8 décembre 2017

b/ Des dimensions de la problématisation en cours

 

  1. L’enjeu de la mesure. Un travail et une maîtrise partagée seront nécessaires sur la question des données et des métriques, comprenant une évaluation de la pertinence des outils déjà existant, dans l’ordre de l’analyse de la valeur ou des cycles de vie par exemple.

  2. La définition du champ. Un effort de définition du champ (ou domaine) sera nécessaire pour cerner le FM comme « ensemble des activités aménitaires » sur les espaces de travail.

  3. Un effort de définition de l’objet de l’évaluation, mesure et ou appréciation dialogique, autour de « ce que produisent les services du FM » ; une modification de l’état des bénéficiaires par l’action sur les aménités d’environnement.

  4. Un effort de définition de ce qui caractérise les processus de production de services du FM, au sens d’une activité dont les conditions de la performance ne sont définis ni dans les seuls moyens, ni dans les résultats tangibles observables mais notamment par les qualités d’engagement subjectif des œuvrants.

  5. Un effort de préfiguration de la dimension dialogique de la métrique recherchée devra être réservé, notamment par l’expérimentation.

 

1 – Un effort de maîtrise conceptuelle sur les données

La recherche d’une capacité de mesure exigera une discussion approfondie sur le statut des données et notamment de la place à accorder aux données chiffrées.

Les données n’existent pas, ni ne signifient par elles-mêmes[15].  Les « données » sont des construits. Elles sont un avatar signifiant et potentiellement agissant, mais relativement à des schèmes de représentations plus ou moins partagés.

Dit autrement, les données alimentent (et parfois structurent) des outils de gestion qui participent d’une instrumentation de croyances. L’absentéisme par exemple peut être une donnée disponible. On sait sa complexité s’agissant de sa constitution comme catégorie (motifs, durées, profils des absents) et plus encore, de son interprétation comme support de gestion. Les données ne sont utiles (interprétables) qu’en fonction des représentations (hypothèses sur les causes) des phénomènes que l’on cherche à mieux connaître, anticiper et expliquer. Ces phénomènes (relations, performances, qualité du travail), souvent causes et conséquences à la fois, seront appréciables et pertinents relativement aux « croyances » qui leur confèrent une réalité et une pertinence.

Les hypothèses que l’instrumentation supporte, pour être utilisée, doivent être définies, identifiées et explicitées préalablement.

Au premier chef, l’enjeu de la mesure pose la question de la performance attendue des activités de services du FM. L’instrumentation que nous cherchons à penser et à expérimenter n’est pas seulement (ni même d’abord) de visée « heuristique » mais opératoire et gestionnaire, c’est-à-dire dialogique et « politique ».

Dans cet objectif, la recherche devra interroger les méthodes existantes relevant par exemple de l’analyse de la valeur ou de l’analyse des cycles de vie. Bien que d’origine appliquées à des « produits tangibles », elles sont déjà étendues en termes de design thinking à des projets. Leurs usages est à tester au profit de la valorisation de productions immatérielles, médiates (dans le temps et les effets indirects), porteuses d’externalités et d’effets réflexifs (sur les territoires notamment et sur les compétences).

Par exemple, qu’on le réfère à la performance globale de l’entreprise ou à un enjeu plus ciblé comme la santé des salariés, la recherche n’évitera pas la discussion sur la définition (y compris conventionnelle) de la QVT[16], voire, sur la mesure du bien-être des occupants d’un site. Rarement clarifiée dans sa définition, cette notion est souvent « mesurée » par des enquêtes de satisfaction. Elle sert en effet souvent à justifier des investissements en matière d’environnement de travail, au prétexte que le bien-être serait une condition de la performance de l’entreprise. On retrouve ainsi cette vieille idée selon laquelle, un « travailleur heureux travaille vite et bien », avec la mode actuelle sur le « bonheur » et les « happiness office managers ». Outre que cette « loi », sympathique au demeurant, n’a pas été démontrée comme telle à notre connaissance, l’on voit bien que les données qui permettent de qualifier ce bien-être et de l’observer, seront au service d’indicateurs (niveaux, taux…), eux-mêmes référés à des représentations sur les causes et l’impact du bien-être. Dit autrement, sur un tel objet, les données ne feront sens qu’à condition de retenir préalablement une (ou plusieurs) hypothèse(s) et la mesure ne sera pas construite de la même manière si l’on croit que le bien-être :

