1 décembre 2022

CAHIER 21 – Document 3

Facility et Hospitality
face à la gestion de l’Hospitalité et des Aménités

Article I / II

 

De l’exécution de prestations aux systèmes fonctionnels de Services aux Environnements de Travail

Xavier Baron, Consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA

 

Diffusé le 06/12/2022, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Les concepts de Facility Management (FM) et d’Hospitality Managers (HM) sont discutés en regard d’observations menées sur plusieurs situations spécifiques configurées entre plusieurs prestataires et leurs clients. Une doctrine professionnelle s’ébauche, au profit de systèmes fonctionnels de production de Services aux Environnements de Travail (SET), dépassant l’assemblage d’activités au profit d’une explicitation des besoins en compétences et en formation des professionnels, prestataires et clients.

 

Un postulat & trois  hypothèses

 

Le postulat : la valeur d’impact utile des services est enrichie à condition de savoir intégrer, mutualiser et coopérer. La mise en œuvre de services permettant de garantir une performance d’usage des aménités des environnements de travail exige des systèmes de production des SET qui soient eux-mêmes serviciels, intégrés sur un mode coopératif, singuliers et évolutifs. Pensée, à l’instar des productions industrielles, sur un mode hiérarchisé et séquentiel, l’intégration génère tensions et risques de prédation de marges, à l’opposé des gains d’optimisation et de massification qui en constituent la promesse. Si l’intégration des services est un levier de performance, elle doit donc se gérer dans les limites des capacités réelles de coopération des opérateurs (macro lots).

 

Les trois hypothèses :

 

  1. Pour intégrer efficacement les activités « à l’usage » et en pertinence située, les organisations en multi techniques et/ou multiservices, doivent mettre en œuvre un « Management de l’Hospitalité et des Aménités » de qualité, défini ci-après.

  2. Le Management de l’Hospitalité et des Aménités (MH&A) répond à l’exigence d’une double coopération (gisement de productivité en valeur) entre prestataires d’une part et avec les bénéficiaires d’autre part. Il est question ici d’un système de management capable d’enrichir l’impact utile des SET, au-delà des missions particulières de type rondes, écoute, communication, contrôle et gestion de la sous-traitance etc. souvent confiées aujourd’hui aux hospitality managers ou hospitality officers. Utiles pour des systèmes défaillants, de telles prestations sont accessoires dans une approche servicielle mature.
  1. Un management efficace de l’Hospitalité et des Aménités impose de refonder régulièrement l’accord sur le « travail bien fait », entre le système du client et le système du prestataire. Il suggère des outils de gestion, des instances et des compétences capables d’apprécier régulièrement l’impact des services rendus en pertinence située par chaque prestation, et également pour l’ensemble du système de production des services que requiert l’exploitation des environnements de travail.

De l’exécution de prestations à la mise en œuvre de systèmes fonctionnels de SET

 

Malgré leur importance pour assurer des fonctionnalités essentielles et en croissance sur la santé, la sécurité, l’environnement, la qualité de vie et des liens sociaux, ou encore pour garantir l’accessibilité et la simplicité d’usage des ressources, les SET sont l’objet de préjugés de faible qualification, voire d’une absence de valeur ajoutée, par défaut de productions tangibles. Pour certains même, « rendre » un service devrait être gratuit, ou au moins « invisible ». Si la racine étymologique servare est noble (conserver, veiller, garantir, préserver), elle a aussi donné serveurs et servilité.

 

Une filière est une promesse de valeur :

 

Les SET constituent aujourd’hui une filière économique et sociale d’ampleur nationale, promesse d’utilité sociale et de valeur ajoutée pour nos sociétés désormais tirées par les services. Par les contributions complémentaires ou communes des nombreux métiers qui la composent, cette filière est construite sur une fonctionnalité de première importance ; la garantie de performance d’usage des bâtis, équipements et utilisateurs des environnements de travail, intégrant les externalités sociales et environnementales[1].

