Stop aux indicateurs pastèques dans les services*
*Chronique parue en juin 2024 sur le site FACILITIES
Les indicateurs sont utiles … quand ils indiquent ! Dans les services « soft » aux environnements de travail, relationnels et immatériels, on sait tous que l’écart est grand entre ce que les KPIs (Key Performance Indicator) « chiffrent » et la mesure de la valeur produite dans le réel (aléas, variabilité). La propreté, la sécurité, l’accueil … sont des grandeurs sans dimensions.
Le problème n’est cependant pas dans les indicateurs, mais dans leurs usages. Quand ils sont accrochés par contrats à des bonus ou des malus, à des exigences de conformité à des résultats non définissables, quand ils nourrissent la défiance et des menaces de pénalité, quand ils sont supports de jugement par des acteurs en cockpit management éloignés du terrain … ils n’indiquent plus. Ils invisibilisent au contraire le travail réel. Parfois ils jugent et condamnent même, de loin et sur la foi de métriques évidemment lacunaires !
On assiste alors très régulièrement à un jeu de dupes. Confrontés à des injonctions technocratiques de reporting vécues comme « pathologiques », les opérationnels alimentent les systèmes sur un mode « thérapeutique ». Face à un risque d’invisibilisation de leur travail du fait d’une gestion PAR les indicateurs, ils répondent par une gestion DES indicateurs. Ils s’arrangent pour que les indicateurs soient accompagnés de smileys souriants et verts. Ils les transforment en indicateurs « pastèques » (rouge dedans et vert dehors).
Ils ne le font pas pour le plaisir de tricher. Les acteurs de terrain sont comptables de la pertinence, de l’utilité, des finalités d’un travail qui les met « au service des autres ». Ils le font pour respecter le sens même de leur travail et restaurer leurs marges de manœuvre. Quand les tableaux sont verts, « on » les laisse travailler. On peut en sourire, mais ces jeux sont produits par la défiance, ils l’alimentent en retour. Ils sont délétères sur la durée.
Pour en sortir, il faut renoncer à la fiction de l’objectivation par des métriques pour apprécier des dimensions non mesurables et réduire la place des KPIs. Il faut décentraliser les gouvernances et instaurer des espaces de dialogue pour refonder régulièrement l’accord sur le travail bien fait. La difficulté n’est pas technique, elle est culturelle. Les clients ne font pas assez confiance aux prestataires, et encore moins à l’expertise de leurs œuvrants.
Les « nobles gestionnaires » ne dialoguent pas aisément avec les « modestes œuvrants ». C’est pourtant là que se trouvent les gisements de productivité, au contraire des reporting à base de KPIs chiffrés qui ne multiplient que les coûts … et l’exaspération de ceux qui font !