BlaBlaCar
Un modèle de management de l’hospitalité agile, opéré en interne,
full remote et quasi-cowork
Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologue, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA
BlaBlaCar est le leader des « plateformes » communautaires de covoiturage. Créée en 2004, l’entreprise appartient à la nouvelle économie dite collaborative, fondée sur des outils informatiques bien sûr, mais également sur des principes mêlant la réduction des atteintes à l’environnement liées à la mobilité, la contribution aux échanges interpersonnels et à la convivialité.
BlaBlaCar occupe l’essentiel d’un immeuble récent, pensé et aménagé pour l’entreprise. Tous les aménagements sont open space pour une organisation en flex office, le style est varié d’un étage à l’autre avec des décors « accueillants ». Tous les salariés ont accès au télétravail et une part significative sont en « full remote ». Un espace particulier est réservé à ces derniers au 5ème étage.
Les 4870 m² sur 9 niveaux accueillent cinq occupants de type « startup » : BlaBlaCar, 320 salariés hébergés plus 230 en full remote, et quatre sous locataires occupant 700 m² :
- Tractor ; Plateforme BTP ;
- Moka Care, plateforme de QVT[1] de de soutien psychologique pour la santé mentale des collaborateurs ;
- Jimini et Cognyx dans le domaine de l’IA.
Le site du siège de BlaBlaCar est emblématique par sa situation à Paris au cœur du quartier Bastille, son architecture et ses aménagements, rooftop compris, d’un espace « moderne », jeune, « bobo », nouvelle technologie, startup. C’est également un modèle de quasi cowork, ou espace opéré, mais directement par l’entreprise. Co-designés avec le Cabinet Eschalier et le promoteur « 6ème Sens » au moment de la création en 2018, les espaces ont été pensés avec le parti d’investir un immeuble (en prise à bail) partiellement sous-loué, soit potentiellement multi occupants. L’entreprise a ainsi négocié d’emblée l’autorisation de sous-louer jusqu’à 95% des surfaces.
« Nous avons également mis en place des espaces communs pour encourager les interactions et les échanges entre les occupants, tels que des salles de réunion, des espaces de détente, une salle de sport équipée après un sondage avec les salariés, une salle d’allaitement, une cuisine commune, un jardin partagé sur le toit. L’objectif était de créer un environnement de travail agréable et stimulant pour les occupants tout en maximisant l’utilisation de l’espace et en minimisant les coûts ».
Un dispositif HM conçu et opéré maison, à la manière d’un cowork
Aux origines du « modèle HM » de BlaBlaCar… a été expérimentée dès 2017 (mais abandonnée dans le courant de la crise Covid) une offre dite « aux petits soins » avec la Providence (entreprise de propreté, toujours prestataire en 2023), avec une « gouvernante » qui passait dans les étages, à la cuisine, sur un mode serviciel de type « hôtelier ». Le dispositif offrait de « petites attentions » pour les salariés, à l’époque des goodies. La Providence était challengée pour des animations, avec un planning construit sur l’année ; massage, ateliers savons, petits cadeaux. Ces derniers ont été abandonnés sur une « contre-indication environnementale », refus du gaspillage.
Le management de l’hospitalité actuel de Blabalcar emprunte explicitement « au modèle de cowork des Etats Unis tel que ; chacun a son espace, mais il y a une animation pour faire vivre le collectif ».
Le terme utilisé pour décrire et caractériser le dispositif actuel de management de l’hospitalité est l’engagement. L’engagement est présenté comme un principe politique de management de l’entreprise. C’est un investissement (en moyens pour les espaces et les animations). C’est aussi un « service » de la direction People (ou Ressources Humaines).
« C’est une volonté politique de l’entreprise. Cela ne concerne que les salariés de BlaBlaCar, à l’exclusion des « colocataires », même si par exemple, l’accueil avec deux hôtesses (de la société) ARCÉOS vaut pour l’ensemble des occupants de l’immeuble ».
