limiter les risques d’un ajustement par la baisse de la qualité des prestations,
  • Dépasser les tensions sur la maltraitance du travail des œuvrants du FM,
  • Acquérir des avantages comparatifs (limiter les risques de concurrence) non copiables.

Des réductions de coûts ne sont pas suffisantes à la réalisation de gains de productivité. Des gains de productivité mobilisant une réduction des coûts ne sont avérés qu’à condition d’un maintien de la qualité au sens de l’impact sur les finalités des services.

Les investissements ont un coût mais ne sont pas des dépenses. Ils sont une ressource pour une capacité de création de valeur différée ou enrichie.

Pour le FMer particulièrement, l’innovation servicielle doit être recherchée simultanément sur plusieurs niveaux afin de garantir à l’aide des conditions d’un travail de qualité des prestataires (efficacité) :

  • l’obtention d’aménités pertinentes pour accroître la capacité productive des bénéficiaires,
  • la valorisation des actifs immobiliers et des équipements mobilisés,
  • l’enrichissement des capacités productives (compétences, engagement) des œuvrants du FM.

L’innovation servicielle n’est ni standardisable dans son objet, ni transposable dans ses modalités et ses effets. Elle est nécessairement située.

La productivité servicielle

L’innovation servicielle (gains de productivité par son impact favorable accrue sur l’état des bénéficiaires) est recherchée à travers deux dimensions complémentaires, la qualité du travail et de l’engagement des salariés, et particulièrement pour le FM, dans l’intégration des activités de services à travers des économies :

  • De flexibilité ; obtenir plusieurs résultats par une même opération,
  • D’intégration et de complémentation, par la coopération et la multivalence des compétences et des activités,
  • D’adoption et d’apprentissage par la qualité et la densité relationnelle de la coopération sur la durée

Elles nécessitent la mobilisation des actifs immatériels de la production servicielle que sont [1] ;

  • la compétence,
  • la pertinence,
  • la confiance.

Ces déterminants complètent les déterminants classiques de la productivité industrielle que sont les économies d’échelle (massification), l’intensification du travail, l’intégration des technologies (activités productives et nouveaux produits/services).

Prestation et services

La mise en œuvre conforme de prestations est un moyen de la production servicielle, mais non la finalité économique et sociale des activités servicielles. La notion de « prestation » illustre la définition intrinsèque ou substantielle des services ; une mise à disposition temporaire d’équipements ou de compétences. Cette définition permet de cerner les coûts, mais non la valeur économique.

La définition intrinsèque des services doit être enrichie de sa définition fonctionnelle dans ses usages et finalités. La finalité de la production des services est dans la modification favorable de l’état des bénéficiaires (notamment la capacité productive des travailleurs concernés) et de l’état des environnements des bénéficiaires.

Qualité servicielle et mesure de la productivité

La notion de qualité de service renvoie à des jugements :

  • tantôt sur l’exécution conforme de prescriptions, référée à un engagement de moyens
  • tantôt sur une performance technique observable en termes de résultats
  • tantôt à la satisfaction exprimée des bénéficiaires,

Et parfois à une combinaison de ces trois dimensions.

L’exécution conforme peut cependant ne pas être « pertinente ». L’atteinte de résultats techniques relève de l’efficacité, mais non nécessairement de l’efficience.

Des jugements portés sur des résultats observables et mesurables ne portent que sur une partie de la valeur produite. Ils dépendent de la capacité à définir préalablement les besoins.

La satisfaction des bénéficiaires est importante. Leur jugement est légitime. Pour autant, les bénéficiaires finaux ne sont pas seuls prescripteurs ni les seuls comptables/responsables des moyens engagés. Ils sont par ailleurs co producteurs de la qualité de service.

Le meilleur équivalent opératoire du concept de « qualité » hérité de l’industrie applicable aux activités de services est la pertinence située relativement à :

  • l’usage des espaces et des impacts des services, au-delà des prestations
  • des lieux situés et environnés, et à des moments singuliers et spécifiques.

Adossée à des équipements tangibles (des immeubles, des chaufferies, des réseaux…), la production des services est pour une grande part non tangible. Cette production n’est ni mesurable par des métriques simples, ni dénombrable. La valeur résultante de la production servicielle est réelle (impacts sur les immeubles et les capacités productives des bénéficiaires) mais directe et indirecte, intentionnelle et non intentionnelle, immédiate et médiate (dans l’espace et le temps).