 

Cette filière est jeune. Elle n’est pas née d’innovations technologiques ou d’inventions de nouveaux produits, mais d’une dynamique d’externalisations puis de rapprochements d’activités supports de cultures diverses  (entretien des bâtiments, maintenance d’équipements, espaces verts, propreté, accueil et sécurité, restauration…). Même pour les activités les mieux reconnues socialement (notamment à proximité de la technique et de l’énergie), cette filière se construit sur l’héritage culturel d’un déficit de noblesse pluriséculaire. La maintenance n’a jamais été aussi reconnue que la transformation. Le service est toujours plus difficile à valoriser sur les marchés que l’objet.

 

Analogie n’est pas identité :

 

Il n’est pas étonnant ou illégitime qu’une profession émergente emprunte à d’autres, plus anciennes ou réputées plus nobles, des mots ou des référentiels connotés positivement pour valoriser sa promesse[2]. Les Services aux Environnements de Travail ont déjà hérité du vocable de « Facility Management », plus noble que commodity ou services généraux, en référence notamment à d’autres activités supports externalisées (informatique).

Sur un mode générique, le concept de Facility Management est souvent utilisé pour désigner les SET. Pour une acception plus précise, il désigne un choix spécifique de recours aux SET via des offres de prestations rassemblées en sous-ensembles sous la responsabilité contractuelle d’un prestataire. Selon les cas, ces offres dites FM intègrent une prestation de pilotage de la sous-traitance (dimensionnement, contrôle, reporting). Les opérateurs de tête sont alors désignés comme « FMers », les autres comme « leurs sous-traitants »[3].

Avec la montée en importance et en complexité de ces activités et face au déficit de reconnaissance,  des tentatives de valorisation ont été engagées. Les Responsables Services Généraux se nomment désormais Directeurs des Environnements de Travail (DET). Une version low-cost du DET, pour des responsables plus modestes et des entreprises plus petites, est dénommée « office manager ».

 

Deux notions sont apparues récemment : l’Hospitality Management et le Care[4]. Pour la première, il s’agit d’abord de l’emprunt d’un intitulé désignant les cursus de formations dispensées dans les pays anglo-saxons pour un autre secteur d’activité, l’hôtellerie. L’analogie est intuitive : il y a des bâtis et des occupants, des meubles, des aménagements et des services. Elle capitalise sur l’image flatteuse de l’environnement et des services haut de gamme des hôtels de luxe. Cette notion intègre l’exigence d’obtention d’une satisfaction élevée en référence au pouvoir « absolu » d’un consommateur qui paye et qui a le choix instantané entre plusieurs offres.

 

Tout bon professionnel peut et doit s’inspirer de ce qui se fait de bien ailleurs. Comparaison n’est cependant pas raison. Les environnements et les surfaces des immeubles professionnels ne sont ni  exploités ni valorisés comme des hôtels. Et surtout, les salariés au travail ne sont pas des consommateurs. Même en format coworking ou pour des « campus de formation d’entreprise avec hébergement », la notion d’’hotelling appliquée aux bureaux relève de la métaphore. C’est vrai également du « comme à la maison », une mode préconisant poufs colorés et canapés, qui supporte d’autant plus mal la comparaison (à la maison comme au travail ?) que le télétravail se généralise.

 

La référence au Care adresse pour sa part les SET à proximité des infrastructures de services publics et des services de soins (santé, emplois de proximité aux personnes dépendantes), avec ce que cela comporte de verticalité tutélaire dans l’offre. Elle participe d’une compréhension de la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Il y a des analogies de posture s’agissant d’entretenir, de « faire tenir ensemble », de prendre soin des bâtiments, des occupants et de l’environnement[5]. Il y a des recouvrements dans les fonctionnalités recherchées ; effets sur le bien-être, sur la santé individuelle et publique, sur la durabilité etc. L’emploi de cette notion en limite cependant la portée à sa dimension sociale, au mieux à la limitation de dépenses évitables. Elle masque la dimension proprement économique et financière du modèle d’affaires marchand des services en BtoB que constituent les SET, derrière un service présenté comme « quasi public ». Il y a bien un enjeu à défendre les investissements nécessaires et non individualisables à la continuité économique et sociale de fonctionnement des entreprises. Il y a aussi toujours un enjeu s’agissant de reconnaître et de mieux rémunérer les personnels en charge des services en général (les soignants, les enseignants…). Le sujet est vaste et ancien. On voit mal que cela s’opère par un simple appel à enrichir les choix politiques sociétaux à l’aide d’une dimension éthique somme toute assez vague. Surtout, dans le monde des affaires, il manque la démonstration des potentiels de gains de productivité et de production de valeurs que le « care » permettrait à la filière de concrétiser.