Les moyens de l’Hospitality Management
A côté du « Service Engagement » de la direction des ressources humaines « People », avec une responsable à temps plein dotée d’un budget et d’un alternant, les moyens investis par l’entreprise sur l’exploitation du site sont importants, avec :
- La Director Real Estate, Facilities and Work Place, Muriel Havas, depuis 10 ans (en 2025) chez BlaBlaCar après 17 ans chez Goldman Sachs en tant que VP des Services Généraux de la filiale Real Estate ;
- Un Office Manager à temps plein centré « bien-être » qui s’assure de la propreté, du bon fonctionnement des machines (cafés, papiers), des consommables ;
- Un Facility Manager coordinateur logistique, hygiène et prévention, ancien gendarme passé par ISS, GSF et Derichebourg, depuis 3 ans chez BlaBlaCar ;
- Un coordinateur.
Trois fonctions d’exploitation seulement sont sous-traitées ;
- Un factotum (Elior) ;
- Un technicien « FM multi technicien » ;
- Deux hôtesses (ARCÉOS) ; 22h et 28h hebdo, matin et après-midi, 30 mn de recouvrement. Ces dernières réalisent quatre types de productions :
- Une permanence d’accueil en alternance quotidienne ;
- Des activités de back office de courrier et de tâches administratives à la demande ;
- Une Newsletter d’agenda culturel et annonce des animations, réalisée sur un logiciel de composition ;
- Des animations de fréquence bimensuelle.
Des prestations élargies autour de l’accueil
« Avec ARCÉOS, nous apportons un soin particulier à l’accueil de nos collaborateurs sur site et nous leur proposons une véritable programmation événementielle au travers d’ateliers de yoga, aromathérapie, danse thérapeutique… »
Le service « Engagement » (de la DRH) est centré « culture et engagement des collaborateurs », avec des animations réservées aux salariés BlaBlaCar de type soirée trimestrielle et ateliers, en plus des animations « immeuble » portées par les hôtesses.
L’initiative des animations est discutée, validée avec Facilities (service de Muriel Havas) et Engagement (de People) mais appartient aux hôtesses. « C’est à elles de faire les propositions, de fabriquer une Newsletter, sur des contenus validés mais proposés par elles. Pour BlaBlaCar ; « ce sont des personnes en multi activité, avec des compétences culturelles et artistiques, exploitant des qualités extérieures au profit des clients ». « ARCÉOS fournit la main d’œuvre et les profils mais n’offre pas d’expertise ou d’encadrement ». « Nous payons (hors animations) le même prix qu’une agence d’accueil classique pour l’accueil, la gestion des fournitures, les ateliers, la newsletter ». « Les hôtesses sont contentes, elles gagnent en visibilité ».
ARCÉOS, se présente comme une agence d’accueil (hôtes, assistants), offrant des rôles « mixtes », accueil et médiation culturelle. Le site[2] ARCÉOS met en avant des profils « jeunes », de slasheurs, diplômés de « master tourisme », de l’Ecole du Louvre, des artistes (sculpteurs, théâtre…), en histoire de l’art… pour faire de l’accueil « enrichi » d’autres prestations, animations diverses facturées dans le forfait ou en sus. Chez BlaBlaCar, les deux hôtesses étaient ainsi par exemple, à la mi-2023 :
- Pour l’une, diplômée de muséologie et art contemporain ;
- Pour l’autre, diplômée de média communication et sociologie, plus formation d’adjoint à la réalisation d’œuvres cinématographiques.
Des conditions particulières propres à BlaBlaCar
Muriel Havas assume le rôle de DET et de Property Manager vis-à-vis des colocataires et pour le compte du promoteur (UNOFI) qui garde cependant la gestion « propriétaire » du multitechnique (CVC, chaufferie, ascenseurs, contrôles réglementaires). Une vision du bâtiment :
« L’immeuble, a été voulu et conçu par nous, avec la chance de rencontrer « Sixième sens », et aussi d’avoir un investisseur qui a laissé faire sur une prise à bail de 9 ans ferme et 95% de sous-location autorisée ». « Tout doit être pensé et géré en conformité avec une politique RSE que nous faisons nôtre de longue date, avec volontarisme et rigueur. Plus de gobelets depuis 2015, une vraie vaisselle, pas de détergent (de l’eau ozonée, du vinaigre, du bicarbonate, de l’acide citrique…), des machines à programmes courts, des économiseurs d’eau, un recyclage à 95%, un abonnement en électricité verte ». « Ce ne sont pas les certifications qui comptent, mais nos valeurs, voire notre raison d’être, la réduction de l’empreinte carbone ».
