14 janvier 2025

CAHIER 36 – Document 3

Les caractéristiques socio-démographiques
des salariés du nettoyage hors domicile

François-Xavier Devetter

Economiste, Professeur des Universités, chercheur au Clersé (Université de Lille) et à l’IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales).

Ses travaux portent sur le temps de travail et les emplois à bas salaire, particulièrement agentes et agents d’entretien, aides à domiciles et assistantes maternelles agréées. Auteur avec Julie Valentin de « Deux millions de travailleurs et des poussières : l’avenir des emplois du nettoyage dans une société juste » (2021, éditions Petits Matins) et avec Annie Dussuet et Emmanuelle Puissant de « Aides à domiciles, un métier en souffrance : sortir de l’impasse » (2023, éditions de l’Atelier).

Diffusé le 21/01/2025, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

A partir de la discussion sur les contours et les définitions des populations constituées de travailleurs et travailleuses du nettoyage[1], il devient possible de décrire leurs caractéristiques. Une première description des salariés du nettoyage a pu être effectuée par Aurore Desjonquères (2019) à partir des données des enquêtes « emploi » et « conditions de travail » de l’Insee. Le périmètre retenu ici est sensiblement différent car nous écartons notamment les salariés intervenant au sein des domiciles privés. Nous actualisons ici les données à partir des éditions plus récentes des enquêtes. Nous nous appuyons ainsi essentiellement sur l’enquête « emploi ». Après avoir rappelé les principales caractéristiques socio-démographiques des salariés (1), nous soulignons leur exposition aux basses rémunérations et au risque de pauvreté (2) avant de décrire les éléments relatifs à l’état de santé déclaré (3).

 

1 – Des professions féminines, plutôt âgées et marquées par une forte présence des salariés immigrés ou d’origine étrangère

Les emplois du nettoyage sont majoritairement féminins (environ les trois quarts des salariés). Cette caractéristique concerne un peu moins les agents d’entretien de la branche de la propreté (68,5% de femmes). Comme le rappellent plusieurs acteurs syndicaux, on peut également noter le poids important des personnes en situation de monoparentalité : 17% des nettoyeurs (et 21,5% des femmes) de la branche contre moins de 10% de l’ensemble des salariés (et 13% des femmes). En Ile de France, ce sont plus de 28,5% des salariés externalisés qui vivent en situation de monoparentalité.

 

Ces emplois occupent une population plus âgée que la moyenne des salariés avec notamment une forte sur-représentation des personnes de plus de 50 ans. La moyenne d’âge est légèrement plus basse au sein des entreprises prestataires. En revanche les salariés de 50 ans et plus sont tout autant présents. Les travaux portant sur les seniors encore en emploi et notamment sur les salariés de plus de 65 ans pointent également la surreprésentation des travailleurs et travailleuses du nettoyage : Flamand et al. (2018) décrivent ainsi l’un des quatre profils type identifiés : « Marie, 70 ans, est employée à temps partiel de moins de 15 heures en tant qu’agent d’entretien dans un hôtel. Elle est retraitée et gagne en sus environ 500 euros par mois grâce à son travail. Elle vit seule à Toulouse. Elle possède un diplôme de brevet des collèges. »

 

Enfin, la présence des immigrés est particulièrement forte, notamment dans la branche de la propreté : plus de 40 % sont immigrés contre 26% des agents d’entretien hors branche et moins de 10% parmi les agents de service (cette situation s’expliquant notamment par la part importante de la fonction publique où la nationalité demeure une condition d’embauche). L’importance des travailleurs et travailleuses immigrés est également étudiée dans la littérature académique (Benelli, 2011 ; Gosselin et al. 2021 ; Herod et Aguiar, 2006 ; Benjamin, 2016 ; Desjonquères 2019) pour souligner la fragilité de cette population (dont les ressources économiques et scolaires sont limitées).