 

Des mots et des maux :

 

Les SET ne sont ni l’informatique, ni l’hôtellerie, ni des services de soins. Les occupants qui travaillent dans ces environnements ne sont pas des consommateurs. L’histoire montre que l’original est toujours préféré à la copie. Le professionnalisme que mérite la filière des SET ne peut durablement se contenter d’anglicismes hâtivement transposés pour parler de ce qu’il ne sait pas correctement décrire[6].  Cette filière doit élaborer son propre modèle et sa doctrine professionnelle à partir de ses réalités et, au besoin, de mots qu’elle forge elle-même.  La réalité actuelle du Facility Management, qui reste encore aujourd’hui sous la contrainte d’une référence industrialiste et financiarisée largement imposée par les clients, ne saurait recouvrir seule l’ensemble des conditions futures de la performance productive et sociale des SET. Il en va de même pour l’Hospitality Management. L’observation de terrain sur deux ou trois ans, l’analyse de fiches de postes et annonces de recrutement, montrent qu’il est question d’une « posture d’écoute » d’un appel à un « sens du client et du service », à des « rondes », et pour des activités plus concrètes, la « prise en charge des évènements » et la « gestion des services sous-traités ».

 

Côté services dits « softs », la montée en importance des services aux occupants (gestion des talents, retour au bureau, collectifs) et la complexité de plus en plus manifeste d’une mise en œuvre correspondant « aux usages » et « sans couture », suscitent l’attente de nouvelles professionnalités. Un « hospitality manager » (ou officer s’il est loin du statut cadre) souriant, à l’écoute, faisant des rondes, aux petits soins des assistantes (encore présentes), à l’accueil d’évènements et au suivi des agents de propreté et des hôtesses sera l’argument d’un ensemble de prestations techniques supplémentaires, pour les clients qui  en accepteront le prix.

 

FM comme HM, dans l’approche industrialiste du service, sont ainsi trop souvent ramenés au rang de prestations supplémentaires, pilotage d’un côté et environnement des utilisateurs de l’autre. Si HM se limite à une offre de prestations « en plus », il reste accessoire. Le pilotage FM est évidemment indispensable à des coproducteurs de services qui ne sont ni intégrés, ni coordonnés, ni solidaires, mais pourrait être assimilé dans sa version la plus basique à un simple coût de transaction[7]. FM comme HM sont ainsi nécessaires, et aujourd’hui utiles voire indispensables, pour compenser les faiblesses d’un système insuffisamment autonome, peu agile, peu efficace par ses propres régulations internes, et non résilient en cas de chocs et d’aléas. Mais ils ne peuvent seuls, dans le cadre des contraintes actuelles des marchés des SET, exprimer et développer pleinement les spécificités des conditions de performance de la filière.

 

Nommer pour maîtriser :

 

Comment nommer alors cette filière et ses caractéristiques servicielles, dédiées aux environnements, propres à agir sur l’état de 20,4 millions de bénéficiaires hébergés d’une manière ou d’une autre dans 1028 millions de m², à l’aide de 1,4 million de travailleurs, pour un chiffre d’affaires annuel des prestataires de 102 milliards[8] (en 2021) ?

 

Comment décrire et préparer les nouveaux professionnels capables de « manager » des systèmes complexes de relations servicielles, capables d’enrichir la portée utile du travail dans les services aux environnements de travail ? Nous proposons les notions de Management de l’Hospitalité et des Aménités du Travail. Reprenons les mots-clés de notre proposition :

 

