16 mars 2024

CAHIER 30 – Document 1

Manssio à Lille :
une plateforme pour la propreté à la demande en BtoC et BtoB

Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA

Diffusé le 19/04/2024, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

Cette PME de type « start up » développe deux filiales pour les particuliers (Manssio) et les professionnels (Manssio Pro). Cette dernière se caractérise par :

 

  • Une plateforme digitale pour la gestion de la relation avec les clients ;
  • Une souplesse maximale dans la réalisation de devis/commandes en ligne et l’absence d’engagement contractuel des clients ;
  • Un avantage concurrentiel recherché dans la réactivité des réponses à des demandes urgentes ;
  • Une inspiration d’économie collaborative pour la plateforme de mise en relation et pour la mobilisation de la main d’œuvre, en partie constituée d’autoentrepreneurs ;
  • Un BtoC précédant le BtoB, le recours initial aux indépendants étant suivi d’une organisation plus classique pour un développement sur le BtoB, avec des salariés en CDI notamment pour des clients de types hôtels, AirB&B ou foncières.

 

L’entreprise Manssio

Manssio a été créée en janvier 2018 à Lille à l’initiative de deux associés, d’abord pour le marché des particuliers, puis sur le marché des entreprises en BtoB[1]. Manssio a deux natures d’activités, le code APE déclaré à l’origine n’est pas sur la propreté et le statut d’entreprise d’intermédiation n’impose pas d’adhérer à une convention collective. Si l’environnement conventionnel reste flou, la légalité est respectée et Manssio joue strictement la convention collective de la propreté, et notamment les dispositions de son annexe 7.

 

Manssio Pro atteignait malgré la crise sanitaire un chiffre d’affaires 2020 de 800 000 € et devrait réaliser en 2023 de l’ordre de 1,3 M€ pour un effectif de 32 salariés en CDI majoritairement à temps plein, l’activité complémentaire BtoC mobilisant une vingtaine d’auto-entrepreneurs.

 

Un projet dans la culture start up, mais entré dans une phase plus industrialisée

Le projet est né de la volonté de deux associés, Maxime Delannoy (30 ans, diplômé EDHEC et catho de Lille) et Paul Deswarte. L’idée est venue un lendemain de fête, à la suite d’un déménagement :  comment trouver à se faire aider très simplement, pas cher, en trois clics ?

 

Maxime Delannoy avait eu l’occasion de réaliser plusieurs stages et alternances dans la banque, notamment comme chargé d’affaires entreprises. Par une rencontre suscitée par le service Investissement Innovation de BNP Paribas, il fait la connaissance de Yann Orpin, PDG du groupe Cleaning Bio, qui est entré au capital quelques temps dans un rôle d’incubateur accompagnateur. Outre l’ouverture relationnelle, Manssio travaille en partenariat avec le Groupe Cleaning Bio sur la formation, les matériels, l’administration. L’entreprise a été accompagnée en incubateur classique pendant six mois par Eura Technologies, pôle d’excellence et d’innovation, incubateur et accélérateur de startup à Lille. Si disruption et ubérisation sont présents dans l’expérience de Manssio, ce sont cependant des termes que les promoteurs de l’entreprise évitent, pour ne pas être prisonniers de stéréotypes.

 

« On nettoie, mais avec un autre business model »[2].

 

La plateforme est le premier outil de développement[3], et un second palier de croissance est en cours avec :

  • des contrats plus importants (à 200 k€ par exemple pour des hôtels) ;
  • des enjeux RH plus prégnants et le besoin de salariés en CDI et à temps plein ;
  • un développement vers plus d’optimisation et de recherche de marges.

 

Une offre de traitement dans l’urgence, à distance et sans engagement à travers une plateforme de mise en relation

L’argumentaire présent sur le site est formulé comme suit (les termes en gras correspondent aux liens du site) :

  • Vous possédez un commerce ? Des bureaux ? Des locaux ? Un hôtel ? Pas de problème, Manssio Pro propose des services de nettoyage d’entreprise réactifs et sans engagement à Lille et ses environs.
  • Une agilité optimale, c’est ce que vous propose Manssio Pro avec ses formules sur mesure afin de s’adapter à tous vos besoins.
  • Nous envoyons un cleaner qualifié et fiable pour l’entretien de vos locaux, qui arrivera dans les cinq heures qui suivent votre commande.
  • Comment ça marche ? Rien de plus simple, en trois clics votre cleaner[4] est réservé !

