Des idées et des hommes pour un secteur en émergence
Retour sur l’histoire de FACEO par Serge Clémente
Propos recueillis par Xavier Baron
Mars 2020
L’histoire de FACEO[1] débute en 1995
Serge Clémente, DGA de Cegelec[2], est alors en charge des départements travaux neufs et maintenance technique. Cegelec est organisée par lignes de métiers (chauffage, plomberie, électricité…). Comme dans la plupart des entreprises de l’énergie et de la construction, la maintenance reste le parent pauvre : activité réalisée à coups de « petits montants », mais avec des marges élevées. La technique domine largement, au détriment de l’orientation client.
Dans cette période et dans la culture du secteur, la performance est d’abord l’affaire des travaux, conditionnée à une capacité d’exécution la plus rapide possible. Cela se joue à l’aide d’une bonne programmation et d’organisations en mode projet. On commence par obtenir un marché, en jouant sur le prix s’il le faut, et on s’arrange ensuite pour reconstituer les marges par une gestion efficace des « claims ». Dans la maintenance, le modèle est exactement contraire : il faut construire une relation client, investir pour structurer une acquisition de marge dans la durée.
Des prémices d’organisations « multitechniques » (1997-1999)
L’idée de regrouper une offre en maintenance multi techniques est à la rencontre de deux évolutions structurelles et de plusieurs opportunités :
Les évolutions culturelles concernaient :
- L’organisation par « lignes de services » qui implique une distinction travaux/maintenance ;
- Le développement de la notion de direction globale de projet, ou d’entreprise générale, qui induit une responsabilité unique sur l’ensemble d’un projet.
Les opportunités furent notamment :
- En 1996, la réfection complète de l’hôtel Georges V par Bouygues : Serge Clémente propose de prendre la responsabilité de tous les lots techniques, un « paquet » à 10M€ qui est mené à bien, malgré un projet rendu complexe par ses nombreuses évolutions ;
- En 1998, le projet d’un nouveau siège pour la « grande Alcatel » d’alors, un projet porté par Serge Tchuruk et un nouveau directeur immobilier (Bertrand Sausay). A l’occasion, Serge Clémente invente un nom de projet, WINGS « Workgroup on Intranet & Global Services» : un bâtiment connecté devant être géré globalement. L’ambition pour ce siège était forte, avec l’exigence de réussir « un must », une vitrine dans l’immobilier d’entreprise. La maîtrise de la technologie « embarquée » dans l’immeuble, très avancée pour l’époque, a été à l’origine de nombreuses difficultés : le jour de l’ouverture est une catastrophe, rien ne fonctionne … et Serge Clémente doit fournir un pull-over au DGA de Tchuruk, faute de chauffage dans l’immeuble. Il fallut une à deux semaines supplémentaires pour répondre au cahier des charges, mais ce fut finalement un succès et une relation de confiance s’est instaurée. C’est dans la continuité de cette expérience que Serge Clémente obtient en 1999 la maintenance globale de tous les établissements Alcatel dans une configuration multi technique.
Global services et externalisation, création de FACEO (1999-2000)
On parlait déjà de Global Services, mais ce n’était encore que du multi technique. Serge Clémente propose d’élargir le concept à tous les services. 1999 : Alcatel vient de prendre 15% des parts de Thomson, créant Thomson Alcatel Electric System, THALES. Une nouvelle structure est créée en interne : Thales Gestion Immobilière (TGI), ainsi qu’une direction des services généraux. Venant d’Alcatel, Serge Clémente développe auprès d’Alexandre de Juniac[3] l’idée d’un FM comme on peut le trouver dans les armées, avec comme ambition de transformer en centre de profit des activités gérées comme un centre de coût. L’accueil est mitigé, avec en arrière-plan la crainte qu’il s’agisse d’une manœuvre destinée à absorber TGI. Mais, petit à petit, l’idée fait son chemin, autour d’un perspective d’alliance entre Cegelec et Thales pour traiter l’ensemble des activités multi techniques sur les deux marchés que représentaient Alcatel et Thales Gestion Immobilière[4], en intégrant également de nombreux services sur le marché Thales. Assez vite, un accord se dessine sur la réunion des deux entreprises, basée sur les principes :
- d’une profitabilité égale ;
- d’une structure « papillon », avec une holding à 50/50 et deux sociétés ;
- Faceo Système (ex TGI) détenue à 40% par la holding et à 60% par THALES ;
- Faceo Contracting (ex Cegelec) à 40% holding et à 60% Alcatel ;
- d’une réversibilité en cas d’échec ;
- d’une consolidation en cas de succès à échéance de 2 ans.