  • La filière est une notion d’abord utilisée par le ministère de l’industrie. Elle rend compte utilement des systèmes de production de supports de fonctionnalité (l’automobile par exemple) sans réduire (ou assimiler) la singularité des secteurs et des branches (mécanique, sidérurgie, électronique, plasturgie, verres, distribution et réparation…) qui les composent, aux seuls « constructeurs » du support final, voitures et camions ;
  • Management est un mot d’origine française et d’autant plus adéquat qu’il intègre la notion de gestion et de « manège » ou encore de « ménagement ». Il ne désigne pas seulement des actions (des décisions de gestion, des choix d’organisation, l’animation d’instances d’évaluation). Il désigne parfois des hommes qui y participent prioritairement, des « managers ». Il désigne surtout un « système ». Il ne faut pas confondre ainsi le « management » et les managers. Ils ne sont qu’une partie, un des outils du management. La première qualité d’un management est dans sa capacité d’effectuation. Il agit comme système, somme d’artefacts (des rôles, des instances, des outils) et support de schèmes de représentations, à l’instar des règles d’un jeu ;
  • Hospitalité, tout comme Aménité, sont des mots bien français qui peuvent se suffire à eux-mêmes. Ils ne désignent pas un quelconque hotelling (un moyen, une analogie de forme). Ils ne se résument pas à des aménagements spécifiques ou des équipements particuliers. L’hospitalité comme les aménités sont des réalités immatérielles mais sensibles, repérables et désirables. Elles existent pour obtenir des effets utiles, mais indépendamment de la satisfaction qu’elles procurent. Elles ne sont pas des réalités réductibles à une « attitude » de service. Il y a ou non des marqueurs et des réalités d’un accueil fait de personnes et d’environnements hospitaliers, attractifs, bienveillants, propres à générer du bien-être. Il y a ou non des aménités perçues, ressenties et effectives rendant les espaces hospitaliers et pertinents, c’est-à-dire des environnements que l’on pourra qualifier de propres aux trois sens du terme :
    • à l’usage que les occupants souhaitent et doivent en faire, fonctionnels ;
    • d’un point de vue sanitaire, exempts de saletés, et suffisamment valorisants et sûrs pour être occupés sans avoir le sentiment d’être dégradé ou en danger ;
    • à soi ou à un collectif, c’est-à-dire appropriables techniquement mais également symboliquement et socialement comme éléments identitaires.

Ils sont alors un support et une ressource de performance, suffisamment sûrs, fonctionnels et personnalisables pour que chacun y trouve sa place. Hospitalité dit à la fois accueil et bienveillance d’hôtes, pour des invités qui ne sont réduits ni à des consommateurs, ni à des subordonnés ou des obligés. Aménités dit ainsi les caractéristiques favorables recherchées, aménagées, organisées pour ce que les occupants/usagers peuvent et doivent en faire ; un travail bien fait dans de bonnes conditions. Hospitalité comme aménité sont utilement connotées positivement. Elles ne disent rien des moyens, elles disent une valeur. Ce dont des qualités recherchées pour des environnements que les SET doivent produire pour leurs clients. Ce ne sont pas des accessoires, mais des finalités.

 

Des fondamentaux pour construire la doctrine professionnelle de la filière des SET

 

Des fondamentaux théoriques sont déjà disponibles et mobilisables pour la doctrine à construire[9]. Ils s’adossent aux apports des sciences sociales du travail et de la gestion avec notamment, l’économie des services et des usages (J. Gadrey, O. Giarini et W. Stahel), la psychologie sociale de « Installation theory » (S. Lahlou), l’économie de la fonctionnalité (C. du Tertre), l’ergonomie des services (F. Hubault), la sociologie économique (F. Vatin, A. Bidet), le management pragmatiste (P. Lorino), l’économie de la singularité (L. Karpick), le marketing des services (Langeard et Eiglier). Pour en résumer les apports pour la filière des Services aux Environnements de Travail, nous retiendrons que :

 

