Voyage au pays de l’Hospitality Management :
les leçons d’une mode
Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologue, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA
Cet article est issu de la synthèse d’une étude sur l’innovation dans les services réalisée en 2022 et 2023 à la demande du Fare propreté, fonds d’innovation de la Branche Propreté. Nous tenons à remercier cette institution de l’investissement qu’elle a rendu possible et dont elle a tiré des enseignements au profit de ses adhérents. Les développements actualisés et les analyses restitués ci-après sont de la seule responsabilité de l’auteur.
Une étude fondée sur un malentendu
Des hypothèses bien accueillies sur l’existence d’un phénomène « positif »
L’étude faisait l’hypothèse que l’Hospitality Management, dans les Services aux Environnements de Travail (SET) et à l’initiative des entreprises de services aux occupants (propreté, accueil…), était une réalité avec des pratiques probablement hétérogènes, mais effectives et relativement répandues. C’était le thème de travail choisi pour 2023 par WorkPlace Magazine et l’IDET[1]. Pratiquement tous les sites internet de prestataires (propreté, FMers, grands généralistes) utilisaient le terme et revendiquaient une capacité en Hospitality Management. La propreté et l’accueil faisaient évidemment partie de l’Hospitality Management, du bien-être, de la santé. Nous pensions qu’il leur était aisé de capitaliser sur leur point fort ; une ingénierie sociale de la maîtrise d’activités quotidiennes, dispersées, relationnelles et servicielles. Nous avons donc cherché à observer les offres, notamment celles des entreprises de services aux occupants (propreté, accueil) à travers les services associés (factotum, conciergerie, restauration et pauses).
De fait, l’écoute de l’actualité des métiers des SET, ainsi que des recherches documentaires, ont permis d’identifier un florilège d’offres de services et d’emplois aux vocabulaires et intentions affichées très similaires. Les premiers contacts avec des responsables de haut niveau chez les prestataires comme chez les donneurs d’ordre ont été aisés. Des entretiens ont été rapidement acquis, le sujet paraissait évident à tous. Nous avons pu rencontrer et interviewer plus de cent vingt personnes dont :
- Une cinquantaine de dirigeants, responsables des opérations et commerciaux de prestataires des SET, FMer, multi techniciens, entreprise de propreté, accueil, start up spécialisées dans l’accueil, la conciergerie et l’Hospitality Management ;
- Une vingtaine de clients, donneurs d’ordre et foncières, à différents niveaux ;
- Une trentaine d’hospitality managers de tous types et tous niveaux, mais très peu sur le terrain.
Nous avons récolté et travaillé plus précisément des matériaux à l’aide d’entretiens multiples (entre 5 et 12) sur une dizaine de mises en œuvre, constituant ainsi des monographies descriptives de cas.
Mais une réalité qui n’a cessé de se dérober
L’enquête s’est heurtée à plusieurs difficultés non anticipées :
- Nos hypothèses sur la réalité d’une attente et de réponses sur l’Hospitality Management n’étaient pas contestées, mais elles n’étaient pas non plus vérifiées ;
- L’enquête s’est enlisée dans une quête de matériaux trop rares s’agissant du réel, au-delà des déclarations d’intentions, et non fondés sur des observations directes ;
- L’exploitation de ces matériaux s’est avérée d’autant plus difficile que les discours n’étaient pas référés à des réalités observables.
L’aimable réception du départ s’est rapidement dégradée en délais et/ou s’est limitée à des échanges (trop) courts en visioconférence ou par téléphone. Les terrains qui devaient être démonstratifs de mises en œuvre se sont dérobés les uns après les autres. Il a fallu insister, négocier, relancer pendant des semaines pour, finalement, ne pas accéder à des réalités observables, ou seulement pour des constats déceptifs ! Quand il s’est agi d’aller voir, de rencontrer de vraies personnes dans de vraies situations, les promesses n’étaient pas tenues. Dans certains cas, l’autorisation d’interviewer des acteurs de terrain n’a été donnée qu’après insistance et sous condition d’une présence du chef d’agence (ou de contrat). La confidentialité bien sûr a été prétextée, il ne fallait pas dévoiler de secrets de fabrication. Nos assurances sur le respect de la déontologie n’ont pas suffi. L’explication des réticences à montrer s’est avérée finalement assez simple : nous demandions à voir des choses dont tout le monde parle, mais qui n’existent pas vraiment.
