17 janvier 2025

CAHIER 36 – Document 1

La tectonique des Services aux Environnements de Travail
Cinq années de Cahiers du CRDIA

Nicolas CUGIER, Cofondateur du CRDIA.

Diffusé le 21/01/2025, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

Le CRDIA[1], Consortium de Recherche de l’Ile Adam, est né d’une rencontre entre deux ambitions ; comprendre économiquement mais aussi socialement un modèle d’affaire construit historiquement sur l’externalisation des personnels qui rendent des services aux bâtiments et aux occupants.


Des années 1980 aux années 2010, les entreprises privées ont souhaité se recentrer sur leur cœur de métier pour accentuer leur profitabilité au motif d’un capitalisme financiarisé. Elles ont externalisé leurs équipes dédiées aux services de gestion technique des bâtiments, de maintenance et d’entretien de la chauffe, froid, courant fort et faible, plomberie, appareils de levage, portes et barrières, contrôles réglementaires, propreté, accueil, gardiennage, restauration, et désormais gestion des données relatives à l’exploitation ; d’autant plus qu’elles se débarrassaient ainsi des enjeux sociaux associés à cette main d’œuvre œuvrante. Elles ont confié ces services à des prestataires qui se sont organisés pour cela. C’est le modèle dit « FM » comme Facility Management, vocable qui n’a jamais été réellement traduit en français et que nous désignons par « Gestion des Aménités », appellation plus conforme à la réalité mais peu usitée.


Certains donneurs d’ordre ont même créé des entités légales ad-hoc (Faceo, Vestalia, Défense Environnement et Services, etc.) en partenariat avec des prestataires établis ou futurs, avec pour ambition la facilitation de l’ingénierie sociale nécessaire au transfert des personnels.


En moins de 30 ans, ces prestataires sont devenus des géants employant[2] plus de 1,1 million de salariés pour 102 milliards de chiffre d’affaires au service de plus de 20 millions de personnes occupant une surface de 22 millions de m² : 150 métiers différents et 9 conventions collectives ont été recensés. La marge nette opérationnelle après impôt oscille entre 2 et 6% pour les meilleurs. Certains prestataires emploient plus de 100 000 salariés. Il s’agit d’une filière à forte intensité de main d’œuvre et considérée à faible marge par les investisseurs.


La filière est caractérisée par des difficultés de recrutement endémiques. Pourtant, il n’existe aucun code ROME[3] associé pour définir précisément les offres, les demandes d’emploi et les rapprocher.


En 2016 un collectif de donneurs d’ordre s’est retrouvé autour de l’ambition de comprendre les dynamiques de cette activité et a fondé le CRDIA. Cela faisait suite à une commande du SYPEMI auprès d’un membre du collectif, qui souhaitait disposer d’un livre blanc[4] bilan des 30 dernières années. Le constat était sans appel, une spirale mortifère pour les prestataires et donneurs d’ordre, seule la qualité semblait la variable d’ajustement possible dans un univers de déflation salariale chez les œuvrants et de moins disant financier chez les donneurs d’ordre.


Trois axes de recherche sont alors imaginés pour dépasser ce constat :


  • La conformité[5] à un cahier des charges et à des KPIs (Key Performance Indicator) dont ni les donneurs d’ordre ni les prestataires n’interrogent le sens, et encore moins l’effet utile ;
  • L’expression d’une valeur par la somme de coûts plus marge dont plus de 85% de ses constituants sont des coûts de main d’œuvre, au SMIC pour plus des deux tiers, sans jamais poser la question des conditions de l’engagement des œuvrants et encore moins des bénéficiaires pour une prestation qui ne peut être que co-construite[6];
  • L’intensification productive par la spécialisation confortée par une lecture stricte des conventions collectives, en conflit avec la nécessité d’intégration de plusieurs services pour proposer un effet utile des services rendus.

De 2016 à 2020, le CRDIA produit des monographies, des retours d’expériences, des interviews, des rencontres sous forme de journées[7] et des études qui illustrent les problématiques rencontrées et proposent des pistes de solutions.


En janvier 2020, le CRDIA décide de mettre à disposition du plus grand nombre l’ensemble de ses productions. Les cahiers du CRDIA sont lancés à raison de 7 publications numériques par an comportant 3 ou 4 articles par numéro. L’ARSEG, renommé IDET[8] en 2023 et le SYPEMI apportent leur soutien financier, qu’ils en soient remerciés encore pour l’année 2025.


La crise COVID permet d’imaginer un nouvel axe de recherche, la capacité d’adaptation des services à la crise sanitaire. En émerge sous les applaudissements un appel[9] à la constitution d’une filière professionnelle, les Services aux Environnements de Travail. Une deuxième étude[10] commandée par IDET en 2022 à Hent Consulting et relayée par les professionnels du secteur, révèle l’ampleur avec 2,6 millions de salariés dont 1,4 million dans le secteur public, pour moitié employés dans les collectivités locales.


En 5 ans, le CRDIA a publié 35 numéros des cahiers soit plus de 140 articles qui sont devenus des références du secteur par leur contenu, leur diversité mais aussi leur originalité :


  • Les travaux réalisés par le CRDIA sur les contrats[11] y compris à durée indéterminée et exécution successive donnent lieu aux premières mises en œuvre chez un acteur majeur de la santé dans la région lyonnaise ;
  • Les travaux concernant la mise en œuvre d’un système de facturation des services à partir de l’effet utile trouvent une première application au sein de la société ORAK[12];
  • Les premiers travaux académiques autour de la maintenance et du prendre soin sont publiés par ailleurs et relayés par le CRDIA avec le soutien de leurs auteurs[13]. Ils consacrent l’enjeu du prendre soin.