  1. Les SET relèvent de prestations à exécution successive, par différence avec les contrats actuels qui les assimilent à des quasi-biens à exécution instantanée ;
  2. Servicielles et relationnelles, ces activités ne sont ni mesurables ni dénombrables à l’aide de métriques simples ;
  3. Les productions des SET sont nécessairement et toujours :
    1. Coproduites et donc nécessairement co-évaluées ;
    2. A impacts immédiats et différés dans le temps et dans l’espace, sur les personnes comme sur les environnements ;
    3. Ni stockables ni délocalisables ;
  4. La qualité (ou valeur) de la production servicielle est toujours contextuelle (située). Elle relève d’un accord sur sa pertinence et dépend d’une coproduction entre prestataires et bénéficiaires. Elle n’est pas réductible à des critères de volume, de délais ou de conformité ;
  5. En usage généralisé pour évaluer les productions industrielles, la notion de qualité trouve son meilleur équivalent dans celle de « pertinence située » pour les services ; 
  6. La valeur de la production des services aux environnements de travail n’est pas réductible à leur coût. C’est le prix que le client consent à payer. Il trouve sa justification dans la valorisation financière des impacts des services pour le client, constituée de l’apport des services à une amélioration de l’état des bénéficiaires ;
  7. Le prix pour le client ne correspond pas à une dimension technique mais politique. Il est fixé par le consentement à la dépense du client en faveur des conditions d’environnements au travail pour ses salariés, clients, visiteurs, usagers… C’est un investissement relevant d’un coût (et d’une valeur) d’opportunité, au-delà des obligations réglementaires ;
  8. La reconnaissance et la valorisation de la valeur économique et sociale des SET, à exécution successive, ne sont pas réductibles à des indicateurs de coûts ou de mise en œuvre de moyens. Elles doivent faire l’objet d’instances de dialogue permettant de refonder régulièrement l’accord sur la qualité (pertinence située) du travail bien fait ;
  9. Une condition de la pertinence située de chacune des productions servicielles dépend de la qualité de coopération, entre prestataires et avec les bénéficiaires ;
  10. La valeur et la pertinence située des services aux environnements de travail est de nature systémique ou « encastrée ». La valeur d’une production d’un service particulier dépend et contribue aux valeurs produites par les autres services. La valeur produite n’est pas une addition de celle des services pris un à un, mais un encastrement combinatoire de la valeur résultant de la mise en œuvre conjointe de l’ensemble des services associés, y compris avec les bénéficiaires coproducteurs et la prise en compte des externalités. La valeur de la production d’une prestation dépend de son intégration dans un système fonctionnel de production des services ;
  11. Une condition de la performance des SET réside dans l’intégration des services en pertinence située, avec ou sans l’aide de formes d’assemblages contractuels ;
  12. L’œuvrant est au contact des bénéficiaires. Sa compétence et son engagement psychoaffectif sont des conditions nécessaires à la performance, ou « travail bien fait » ;
  13. Les SET sont produits à plus de 85% en proportion de moyens par l’engagement de main d’œuvre ;
  14. Par différence avec des prestations (définissables techniquement), les SET à valeur ajoutée relèvent de relations de services. Elles sont faiblement automatisables ;
  15. Les bénéficiaires des SET sont fonctionnellement humains et non humains :
    • les bâtis (équipements) et leurs environnements urbains et naturels ;
    • les occupants et usagers des environnements équipés et « servicés », qu’ils soient mis à disposition par l’employeur, par des services publics ou par les travailleurs eux-mêmes dans l’usage de leurs propres domiciles (télétravail).

Un effort de conceptualisation des pratiques professionnelles

 

« Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie »[10]. Le service, cela s’organise, cela se « markette » et cela s’apprend. L’autonomie nécessaire des œuvrants dans la relation de service, cela s’équipe. Pour cela, un corpus doit affirmer et expliciter de manière compréhensible sur un mode d’évidence aux yeux de tous (clients et prestataires) la valeur ajoutée, la nature, la spécificité et les conditions de la pertinence des apports des SET, c’est-à-dire des apports d’environnements de travail hospitaliers et aménitaires à la performance des bâtis et du travail.

La filière des SET n’est pas aujourd’hui équipée d’une doctrine professionnelle suffisante. Le fait que les mots pour nommer soient des emprunts dit bien cette lacune. Les SET subissent la conséquence négative de cette incapacité à simplement dire ce qu’ils sont, leurs périmètres, leur  promesse commune de valeur ajoutée. Ils sont réduits à un ensemble de commodités « externalisées à demeure » dont la gestion ne peut poursuivre qu’une qualité ; la réduction maximale des coûts[11].

