18 septembre 2022

CAHIER 19 – Document 1

Vers un modèle d’affaires soutenable
pour les Services aux Environnements de Travail

Partie II / IV
Un modèle d’affaires à inventer après l’externalisation à demeure et l’industrialisme financiarisé

Par Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA

Diffusé le 20/09/2022, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

 

L’histoire des Services aux Environnements de Travail (SET) en France reste à écrire. Les témoignages d’acteurs, comme les pratiques observables permettent cependant de distinguer deux périodes dans la maturation de la filière. Elle rassemble des activités diverses et parfois anciennes, qui ont fait l’objet de deux modèles d’affaires successifs : une période d’externalisation dans les années 70-90 précède un modèle industrialiste dans les années 90-2020, l’un et l’autre aujourd’hui obsolètes et inadéquats.

 

Les espaces professionnels et environnants ont toujours été gérés et entretenus, les bâtis et les équipements maintenus, nettoyés, gardiennés. Dans les années précédant les décennies 70 et 80, les entreprises (alors largement fordiennes et communautaires[1]) assumaient ces travaux largement par elles-mêmes, avec des salariés « maison », qu’ils soient professionnels qualifiés et spécialisés, ou ouvriers et employés reconvertis en interne sur les activités de soutien et les besoins des communs. Ces œuvrants salariés internes, ne choisissaient pas toujours ces métiers qui n’ont jamais été valorisés, même relativement qualifiés. Anciens ouvriers ou techniciens de production, devenus agents courrier, pointeurs, gardiens, factotums, huissiers, agents d’accueil, jardiniers, agents de déménagement et de petits entretiens…, ils étaient parfois déclassés, mais porteurs d’une identité et de compétences léguées par leur appartenance à l’entreprise. Elle leur donnait un savoir-faire, une connaissance intime de la culture, des fonctionnements, des travailleurs/collègues, des sites… Quand bien même la noblesse était inégalement distribuée (entre les « bons boulots » dans la maintenance technique et les « sales boulots », le ménage par exemple), ces travailleurs étaient des salariés, égaux en droits et en dignité des bénéficiaires de leurs services. Ils partageaient une identité, un devenir en commun et une proximité favorables à la coopération, à la confiance et à des formes de solidarité. Leurs activités étaient parfois peu ou mal organisées, mais ces salariés étaient au moins pris en charge dans le rapport de subordination habituel. Les immeubles maintenus étaient aussi leurs espaces de travail. Les services rendus l’étaient à des collègues. Ils étaient partie prenante du collectif, y compris dans des logiques de services incluant une dimension de don et de contre don cimentant les membres d’une même communauté. Ces activités étaient en outre souvent un refuge pour des salariés en difficulté, constitué parfois d’emplois « allégés ». Leur déploiement maintenu en interne relevait d’une valeur assumée de maintien en activité dans la communauté, accidents personnels, de carrière ou de santé compris. Dans l’entreprise communautaire, ils étaient un marqueur d’un deal politique assumé ; conformité et obéissance contre sécurité dans la durée. La cohésion sociale était une valeur en soi, un levier de performance. Les salariés concernés étaient rémunérés sans intermédiaire, représentés et défendus par les mêmes organisations syndicales. Ils pouvaient faire l’objet de promotions ou de réprimandes dans le cadre de la subordination, leurs activités ne faisaient pas l’objet d’échanges marchands. Ni contrats, ni SLA, ni KPI, ni pénalités n’étaient utiles ou nécessaires pour piloter ou encadrer un travail dont la pertinence, sinon la performance, n’a été remise en cause que plus tard, sous couvert d’économie et de recentrage sur le cœur de métier. Les activités intégrées d’alors n’avaient pas de modèle économique repérable (distinct de celui du cœur de métier de l’entreprise) et pas plus de modèle d’affaires.

1 – Le modèle d’affaires de l’externalisation à demeure (1970-2010)

 Entre les années 70 et les années 2010, un premier modèle d’affaires « d’externalisation à demeure »[2] a accompagné l’émergence de nouveaux opérateurs, l’apparition d’entreprises de multiservices, et celle de nouvelles fonctions supports chez les clients. Un âge d’or est ainsi observé dans la propreté entre 1970 et 1980, avec une croissance des surfaces entretenues par les entreprises de nettoyage de 136%[3].

Les services aux immeubles et aux occupants (maintenance des équipements et devices informatiques inclus), ne naissent pas de nouvelles technologies ou de nouveaux produits. Ils apparaissent en aval d’un puissant mouvement d’externalisation. Notamment en France (dotée très tôt de dispositions légales du type L.122-12 sur le transfert de personnel), le mouvement est progressif, au cas par cas, d’abord lot par lot, souvent en local, avec un souci de maintien de la paix sociale. Rares sont en effet les entreprises qui ont « externalisé » d’un coup les activités de maintenance des immeubles et des services, à l’image de PSA avec Véolia (création d’une filiale SEDE avec transfert d’un millier de salariés en 2003), ou Thomson (devenu Thales) à l’aide d’une filiale commune avec Cegelec en 2000 (Faceo)[4]. Dans cette période, la plupart des entreprises ont moins externalisé des « activités » que des salariés (de nettoyage, de gardiennage, de maintenance).