Des hypothèses erronées ou insuffisantes
Pour fonder des constats et comprendre des phénomènes, l’observation du réel importe. Il a fallu arpenter, faire des détours, interroger des personnes sur un mode confidentiel en s’engageant à ne pas les citer, tout en restant frustré de l’accès aux terrains, aux réalités. D’un travail de recueil et d’analyse de réalités sociales observables, nous sommes passés à une analyse de discours, à l’observation d’émergences contradictoires et à la compréhension des écarts entre le déclaratif et le montrable.
Derrière le thème, il y a bien un phénomène intéressant dans ce qu’il exprime. Il révèle des conséquences d’évolutions en cours. En creux, le succès du thème de l’Hospitality dit bien que beaucoup de salariés ne se retrouvent plus (lieux et sens) dans des espaces qui sont conçus pour eux, mais sans eux. Ils ne se sentent pas les bienvenus, ils ne se sentent pas accueillis dans les espaces de travail avec les services que leur proposent leurs employeurs. Relayé par les clients prescripteurs, le thème de l’Hospitality Management est une manière pour les clients de dire leur insatisfaction : « On veut autre chose qu’une simple exécution conforme de prestations indifférenciées, il faut y mettre la manière, de l’esprit de service ».
Au-delà, nous n’avons pas observé que les attentes en services nouveaux ou supplémentaires désignés par le terme d’Hospitality Management rencontraient des solutions effectivement mises en œuvre à l’échelle de la filière des SET. Nous n’avons pas rencontré de démonstration d’une pertinence et d’effets autres qu’une promesse de satisfaction consumériste en contrepartie de dépenses vécues comme luxueuses.
Si ce que nous avons observé est riche d’indications, le phénomène reste marginal, presque anecdotique. L’Hospitality Management est une mode qui intéresse tout le monde, mais impacte peu. Elle est nourrie par des évidences partagées et un consensus sur « ce qui serait bien » (nice to have) pour faire face aux évolutions des technologies, des attentes, des modalités du travail et des enjeux de l’immobilier. Elle argumente sur la pertinence de nouvelles dépenses en services « enrichis », mais financées par les optimisations en surfaces réalisées par le flex et le télétravail.
Au titre d’émergences et de signaux faibles, notre enquête a permis malgré tout de repérer quelques initiatives, portées par des acteurs qui prennent au sérieux la dimension proprement servicielle des SET. Les plus structurées sont portées par des acteurs nouveaux (coworks et opérateurs de surfaces opérées), ou par des comportements nouveaux d’acteurs traditionnels du monde de l’immobilier, property managers de certaines foncières.
Au-delà, le thème ne recouvre pas de réalité significative à l’échelle de la filière des SET. Pour rappel, notre étude IDET/SYPEMI/CRDIA de mars 2022 dimensionne à 1,1 million les travailleurs employés par les prestataires, pour un milliard de m² de bâtis professionnels exploités et 77 Mds de chiffre d’affaires annuel. Même en additionnant les chiffres d’affaires des coworks (environ 1 million de m²), d’AMOA spécialisés, de start up engagées dans ces services dit « dynamiques », des foncières innovantes, et quelques cas d’entreprises, le marché de l’Hospitality Management ne représente probablement pas de plus de 100 M€/an, soit de l’ordre de 0.1% du total. Ces émergences étaient promises par leurs promoteurs à des croissances fortes (bien-être, retour au bureau, guerre des talents, attitudes des salariés de la Gen Z…). Ce que cette mode révèle en creux (ou en perspective) est intéressant pour la filière. Elle doit s’y intéresser. Mais c’est une mode et les réalisations qui en démontreraient la pertinence se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une ou deux mains.
