Le FM doit sortir d’une logique historique de prédation !

Nicolas CUGIER
Directeur des services généraux du groupe THALES

À la tête des services généraux du groupe THALES depuis plus de dix ans, Nicolas CUGIER a instauré de nouvelles relations avec ses prestataires, et notamment avec les entreprises de propreté. Le plan Copernic 2, mis en œuvre en 2017, veut redonner leur place et leur visibilité aux entreprises sous-traitantes du Fmeur. Ou comment valoriser l’expertise des œuvrant, quitte à bousculer quelques rentes de situation…

RENCONTRE :

Que représente le FM pour le groupe THALES ?

Le groupe a une empreinte immobilière avoisinant les 2,8 millions de mètres carrés, soit 115 sites dans le monde, 85 sites en Europe, dont 50 en France de plus de 2000 m2 qui représentent 1,3 millions de mètres carrés et quelque 42 000 occupants (dont 35 000 salariés). À l’exception du site de Vélizy Hélios qui regroupe exclusivement des activités tertiaires, nos implantations accueillent à la fois des activités tertiaires, production et R&D et de production. Le marché global pour notre prestataire de FM en France, VINCI Facilities, est de l’ordre de 90 millions d’euros par an. La propreté constitue un des principaux postes sous-traité. L’effectif global déployé par notre partenaire est de quelque 600 personnes dont la moitié est salariée chez leurs partenaires.

Retrouvez l’article original paru dans la revue : BÂTIMENT ENTRETIEN – MARS / AVRIL 2019

Comment définiriez-vous la situation du FM en général et au sein d’un grand groupe comme Thales en particulier?

Au risque d’être un peu caricatural, je dirais que nous sommes dans une impasse systémique, dans une spirale mortifère, dans une recherche sans fin du « toujours moins » ! Toujours moins de prix et toujours moins de prestations, la qualité étant la seule variable d’ajustement. En tant que donneur d’ ordres, nous devons assumer la valeur immatérielle du service, notamment dans le domaine de la propreté en nous disant clairement: combien sommes-nous prêts à mettre sur la table pour la propreté attendue et, en face, de combien l’entreprise prestataire a besoin pour assurer ce service ? C’est un constat qui n’est pas propre à THALES bien entendu…

C’est aussi un constat général dans toute relation commerciale. En quoi casse-t-il la spirale mortifère que vous évoquiez ?

Deux illustrations très simples. Si le cahier des charges prévoit que la femme de ménage passe tous les jours à 9 heures et que ce jour-là, à 9 h 15, un collaborateur renverse sa tasse de café sur la moquette, doit-on attendre 24 heures pour la nettoyer ? « Les cahiers des charges interdisent de faire ce qui n’est pas obligatoire ! »
Dans un autre registre, combien vaut le sourire d’une hôtesse dont la prestation est achetée 18 €/ heure ? Nous exprimons toujours, et uniquement, la valeur de nos contrats par le coût de main-d’œuvre et jamais par l’utilité du service apporté. Les cahiers des charges, tels qu’ils sont rédigés aujourd’hui, interdisent finalement aux prestataires de faire ce qui n’est pas obligatoire quand ils ne sont pas une machine à fabriquer des prestations hors forfaits ! C’est une des limites que nous avons voulu lever en mettant en œuvre le plan Copernic 2, suite aux constats effectués les cinq dernières années, destiné à co-construire l’entretien et la maintenance de nos bâtiments avec notre prestataire retenu — VINCI Facilities — mais également avec ses sous-traitants.

Quelles sont les autres limites que vous avez pu identifier?

Un autre frein important est le pilotage par les indicateurs. Un indicateur ne représente jamais le réel. Il ne fait que rassurer au travers de métriques souvent fausses et artificielles qui créent de la confusion alors que l’œuvrant a besoin de bien comprendre l’utilité et la performance de son travail. Ce sont souvent des « indicateurs pastèque » : vert dehors et rouge dedans !

« Nous avons demandé des offres sur 5, 7 et 9 ans dans notre consultation. »

Où en êtes-vous aujourd’hui ? Avez-vous pu lever ces freins ?

La démarche est longue et complexe. Nous avons lancé une consultation en 2017 et sommes engagés désormais sur Copernic 2 qui doit s’appuyer sur cette nouvelle approche du FM mais ce n’est pas gagné, nous l’avons vu au cours de l’appel d’offres en expliquant la démarche aux quatre entreprises en lice. Notre objectif était clair : s’appuyer sur leur expertise pour faire une offre globale forfaitisée, prenant en compte le savoir-faire de chacun de leurs sous-traitants qu’ils devront associer. De notre côté, pour pérenniser cette nouvelle approche, nous avons demandé des offres sur 5, 7 et 9 ans.
Il ne s’agissait donc pas pour le candidat d’aligner des types de prestations avec des tarifs en face. Pour la propreté par exemple, qui représente un poste important, nous ne souhaitons pas acheter un fréquentiel mais un service, le prestataire étant garant du résultat. Il ne s’agit pas de calculer le nombre de mètres carrés, de cendriers ou de corbeilles à vider, mais de connaître, pour chaque, I’ environnement de travail et les attentes des résidents et de mettre en place du nettoyage à l’usage.
L’attente était la même pour la petite maintenance, nous voulions un interlocuteur capable de forfaitiser la majeure partie de ses prestations. Nous souhaitions en finir avec la multiplication de devis de maintenance ou de plomberie à 500 euros !