 

L’externalisation d’emplois alloués à des activités maintenues

La filière SET n’est pas une émergence ex nihilo. Le terme FM par exemple désignait, jusque dans les années 1990, l’externalisation de services informatiques. Le FM est progressivement devenu le « management externalisé, global et placé sous une responsabilité unique, de services à un immeuble professionnel (maintenance technique, entretien, travaux…) et à ses occupants (accueil, restauration, propreté…). Il peut s’agir de locaux privés ou publics, tertiaires, industriels, techniques, high tech… »[5].

C’est par l’effet d’une recomposition et à l’aide d’un équilibre « gagnant/gagnant » entre donneurs d’ordres et prestataires, qu’un premier modèle d’affaire est né et a soutenu la croissance de ce qui est en passe de devenir, 30 ans plus tard, une filière de première importance. Dès les années 70[6], mais plus encore tout au long des années 1980 à 2000, les SET naissent de l’externalisation d’activités diverses et variées, mais bien connues et réputées maitrisées. Les raisons invoquées pour l’externalisation sont largement partagées. C’est d’abord un raisonnement sur les différentiels au moins apparents de coûts salariaux. En même temps, les entreprises trouvent la possibilité de se désengager (déresponsabiliser) de la gestion Ressources Humaines des contraintes liées à ces activités. Elles argumentent ensuite sur l’accès à un savoir-faire professionnel et à des outils spécifiques. Elles ont enfin accès à des capacités tout à la fois plus importantes et variabilisées, à l’aide de contrats commerciaux remis régulièrement en concurrence. Les donneurs d’ordres trouvent ainsi une ressource d’expertise et de management social auprès de prestataires spécialisés. L’équilibre des échanges entre donneurs d’ordres et prestataires, selon les témoignages convergents des acteurs, est globalement assuré dans cette première période (1970-90). Les « économies » obtenues par les donneurs d’ordres sont suffisantes[7] pour dégager des marges confortables pour les prestataires. Tant que les prix sont fixés en référence aux coûts antérieurement constatés, les conditions de travail évoluent, les effectifs et les temps consacrés baissent, mais la qualité n’est pas encore un sujet[8].

 

Un deal gagnant/gagnant prestataires client ?

Ces prestataires connaissent durant toute cette période une croissance supérieure à l’économie globale, du fait de la demande (croissance endogène) mais également, de la poursuite de transferts de personnels et d’activités, notamment pour des emplois du secteur et des fonctions publiques.

Les marges et la croissance sont telles que, dans la mémoire collective des prestataires, le début de cette période est associé à un « âge d’or ». On voit ainsi apparaître des destins individuels, des héros « partis de rien », des sagas familiales d’entrepreneurs devenus en trois décennies des employeurs comparables en volume à ceux des grands de l’industrie, y compris dans un développement au-delà des frontières nationales[9]. Le choix des « donneurs d’ordre » a été fondé sur un ensemble de raisons convergentes. Choix délibéré ou mode, cause et conséquence à la fois des nouvelles conditions de la performance, les grandes entreprises se sont éloignées du modèle communautaire fordien. Le fait est que depuis le milieu des années 1980, elles ont largement renoncé à offrir un « deal salarial » fidélité contre sécurité, au profit d’un lien de subordination flexible. Professionnellement, l’introduction progressive de savoir-faire et de technologies spécialisées (communication, courrier, produits et machines, automates, réglementations) a fait apparaître un besoin de compétences de « vrais » métiers (au sens des activités et non seulement des personnes), avec des opérateurs nouveaux (restauration collective, propreté, accueil). En même temps, l’ingénierie sociale requise pour le management de ces activités est devenue un facteur discriminant de compétitivité dans la gestion des conditions de travail, d’encadrement, d’horaires et d’astreintes, de recrutement, d’absentéisme et de santé. Economiquement, entre les performances démontrées par les opérateurs spécialisés (savoir-faire et obtention d’une productivité du travail par un accroissement de l’intensité directe[10]) et l’avantage en coût main d’œuvre du fait de conventions collectives moins favorables, l’externalisation s’est présentée comme une évidence pour autant que des précautions suffisantes étaient réservées pour la reprise des personnels afin d’éviter conflits et drames sociaux[11]. L’apparition dans les années 70 et la diffusion systématique des outils de contrôle de gestion, des services achats, en même temps que des évolutions du droit du travail[12], ont soutenu les choix de « Buy » au détriment du « Make ». La financiarisation enfin a constitué sur toute la période un argument pour distinguer, dans l’affichage des résultats et la formation des dividendes, les activités à forte valeur ajoutée (cœur de métier) et celles réputées à faible valeur ajoutée, les fonctions de production périphériques ou supports. Au-delà de l’affichage, elle a constitué un levier de « canalisation/prédation » de la valeur au profit des centres (métiers nobles, grandes entreprises, métropoles…)  et au détriment des périphéries qui accueillent les prestataires de ces « petits métiers »[13].