  • Est une condition recherchée pour obtenir la performance attendue des salariés. C’est alors un indicateur de moyens à un niveau d’organisation (système bénéficiaire).
  • Fait partie de la performance telle qu’elle est définie par la Direction (que les « bonnes raisons en soient « humanistes », marketing, RSE…). C’est alors une variable de résultats.
  • Est un indicateur de la qualité/productivité des prestations supposées servir le bien-être. C’est un indicateur de moyens à un autre niveau d’organisation (système prestataire).
  • Est tout cela en même temps, en tenant compte de la variabilité d’un tel indicateur relativement aux personnes et dans le temps…

Au-delà, définir la recherche comme nous le faisons par une ambition de mesure exigera que l’on maîtrise un biais ; assumer la réduction que suppose toute modélisation préalable à la tentative de réponse par l’observation de données (nécessaire à toute mesure) et de données quantifiables (donc, de certaines données seulement, les données observables).

Enfin, la recherche ne méconnaîtra pas les risques d’effets pervers des systèmes d’évaluation du fait des intentions qui les mobilisent.  CF par exemple les voix de Yann Moulier Boutang ou encore de Luc Boltanski,https://www.youtube.com/watch?v=AGOD2Vc6W1A « A bas l’excellence »[17].

 

2 – Un effort de précision du champ de la recherche ; les activités aménitaires

Pour cette recherche, un premier périmètre est proposé par celui des contrats qui lient les FMer à leurs clients. Une illustration aboutie est fournie par le contrat Thales/Vinci Facilities. Sans être représentatif, il est illustratif du champ FM.

Notre article de la Revue Expansion Management Review de février 2016 propose une définition du domaine d’action du Facility Management, autour du concept d’aménités.

Par aménité des espaces de travail, on entend « les ressources favorables à la performance du travail proposées par et dans ces espaces, des ressources vécues sur un mode pertinent, adéquat et agréable. Aménité suggère non seulement une connotation positive (et pas simplement fonctionnelle) des effets des services, mais également, une pertinence de leur combinaison dans une combinaison systémique définissant un environnement amène, c’est-à-dire un espace accueillant, un territoire approprié ».

Cette définition engage plusieurs enjeux :

  • pour la recherche d’une métrique adaptée, il conviendra de préciser « où commence et où fini le champ d’application » de la réflexion, des observations, des expérimentations comme des résultats. Parmi les questions, par exemple, l’asset management, le space planning ou la gestion de la formation en entreprise, l’IT…, font-ils partie du champ des aménités ?
  • La dimension territoriale est en question. Les espaces de travail ne sont jamais « hors sol ». La dimension aménitaire d’un site en zone industrielle (à Cholet par exemple, par différence avec un site en centre-ville à Nantes) dépend de son environnement (zone industrielle, ville, bassin d’emploi, transport, santé, loisirs…). Le traitement de l’environnement du travail ne peut pas faire l’impasse d’une intégration (des externalités positives et négatives, contraintes et opportunités) de « l’environnement de l’environnement » du travail, à commencer par la proximité d’autres acteurs, d’autres « commodités » et l’inclusion dans un tissu économique et social singulier. De même, des bâtiments, des équipements, un parking d’entreprise…, ouverts à d’autres utilisateurs, des moyens de transports, l’absence de rejet de pollution… sont autant d’externalités « à penser et à valoriser » sous l’angle de l’espace « physique ». Notons ici le champ à ouvrir des « aménités » que constituent les zones d’activités prises comme des objets. Pour cette recherche, c’est l’entreprise bénéficiaire du service qui est le point d’entrée. La dimension territoriale est présente (les sites sont situés) mais ne constitue pas le périmètre principal.
  • Pour l’analyse et la mesure du travail, la notion d’aménité élargit tout à la fois le périmètre des opérateurs parties prenantes. Les travailleurs du FM ne sont pas les seuls à y participer. Il étend également la focale des effets à prendre en compte notamment aux bénéficiaires. Elle intègre la dimension systémique. Par exemple, l’accès compte autant que l’accueil, que le confort, que la sécurité, que l’ambiance thermique.., lesquels concernent de nombreux œuvrants internes et externes, directs et/ou indirects.
  • Dans le cadre d’une économie de l’usage (ou économie de la fonctionnalité et de la coopération), une définition de la production en termes de « sphère fonctionnelle » pourra faire sens, au-delà des notions de secteurs d’activité ou branches professionnelles. Ainsi le secteur de la propreté fait partie d’une branche professionnelle mais son activité constitue un des leviers de constitution des aménités des espaces de travail, comme celles des fournisseurs de meubles, de l’hôtesse d’accueil, du technicien de maintenance des équipements CVC…
  • Pour l’analyse économique. D’autres effets ou externalités seront également interrogés. Un « bon environnement » de travail, au-delà de ses effets sur la performance du travail qui y est réalisé, peut-être interrogé/valorisé comme un « opérateur de santé » par exemple. Il constitue alors une externalité positive sociale.