Les constats
Des prestataires de services en deçà des exigences du jeu
Les entreprises de propreté, par leur taille et leurs implantations, constituent a priori des leaders dans les services. Notre étude indique que la distance culturelle (la propreté n’est pas l’accueil ou la restauration), la modestie (la prudence) des prestataires et une faible confiance du côté des clients (préventions sur les niveaux des œuvrants), expliquent que ces entreprises restent pour l’instant très largement en dehors du mouvement. Certaines tentent des offres de services associés, mais pas forcément intégrés. D’autres font une offre d’encadrants sur sites revisités avec des intitulés renouvelés (hospitality managers ou officers), ou vintages (majordomes et gouvernantes), sans que les activités soient sensiblement modifiées.
Cette prudence des entreprises prestataires de services aux occupants s’explique par leur conscience du déficit d’image dont elles sont victimes. Notre étude pointe en effet une exigence spécifiquement servicielle de ce que pourrait être un management de l’hospitalité. Il ne se limite pas à un « delivery » de prestations particulières, des options « nice to have », mais coûteuses. Ce management exige une capacité de conception et d’opération de systèmes serviciels eux-mêmes composés de plusieurs sous-systèmes dont le système constitué des prestataires, nombreux et divers, et le système client, du prescripteur aux bénéficiaires en passant par les achats.
Concevoir et opérer un « système de management de l’hospitalité » est un travail à chaque fois nécessairement spécifique (moyens et cultures). Pour cela, les prestataires de services doivent être (et assumer d’être) des experts des réponses aux attentes des occupants des sites de leurs clients. Pour répondre sur plusieurs services, il faut en outre des compétences transverses, requérant des profils venant de la propreté, des petits travaux, des espaces verts, de la technique, des matériels et des équipements (eux-mêmes à maintenir), des réglementations, des certifications, autorisations et assurances. Il y a donc un « ticket d’entrée » devant lequel, même s’ils sont experts des besoins de leurs clients, les prestataires de services restent prudents, voire développent une forme de complexe d’infériorité. Les acteurs issus de métiers techniques capitalisent quant à eux sur une noblesse plus importante, mais se révèlent en l’occurrence culturellement peu adaptés aux services aux occupants (accueil, animation, restauration…).
La prudence à s’engager des prestataires est enfin directement liée aux clients. Tous ont témoigné dans le même sens. Quand un client demande de l’Hospitality Management, on ne dit jamais non, au contraire, mais sans investir ou prendre de risque. En effet, il n’y pas de définition, et on peut être d’accord sur des mots, mais au moment de présenter la note des suppléments de coûts induits, la commande se dérobe quasi systématiquement.
Des clients insuffisamment matures
Notre enquête indique que les raisons de la faiblesse de mise en œuvre réelle de l’Hospitality Management ne sont pas seulement dans les difficultés particulières d’offres intégrées ou dans les capacités limitées des prestataires. Elles sont également, et peut-être d’abord, dans une immaturité de la demande. Pour sortir de l’approche consumériste/industrialiste des services et entrer dans un management de l’hospitalité, le client doit être partie prenante active des services. Il doit réinternaliser, sinon des effectifs, au moins des capacités. Il y a ceux qui ne le souhaitent pas. Il y a ceux qui constatent leur faible compétence (effectifs et savoir-faire), aussi bien sur le « quoi faire » (quelle propreté par exemple), que sur le « comment faire ». Rêver d’un « mieux serviciel », ajouter des options, est toujours tentant mais il n’y a pas de consentement à la dépense associé.
Les clients sont eux-mêmes écartelés, divisés en interne. Finance, DET[2], RH, communication, immobilier, RSE, achats : tout le monde revendique un bout de l’Hospitality Management. Les DET sont soumis à des procédures et à des exigences de maîtrise des budgets et tout cela relève de « dépenses ». Résultat, la demande d’Hospitality Management des clients reste de l’ordre du fantasme. Elle n’est pas accompagnée d’un investissement en co-conception et co-opération d’un système intégré de services, pas plus que d’un consentement à la dépense significativement accru. Consommateurs mais non coproducteurs, les demandes d’Hospitality Management des clients (nice to have) se heurtent aux rationalités financières et à la complexité. Trop flou, non doté de financement, le potentiel de la demande est alors jugé beaucoup trop incertain par les prestataires. Si certains prestataires, accueil par exemple, tentent de surfer sur la mode, ceux de la propreté et des services associés n’investissent pas au-delà d’un affichage de bonne volonté vis-à-vis de leurs clients. Leurs réponses sont pragmatiques et, comme ils l’avouent eux-mêmes, opportunistes. Si deux ou trois réalisations de prestige à vocation principalement de communication (effet Waouh !) ont alimenté la presse professionnelle, les perspectives de l’Hospitality Management comme relai de croissance pour les entreprises de prestations de services aux occupants n’apparaissent pas fondées sur des apports démontrés et encore moins sur des attentes solvables des clients.