Non que la sous-traitance soit « moins chère » ou même plus performante en soi. Au contraire, par construction, l’introduction d’une marge par le sous-traitant est un argument de renchérissement mécanique pour le donneur d’ordre[14]. De même, la rupture des collectifs de travail (des solidarités, des process) induit des pertes de compétences (connaissance du site, des occupants, des installations…) et génère des coûts de gestion (coûts de transaction). Comptablement cependant, la valeur générée par le modèle internalisé n’étant pas lisible (et n’avait plus de raison de l’être une fois la décision prise), la démonstration de gains quasi immédiats a été facile à faire tout au long de cette période. La comparaison entre les coûts apparents (notamment en coûts unitaires de main d’œuvre) et ce qui était constaté dans les entreprises et les offres externes était fréquemment de l’ordre de 30 à 50%. Y compris en « payant » le prix social de l’externalisation, et en « payant » l’accès à des services « professionnalisés », le choix du « buy » a constitué une source d’économie aisément démontrablePour les clients, par ailleurs sensibles au confort apporté par cette forme de délégation pour le management d’activités peu nobles, la valeur générée antérieurement par le modèle interne a été sous-estimée et progressivement oubliée.

 

Une période de croissance favorable aux prestataires

Avec ce mouvement d’externalisation, le recours à la sous-traitance s’est imposé pour devenir une évidence dès les années 1970, et une généralité dès 1990. Le travail n’a guère été modifié dans un premier temps, pas plus que l’organisation des activités les unes relativement aux autres, ni même les personnes. Le différentiel de coûts constaté par les donneurs d’ordre était a minima dans une professionnalisation par les prestataires permettant une intensification directe du travail.

 

Dans cette période, les donneurs d’ordre maitrisent encore des compétences opérationnelles pour la définition des besoins comme des moyens alloués. Ils « sous-traitent » contractuellement des activités qu’ils sont encore capables de réaliser eux-mêmes et parfois, en maintenant une part des personnels qui étaient déjà « dedans ». Ils procèdent dans cette période progressivement, site par site, par contrats en multi lots (activité par activité) et pour les grandes sociétés, en « multi sourcing ». Ils maintiennent des compétences en interne (les services généraux) en développant parallèlement des compétences sur une extension du domaine des achats dits indirects. Les contrats sont peu précis au départ[15]. Le renouvèlement par tacite reconduction est une pratique encore habituelle. Les reportings sont indicatifs et peu développés.

 

Les prestataires ont pu dans cette période dégager des espaces d’une marge favorable à travers trois arguments :

  • Ils ont « facturé » la prise en charge du risque employeur et de l’ingénierie sociale associée à l’externalisation. L’accompagnement de l’externalisation a constitué de fait temporairement une prestation en soi, y compris le maintien dans l’emploi « dedans » ;
  • Les prestataires ont pu argumenter ensuite une seconde marge dans la comparaison encore possible entre leurs performances professionnelles et spécialisées, et les coûts précédemment supportés par le client pour des résultats souvent inférieurs ;
  • Enfin, une fois « installés » dans des « forfaits » et sur les sites, les prestataires ont souvent trouvé des opportunités commerciales à marges élevées pour l’exécution et la facturation, au-delà du forfait, de travaux supplémentaires grâce à leur présence sur le terrain et leur connaissance des acteurs et des marchés.

Un équilibre a ainsi été trouvé dans le modèle de l’externalisation entre donneurs d’ordres et prestataires. Il a même permis d’améliorer parfois la situation des œuvrants. Ils ont changé d’employeur mais sont souvent restés en place, le temps d’une mobilité ou de l’accès à la retraite. La rupture avec la communauté de travail des espaces dans lesquels ils opéraient a été progressive. En contrepartie d’un changement d’employeur pour des conditions de rémunération maintenues, mais d’emploi et d’avantages en général moins favorables, ils ont rejoint des employeurs pour lesquels leurs activités sont « cœur de métier », offrant parfois des opportunités d’évolution et de professionnalisation.

 

Pour autant, le bénéficiaire du service qui était un collègue devient progressivement un client au mieux, au pire un étranger. Le lien à l’employeur est transformé. Il devient « triangulaire », intégrant une influence ambiguë du client/prescripteur à ses différents niveaux de représentation. Le travail qui était défini par une culture commune et partagée voit son horizon d’activités limité à des prestations techniques définies par d’autres. Le facturé prend le pas sur l’utile. Le geste technique « vendu » est valorisé, au détriment de son effet utile et de sa pertinence. Les situations de prescriptions multiples (le prescrit officiel des contrats, les injonctions de ses encadrants, les demandes des clients locaux, les attentes des bénéficiaires finaux…), se généralisent, pour des salariés souvent isolés, condamnés à arbitrer sans être équipés pour cela.

 

2 – La contamination par le modèle industrialiste et financiarisé (depuis 2010)

 Les objectifs de réduction des dépenses étant soutenus par des fonctions achats de plus en plus influentes à partir des années 90-2000, la filière a été confrontée à de nouvelles exigences de performance. Faute d’évaluation et d’accord sur la valeur recherchée, elles ont été traduites par défaut en « économies » pour les clients. Le jeu ainsi institué a contraint les prestataires à organiser leurs productions, non pour l’obtention optimale d’un résultat, mais pour respecter la contrainte de moyens définis a priori dans le but de réduire les dépenses.
 