Une doctrine est un ensemble de savoirs professionnels et de règles communes à une profession ou une filière. Pour être structurante, la doctrine professionnelle doit s’exprimer dans un corpus explicite de savoirs professionnels (il faut être capable de les écrire), transmissibles (de les enseigner) et référents (de les imposer) pour les acteurs de la filière comme aux tiers.

Ce corpus doit permettre de cerner le périmètre de la filière, sa réalité économique et humaine. Il doit formuler, dire, expliciter le mieux possible la promesse de valeur et les manières de la monétiser. Il doit aider à la reconnaissance. Il doit légitimer la place sociale des opérateurs et des professionnels. Une doctrine enfin décrit les conditions de la performance promise par la règle, les organisations et les instruments de gestion. Elle indique les compétences spécifiques nées de ses pratiques et nécessaires à ses professionnels. Elle contribue à la performance en permettant d’en réunir les conditions.  Il n’est pas question ici d’abstraction, mais d’effectuation à l’aide de savoirs opérationnels fondés.

 

 

[1] CF notre étude « La filière des services aux environnements de travail », CRDIA, ARSEG, SYPEMI, sur les chiffres opérés par Hent Consulting, publiée le 16 mars 2022 dans les Cahiers du CRDIA, https://crdia.org/les-cahiers-du-crdia/la-filiere-des-services-aux-environnements-de-travail/

[2] Cela intègre au passage l’usage de termes anglo-saxons, non traduits, en hommage à la domination culturelle de ces cultures au 20ème siècle.

[3] Les entreprises pratiquant ces organisations de l’offre sont notamment regroupées dans une organisation professionnelle, le SYPEMI (un des syndicats de la FEDENE).

[4] Pour un plaidoyer intéressant à proximité des enjeux liés aux environnements de travail, Meyronin B., Vers un management par le Care, Office et Culture n° 59, PP 56-59

[5] CF par exemple le slogan en tête du site commercial de Vinci Facilities https://www.vinci-facilities.com/ consulté le 03/06/2022.

[6]« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » (Albert Camus).  On a ici affaire à des mots valises ; on y met ce qu’on veut. Ils participent d’une langue politique qu’en termes courants on appelle « de langue de bois ».  Elle est naturellement présente dans les entreprises, des mots et des formules qui cherchent l’action sans compréhension ni explication.

[7] CF Théorie de la firme de Coase et Wiliamson.

[8] Etude CRDIA, ARSEG, SYPEMI avec  Hent déjà citée.

[9] BARON X (2022)., Vers un modèle d’affaires soutenable pour les Services aux Environnements de Travail, publié en 4 articles à partir de juin 2022 dans les Cahiers du CRDIA. https://crdia.org/les-cahiers-du-crdia/cahier-18-document-1/

BARON X., CUGIER N. (2016), Des services généraux aux aménités des environnements de travail, L’Expansion, pages Management Review Solutions, n° 811, Février, pp105 – 110. 

BARON X. (2016), Réduire les coûts n’est pas gagner en productivité, Revue Personnel, n°570 juin, pp64-65.

BARON X. (2020), Quand les usages s’invitent dans le management des environnements de travail, Work Place Magazine, N° 293, novembre pp 64-68.

BARON X. (2017), Les FMers doivent devenir des experts des conditions de la performance du travail des salariés de leurs clients, numéro spécial FM de Work Place Magazine, novembre 2017, pp44-47.

BARON X. (2021), Propreté à l’usage, comment enrichir l’impact utile du travail ? Work Place Magazine, supplément Facility Management, septembre octobre 2021, pp 54-57.

KERBOURC’H J. Y., BARON X., « La sous-traitance de services support aux entreprises », La Semaine Juridique, Entreprises et Affaires n° 26, 1er juillet 2021, pp 43-53

BARON X., OTTMAN J.Y., GEORGHIU M. (2020), « Quand les formes de contrôle contredisent les conditions de l’autonomie dans les services. Le cas d’un prestataire de maintenance multiservice des entreprises (facility management) », Revue RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise 2020/2 n° 39.

[10] Aphorisme célèbre de Kurt Lewin (psychologue).

[11] CF. le Livre Blanc SYPEMI : « Le FM à la croisée des chemins », Janvier 2016.