En même temps, de grands mouvements semblent s’amorcer sur le marché :


  • Certains prestataires abandonnent le marché français, d’autres le modèle « full FM » pour se recentrer sur les métiers historiques générateurs des marges premières, ceux de la chauffe, de la maintenance multi-technique pour certains, de la propreté ou de l’accueil pour d’autres ;
  • D’autres construisent une offre de services « full FM » par ajout de services en complément de leur métier historique tout en restant dans la convention collective première ;
  • Ces derniers fabriquent souvent une offre de pilotage de l’ensemble de ces services, découvrant la pertinence d’une intégration de services au travers de nouveaux métiers comme l’Hospitality Management[14];
  • Et une ambition de marge à deux « digits» pour les investisseurs/repreneurs de sociétés historiques dont les fondateurs quittent la scène, qui se traduit par un abandon en cas d’échec[15] et la confirmation de la demande de poursuite[16] des allégements[17] de charges sur les bas salaires.

Les donneurs d’ordres pourraient ajuster leurs demandes à l’aune de ces mouvements tectoniques et des capacités des fournisseurs : les grands dossiers en cours qui seront attribués en 2025 et 2026 préciseront l’orientation prise.


Pour autant, certains clients acceptent désormais un principe de dialogue compétitif avec des fournisseurs présélectionnés, permettant d’organiser un consentement à la dépense en échange d’un consentement aux services, enfourchant quelques fois même un nouveau véhicule juridique comme les contrats à durée indéterminée. La révolution est en marche, coopérer semble pour certains une piste arpentée en lieu et place d’un rapport de force.


Au terme de 5 années de Cahiers, ce qui semblait impossible devient réalité, à savoir une prise de conscience par tous les acteurs des enjeux quantitatifs et qualitatifs et de la nécessaire modification des modèles d’affaire existants. Un exemple contre-intuitif illustre cette maturité : désormais, il ne parait plus impossible pour un donneur d’ordre de prendre soin des œuvrants du prestataire pour leur permettre de mieux répondre aux demandes de services des occupants, ou liées aux équipements des bâtiments.



Pour autant, l’actualité nous rattrape ; aujourd’hui, c’est le déficit public, la baisse de la qualité dans les services publics et la directive CSRD[18] qui dictent le tempo du marché des Services aux Environnements de Travail.


Le plein est peut-être fait en matière de part de marché sur le secteur privé, il reste le secteur public. Pour y répondre, nous observons deux enjeux :


  • Le dépassement du cadre limitatif actuel des marchés publics, qui ne permettent pas la mise en place de contrats de longue durée (et encore moins à durée indéterminée), et de la prescription par cahier des charges de services comme des quasi-biens ;
  • La capacité des prestataires à proposer une offre de service sans couture au travers d’une véritable ingénierie de main d’œuvre intégrant différents métiers, complétée d’une compétence en matière de financement non plus d’infrastructure (CAPEX) mais de personnels (OPEX).

Le CRDIA observera ces enjeux pour proposer comme à chaque fois des réflexions, des idées, des outils à l’ensemble du marché.


Merci encore, chers lecteurs, pour votre fidélité et vos contributions à l’émergence d’une filière d’avenir.



[1] CRDIA, CRDIA – Les Environnements du Travail source d Innovation et de Valeur Economique

[2] Octobre 2021 Etude ARSEG/SYPEMI/CRDIA commandé à Hent Consulting, CRDIA – CAHIER 17 – SOMMAIRE

[3] Le code ROME, Le ROME et les fiches métiers |France Travail

[4] SYPEMI, Syndicat Professionnel du Facility Management, Publications | SYPEMI

[5] Cf XERFI Canal, Philippe Gattet, Le facility management en France – Intelligence sectorielle – xerficanal.com

[6] ATEMIS, Conférences – ATEMIS-LIR

[7] Rencontre du CRDIA du 13 Septembre 2017 chez EDF à Saclay et du 15 janvier 2019 à l’Université Paris-Dauphine

[8] IDET, association qui défend les intérêts et les valeurs des managers des environnements de travail en France. Accueil – IDET

[9] Appel adressé au Ministère de l’Economie et Ministère du Travail, CRDIA – CAHIER N°4 – SOMMAIRE

[10] Le secteur des services aux environnements de travail continue de croître (services-proprete.fr)

[11] CRDIA – CAHIER 11 – Document 1

[12] Internet Access (orak.pro)

[13] CRDIA – Cahier 25 de janvier 2023 – « Le soin des Choses, Politiques de la maintenance », Jérôme Denis et David Pontille  

[14] Pour le concept d’Hospitality Management, cf CRDIA – CAHIER 21 – Document 3

[15] Le groupe danois de nettoyage ISS veut vendre ses activités en France (lefigaro.fr)

[16] Mission Bozio-Wasmer | Les politiques d’exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire | France Stratégie (strategie.gouv.fr)

[17] Les entreprises de propreté s’inquiètent d’une possible réduction des allégements de cotisations sur les bas salaires (lemonde.fr)

[18] CSRD : Environnement -Applicable depuis le 1er janvier 2024, qu’est-ce que la directive CSRD ? | Entreprendre.Service-Public.fr