Une transposition des leviers du modèle industriel

A partir des années 2000, mais avec un effet d’accélération dû à la crise de 2008-2009, le modèle d’affaires de « l’externalisation à demeure » s’avère dépassé. L’exigence maintenue année après année de « faire des économies », la volonté de rationalisation et d’optimisation des achats comme des exploitants…, ont poussé les acteurs à rechercher un modèle d’affaires plus performant. Ce qui était de l’ordre de « services rendus intégrés » dans le modèle internalisé (un accueil agréable, des bureaux propres, des techniciens dévoués), une fois externalisé, a été progressivement réduit à l’exécution de prestations techniques prescrites et processées. Les gains de l’externalisation engrangés tout au long des années 1970 à 2000 ont été oubliés. L’économie « globale » obtenue par l’externalisation n’est plus suffisante. Des gains sont systématiquement recherchés dans les cahiers des charges, poste par poste, sur les heures d’hôtesses, les fréquentiels de nettoyage, les délais d’intervention… S’agissant de salariés externes comptables de leur temps à la minute, les taux de rémunération sont également comparés et tirés vers le bas.

 

Pour emporter des marchés et dans l’espoir de tenir ces contraintes sur le terrain, les prestataires ont mobilisé les savoirs, les outils et les leviers qu’ils connaissaient. Faute de pensée alternative, ils ont ainsi mobilisé les leviers de l’économie industrielle et financiarisée :

  • Standardisation des processus via la généralisation des SLAs et KPIs[16]. Des deux côtés (prestataires et donneurs d’ordre), SLAs, KPIs sont devenus les outils de la construction de l’accord, du prix, comme les référents de la gouvernance des relations dans l’exécution successive des activités ; 
  • Division du travail verticale par la recherche de la conformité dans l’exécution technique de prestations prédéfinies. Faire ce qui était convenu devient la référence de l’accord entre les parties prenantes, au détriment du « service » ;
  • Division horizontale du travail, à la fois pour composer avec la contrainte des conventions collectives et pour maximiser les effets de spécialisation entre les métiers ;
  • Recherche de volume par la massification (taille des contrats) et par les assemblages des prestations (multi-métiers) ;
  • Appel à la numérisation et à la digitalisation pour convaincre autant que pour justifier le choix des plus grands opérateurs[17]

Pour accompagner sa maturation dans une nouvelle phase, la filière encore émergente des SET aurait pu chercher à construire un modèle serviciel pour activer des leviers adaptés de performance. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer mais le choix qui a prévalu, aussi bien du fait des clients que des prestataires, a été de transposer sur ces services la pensée, les outils et les leviers industrialistes et financiarisés de la performance[18].

 

Des prestations réputées standardisables et à faible valeur ajoutée

Dans les instrumentations de gestion, côté client, la focalisation de plus en plus précise sur des standards, des normes, des référentiels au m², le recours à des logiciels (type Pégase dans la propreté) a été privilégié dans les années 90-2000, tendant à soutenir l’idée qu’il était possible d’installer un marché. C’est une fiction, mais elle a justifié à son tour le recours à des processus d’appels d’offres récurrents et déflationnistes.

Côté prestataires, pour justifier objectivement des prix par les coûts comme pour tenter d’optimiser industriellement les prestations (standardisation, processualisation, recherche de volume), les mêmes outils ont été mobilisés, que cela soit par conviction ou simplement par intégration de la contrainte.

 

 

Pierre Yves le Disloquer (2021) précise pour le secteur de la propreté :


« La difficulté à saisir le service dans sa production et dans son résultat produit des conséquences accentuées pour une activité de travail doublement invisibilisée, inscrite dans la sphère du care, exercée principalement par des femmes et pouvant être perçue comme étant une simple extension d’un travail domestique que chacun s’estimerait en capacité de faire.  En réponse, le secteur, à travers ses dispositifs institutionnels, a cherché à mettre en place une véritable stratégie de valorisation et de légitimation. Il a été amené à valoriser le référentiel de production industriel dans le processus de sectorisation et à en importer ses principes et méthodes. La stratégie a produit une extension de la logique industrielle aux services. Elle s’affirme par un raccrochement institutionnel à des normes et conventions valorisées par le paradigme industriel – autour de la technicité notamment – pour tenter de réhabiliter une image, affirmer un métier et faire reconnaître un certain professionnalisme.

Cette réponse a conduit à formater la qualité des propositions de valeur des entreprises spécialisées qui resteront effectives jusqu’à aujourd’hui. (…) les dimensions de l’offre des entreprises se sont cristallisées dans ces années autour des dimensions les plus matérielles et mesurables. Les entreprises vont chercher à rendre tangible la prestation réalisée en se rattachant à ce qui rassure, ce qui est connu et ce qui est valorisé. Les entreprises vont ainsi faire appel dans cette période aux conventions et normes valorisées par le paradigme productiviste industriel pour affirmer et faire reconnaître la qualité de leur prestation et leur professionnalisme. Cela conduira à présenter le service comme un « quasi-produit », répondant au besoin fonctionnel primaire de l’enlèvement de matière sur des surfaces » p. 117. 