Des configurations de mise en œuvre
Nous avons cependant pu repérer et analyser des réalités de terrain permettant de distinguer trois cas de figure :
- Apparue avant la crise Covid, une forme d’Hospitality Management est présente dans des fonctions de pilotage des services aux occupants. Elles sont organisées dans une logique de gestion contractuelle de la sous-traitance organisée en assemblage de Facility Management. Les réalisations rencontrées et suivies parfois sur plusieurs années dans quelques très grandes entreprises tertiaires et industrielles se présentent en demi-teinte. Le bilan est mitigé, aussi bien du point de vue des hospitality managers rencontrés qui peinent visiblement à trouver une place, que dans le constat plus large d’un recul de la confiance dans les organisations en Full FM. Ces deux dimensions laissent augurer un avenir limité à ce type de déclinaison ;
- Potentiellement plus porteuse, une approche nait de l’intervention nouvelle d’acteurs qui endossent les rationalités des clients finaux (attentes, exigences, nouvelles modalités du travail). Ce sont des foncières et/ou des opérateurs de coworks qui prennent la main dans la conception/opération de systèmes serviciels et participent à la conception et à la mobilisation d’une offre, notamment à partir des enjeux de restauration. Ils organisent progressivement des réponses d’opérateurs nouveaux (souvent start up) de services, eux-mêmes pour partie intégrés. Apparaissent ainsi quelques assistants à maîtrise d’ouvrage et autres prestataires spécialisés, sur une offre intégrée de services d’accueil, community, conciergerie, fitness, courrier, snacking/fooding et barista, after work et évènementiels…, jusqu’à leur confier parfois la responsabilité de piloter d’autres services, propreté, restauration, sécurité ou interventions des mainteneurs techniques. A condition d’être inclus dans les loyers (immeubles multilocataires) ou rémunérés en contrats de prestations d’usage des espaces, des services de « management de l’hospitalité » s’inventent donc à l’aide de start up innovantes.
Attentives aux offres des nouveaux opérateurs de bureaux (coworks et « surfaces opérées »), il s’agit pour ces foncières de faire face aux évolutions des marchés immobiliers post Covid, à l’extension du télétravail et à la remontée des taux d’intérêt. Elles cherchent à soutenir les prix du marché en rendant les surfaces disponibles en multilocataires plus attractives. Pour y parvenir, elles endossent en partie des fonctions du sous-système client que ces derniers n’assument plus et de fait, externalisent auprès d’elles. Ces foncières relayent les clients locataires en se faisant les traducteurs des attentes des bénéficiaires dont elles connaissent parfois mieux les besoins en espaces de travail que leurs employeurs. Elles investissent en concevant elles-mêmes des systèmes de services. En pratique, elles se substituent aux clients finaux d’immeubles et de surfaces pour opérer (contractualisation, suivi terrain) et obtenir des services enrichis aux occupants qu’elles valorisent si possible dans les loyers ; - Directement portées par des responsables environnements de travail, quelques réalisations montrent que là où le client s’investit, des politiques et des pratiques de management de l’hospitalité peuvent apparaître. Peu nombreux, ces cas témoignent de capacités individuelles au service d’ambitions assumées. Sans doute faut-il des cultures d’entreprises qui l’autorisent, mais les cas observés sont caractérisés par deux dimensions exigeantes : un management de terrain qui permet l’intégration de compétences, parfois maintenues en interne et complétées de contributeurs dédiés, et une capacité de fait dans la décision d’achat qui doit ensuite soutenir les investissements, non pas tant en dépenses qu’en compétences, mais sensiblement supérieures au motif de la qualité.