C’est ainsi qu’une nouvelle structure commune, intègre les activités multi techniques d’Alstom Contracting (300 personnes à l’échelle France), et environ 500 personnes de THALES (principalement des activités de services). Serge Clémente démissionne de Cegelec et Serge Delon (THALES) rejoint la nouvelle holding pour en constituer à eux deux la direction. Dès 2000, il est décidé de consolider et de fusionner les deux structures de la holding au profit d’une société filiale 50/50 de Thales et Cegelec, avec un chiffre d’affaires d’environ 100M€.
FACEO était né.
Affirmation du concept FACEO élargi aux services
De 2002 à 2007, FACEO rencontre le succès.
- FACEO se développe progressivement très au-delà des deux marchés initiaux ;
- L’entreprise déploie une activité à l’international (Europe) ;
- Une division FM international est créée pour répondre aux attentes des grands clients multi pays (BASF, DELFY…).
Si la profitabilité reste modeste (3 à 5%), le chiffre d’affaire atteint 350M€ en 2007. Le marché d’alors est un marché d’offre, sur un modèle qui fonctionne en général sans cahier des charges.
FACEO propose :
- des prix flexibles au m² ou à la personne, avec une capacité à discuter sur les bons ratios ;
- un reporting performant (c’est la grande époque de SAP) ;
- une brique servicielle, avec en prime l’offre d’un centre d’appel dédié à l’occupant/utilisateur ;
- une filiale qui récupère les demandes et les datas pour favoriser la prédiction et l’amélioration du service.
FACEO ainsi constituée est forte dans le domaine technique, mais reste moyenne dans les services. Une première idée fut d’« inventer » les factotums en revalorisant la polyvalence. Mais cela ne suffisait pas : Serge Clémente voulait un FACEO intégré, ce qui conduisit à la création de filiales spécialisées :
- FPS pour FACEO Prévention Sécurité ;
- FACEO Doc Imprim (avec Xerox) ;
- Ceritex (avec Patrick Thélot) sur l’accueil.
Sur le nettoyage, FACEO n’a en revanche pas trouvé le moyen de se distinguer, et choisit finalement de réaliser en interne le nettoyage courant, et de continuer de sous-traiter les campagnes de nettoyage.
Quoique numéro 1, FACEO reste un nain dans les services : une stratégie de cession-alliance
Entre 2007 et 2010, le CA monte à 500M€, les effectifs à 8000 personnes dans 10 pays. FACEO, n°1 en FM, reste un nain alors que les concurrents sont adossés à des géants. Impossible par exemple d’accéder aux PPP[5]. Il faut dépasser le « stand alone », THALES et Cegelec souhaitant par ailleurs sortir progressivement de FACEO.
Porté par le succès de l’entreprise, les actionnaires lancent durant l’été 2006 un processus de cession en associant le management de l’entreprise qui, associé au fonds d’investissement APAX, soumet une offre et remporte la compétition (en 2007, au cœur de la crise des subprimes) …
Nouvelle étape en 2009, avec l’actionnaire APAX, il est décidé de lancer un nouveau processus d’ouverture du capital et/ou de cession. Serge Clémente prend le parti de privilégier un industriel et entame un tour de la place pour expliquer le métier et les points forts de FACEO.