 

Tableau 1. Caractéristiques socio-démographiques des travailleurs et travailleuses du nettoyage

 

%

femmes

%

familles monoparentales

âge moyen

%

plus de 50 ans

%

immigrés

Emploi salarié total

50

9.5%

41

29%

10%

Ouvriers et employés

52%

11.5%

41

30%

12.5%

Travailleurs et travailleuses du nettoyage

73.5%

15.5%

45

43%

20%

dont agents de service

74,5%

16%

45

44%

9%

dont agents d’entretien secteur privé (interne)

74,5%

14%

46

40.5%

26%

dont agents d’entretien externalisés

68,5%

17%

42

44.5%

40%

Source : enquête emploi, Insee, 2019.

 

Les caractéristiques socio-démographiques des salariés varient selon les zones géographiques. La situation des grandes métropoles et plus encore de l’Ile-de-France apparaît spécifique avec une présence de travailleurs et travailleuses immigrés très importante : 88% en Ile-de-France contre moins de 30% dans les aires urbaines de moins de 200 000 habitants. De même le poids de la branche de la propreté dans l’ensemble des métiers du nettoyage y est sensiblement plus fort : les salariés externalisés représentent près du quart des travailleurs et travailleuses du nettoyage dans les zones urbaines de plus de 200 000 habitants contre environ 10% dans les zones rurales et aires de moins de 20 000 habitants.

 

2 – Des travailleurs et travailleuses particulièrement peu payés et très exposés au risque de pauvreté

Les enquêtes « emploi » permettent également de mieux caractériser la situation de ces salariés en termes de revenu et de conditions de vie. Il ressort tout d’abord qu’ils sont largement exposés au temps partiel et à des rémunérations mensuelles faibles (tab. 2). En moyenne les agents d’entretien de la branche de la propreté touchent, selon l’enquête emploi, à peine plus de 50% du revenu mensuel médian. Ils sont ainsi nombreux (environ 1/3) à bénéficier d’un complément de revenu via la prime d’activité ou le RSA. En termes de lieu d’habitation, ils sont nettement surreprésentés parmi les salariés habitant en quartier prioritaire de la politique de la ville[2].

 

Tableau 2. Rémunérations temps de travail des travailleurs et travailleuses du nettoyage

 

Salaire mensuel moyen

Salaire mensuel médian

%

percevant RSA ou prime d’activité

Temps

de

travail hebdo.  moyen

% habitant en Quartier Prioritaire

Emploi salarié total

1999€

1733€

8%

36h20

5%

Ouvriers et employés

1471€

1450€

12,5%

34h24

7.5%

Travailleurs et travailleuses du nettoyage

1200€

1275€

19%

30h12

12.5%

dont agents de service

1351€

1400€

15%

32h45

8.5%

dont agents d’entretien secteur privé (interne)

1101€

1160€

18.5%

28h52

12.5%

dont agents d’entretien externalisés

933€

900€

29%

24h48

25.5%

Source : enquête emploi, Insee, 2019.

 

Ces caractéristiques tendent à être renforcées lorsque l’on isole les femmes : les travailleuses du nettoyage déclarent ainsi toucher un salaire mensuel moyen de 1149€ (contre 1369€ pour les hommes) ou un salaire médian de 1212€ (contre 1400€ pour les hommes). L’écart provient en grande partie du temps de travail rémunéré : 29h20 en moyenne hebdomadaire pour les femmes contre 32h45 pour les hommes. Ces écarts se retrouvent pour les différentes sous-catégories étudiées, mais de manière particulièrement forte dans le cas des salariés du secteur de la propreté. En ce sens une croissance de l’externalisation se traduit mécaniquement par un accroissement des inégalités entre femmes et hommes (tab. 3).

 

Tableau 3. Différences de rémunérations entre hommes et femmes

 

Travailleurs du nettoyage

dont agents de service

dont internes

dont externes

H

F

H

F

H

F

H

F

Salaire moyen

1 370

1 143

1 508

1 299

1 227

1 058

1 232

814

Durée hebdo moyenne

32h45

29h20

34,5

32,17

31,74

27,88

29,82

22,51

Salaire horaire

9,67 €

9,01 €

10,09 €

9,33 €

8,93 €

8,76 €

9,54 €

8,35 €

Source : enquête emploi, Insee, 2019.