Enfin, une entreprise émerge et surplombe même le paysage de l’Hospitality Management, sans d’ailleurs en revendiquer le mot : Chateauform’. Spécialiste de longue date du déploiement de formations ou d’évènementiels « haut de gamme » adossés à des lieux dédiés, Chateauform’ propose de concevoir et gérer des campus de formation et/ou des centres de conférences internes à certaines grandes entreprises. Acteur particulier par son histoire et sa culture, doté d’une image et d’une notoriété spécifique, cette entreprise est certainement un laboratoire de ce que peut être un management de l’hospitalité par les SET, mais aujourd’hui identifiée sur une niche d’activités traitées en haut de gamme.
Limité en réalisations, ce thème constitue bien un argument pour organiser les activités de propreté « à l’usage ». C’est un argument fort pour le travail en présentiel et en journée. C’est un levier de modernisation pour les activités d’accueil et de conciergerie qui sont régulièrement questionnées. Plus largement, l’introduction de codes (et de compétences) issus de l’hôtellerie participe d’une compréhension de plus en plus servicielle (relationnelle) des services aux occupants, accueil, petits travaux, propreté, factotum, restauration…, dans la manière dont les œuvrants des services interagissent avec les occupants. L’Hospitality Management porte alors un message : les activités de SET ne sont pas seulement une affaire d’exécution de prestations définies techniquement, ce sont des prestations de relations de services, « à l’usage » et « en situation », dont l’impact utile impose qu’elles soient co-produites avec, et par, les occupants.
Au-delà, l’apparition de cette proposition d’enrichissement incarne un début de différenciation possible des offres de SET par niveau de gamme, en commençant par quelques sites emblématiques (flagships, sièges), proches des centres des métropoles et pour des populations réputées exigeantes, jeunes, CSP+ (« talents »).
L’expression d’un besoin de management des systèmes serviciels
Ce qui s’expérimente avec ces quelques acteurs encore marginaux peut certainement faire grandir à terme toute la filière et introduire dans ce marché un début de différenciation des services en niveaux de gamme. Il s’adresse à un segment plutôt haut de gamme et en général, sous condition de surface suffisante pour justifier l’investissement (plus de 10 000 m²).
Notre étude indique surtout que le potentiel du « management de l’hospitalité » est moins dans des prestations nouvelles plus ou moins packagées en un bouquet particulier, que dans l’émergence d’un métier de concepteur-opérateur de systèmes de services en rupture avec les pratiques de mise à disposition de main d’œuvre. Le management de l’hospitalité n’est pas un catalogue de services, mais une capacité de conception et de différenciation des solutions contribuant à une montée en gamme et à une meilleure valorisation de l’ensemble des SET. L’enrichissement ne serait pas dans une acquisition d’options nice to have propres à mieux satisfaire un « consommateur », mais dans une capacité à enrichir les impacts utiles de tous les services, par la qualité relationnelle d’un rendu de services, un supplément de nice to be propre à améliorer l’engagement dans le travail collectif.
Ce faisant cependant, le thème de l’Hospitality Management devient presque « excluant » des prestataires issus des services aux occupants, pourtant les plus présents et parmi les plus grandes entreprises de services. Du fait des hiérarchies de noblesse dans les représentations, les entreprises de services (accueil, petits travaux, factotum, propreté) ne sont pas perçues (et de fait, elles le revendiquent peu elles-mêmes) comme des co concepteurs capables et pertinents pour penser en système les environnements de travail de leurs clients. Elles sont vues comme des fournisseurs d’une main d’œuvre exécutante d’activités externalisées pour répondre à des besoins que le client est censé comprendre.
Le management de l’hospitalité est pourtant bien « le » domaine d’expertise discriminant que les entreprises de services arpentent, qu’elles expérimentent plus que les autres et qu’elles pourraient revendiquer, à condition sans doute de mieux le formaliser. Elles pourraient demain les opérer, au titre de « services associés » ou de « multiservices ».