 

3 – Un effort de définition de la production du FM intégrant ses externalités positives

Quelle performance (ou valeur) est-il question de mesurer ?

La performance de la production servicielle est l’objet de la mesure. La « performance directe » dépend de l’exécution conforme des prestations. Pour notre recherche, le concept de performance relèvera également d’un second niveau (sa « dérivée ») ; c’est-à-dire l’impact (pr l’usage) de ces activités sur la capacité/possibilité d’un travail lui-même performant réalisé par les habitants/ bénéficiaires. Elle devra tenir compte de la nature de l’activité exercée par mes salariés bénéficiaires concernés.

Il sera sans doute nécessaire de dépasser l’observation (et de la définition) de la performance des services FM à l’aune, tantôt de la satisfaction des habitants, tantôt de la bonne exécution technique des prestations. Intégrer des externalités fait partie du cadre que se donne la recherche pour la construction d’une mesure de la « valeur des services ».

Notre définition du service (valant pour le FM) dépasse en effet la définition « intrinsèque » des services en termes de « mise à disposition temporaires de moyens ou de compétences ».

Elle privilégiée une définition de la performance des activités de services du FM sur un mode « fonctionnel », c’est-à-dire « comme une modification de l’état des bénéficiaires ou de l’environnement des bénéficiaires ».

La valorisation s’attachera à prendre en compte l’effet utile (de ses modalités de mises en œuvre comme de ses résultats) des prestations, à l’échelle des aménités (sphère fonctionnelle[18])  en termes de modification de l’état du bénéficiaire.

 Quelles modifications (ou maintien ou « entretien ») de l’état du bénéficiaire sera-t-il question de mesurer ?

Satisfaction et « bien-être », seront interrogés en précisant de quel bénéficiaire on mesure, (apprécie) la satisfaction.

Sans doute aussi la santé rentrera dans l’analyse, à la fois comme état (non malade), comme processus (de maintien/amélioration au contraire d’une dégradation) et comme potentiel (un environnement « opérateur de santé »). La capacité d’innovation pourra rentrer dans le champ.

Plus largement, pour cette recherche, l’accroissement des capacités productives des bénéficiaires de l’espace de travail, c’est-à-dire de l’ensemble des habitants salariés ou non, est pour nous la finalité de la production « aménitaire ».

L’on voit ici le déplacement suggéré en termes d’observation et de mesure. Au-delà de la satisfaction des habitants, ou les effets induits sur les environnements (RSE), la « modification » qu’il est question de mesurer porte sur des qualités d’acteurs, des mesures d’états de sujets ; les bénéficiaires finaux des services pris comme un actif immatériel des entreprises clientes…

Sur quelle échelle de temps et à quels moments la mesure devra-t-elle être conçue et appliquée ?

La prise en compte des effets au-delà de la mise en œuvre suggère des mesures sur la durée et pour des effets différés, tant positifs que négatifs. Un indicateur comme la satisfaction peut être immédiatement mesuré, mais son effet sur le bien-être n’est pas nécessairement suffisant, immédiat et durable. Un niveau absolu à un moment donné est toujours difficile à interpréter. Les variations sont plus fécondes pour l’analyse (contextes évolutifs, évènements, impacts de changements divers).

La santé par exemple est une résultante complexe, multi causale et concernée par des facteurs agissant avec des effets différés sur la longue durée.

 Sur quel périmètre d’espaces (ou territoires réels et conventionnels) cette mesure devra-t-elle être déployées ?