Les acquéreurs potentiels sont attentifs, mais ne savent pas ce qu’est le FM …
Serge Clémente propose à VINCI d’allier le temps court de la construction au temps long de la maintenance :
- faire de FACEO la structure fédérant les différentes entités de maintenance du groupe ;
- développer une capacité d’offre intégrée ;
- privilégier une orientation clients et grands comptes.
La rencontre se fait sur un mode personnel avec Xavier Huillard[6], qui comprend rapidement l’intérêt de cette approche, l’opération se conclut en juillet 2010 et Faceo devient VINCI Facilities.
Après un an de tuilage, en juin 2011, Serge Clémente passe le relai à son successeur et se prépare à une retraite en Ariège. Mais VINCI lui propose la direction de sa filiale VINCI Park, devenu Indigo (avec Ardian et Crédit Agricole). Et ce nouveau projet emporte l’abandon de l’alternative ariégeoise !
Avec le recul, des registres d’analyses à retenir
Sous l’angle des cultures, il y a le choix de VINCI et les choix de VINCI.
Serge Clémente a plus vendu FACEO à un homme, Xavier Huillard, porteur d’une vision, qu’à une entreprise, VINCI, dont la culture semble ancrée sur l’approche projet. Après la cession, Serge Clémente est resté en place un an, pour vivre une transition finalement mitigée.
FACEO a été placée dans la branche Energies de VINCI, avec une organisation adaptée à une réponse à des besoins/clients locaux. L’approche de FACEO était au contraire adaptée à des logiques centralisées pour de grands comptes à l’échelle européenne …
Par ailleurs, FACEO a été fraîchement accueillie dans un monde VINCI qui lui était étranger. Il se disait que FACEO avait été acheté trop cher, avec un modèle trop disruptif. Jusqu’à entendre en interne « VINCI Difficulties » pendant un moment ! Même si les tensions de cette période ont laissé des traces, Serge Clémente demeure convaincu que FACEO a maintenant toute sa place dans le groupe VINCI, complémentaire à l’approche géographique et locale du Client. Pour preuve, le contrat avec THALES qui a évolué depuis l’origine est resté géré par VINCI Facilities dans une approche globale et servicielle.
Sous l’angle des marchés et des métiers l’avenir se jouera sur une capacité de gestion d’activité à faible marge.
Les besoins (techniques) d‘exploitation des bâtiments (multi techniques) margent à plus de 5 points. Les services ne margent qu’à 3 points. Restent les activités de reporting, que l’on associe au Property Management, et qui margent encore à 10 points.
Cela évolue dans le bâtiment, mais les entreprises de services sont plus habituées aux marges faibles. Les entreprises de services vont gagner, car elles savent mettre l’utilisateur au centre. Par contraste, dans la technique, la profitabilité s’est faite :
- sur les mobilités (une personne sur deux bouge chaque année dans un immeuble) ;
- sur le hors forfait.
Deux voies restent à creuser :
- la digitalisation dans les services, vers une capacité à produire des offres personnalisées ;
- la polyvalence et la flexibilité sur le terrain, aujourd’hui limitées en France par le droit du travail.
Finalement avec du recul, WINGS est devenu une réalité grâce à la technologie, mais l’organisation du travail et les cahiers des charges n’ont pas encore suffisamment évolué pour faire de cette grande idée du Global Services une réalité.
[1]Texte basé sur les propos de Serge Clémente recueillis par Xavier Baron. Né en 1960, de formation Arts et Métiers et IAE, Serge Clémente (clementeserge@gmail.com), fondateur de la société de FM FACEO, déploie sa carrière à partir de 1982 dans le Groupe CGEE Alstom et Cegelec.
[2] CGEE Alsthom avait pris le nom de Cegelec en 1989 (contraction de CGE française et de General Electric britannique).
[3] Dirigeant de TGI et Secrétaire Général du Groupe
[4] Ce périmètre perdait de l’argent dans cette période
[5] Partenariats Public Privé : conception réalisation exploitation d’équipements publics par des consortiums du secteur privé
[6] PDG du groupe VINCI