 

En hiérarchisant les stratégies en faveur des activités dites à « forte valeur ajoutée et cœur de métier » (celles que l’on est capable de mesurer et pour lesquelles on dispose en principe d’un avantage discriminant), les activités « supports » ont été maintenues ou reléguées au rang second de « centres de coûts ». Une fois étiquetées dans cette catégorie, les seuls progrès « mesurables » pour ces activités (pour des productions immatérielles et non dénombrables) ne pouvaient être recherchés ou démontrés que dans la réduction de la « dépense ». Le phénomène de financiarisation déplace ainsi l’ordre des priorités ; le modèle économique est construit sur la production d’une qualité et perdure à condition d’une rentabilité suffisante. Le modèle économique financiarisé est construit sur une exigence de rentabilité a priori, faisant de la qualité la variable d’ajustement. A défaut de calculs aisés de rentabilité, la financiarisation tend à privilégier la réduction des dépenses ou des budgets.

 

Une prime au moins disant

Au raisonnement comptable sur les coûts s’est ajouté un raisonnement financier[19] pour lequel le risque est le premier critère de la valeur. Réputées peu risquées (à court terme), mal mesurables dans leurs impacts immédiats ou directs, ces activités déjà peu nobles culturellement ont été confirmées dans le statut subalterne de servitudes banalisées à faible valeur ajoutée. Sans ROI mesurable (Return On Investment), pas de valeur et pas d’investissement. Faisant fi de la dimension systémique de la production, des effets médias et indirects de la production et des conditions du travail réel, l’idée s’est alors imposée chez les clients : la mise en concurrence systématique est le meilleur moyen d’obtenir des « économies », par le rapport de force, au bénéfice exclusif des donneurs d’ordres[20].

 

Du fait des tensions concurrentielles entre prestataires, parfois dans un souci de lisibilité (offres en costs plus fees, libellées en résultats mais toujours assorties d’obligations de moyens ; transparence oblige) les offres n’ont d’autre choix que de s’aligner sur celles des moins-disants, sans que s’imposent des leaders incontestés et/ou clairement différenciés dans la démonstration d’expertises spécifiques, capables d’installer les jeux sur des bases professionnelles plus saines.

 

Les prestataires ont été ainsi cantonnés dans un statut de sous-traitants, sommés de « mettre à disposition de la main d’œuvre », sans acquérir celui de fournisseurs. Calés dans le modèle de la fourniture de quasi biens, les prestataires ont été conduits à anticiper d’eux-mêmes des réponses à bas cout pour des services définis par des cahiers des charges standardisés, renonçant de fait à exercer leurs capacités de conseil dans des positions de négociation défavorables.  Plutôt que de faire émerger des « niveaux de gamme et de prix », plutôt que d’argumenter sur la qualité et les besoins stratégiques des clients, les pratiques d’appels d’offres et de mise en concurrence ont contribué à banaliser les marchés et à tirer l’ensemble de la filière vers le bas ; pour un modèle industrialiste et financiarisé[21].

 

Au-delà des malentendus, des effets pervers régressifs pour toute la filière

L’application systématique de ce modèle a produit des effets que l’ensemble de la profession constate maintenant. Le travail n’a plus pour « horizon » le service utile, mais la tâche prescrite. Selon une formule d’un directeur de l’environnement du travail, « tout ce qui n’est pas obligatoire dans les contrats est devenu interdit ». Les réductions de marges des uns, combinées à une volonté récurrente des autres de « réduire les dépenses » (voir les clauses de « pénalités » ou de « plans de progrès » masquant des clauses de réductions des prix[22]), n’ont trouvé alors d’ajustement que dans l’intensification directe du travail, au-delà parfois du faisable, et rapidement, dans des ajustements à la baisse de la qualité non assumés et dissimulés dans une opacité savamment préservée. La généralisation d’une gestion « par les indicateurs » a ouvert la voie à une gestion « des indicateurs ». Sur le terrain, les acteurs sont devenus experts du verdissement des indicateurs[23] (exemple de 4 personnes payées à temps plein sur un gros contrat pour cliquer en moins de 15 minutes suite à l’expression des demandes d’intervention dans les sites clients, afin de répondre formellement à un indicateur imposé par le client stipulant que toute demande devait être prise en compte dans ce délai). Ce qui a été promis est exécuté dans la lettre (du contrat) mais non dans l’esprit du service et de sa raison d’être. Les coûts sans valeur ajoutée sont bien là. Sans reconnaître qu’il s’agisse de mauvaise foi ou de tricherie, nombreux sont les prestataires qui avouent avoir été contraints de faire des promesses qu’ils savaient ne pas pouvoir tenir. Les plus honnêtes des clients disent le savoir aussi. Enfin, les prestataires sont structurellement tentés de restaurer leurs marges (de se refaire) en jouant les « travaux supplémentaires » hors forfait (sur devis), toujours possibles du fait de l’incomplétude inévitable de ce type de contrat.