L’intangibilité et les effets différés ne sont pas les seules difficultés de la mesure. Il faut prendre en compte les effets de complémentation (l’accueil et l’ambiance thermique), les effets de compromis ou contradiction (le coût et la satisfaction exprimée…), de flexibilité (avec la concomitance et la co occurrence de l’exécution, de la consommation et de la conception)…

Dans tous les cas enfin, il serait ridicule de faire l’hypothèse que les services FM sont seuls en cause dans la satisfaction, le bien-être ou les capacités productives des salariés. D’autres « variables » ou sous-systèmes interviennent évidemment comme ; le management, la santé économique de l’entreprise, son organisation, l’intérêt au travail, la reconnaissance, les statuts et les modes et niveaux de rétributions….

 

4 – Une intuition sur ce qu’il convient de mesurer : l’entre

 Il s’agira de tenir prioritairement un objectif : Etre mieux en capacité d’obtenir les résultats attendus.

C’est un objectif de gestion et de gouvernance des moyens.

Cette recherche veut répondre, dans le champ des systèmes de gestion des « clients » donneurs d’ordre, au besoin d’une instrumentation conceptuelle et opératoire de mesure dépenses/ effets utiles. Encore faut-il bien cerner ce qui doit être mesuré pour atteindre l’effecteur de performance, au sens ce qui fait la relation entre des moyens et des résultats.

La non mesurabilité de la production servicielle (intangible à la fois dans les activités et dans les effets) suggère en effet un déplacement de regard.

La gestion se situe spontanément dans le registre d’une comparaison entre deux extrémités :

  • des « moyens, des objectifs, des coûts » d’un côté,
  • un résultat, des réalisations, des prestations de l’autre.

On y ajoute souvent le réflexe cartésien  (on segmente/divise l’objet) et le réflexe ingénieur (le meilleur chemin a priori le plus court est la droite).

Le courant (et la mode) de la gestion par projets est tout à la fois ici une tentative de réponse pour traiter de l’incertitude et de l’immatériel, mais également, une impasse. Tout projet nécessite un « objet but ». Or, c’est précisément celui-là qui échappe à la définition dans le serviciel.

Même avec un effort sur la définition du résultat (CF plus haut la question de la performance) nous restons focalisés sur les deux bouts » du raisonnement (les moyens, la finalité), au risque de manquer la mesure de l’essentiel, le travail qui fait la valeur ; ce qui est entre, ce qui permet d’in-former des moyens (bâtiments, humains, financiers) en une valeur de résultat (l’effet utile sur les bénéficiaires, tantôt travailleurs, tantôt employeurs).

Ce qui suit est inspiré de François Jullien, Professeur de philosophie, helléniste et sinologue. Interrogeant la difficulté occidentale à ne penser les moyens que par la fin, dans « Philosophie du vivre » Gallimard Folio Essais, 2011.., il écrit notamment : (…) dès lors que c’est dans l’entre consistant[19] de l’activité qu’on voit la plénitude (ce qui serait le cas des chinois anciens), et non plus dans l’obtention visée (ce qui serait notre cas depuis les grecs[20]), on ne perçoit plus en quoi une (telle) action – occasion – serait illusoire, son enjeu dérisoire ».

« Nous en sommes venus (…), au temps de l’entre-tien : c’est-à-dire littéralement où l’on tient à l’entre, où l’on tient de l’entre, où l’on sait que c’est dans l’entre des démarcations que se discerne de la capacité, que se développe de l’effectif ».

Plus généralement, « c’est dans l’aptitude à ouvrir de l’entre que se déploie la vie ; et d’abord entre le futur et le passé (…) ». Il propose ainsi : « Entre-tien » est ce concept à développer qui, de technique doit devenir éthique ».[21]

Il illustre : « Une poutre transversale « entretient » la charpente, dit-on, en faisant tenir ensemble par la tension médiane qu’elle exerce. A l’instar de quoi, entre-tenir signifie maintenir actif en ménageant cet entre-deux : entretien du monde (on s’y met enfin), entretien avec les autres (qui n’est pas fait que de paroles), entretien de la vie (mais comment celui-ci se limiterait-il au physique ? La respiration elle-même ne s’y borne pas). ». Page 116-117.

Si nous déroulons le fil, une théorie du travail s’ébauche autour de… :

Entre-tien est une façon de dire la maintenance, le « prendre soin » (mais sans la référence à une posture de tutelle…, serait-elle bienveillante). Il dit la nature relationnelle, communicationnelle, interactive de l’activité servicielle,

Entre-tien dit le dialogue (mais qui n’est pas fait que de paroles), la perspective de « dispositifs » propres à susciter la parole (en commençant par organiser l’écoute),

Entre-tien souligne la dimension collective de la finalité comme du moyen, ce par quoi « on » tient ensemble, par quoi on « entre-prend ». Il dit la dimension de coproduction, de coopération, de complémentation, de « système fonctionnel productif ».