 

La faiblesse des rémunérations mensuelles provient d’un cumul de salaires horaires proche du Smic et de temps de travail rémunérés relativement faibles, alors même que l’emprise du travail sur la journée peut être proche voire supérieure à celle d’un temps plein en raison de l’importance des horaires décalés et de la fragmentation des journées de travail (Devetter et Valentin, 2024).

 

Une illustration de cette fragmentation peut être donnée par la représentation des journées de travail reconstruites à partir de l’enquête « conditions de travail » de 2019.

 

Graphique 1. Journées de travail des cadres et des agents d’entretien

Source : Conditions de Travail, Dares, 2019 ; Lecture : chaque ligne correspond à un individu et représente une journée de travail de minuit à minuit. Les barres noires indiquent 8h et 17h.

 

Au-delà de la dimension salariale et de l’exposition à des temps de travail atypiques, les travailleurs et travailleuses du nettoyage connaissent, plus souvent que les autres salariés, des situations professionnelles marquées par une forme de précarité : CDD, situation de multi-employeur, faible ancienneté (tab. 4). Sur ce point les écarts entre femmes et hommes n’apparaissent pas significatifs sur le plan statistique.

 

 Tableau 4. Ancienneté et statut des travailleurs et travailleuses du nettoyage

 

Ancienneté moyenne en mois

Ancienneté médiane en mois

%

moins d’un an d’ancienneté

% ancienneté supérieure à 10 ans

%

CDD (hors fonctionnaires)

 

Emploi salarié total

133

96

15%

45%

19%

 

Ouvriers et employés

121

84

17%

41%

23%

 

Travailleurs et travailleuses du nettoyage

136

108

15%

46.5%

29%

 

dont agents de service

167

144

10%

59%

 

dont agents d’entretien secteur privé (interne)

110

72

19.5%

35.5%

22%

 

dont agents d’entretien externalisés

87

62

21

28%

13%

 

Source : enquête emploi, Insee, 2019.

 

3 – Etat de santé déclaré

Enfin l’enquête « emploi » permet de compléter la description de la population des travailleurs et travailleuses du nettoyage sur le plan de l’état de santé déclaré. Trois questions notamment apportent des éléments sur cette dimension :

 

  • Êtes-vous limité(e), depuis au moins 6 mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ?
  • Avez-vous une maladie ou un problème de santé qui soit chronique ou de caractère durable ?
  • Comment jugez-vous votre état de santé en général ?

Dans les trois cas, la situation des travailleurs et travailleuses du nettoyage apparaît sensiblement plus mauvaise que la moyenne des salariés ou que celle des seuls employés et ouvriers. En revanche, sur la base des données de cette enquête, les différences entre catégories d’emplois du nettoyage ne semblent pas significatives.

 

Tableau 5. Etat de santé déclaré des travailleurs et travailleuses du nettoyage

 

Limitation dans les activités que les gens font habituellement

Maladie Chronique

Comment jugez-vous votre état de santé en général ?

Très bon

Bon

Assez bon ou mauvais

 

Emploi salarié total

12%

20%

37%

45.5%

17.5%

 

Ouvriers et employés

14%

22%

33.5%

46%

20%

 

Travailleurs et travailleuses du nettoyage

19%

28%

27%

45.5%

28%

 

dont agents de service

17.5%

29%

29%

44.5%

26.5%

 

dont agents d’entretien secteur privé (interne)

21%

26.5%

24%

47%

29%

 

dont agents d’entretien externalisés

18%

26%

26%

45%

29%

 

Source : enquête emploi, Insee, 2019.