La mesure de la valeur (et des gains de productivité) est toujours affaire de jugements portant une appréciation sur une utilité économique et sociale. Elle est :

  • pour partie objectivable (et chiffrée),
  • pour partie subjective et politique ;

Dans tous les cas, la qualité de ces jugements dépend de l’efficacité et de la légitimité des processus d’évaluation et de valorisation ; Ce sont des construits sociaux à l’issue d’un processus mené à l’aide d’instance(s) d’évaluation (gouvernance) mettant à contribution des acteurs légitimes soutenus par des instruments (informations) adaptés.

Satisfaction et bien-être des bénéficiaires

La satisfaction des bénéficiaires est un indicateur parmi d’autres. Elle dépend pour partie de l’exécution conforme des prestations attendues, mais également d’un effet systémique mêlant les services FM (niveau de consentement à la dépense des DO, enjeux de contextes et de localisation, attentes non nécessairement légitimes…) avec beaucoup d’autres facteurs (management, rémunération, culture et climat social…).

Le bien-être des salariés bénéficiaires finaux des services FM peut être érigé en élément de la performance recherchée (RSE) par l’entreprise.

Des salariés en situation de « bien faire un travail de qualité » peuvent tirer parti des dimensions expressives de leur engagement subjectif au travail par l’accès à :

  • Une vie sociale enrichie (convivialité, confiance…),
  • Une autonomie sociale favorisée (condition d’emploi et de rémunération),
  • Des possibilités de développer leurs capacités personnelles (intérêt au travail),
  • Une utilité sociale par l’activité professionnelle (sens du travail).

De mauvaises conditions et des environnements de vie au travail dégradés ou insuffisants sont un facteur probable de dégradation de la performance des bénéficiaires/salariés. Pour autant, la qualité de vie au travail ne garantit pas à elle seule un levier de performance et de qualité de leur travail.

La loi selon laquelle des salariés heureux travaillent vite et bien n’a jamais été démontrée.

2 – Hypothèses de travail pour une recherche expérimentation

La recherche expérimentation sur l’innovation servicielle est un investissement nécessaire pour :

  • Eclairer et partager une compréhension opératoire de ce que recouvre le concept d’innovation servicielle,
  • Faire la démonstration « dans la vraie vie » de la faisabilité de gains de productivité durables par l’innovation servicielle,
  • Valoriser la principale source de valeur ajoutée du FM ; le travail des œuvrants.
  • Apprendre de l’expérimentation et de prototypages d’actions pour l’acquisition d’un savoir méthodologique fondé et conceptuellement et robuste.

Les conditions de l’innovation sont identifiées dans :

  • Le dépassement des freins relevant des outils de gestion et des habitudes, des jeux et de la distribution des pouvoirs/responsabilités (en interne et dans les relations de sous-traitance), des procédures…, qui empêchent ou a minima découragent les acteurs,
  • Le dépassement des rapports de domination qui alimentent la défiance s’agissant de la captation de la valeur ajoutée au profit exclusif d’un des partenaires
  • L’aménagement d’un espace favorable (groupe innovateur, soutien institutionnel, mandat, contexte de recherche, moyens de prototypage),
  • La valorisation d’actions en termes de valeur économique et d’investissements au-delà des coûts pour des résultats réels mais portant sur des supports intangibles et des impacts indirects, médiats…
  • L’accroissement de la compétence des acteurs définie non comme des attributs individuels ou collectifs, mais comme des capacités réelles observables en situation.

Les conditions de la productivité des activités servicielles sont dans un accroissement des actifs immatériels :

  • La pertinence des activités comme des productions,
  • La compétence des co opérateurs des services, prestataires et bénéficiaires solidairement,
  • La coopération/confiance entre les acteurs et dans les systèmes de production.

Le concept de besoin n’est pas suffisant pour justifier/encadrer/contrôler les activités de FM. Les besoins ne préexistent pas aux processus de leur définition.