Entre-tien désigne une place dans l’espace et une position dans la relation. Il dit l’importance de et dans l’entre, et pas seulement de et dans les extrémités ; celles de la cause et de l’effet, des moyens et de la fin. La carte n’est pas le territoire, la fin ne dit pas le chemin.

Entre-tien évoque une effectivité « oblique », décalée. La poutre transversale ne « porte » pas le toit, mais rend « capable » la charpente, en faisant tenir ensemble.

Entre-tien dit la solidarité, proximité par l’entre, dont la confiance est le pilier. Il dit l’importance dans la solidarité du fait d’un « devenir en commun » d’un moment long, du quotidien toujours renouvelé mais sans début ni fin, un quotidien fait de durée.

Entre-tenir signifie (toujours Jullien) « maintenir actif en ménageant cet entre-deux ». Ces « deux qui définissent l’entre » sont aussi l’un (individu) et les autres (les collectifs), l’employeur et les salariés, l’activité et la performance, le client et le prestataire.

Entre-tenir l’environnement, comme richesse du et par le travail, intègre l’environnement et la production de richesse au sens de l’écologie et du développement durable, au-delà des environnements du travail, à entretenir.

Entre-tenir correspond à notre définition du travail comme attention à l’écart, action sur l’écart, la prise en charge de l’émergence et de l’inattendu, de l’improbable, du désirable ; le travail distinct de la tâche mais comme activité. Il nous éloigne heureusement du travail comme exécution de tâches conformes à un prescrit (organisation taylorienne) ou du travail comme « usure et consumation de ressources » ; le travail punition, damnation, perte de substance.  Entre-tenir nous parle du travail qui en « vaut la peine » ou d’un travail « de qualité ». Au contraire d’une réduction de l’écart entre le réel et le prescrit, le travail est dans la tension qui entre-tient l’idéel et le réalisé, qui entre-tient l’intention et le produit de l’action, qui entre-tient la relation de coproduction.

Entre-tien dit enfin l’ambivalence (précisément !). Il dit le le « lien » en même temps que « l’écart »…,  « pour faire œuvrer la vertu de l’entre dans les deux sens : celui du lien ou l’un rejoint l’autre (dans ce fonds où ils défont leur identité) et celui de l’écart et de la tension valorisant, l’un par l’autre, les opposés émergés ». Page 139 Jullien.

L’écart n’est pas à réduire. Il est l’espace de la coopération et de la production de valeur. Il est la condition même du travail, celui qu’aucun robot ne peut traiter. Le travail est justement dans l’entre, « dans la manière de s’affronter à ce qui n’est pas réglé[22] ».

 

5 – Un effort de préfiguration de la dimension dialogique de la métrique recherchée

De la sorte, il paraît peu pertinent de présenter les « enjeux de régulation » de manière comparable aux « enjeux de mesure ». La mesure n’est et ne sera jamais qu’une forme d’instrumentation des croyances que portent les acteurs et les organisations. Ces croyances sont en principe alimentées par une expression du « vrai », mais comme évoqué plus haut, s’il y a une finalité heuristique (positive) mais notre besoin de la mesure n’est pas la fin.

L’enjeu de régulation se présente non pour prendre en charge la question du lien salarial de subordination, mais pour traiter de la question d’une instituation des modalités pertinentes (instances, règles, procédures) par lesquelles la valorisation (dont la mesure et son interprétation) de cette activité d’ entre qui tient, a des chances d’être partagée (de tenir entre) et d’être efficiente (de mieux faire tenir) en favorisant la coopération.

Ceci amène à insister à nouveau sur la dimension dialogique de l’instrumentation. L’instrumentation recherchée relève de la mesure, mais ne pourra pas être seulement de l’ordre d’une métrique. Elle sera d’ordre relationnel et communicationnel. Elle sera fondée sur des instances instituées, donc politiques. Elle y participera, mais fera sens (utilité), relativement à des formes instituées de dialogue, de prises de décisions. Elle aura une dimension institutionnelle, par des instances d’évaluation, de dialogue, d’appréciation, d’élaboration et d’interprétation des métriques…