La commande se fait à distance par internet sur des menus (nettoyage complet des sols, traitement des déchets etc.), en renseignant la surface et les coordonnées. Manssio trouve et dépêche un des cleaners les plus adaptés. La facturation est en ligne, sécurisée et différée post-prestation.

 

« Personne d’autre ne sait travailler dans l’urgence comme nous et ponctuellement, y compris en jour J. Les autres doivent d’abord passer chez le client, faire des devis, et envoient ensuite quelqu’un (au mieux, J+1). Nous, on intervient en 5 heures. Cela nous oblige à prépackager l’intervention de façon à mobiliser les machines ».

 

 « Le client accepte de payer, mais sans s’engager. Tout est en transparence dès le départ, il y a de la confiance. On a des ruptures de contrat mais plus du fait de télétravail ou des évolutions des clients, et de manière infime sur des écarts de satisfaction ». « C’est paradoxal, mais moins il y a d’engagement, plus il y a de confiance ».  Le Covid 19 a été apporteur d’affaire pour Manssio Pro.

 

Le BtoC non rentable, mais cheval de Troie pour le BtoB

Sur le marché des particuliers, outre le fait de confier son ménage, les arguments mettent en avant un service « sans prise de tête » (lendemain de fête) et variable, en fonction de la fréquentation d’un logement proposé en Airbn’B, ou ponctuel par exemple à l’occasion d’un déménagement ou de travaux.

 

Aujourd’hui, les locations Airb’nb relèvent du marché « pro », avec des opérateurs gérant des portefeuilles de logements. C’est un marché de niche que les autres opérateurs ne savaient pas prendre en charge.

 

« En pratique, nous avons rapidement bénéficié d’une large couverture médiatique sur le marché en BtoC. En même temps, nous avons constaté que sur ce marché, les tensions sur les prix sont très fortes, il n’y a pas de marges suffisantes, nous sommes contraints de viser des volumes trop importants.  Nous maintenons donc une offre BtoC car c’est dans le concept, mais c’est surtout une vitrine, un cheval de Troie qui ne fait plus aujourd’hui que 10% de notre activité ».

 

L’équilibre est obtenu par le BtoB. Matériel fournit par Manssio, avec une facturation horaire de l’ordre de 27€ TTC pour le BtoC pour des interventions ponctuelles. Elle est de 30 à 60 € en BtoB, avec plus de volume et de marge. Dans ce marché, l’offre de Manssio est moins standardisée, c’est aussi un terrain exigeant plus de professionnalisme pour les cleaners et pour des demandes plus récurrentes.

 

Depuis 2018, on observe toujours beaucoup de demandes en BtoC, mais pour lesquelles Manssio répond moins, pour se centrer sur le BtoB. Sans l’abandonner, le BtoC devient ainsi secondaire. Pas assez de volume d’activité et trop de malentendus sur les attentes débouchent sur des insatisfactions et des retours problématiques des particuliers.

 

« Il faudrait pratiquement tout remettre à neuf pour être sûr de la satisfaction. Ce n’est pas possible sur des temps accordés qui restaient modestes (3h pour 50m² …). On reste bien noté, mais notre offre est maintenant plus précise, on évolue vers un mix de prestations de base et de prestations additionnelles ».

 

Un mix de production avec des auto-entrepreneurs et des CDI, sur le marché BtoB

Manssio Pro a été développé fin 2018, avec un démarrage début 2019 et 3 cleaners. Fin 2022, environ 70 cleaners sont mobilisés, 3/5 en salariés CDI et 2/5 en auto-entrepreneurs, avec une complémentarité entre ces deux statuts. A ces auto-entrepreneurs, « nous proposons un contrat de partenariat, et nous les formons. On les accompagne y compris sur les augmentations de prix, mais dans une logique individuelle, sans obligation légale. Une problématique pour nous est d’éviter la requalification de la relation en contrat salarial, mais nous embauchons de plus en plus en CDI, surtout pour répondre à des contrats plus lourds et récurrents. Pour les clients de type copropriété, les cleaners restent dédiés à des travaux ponctuels, mais on essaye d’appeler toujours le même ».