Une mode déjà dépassée, mais révélatrice
En 2020-23, l’expérience de la crise Covid et du télétravail, la résorption du chômage, la pénurie des talents et une croissance retrouvée temporairement, avaient aligné les planètes en faveur d’un certain optimisme, d’une valorisation temporaire des emplois de service et d’une ouverture à des innovations dans les modalités de travail. Le mot Hospitality Management comme thème marketing circulait ici et là depuis 2016-17. Emprunté à l’anglais désignant les formations hôtelières, il a fait florès pendant quelques années.
Avec la crise de l’immobilier professionnel, la construction s’est arrêtée et les surfaces disponibles se multiplient. Croissance ralentie et incertitudes débouchent sur une réduction des tensions sur l’emploi, notamment des cadres. Le contexte de blocage politique en France et d’incertitude géopolitique dans le monde contribue à relativiser fortement les exigences de confort et d’individualisme consumériste des supposés « talents » et autres Gen Z. Depuis 2023, les efforts d’investissement des sociétés privées marquent le pas. Les taux de marge des entreprises ont chuté. Les trésoreries passent au rouge. Toutes les lignes de dépenses sont passées en revue par les cost killers. Les SET sont et seront à nouveau traités en variables d’ajustement.
Une mode si fugace soit-elle, est toujours à la fois l’indication de ce qui sera ringard demain (par exemple, les Happiness Managers) et révélatrice d’évolutions et de limites. L’apparition de la mini-jupe au début des années 60 annonçait 1968 et la révolution féministe. La mode de l’Hospitality Management est déjà dépassée, mais elle interroge toute la filière.
Les entreprises de services aux occupants (propreté, accueil, restauration…) sont encore mobilisées (achetées), pensées et gérées sur le modèle de l’externalisation et de la sous-traitance, non pour mettre en œuvre des relations, mais pour des achats de prestations réputées exécutables techniquement. Cette inertie dans les compréhensions interdit à ces opérateurs de se penser autrement que comme exécutants. Dans le modèle de la sous-traitance, les prestataires de services sont appelés à opérer, mais pas à co-concevoir. Ils mettent à disposition la main d’œuvre, mais ils n’ont ni l’autorisation, ni parfois l’ambition de concevoir et reconcevoir leurs propres activités.
C’est une limite d’ensemble de ces systèmes. Ce que les prestataires ne s’autorisent pas à faire, les clients ne le feront pas seuls. Il n’est pas question de ré internalisation, mais les entreprises de SET disposent des expertises au profit de relations d’intérêt commun pour et avec les donneurs d’ordres. Le client qui n’opère plus lui-même ne peut pas concevoir correctement[3] les conditions de la performance des systèmes serviciels dont il a lui-même besoin. Pour permettre des gains de productivité, les entreprises de services doivent devenir opérateurs et concepteurs. Elles doivent assumer d’être expertes de ce qu’il convient de faire chez les clients et pour eux, ces derniers restant seuls responsables de leurs investissements en la matière.
Des enseignements en forme de recommandations
Les attentes sur la santé et le bien-être, la sécurité, la sobriété, l’accompagnement des nouvelles modalités du travail, et le besoin de faire revenir les travailleurs et d’améliorer les taux d’occupation de surfaces optimisées en les dotant de services enrichis sont toujours là. La mode de l’Hospitality Management est déjà finissante, mais les questions qu’elle révèle sur la qualité du travail sont toujours posées. En forme de recommandations, quatre leçons doivent être retenues.
1 – Oubliez l’Hospitality Management !
Le salarié n’est pas un consommateur libre de ses choix qu’il convient de satisfaire. C’est un producteur subordonné qui doit être productif. Si certains salariés peuvent un temps être flattés d’être traités en consommateurs, les travestir de la sorte est une erreur. L’Hospitality Management conçu comme un ensemble de prestations supplémentaires ne donnera pas de réponse à une question qui reste pourtant présente : comment faire des lieux attractifs et surtout performants (au sens de ressources productives), avec des surfaces coûteuses ?
Derrière la mode, il y a des signaux et des émergences intéressantes, mais c’est un phénomène de faible ampleur. L’avenir de l’Hospitality Management paraît d’autant plus compté que le concept restera calé sur un registre de consommation et d’une quête de la satisfaction. Si l’hospitality se limite à des catalogues de produits/services (nice to have) dont les codes sont importés de l’hôtellerie, voire du soin, réservé à des clients « riches », il a déjà rencontré ses limites. Il est toujours intéressant d’apprendre en entreprise des analogies avec l’hôtellerie. Mais le bureau n’est définitivement pas un hôtel et les salariés subordonnés ne sont pas des clients. Cette compréhension de l’Hospitality Management restera selon nous marginale.