 

Des clients plus dépendants de prestations plus complexes

La complexité aidant, l’éloignement croissant des terrains réels des décideurs des parties prenantes a joué. Le souvenir et les compétences des clients issus des temps où ces activités étaient réalisées par soi-même se sont effacés. Les techniciens maison et les responsables de services généraux qui assuraient l’interface sur les sites sont partis à la retraite et n’ont pas été remplacés. La gestion de la relation s’est déplacée des prescripteurs proches du terrain (site par site) vers des responsables achats et des contracts managers centraux, d’autant plus proches des sièges que les contrats sont « massifiés ». La capacité du client à définir son propre besoin et à évaluer les services réels s’est réduite en même temps que les contrats intégraient une complexité exponentielle, avec l’intégration du multi technique et du multi services d’une part, et sur des périmètres de plus en plus vastes et hétérogènes d’autre part. Moins compétents dans le réel, les donneurs d’ordres sont devenus de  plus en plus dépendants de leur partenaire pour leur fonctionnement quotidien, de la qualité des offres d’un secteur ainsi renouvelé par l’assemblage, le pilotage, voire l’intégration progressive par une recomposition des nombreux métiers que recouvre ce champ.

 

« Les prestations et pratiques d’externalisation ne sont pas nouvelles. Les contrats de concession ou d’affermage remontent, en France, à la fin du siècle dernier. Ce qui est nouveau, c’est, d’une part, l’essor récent du phénomène et le potentiel avéré de croissance de ce marché et, d’autre part, le glissement « qualitatif » de l’externalisation, marqué par une recomposition de la chaîne de valeur entre l’industrie et les services à travers l’élargissement du spectre des prestations »[24].

 

Les prestataires sont restés relativement spécialisés sur une partie seulement des métiers composant les SET. Les plus grands opérateurs de ce secteur sont des filiales de grands groupes issues de branches et de « métiers » distincts comme l’énergie, les déchets, la construction, la propreté, l’accueil, la restauration collective. Les entreprises qui offrent une prise en charge multi-technique et multiservices aux immeubles et aux occupants, sont identifiées sous le terme de Facility Managers (FMers). Elles sont notamment regroupées dans le syndicat patronal SYPEMI (affilié à la Fédération des Services Energie et Environnement, adhérente du Medef). Elles assument la prise en charge de contrats de plus en plus vastes, pour des durées de 3 à 7 ans. A charge pour elles de recourir à leur tour à une sous-traitance de rang II et au-delà, constituant une part souvent majoritaire en chiffre d’affaires de l’ensemble des contrats gérés.

 

3 – Un modèle industriel devenu contreproductif

Sur son site institutionnel, le SYPEMI (Syndicat Professionnel des Entreprises de Multiservices Immobiliers) rappelle que le Facilities Management est « apparu en France au milieu des années 1980, le Facilities Management est un terme qui ne génère pas encore de consensus. D’abord utilisé pour qualifier les opérations d’externalisation de l’informatique des entreprises, l’informatique lui a préféré le terme « infogérance » dans les années 2000.Cependant, le terme « Facilities Management » recouvrait bien aux Etats-Unis et en Angleterre depuis les années 1960 la notion de « facilities » mises à la disposition de l’entreprise (en interne ou en sous-traitance) pour exercer son cœur de métier. Cette définition est en France tout à fait proche de celle des services généraux des entreprises ».

 

Une filière tirée vers le bas

Dans cette période que nous qualifions d’industrialiste et financiarisée, les gains en compétitivité sont recherchés dans la réduction des coûts (constitués de 85 à 95% de main d’œuvre rappelons-le), dans la prédation de marges via les jeux de sous-traitance et secondairement, dans l’application progressive des nouvelles technologies. Si les donneurs d’ordres ont continué d’y trouver des gains en réductions de leurs dépenses, ils y ont souvent perdu en qualité, en flexibilité de relation, en ressources de coopération et en contrôle, les processus d’évaluation (de mesure) ne permettant toujours pas de valoriser correctement ces services au moment de leur monétisation par les contrats habituels[25].

 

Aujourd’hui, les SET sont encapsulés dans des formats contractuels hérités de l’industrie (SLA, KPI…). Contraintes dans des normes de facturation au m², les activités que recouvrent les SET sont réduites à des quasi-biens indifférenciés. Les « offres » se réduisent du coup à un assemblage de prestations, dénaturant le « FM » vu alors comme un simple pilotage des différents niveaux de contrats, voire uniquement l’adjonction coûteuse d’une plateforme d’achat et de contrôle, à l’opposé des ambitions réelles du Facility Management : coconstruire avec le client des organisations et des pratiques à la fois plus efficaces et plus économiques. Ce blocage alimente ainsi une spirale qui tire le travail et la qualité vers le bas. Au contraire d’une capacité à déployer l’expertise propre des prestataires pour mettre en œuvre des innovations servicielles et obtenir des gains de productivité, la dérive industrialiste des pratiques du secteur impose des coûts de transactions supplémentaires et alimente une défiance chez les clients[26].

 

Les victimes de ce modèle sont, en bout de chaine, les prestataires et les œuvrants. Les impasses conceptuelles que le modèle industriel impose retombent cependant déjà sur les donneurs d’ordres. Ils ont besoin de bons fournisseurs, de compétence, de solidarité. L’absence de coopération a justifié le repli sur le modèle industrialiste et permis des gains monétaires immédiats pour les donneurs d’ordres.  Le passage de la production d’une valeur économique réelle (dans l’usage) à une valeur monétaire (dans l’échange) ne permet plus de respecter les conditions de la performance de la production des services (qualité délivrée et marges associées) et, dans certains cas, le droit social lui-même[27].