Les prestations multiservices sont volontairement gérées en direct et en multi lots.
« J’ai besoin du contact, je dois être libre, je veux qu’ils respectent nos valeurs ».
Les hôtesses d’ARCÉOS, un factotum à temps plein d’ESEIS et le technicien de Vinci sont sous-traités. La propreté est confiée à La Providence, La Grande Serre et Mille Feuilles Paysage prennent en charge le paysager, mais « le reste, c’est nous en direct » :
- BlaBlaCar a recruté un agent technique polyvalent à temps plein, un coordinateur logistique, un office manager « bien-être » ;
- La responsable engagement, autrefois dénommée Happiness Manager, exerce à la fonction RH sur un profil Event et Communication. Elle est dotée d’un budget en propre et d’un adjoint.
L’articulation permanente entre les activités d’animation immeuble gérée par les (hôtesses) et « l’engagement » (interne) est assurée par la Direction Facilities.
Services Généraux ou Management de l’Hospitalité ?
On ne se reconnait pas dans le terme de « services généraux » précise Muriel Havas.
« Tout est centré autour des collaborateurs. Nous faisons partie de la french tech, sans avoir les millions des gros acteurs/GAFA. Nos talents tournent, les salaires sont décalés. On les attire sur une mission, la défense du climat et de la planète. Les environnements de travail doivent être cohérents avec cela, il nous faut un bâtiment qui incarne les valeurs de l’entreprise. On met des moyens, mais on doit être cohérent. Pas de snack gratuit, mais une vision ». « Je suis très admirative de la jeune génération. Ils sont les premiers à nous reprendre si on sert du non recyclé. Il y a dans notre outil de communication interne des canaux dédiés, ce qui nous permet d’avoir du feed back immédiat ».
En alignement avec la vocation de l’entreprise (mobilité douce),
« plus de 35 % de nos salariés (en 2025) ont décidé d’être en full-remote – ils ont pour la plupart déménagé hors de la région parisienne. Afin de les accompagner dans leur projet de mobilité, nous leur offrons un budget pour l’installation d’un poste de travail confortable à leur domicile (bureau, chaise, écran) et des conseils personnalisés afin d’aménager un espace de travail ergonomique. Nous prenons en charge également un aller-retour mensuel sur Paris afin de les inciter à venir retrouver leurs collègues sur site chaque mois, ainsi qu’un budget coworking leur permettant de travailler dans un espace parfaitement professionnel lorsqu’ils en ont besoin. Dès que nous avons une petite dizaine de collaborateurs implantés sur la même ville, nous leur donnons la possibilité d’ouvrir un hub BlaBlaCar dans un coworking local. A ce jour, nous en avons déjà un à Lyon, Nantes et Bordeaux. Nous avons pris le parti d’imaginer des bureaux essentiellement dédiés à la collaboration et à la socialisation. Par exemple, nous avons repensé tous nos paliers d’ascenseur en tisaneries, propices aux échanges informels. La restauration est également un pan important de notre réflexion : nous avons mis à la disposition de nos salariés 2 cantines connectées développées avec Pop Chef et nous avons mis en place un distributeur Picard qui leur propose de nouvelles possibilités de restauration sur site. Nous avons aussi un potager sur le toit. Tous ces services, nous les mettons à la disposition de nos collaborateurs BlaBlaCar mais également de tous les autres résidents du bâtiment. Cela fait partie de l’expérience qu’ils viennent chercher lorsqu’ils font le choix de sous-louer nos espaces. Nous sommes quasiment devenus un opérateur de coworking ! »[3].
[1] Qualité de Vie au Travail
[2] https://www.arceos.fr/
[3] Extraits de l’entretien accordé JLL en juillet 2022 ;
https://www.jll.fr/fr/etudes-recherche/management/travail-hybride-BlaBlaCar-interview-muriel-havas