2 – Apprenez à manager l’hospitalité…
… de ceux qui expérimentent des systèmes de production de services ! Les émergences observées indiquent qu’un « management de l’hospitalité » est bien une piste de progrès, mais en déplaçant le sens au bénéfice d’une francisation des termes. Manager l’hospitalité prend un sens nouveau[4]. Ce n’est plus de l’ordre d’options ou d’un assemblage de prestations. C’est une compétence qui résulte (ou non) des qualités d’un système de production de services, et donc d’une capacité à articuler différents sous-systèmes : l’immeuble avec ses contraintes et ses opportunités, les prestataires avec leurs différents métiers, les clients avec leurs limites de compétences et de moyens.
L’enjeu principal que révèle la mode de l’Hospitality Management nous paraît être sur le système client. En externalisant les services et en étendant le télétravail, les clients ont mobilisé des leviers de réduction des coûts, mais ils ont perdu en maîtrise et en compétence de gestion de leurs propres systèmes de la ressource « espaces de travail ». Dans une période où les salariés qui le peuvent choisissent souvent de travailler chez eux, les coworks et les foncières prennent le relai. Les services permettant de faire des « lieux » avec des espaces, sont pour elles « cœur de métier ». Il faut ainsi apprendre des efforts de foncières qui cherchent les moyens de soutenir les taux d’occupation et les prix des locations.
Il faudra également comprendre l’attachement et la façon dont les salariés occupent leur propre domicile pour travailler à distance. Avec le télétravail, le domicile est transformé en une ressource de l’activité professionnelle dont le travailleur est à la fois le maître et l’hôte (concepteur, opérateur et occupant). Dans un cowork, dans un Chateauform’, dans un hôtel…, il y a des hôtes professionnalisés soucieux de susciter des comportements positifs de coopération, pas seulement entre eux et leurs « invités », mais entre invités, c’est l’effet utile attendu par le client. Les hôtes ne sont pas tous « propriétaires des murs », mais ils sont « maîtres des lieux ». Ils reçoivent chez eux. Leur hospitalité a d’autant plus de prix qu’on y trouve une personnalité (des personnes), une identité, un style, une signature. Ceux-là se comportent avec les services en clients engagés, et non en intermédiaires (FMer) ou en acheteurs. Ils agissent, travaillent et occupent l’espace de travail en systémique. Ils les exploitent en co-opération. Les entreprises doivent observer et apprendre de leurs découvertes.
3 – Pensez, organisez et assumez le rôle orchestrateur de l’hôte
Notre étude indique également qu’il n’y a pas d’hospitalité sans hôte, sans un rôle (une personne ou un système) qui doit pouvoir, en même temps, concevoir (c’est un acte volontaire) et opérer (c’est un travail) sa prestation en étant adossé à un lieu dont il est maître. Une question émerge ; cet hôte peut-il être extérieur au lieu, peut-il être externalisé relativement à celui qui prétend recevoir dans sa « maison » ? Ne faut-il pas qu’il en soit le « maître » ? Si l’hôte (celui qui reçoit, une personne ou une institution) n’est pas opérateur, il ne fait pas lui-même. Il ne peut pas apprendre « en faisant ». Il n’est alors pas capable de concevoir et de reconcevoir ce qu’il convient de faire, en pertinence située, à chaque occurrence d’opération de la prestation « à exécution successive ». Il doit être coconcepteur du lieu, de ses fonctionnalités et de ses services, et pour cela en même temps opérateur de l’usage de ce lieu au profit de ses hôtes[5].