 

En revanche, les différences entre femmes et hommes en termes de déclaration de limitations dans les activités que les gens font habituellement sont sensiblement plus marquées au sein de certains groupes. Pour l’ensemble des salariés l’écart est limité (11% chez les hommes et 13% chez les femmes) et il croît légèrement chez les agents de service (15% vs 18%) mais il devient plus visible encore chez les agents d’entretien du secteur privé (17% vs 22%) et surtout au sein des nettoyeurs du secteur de la propreté : 11% vs 21%. Ces constats doivent être interprétés avec prudence mais ils pointent l’existence de difficultés spécifiques pour la population des travailleuses externalisées.

 

La représentation de la proportion de salariés déclarant vivre sans incapacité selon l’âge rend visibles des rapports très différents au vieillissement en fonction des catégories sociales. Le graphique ci-dessous illustre ces écarts entre agents d’entretien (périmètre large intégrant l’ensemble de ces agents au sens de la CITP 91[3]) et cadres. Des différences de santé majeures apparaissent dès 40 ans et se creusent ensuite : à 60 ans, 35% des agents d’entretien déclarent des limitations dans les activités que les gens font habituellement contre environ 10% des cadres (Devetter, 2019). Cette observation confirme l’importance des enjeux en termes de santé pour la population des travailleurs et travailleuses du nettoyage, elle ne permet en revanche aucunement de lier de manière causale l’activité de travail et la santé des salariés concernés.

 

Graphique – Comparaison des actifs cadres et agents d’entretien occupés sans incapacité

Source : Enquête Emploi, Insee, 2017 ; Lecture : Les cadres correspondent ici au groupe 2 « Professions intellectuelles et scientifiques » de la CITP. Les agents d’entretien de la catégorie 91 regroupent les agents d’entretien à domicile et ceux travaillant dans les bureaux, écoles, hôpitaux, etc.

 

Les éléments relatifs à l’état de santé de la population des travailleurs et travailleuses du nettoyage mobilisables dans l’enquête « emploi » demeurent relativement limités et ne constituent que des indices décrivant un groupe professionnel plus exposé que la moyenne des salariés à des problèmes de santé.

 

D’autres travaux sont en cours en vue d’éclairer les liens entre ces constats sur la santé et les conditions de travail et d’emploi que les travailleurs et travailleuses connaissent.

 

 

Bibliographie

 

  • Aguiar, L. L., & Herod, A. (Eds.). (2006). The dirty work of neoliberalism: cleaners in the global economy, Antipode, (Vol. 50). John Wiley & Sons.
  • Benelli, N. (2011). Divisions sexuelle et raciale du travail dans un sale boulot féminin. L’exemple du nettoyage en Suisse. Raison présente, 178(1), 95-104.
  • Benjamin, O. (2016) Gendering Israel’s outsourcing: The erasure of employees’ caring skills. Springer.
  • Desjonquères A. (2019), « Les métiers du nettoyage : quels types d’emploi, quelles conditions de travail ? », DARES Analyses, n°43.
  • Devetter, F. X. (2020) Repousser l’âge de la retraite et la méconnaissance des réalités du travail. Revue française de socio-Economie, (0), 321-326.
  • Devetter, F. X., & Valentin, J. (2020). Polarisation et bas salaires: comment sortir certains emplois de l’impasse? Une analyse de la situation des salariés affectés aux tâches d’entretien 1. Revue de l’OFCE, (5), 5-38.
  • Gosselin, A., Melchior, M., Desprat, D., Devetter, F. X., Pannetier, J., Valat, E., & Memmi, S. (2021). Were immigrants on the frontline during the lockdown? Evidence from France. European journal of public health31(6), 1278-1281.
  • OECD (2021), « La montée de l’externalisation nationale et ses conséquences pour les travailleurs à bas salaire », in Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2021: Affronter la crise du COVID-19 et préparer la reprise, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/f4494cf0-fr.

[1] Voir le Cahier 35 du CRDIA de décembre 2024 « Les emplois du nettoyage, au prisme de la diversité des nomenclatures ».

[2] Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont des territoires d’intervention de l’État et des collectivités territoriales définis par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 dans l’objectif commun de réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines (NDLR).

[3] CITP : classification Internationale des professions ; groupe 9 : professions élémentaires ; code 91 : aides de ménage (NDLR).