 

Une victoire à la Pyrrhus pour les clients

Sur la durée, la prévalence des concepts industriels et financiers a assuré une domination des rationalités des négociateurs centraux (acheteurs, commerciaux), sur des contrats de plus en plus vastes et régulièrement remis en concurrence. Cette domination se paye de coûts et de tensions de moins en moins soutenables du côté des œuvrants comme des bénéficiaires sur le terrain. Les clients et les bénéficiaires constatent le recul de la qualité. Ils s’alarment d’absences non signalées ni remplacées. Ils découvrent quotidiennement que des activités ne sont pas ou plus réalisées, au motif qu’elles n’ont pas été explicitement prévues par des contrats nécessairement incomplets, ou tout simplement parce que les moyens nécessaires n’y sont plus. Les œuvrants, seuls présents sur le terrain, sont la cible des insatisfactions. Pour ces œuvrants, non seulement le bénéficiaire n’est plus un collègue, il n’est pas un coproducteur, il devient un gêneur. Les opérationnels des clients constatent, au contraire d’une flexibilité recherchée (« faites en sorte que cela marche ») qu’il leur faut sans cesse demander des moyens nouveaux avec des évaluations mal maîtrisées pour faire face aux aléas et aux évolutions normales de la vie du site, mais qui n’ont pas été formellement ni explicitement prévus dans le contrat. La défiance de part et d’autre est alimentée. Les menaces de sanctions sous forme de pénalités ou de remise en concurrence (que les prestataires provisionnent ou anticipent) sont alors un bien pauvre recours pour les clients mécontents mais impuissants.

 

Année après année, les pressions exercées sur les prestataires ont conduit à une spirale régressive sur leurs marges, entamant leurs capacités d’investissement sur les compétences, en organisation et même, de management et d’encadrement au quotidien. Ils se voient condamnés à des politiques de déflation salariale entamant le seul capital productif dont ils disposent et handicapant leurs capacités de recrutement dans une filière déjà peu attractive. Pour l’encadrement de salariés postés de la propreté par exemple, une cible vertueuse se situerait autour de 1 encadrant de proximité pour 10 œuvrants (souvent à temps partiel). Les cas de taux très supérieurs (1 pour 50 voir pour 120) sont régulièrement observés, notamment pour des salariés dispersés sur des petits sites distants.

 

Pour un prestataire de propreté, l’obligation de plus en plus fréquente d’en passer par l’intermédiaire d’un FMer, dans les conditions actuelles, se présente comme une facette supplémentaire de cette contrainte. C’est également le cas des montages, encore rares mais en croissance, de contrats de type full FM confiés à des Property Managers dont les prestations contractées sont sous-traitées en quasi-intégralité. 

 

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Les limites en qualité et en pertinence pour les donneurs d’ordre sont là. Ils ne trouvent ni suffisamment d’expertise ni assez d’innovations dans les ressources de fournisseurs dont ils sont pourtant devenus dépendants. Ils se sont départis des compétences nécessaires ne serait-ce que du pilotage. Cette faiblesse renforce souvent encore leur défiance. Ils ne savent plus dire leurs besoins mais constatent qu’ils n’obtiennent plus ce qui est promis. La voie est ainsi ouverte à de nouveaux intermédiaires à la recherche de marges, les Property Managers (PMers) et autres Assistants à Maîtrise d’Ouvrage, sur l’argument que, dans cette relation de défiance, ils ne seraient pas « juge et partie ».

 

 

 

[1] On appelle ici communautaires des entreprises respectant un deal social que l’on qualifie parfois de « fordien » ; fidélité et conformité sur la durée en contrepartie d’une garantie de sécurité d’emploi. 

[2] Nous reprenons cette formule utilisée dans l’ouvrage de Gabrielle Schutz, « Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil », éditions La dispute, 2018. Voir également du même auteur, « se recentrer sur son cœur de métier, l’externalisation des services généraux des entreprises », Revue Française de Socio-Economie, n°2019/2 n°23.

[3] CF. P.Y. le Disloquer (2021) déjà cité.

[4] CF « Externalisation des services à l’industrie. Enjeux du développement des groupes multiservices. » Rapport déjà cité pp 39

[5] CF « Externalisation des services à l’industrie. Enjeux du développement des groupes multiservices. » Rapport, citation du président de Facéo en 2005,  p37.

[6] L’apparition du travail temporaire (l’intérim) date de 1972, alors seule manière dérogatoire autorisant une forme de louage de main d’œuvre, la mise à disposition temporaire de main d’œuvre à but lucratif.

[7] Nombreux sont les témoignages évoquant des économies de l’ordre de 30% et plus pour les clients, une croissance et des marges à deux chiffres pour les prestataires, capitalisant sur la spécialisation mais oubliant la valeur générée (mais non monétisée alors) de la cohésion sociale et des coûts de transaction,

[8] CF. pour la propreté, P.Y. le Disloquer, déjà cité évoque le recours à une « ingénierie sociale de la réduction de la masse salariale », page 105.