 

« Avec les cleaners en auto-entreprise, on signe un contrat cadre. Ils sont rattachés à notre base informatique, ils passent par nous pour la facturation via un prestataire sécurisé de paiement ».

 

« On fait très attention au choix des auto-entrepreneurs, au moins trois entretiens sont nécessaires. On cherche à fidéliser les cleaners, on les encourage, on les suit. Ils sont indépendants, mais ils nous suivent ».

 

« Nos cleaners ne vivent jamais exclusivement de leur activité avec nous, ils sont souvent en multi activité. Quelques-uns sont salariés d’entreprises de propreté, mais c’est rare, il peut y avoir des clauses de non-concurrence. Nous leur offrons une solution pour travailler plus, pour travailler à leur rythme, pour combiner plusieurs activités (dont des études). Ils sont souvent jeunes et parfois étudiants. Une formation est réalisée quand c’est nécessaire sur une demi-journée. Ils sont toujours accompagnés sur la première prestation. Un responsable opération est avec eux ».

 

Autre avantage vécu, « un auto-entrepreneur qui marche bien et qui veut travailler plus, on se sert de cette relation pour recruter, mais cette fois en CDI. On ne passe pas de petites annonces ».

 

« On ne risque pas la requalification en plaçant un auto-entrepreneur sur un contrat de 30 heures récurrentes. En 2022 on constate avec satisfaction une grande fidélité des auto-entrepreneurs, plus grande même qu’avec les salariés, et nous avons finalement peu de besoins de recrutement en auto-entrepreneurs ».

 

Perspectives de développement

Manssio rassemble trois types d’activités en BtoB :

 

  • à 40% récurrentes, avec contrats de type tertiaire bureau, ces contrats récurrents sont sans engagement, ni date anniversaire ni préavis ;
  • à 20% ponctuelles, one shot, gestion locative, déménagements ;
  • à 40% récurrentes/ponctuelles, typiquement AirB’B, hôtels, avec contrat mais volume variable des fréquentations.

« Pour les activités ponctuelles, on doit rester avec des auto-entrepreneurs. Pour le récurrent, on voit bien que l’attente des cleaners est dans le CDI. Pour le client, aussi, il y a une préférence pour le CDI ».

 

L’offre séduit, notamment par l’absence d’engagement et la vitesse de réaction.  « On travaille ponctuellement avec la totalité des grandes sociétés lilloises, y compris les groupes immobiliers de la métropole (Nexity, Foncia…) sur leurs parcs locatifs ».

 

« Avec l’offre « solution sans engagement », nous avons intéressé plusieurs grands comptes comme des hôtels, centres de conférences, cathédrale, salles de concerts ».

 

« Nous sommes toujours sur une belle croissance, avec plusieurs opportunités d’investissements en matériels lourds pour certains grands clients et en véhicules de transport électrique ».

 

Encore exclusivement sur la métropole lilloise, Manssio étudie une extension sur Paris, en BtoC. « Le marché est tel sur Paris que si on décide d’y aller, ce sera pour le marché du particulier : pouvoir d’achat plus élevé, moins de réticence à accueillir des étrangers chez soi, surfaces plus limitées ». Pour Lyon/Bordeaux … Manssio envisage plutôt des projets en BtoB.

 

« Nous cherchons maintenant moins la croissance que les résultats, l’acquisition de savoir-faire. On veut une croissance maîtrisée, pour continuer de répondre à des demandes urgentes. C’est notre ADN. Il faut des prévisions d’activité suffisamment fiables, un rythme d’embauches pour pouvoir continuer d’agir en J et pas seulement en J+1. Il y aurait danger à grandir trop vite mais, en même temps, c’est l’hypercroissance qui nous sécurise en l’absence d’engagement client ».

 

 

[1] https://www.manssiopro.com/

[2] Les phrases entre guillemets sont des citations de Maxime Delannoy

[3] L’entreprise Tidy Bear avait été fondée en 2015 Paris sur les mêmes bases (plateformisation et nettoyage post bringue), elle semble avoir arrêté son activité dès 2020.

[4] Le terme « cleaner » désigne les intervenants opérationnels de Manssio.