Les acteurs, les situations et les quelques cas d’Hospitality Management réussis rencontrés sont le fait d’utilisateurs qui ne renoncent pas à être opérateurs. Ils assument au contraire de faire largement eux-mêmes. Opérateurs (d’une volonté, d’un style…) de l’hospitalité, ils peuvent la concevoir. Parce qu’ils peuvent la concevoir et la reconcevoir en permanence, ils sont capables de résultats enrichis dans l’opération. Ils reçoivent et ils rendent. On retrouve ici une autre grande caractéristique de l’activité de services : la conception n’est pas séparable de l’exécution[6]. C’est le cas quand je travaille « chez moi ». J’opère dans un lieu que je conçois, aménage, entretiens, améliore par moi-même. C’est le cas dans les coworks ou dans un cas comme celui de Chateauform’. C’est le cas des entreprises utilisatrices qui réussissent. Elles conçoivent et opèrent elles-mêmes des lieux, avec les espaces qu’elles occupent.
Si cette lecture est juste, elle emporte une conséquence. L’hôte ne peut pas être un rôle ou un service confié à d’autres, pensés par d’autres, opéré par d’autres. Il ne peut pas être externalisé comme une prestation technique. Des compétences particulières d’hospitality managers peuvent se développer et être recherchées en dehors des entreprises, chez des prestataires hôteliers, de retail, de formation, du conseil, des loisirs… La performance et la pertinence du système de management relèvent cependant d’une responsabilité non partageable du client ; entreprises utilisatrices, foncières et coworks inclus.
4 – Gérez les conditions d’une relation de réciprocité élargie
Le management de l’hospitalité remet au centre de la gestion des SET une des caractéristiques de la relation de service ; la logique du don et du contre don. Le client reste le client, mais pour bien « recevoir » les services des prestataires comme pour bien « recevoir » ses propres salariés, il doit donner aussi. Quand l’hôte ouvre « sa » maison, il donne « son » hospitalité. En entrant, l’invité devient son obligé, un lien social est créé. Un produit se livre mais un service se « rend ». Un service d’accueil n’est pas qu’un moyen. Le lieu lui-même n’est pas seulement un bâti ou un décor. L’assiette n’a pas qu’un contenu… Ce sont des commodités dont on peut chercher à baisser les coûts, mais si l’enjeu est de gagner en productivité, il faut en augmenter la valeur produite.
C’est une vertu des dons. Pas plus que les dons les services ne sont « rendus » à titre gratuit. Ils entrent dans un échange pour partie commercial, mais ils ne sont pas que cela. En devenant « hospitalière », la relation créée par les services construit des liens sociaux. Le don appelle à des contre-dons[7]. Le bénéficiaire peut reconnaître et apprécier l’effort du prestataire. C’est également une rétribution symbolique essentielle des œuvrants prestataires que de recevoir la reconnaissance de leurs productions immatérielles.
Mais c’est aussi un gain en B to B, pour l’employeur des bénéficiaires. Il suscite une réponse en réciprocité élargie. Ce que l’occupant reçoit d’un don est une incitation à rendre à d’autres et à son entreprise, en réciprocité élargie. C’est là que l’entreprise gagnera en performance et le service en productivité. Il y a bien sûr un prix et un échange monétaire pour rendre possible et pérenniser la relation, mais la valeur n’est pas dans le coût, et le rapport commercial institué par des achats n’est pas régulateur d’un échange équilibré.
*
* *
[1] « Inspirer et développer les environnements de travail », association des professionnels des environnements de travail
[2] Direction des Environnements de Travail
[3] CF. Par exemple l’analyse des pertes de compétences en maintenance sous-traitée, « Histoire d’une dégradation progressive des compétences d’une entreprise à risques, 1980-2020 », juin 2023, Lena Masson diffusé dans les Cahiers du CRDIA n° 37 et 38, mai 2025.
[4] CF. X.BARON, Définitions, contenus et limites des concepts d’Hospitality Management et de management de l’hospitalité, Les Cahiers du CRDIA n° 37- 03/2025.
[5] « Hôte » désigne justement à la fois celui qui reçoit, qui offre son hospitalité, et celui qui est reçu.
[6] Elles ne sont pas « taylorisables ».
[7] CF les enseignements de Marcel Mauss (Essai sur le don, 1925), rappelés pour l’entreprise dans l’ouvrage de Norbert Alter, « Donner et Prendre. La coopération en entreprise », La Découverte 2010.