[9] Voir des parcours d’entreprises et d’entrepreneurs comme les fondateurs en France de GSF, Samsic ou Atalian, issus de la propreté, de Sodexo dans la restauration collective, ou du Groupe Armonia/Sofinord dans l’accueil et la sécurité… Issues d’autres branches, avec des chiffres d’affaires situés entre 800 millions et 3 milliards d’Euros/an, le secteur est constitué de filiales spécialisées de grands groupes de l’énergie (Engie Cofely, Dalkia…), de la construction (Vinci Facilities, Bouygues Energie Services, Spie Services), de la maintenance industrielle et des déchets (Veolia Industrial Global Solutions, Derichebourg FM…).

[10] Ce témoignage par exemple dans la propreté. « En 1985, nous vendions des prestations de propreté à 100 francs pour 180m² de l’heure. En 2015, le marché impose des prestations pour 350 à 450m² de l’heure payées 15€ ».

[11] L’histoire du FM, en France peut être approchée par celle de la société FACEO. Parfois présentée comme « la société qui a inventé le modèle du FM à la française », Faceo a été créée de toute pièce par la volonté de « loger » plusieurs centaines de salariés de Cégétel et de Thomson (Thales aujourd’hui) dans une filiale commune, après que ces entreprises ont choisi de « vendre » leur patrimoine immobilier pour le louer ensuite (en 1989 pour Thomson). Après un désengagement progressif de Thales, Faceo a été rachetée et intégrée à Vinci Facilities.

[12] L’intérim comme possibilité d’acquisition de main d’œuvre par un acte d’achat est créé par la Loi en 1972.

[13] C.f. la conférence de Pierre Yves Gomez, colloque CRDIA le 15 janvier 2019 à l’Université de Paris Dauphine

[14] Voir notamment les raisonnements contraires à l’externalisation présentés par François Xavier Devetter et Julie Valantin dans « Deux millions de travailleurs et des poussières, l’avenir des emplois du nettoyage dans une société juste », Les petits matins, Institut Veblen, 2021.

[15] Les professionnels se souviennent ainsi de périodes dans lesquelles de très gros contrats de propreté pouvaient être passés, sans fréquentiels ou KPI, avec comme seule prescription, « maintenir les locaux dans un état de propreté satisfaisant ».

[16] Acronymes utilisés pour « Services Level Agreements » et « Key Performance Indicators ».

[17] La concurrence des outils de suivi et de gestion des prestations est encore présente. Les plus grandes entreprises maintiennent leurs outils en propre, soucieux de ne pas dépendre d’un prestataire, pendant que les entreprises plus petites adoptent les outils des fournisseurs. (ticketing, reporting…).

[18] Voir pour le secteur de la propreté l’analyse de P.Y. le Dislosquer, thèse déjà citée. Il souligne que la notion de « nettoyage industriel » a même été revendiquée dès les années 70, entre autres raisons, pour marquer une rupture symbolique avec le nettoyage domestique et affirmer le caractère professionnel de ce nouveau métier et sa légitimité à exister (page 137), dans (…) une stratégie « cherchant à façonner des représentations et à construire le caractère professionnel de l’activité (de propreté) à partir de la technicité » (p.140)

[19] Cette période a été le temps du succès de versions simplifiées de la chaine de Porter ou de la matrice BCG, en soutien des « stratégies » d’externalisation et de sous-traitance.

[20] CF la communication de Pierre Yves Gomez le 15 janvier lors du colloque CRDIA du 15 janvier 2019 à Dauphine. A consulter sur le site CRDIA.org.

[21] P.Y. le Disloquer, thèse déjà citée, caractérise pour la propreté ce modèle qu’il qualifie « de la prestation de services » avec 4 dimensions ; un quasi produit, la réduction des dépenses et la déresponsabilisation des bénéficiaires, la rentabilité sur les volumes et la réduction du coût du travail, un travail réduit à l’exécution de prescriptions formelles. CF. p 336 et suiv.

[22] CF la critique des pratiques contractuelles publiques et privées dans la propreté, P.Y. le Disloquer, thèse 2021 déjà citée, pp 165-188.

[23] C.f. la notion « d’indicateurs pastèques » (verts à l’extérieur mais rouges à l’intérieur) dont le secteur FM serait passé maître.

[24] C.f. « Externalisation des services à l’industrie. Enjeux du développement des groupes multiservices. » Rapport pour la mission prospective Direction Générale des Entreprises, Ministères de l’économie, des finances et de l’industrie, sous la responsabilité scientifique de Christian Hoarau, 2005, page 7.

[25] CF. notre article, avec Jean Yves Kerbourc’h, « La sous-traitance de services support aux entreprises », la Semaine Juridique, 1er Juillet 2021, n°26.

[26] CF. la spirale mortifère des pratiques d’ajustements des prestataires aux exigences de réductions des coûts et de l’intensification directe du travail, jusqu’à « ouvrir à perte » (p 236) dans la propreté, décrite par P. Y. le Disloquer,  thèse déjà citée, pp 219-244, y compris dans l’anticipation de la non-réalisation.

[27] Depuis 2013, une forme de subvention est venue soutenir les marges du secteur avec l’intervention du CICE. Cet effet serait déjà pris en compte par certains acheteurs, transférant l’avantage du côté des clients, et son avenir serait d’autant limité, dans l’avenir, que l’intégration de l’aide dans les allègements de charges réintègrera rapidement les calculs de coûts.