  • Ils sont fonction du niveau de consentement à la dépense, de la volonté de reconnaître et – assurer le bien-être des occupants et des anticipations favorables de retours sur investissements.
  • Le postulat d’une capacité des responsables des DO (acheteurs, DET, DI…) à définir les besoins des immeubles et des bénéficiaires finaux n’est pas démontré en pratique.

Le FMer est le sachant/responsable :

  • Des modalités d’obtention de la qualité de service,
  • De la définition du niveau des moyens d’une satisfaction des « besoins » des bénéficiaires (mais non de leur détermination, le consentement à la dépense des prescripteurs).
  • Des conditions de la performance servicielle,
  • De l’innovation servicielle (des gains de productivité nouveaux).

Les SLAs, KPI sont des approximations utiles mais dont la formulation est nécessairement générique. Ce sont des outils de dialogue, des outils de dimensionnement des coûts et des outils de contrôle. Souvent définies hors contextes ils ne permettent pas de rendre compte, reconnaitre des réalités spécifiques des attentes comme des productions contextualisées.

Ils ne permettent pas d’atteindre la valeur économique de l’activité.

Selon l’utilisation qui en est faite dans la gouvernance des relations, ils peuvent au contraire contribuer à mettre en invisibilité le travail.

3 – Éléments de méthode

Une capacité d’innovation accrue pour les institutions parties prenantes suggère :

  • Des intentions politiques énoncées au bon niveau,
  • Une instance de concertation/pilotage (un comité) entre les parties prenantes ;
    • Le ou les FMers
    • Des clients DO
    • Des partenaires des métiers sous-traités
    • Le CRDIA
    • Chercheurs académiques associés éventuels
  • Des marges de manœuvre (mandats, délégations, budgets, soutien managérial) accordées aux acteurs de terrains,
  • Des moyens en temps, des autorisations, et selon les cas de figure, l’accès à des moyens financiers.
  • Un accord suffisamment fondé et explicité sur les postulats, problématiques, hypothèses et protocoles de la recherche (un séminaire), besoin d’un langage commun,
  • L’association de compétences externes selon les cas,
  • L’association d’intervenants internes en relais des accompagnants externes afin de garantir l’appropriation par les parties prenantes des enseignements de la recherche expérimentation et d’en faciliter le transfert ultérieur.

L’accroissement de la capacité d’innovation des acteurs de terrain suggère :

  • La constitution et l’animation d’un « groupe innovateur » présentant un minimum de masse critique, de crédibilité et de cohésion (une communauté de projet à constituer),
  • Un parcours de montée en capacité à travers des étapes :
    • de formation collective (sur 2 à 3 jours) et individuelle par l’accompagnement,
    • d’acquisition d’une représentation partagée des objectifs,
    • de diagnostics des situations et enjeux particuliers des sites,
    • de mise en commun et de controverses périodiques en groupe,
    • d’appui sur un groupe de pairs durant les mises en commun et sur un mode informel,
    • de capitalisations régulières des acquis comme des difficultés.
  • Des ressources en compétences et en disponibilité d’accompagnants maîtrisant un triple savoir-faire :
    • Dans les domaines des services et du FM,
    • D’animation de projet,
    • D’analyse et de capitalisation.

4 – Productions attendues d’une recherche expérimentation

S’agissant d’un investissement au travers d’une recherche expérimentation, la première valeur ajoutée d’un tel projet réside dans la production de savoirs professionnels transférables ; Eclairer, discuter et exemplifier le concept d’innovation servicielle et les conditions de son développement pour les activités de FM.

Obtenir la conception et la mise en œuvre rapide et effective d’un panel d’innovations servicielles significatives à l’initiative de binômes FMers/DO au profit des immeubles et d’occupants de sites tertiaires ou industriels.

Constituer pour l’ensemble des participants un référentiel d’innovations servicielles démonstratives des enjeux de gains de productivité dans le respect de la qualité du travail (cas, monographies, analyses, évaluations).

Constituer un « groupe innovateur » facilitateur d’initiatives individuelles et capable de convaincre et transmettre des acquis de son apprentissage collectif.

Elaborer/tester/formaliser une méthodologie opératoire et reproductible favorisant l’émergence et identifiant les conditions d’innovations servicielles.

Notes :

[1] Inspiré des travaux d’ATEMIS et de l’IEEFC