La montée en puissance de l’économie servicielle, du travail intellectuel et du FM est une bonne nouvelle. Par différence avec la conception taylorienne d’un travail « usure », soumis (toujours suspect de fainéantise…), le travail serviciel toujours partiellement autonome, opérateur de liens sociaux et occasion d’expressions de soi. La production servicielle n’est pas synonyme d’épuisement mécanique et proportionnel des ressources (naturelles ou humaines). Il y a dans les services et le FM des activités qui restent de faible qualification, répétitives, pénibles. Elles seront relayées progressivement (comme dans les « gestes industriels » et les processus administratifs processés) par la digitalisation, les capteurs, des automates et des algorythmes. Contrairement à la (faible) part du travail que prend en compte la pensée industrialiste (excluant tout ce qui est non machinique), l’activité humaine, le travail vivant, n’est pas mesurable en joules ni en durée. L’output peut être une tranche de jambon, un service ou une innovation. Il s’agit toujours de produire (une manière centrale d’exister au monde), mais de produire des savoirs en in formant des informations. Pour produire, le travail mobilisé est toujours effort. Il est toujours potentiellement l’occasion d’une expérience de l’échec (C. Dejours). Il fait immanquablement apparaître des écarts dans la confrontation de l’intention (l’idéel) au réel. Il présente toujours le risque d’une usure de l’idéal devant les possibles d’un réel (même abstrait) qui résiste, surtout s’il est empêché (selon la formule Y. Clot)…
L’enjeu du travail est de produire tout à la fois des savoirs (un actif immatériel), des savoirs vivre (un patrimoine collectif), des savoir-faire (un actif de production). Il correspond toujours à une dépense (individuelle et collective), mais non à une nécessaire destruction de matières premières, à une consommation / consumation de biens et à la génération proportionnelle de déchets.
Quand le travail est œuvre, quand il est « de qualité », il est l’espace d’un déploiement de dimensions expressives. Le travail est alors ressource et levier de développement personnel. Il est potentiellement opérateur de santé[1]. Pour cela, le travail exige la coopérativité au service d’un projet collectif. Il exige la mise en œuvre de sa force d’invention. Il suppose une réinvention permanente de l’organisation du travail par l’engagement subjectif volontaire des œuvrants.
A défaut, nous sommes en risque de connaître une nouvelle « étrange défaite »[2] ; une défaite intellectuelle.
[1] Pour une discussion de cet aspect, voir Baron X., La compétence refondée ; opérateur de santé au travail ?, in (R)évolution du management des ressources humaines, sous la dir. S. Fernagu-Oudet et C. Batal, Editions Septentrion, 2016.
[2] Par analogie avec l’analyse de la débâcle de 1940 réalisée par Marc Bloch. C’est en quelques semaines que s’est effondrée la première puissance militaire au monde de l’époque, la France, avec les conséquences que l’on sait.