Quelle a été la réponse des prestataires ?

Plusieurs d’entre eux ont jeté l’éponge en nous disant « on ne sait pas faire ». Trois groupes ont finalement été jusqu’au bout du processus mais sans apporter une réponse couvrant la totalité de l’ambition initiale. Nous avons travaillé pendant six mois pour construire une offre commune avec leurs sous-traitants en organisant avec eux des ateliers. Nous attendions d’eux des innovations. Nous en avons obtenu sur le volet digital, beaucoup moins sur les autres volets comme les contrats et les gouvernances. La principale difficulté pour eux est de sortir d’une logique historique de prédateur et de perdre une forme de rente en associant tous les œuvrants y compris ceux de leurs sous-traitants. Copernic 2 ne leur a pas laissé le choix et nous pouvons mesurer aujourd’hui l’évolution des pratiques.

Vous avez finalement sélectionné à nouveau VINCI Facilites. Avez-vous réussi à mettre en place cette démarche ? Quels sont les prestataires de propreté retenus par votre Fmeur ?


Si la marque VINCI Facilties a été reconduite, c’est un tout autre contrat qui a été mis en œuvre, on passe d’un véhicule à boîte de vitesse manuelle à un véhicule avec boîte automatique, première révolution. Près d’un an après la mise en place de ce marché, les résultats sont en cours d’évaluation.
Cette nouvelle approche fonctionne très bien sur le multi technique, moins sur le multiservice car difficile à mettre en œuvre sur le nettoyage. Sur l’ensemble des sites, deux groupes ont été retenus : GSF et Isor. Une nouvelle organisation de la propreté a été mise en place. Le pilotage n’est plus réalisé en central mais au travers de huit clusters régionaux qui privilégient la logique géographique et locale au niveau des 60 sites. La deuxième révolution a été de faire inventer de nouveaux métiers, et notamment celui d’Hospitality Manager. On cesse d’empiler les expertises et on commence à avoir des personnels en capacité de répondre aux occupants en intégrant des services différents.

Comment définissez-vous cette nouvelle fonction ?

Pour résumer, je dirais qu’il s’agit pour le prestataire de comprendre l’activité du site, de se faire connaître auprès des résidents et de se poser la question des conditions de la performance des occupants mais aussi des œuvrants. Si la fonction est majeure, le recrutement et la fidélisation sont difficiles car il faut aussi apprendre à transmettre cette capacité managériale aux entreprises de propreté. Il faut que les acteurs du FM comprennent que d’un côté il n’y a pas les fonctions nobles, en multi technique notamment et, d’un autre côté, les soutiers qui font le ménage ! Un système d’œuvrants au service de cerveaux par l’intermédiaire de « serveurs» n’a aucun avenir, seul un système mettant la coopération comme condition préalable de la performance est pérenne.

La qualité de vie au travail (QVT) est pourtant très souvent au centre des préoccupations…

Oui, bien sûr. S’il est important de s’occuper du confort de travail des résidents, le rôle des gestionnaires de sites est également d’offrir les meilleures conditions de travail et de production aux œuvrants. Il est important de savoir si l’agent dispose des bons outils pour faire correctement son travail.

Le groupe THALES

Spécialisé dans l’aéronautique, la défense, la sécurité et le transport, le groupe THALES est un des leaders mondiaux du secteur et a réalisé quelque 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017. Présent dans 56 pays, THALES emploie plus de 65000 salariés. La direction des services généraux a été créée en 2010 après la vente à Vinci de sa filiale Faceo qui assurait le FM pour l’ensemble des sites du groupe et faisait travailler 3000 personnes. Faceo avait été créée au début des années quatre-vingtdix pour assurer le FM de l’ensemble des sites cédés pour financer des acquisitions importantes.

Parcours

Nicolas CUGIER, directeur des services généraux du groupe THALES

Nicolas Cugier, 55 ans, marié, quatre enfants, de formation initiale en finance et gestion, a débuté sa carrière dans l’informatique technique et scientifique au profit du CERN et du CEA. Il a ensuite assuré la commercialisation d’un système d’informations aéroportuaire pendant huit ans avant de rejoindre le groupe THALES dans lequel il évolue depuis plus de vingt ans. Après avoir exercé les fonctions de directeur commercial, notamment chez THALES Identification, puis de directeur de marché sécurité publique, il occupe depuis plus de huit ans le poste de directeur des services généraux. Nicolas Cugier est également président des conseillers du commerce extérieur de la France pour les Yvelines, cofondateur du CRDIA (Consortium de recherche et de développement de l’Isle-Adam) et membre du comité directeur de l’Arseg.

J’aime…

  • les chiffres, la moto, le rugby, la couleur bleue

Je n’aime pas…

  • les certitudes, l’imposture, les figures imposées, les Gafa

BÂTIMENT ENTRETIEN – MARS / AVRIL 2019