Télétravailler à son domicile ou travailler à son bureau :
quel travail demain ?
On sait combien en cette période post pandémie, sont nombreuses les dimensions qui se croisent autour du travail actuel telles qu’elles sont vues et vécues par les actifs qui travaillent dans des bureaux. On sait également combien en son centre se trouve la question du bien-être qui, articulée avec une hybridation du travail, combine d’un côté divers aspects des agencements des lieux et temps de travail et de l’autre divers aspects de la qualité des aménagements et des équipements qui incluent les questions environnementales. Mais qu’en est-il de l’avenir proche en ce qui concerne l’organisation des lieux et temps de travail ? Quel avenir à partir de l’existant entre le souhaitable et le probable dans les prochaines années tel qu’exprimé par les actifs au travail à cette époque ?
Pour tenter d’apporter une réponse à cette question, à un moment où s’annonce une accélération dans les évolutions du régime de travail dominant avec la diffusion d’une hybridation du travail qui a toutes les chances de devenir la norme en matière de travail et avec l’émergence d’une semaine de 4 jours de travail, nous disposons avec l’enquête Actineo de 2023 d’éléments particulièrement intéressants[1]. Ils permettent en effet d’avoir une vision d’un futur du travail suivant deux pistes. La première qui est celle aujourd’hui dominante, concerne l’allure que pourra prendre le travail hybride au cours des sept jours de la semaine pris comme un tout, sans modification dans le cadre actuel des normes de travail. La seconde porte sur une exploration de ce que nos actifs jugent souhaitable dans les évolutions des pratiques et agencements des conditions de travail, ces évolutions étant susceptibles d’exercer des pressions plus ou moins fortes sur ces normes. Enfin, pour affiner encore plus ce futur possible, nous avons mis au regard de ces souhaits des visions de ce qui est perçu comme des probabilités de mise en œuvre, ces probabilités renvoyant bien évidemment autant à des évolutions globales de notre société qu’à des rapports de force au sein des rapports sociaux dans les entreprises et dans la société.
Les lieux de travail dominants en début 2023
Quand on regarde les choses globalement, on constate qu’à raison de 66 %, les bureaux restent les principaux lieux de travail (60 % tous les jours), loin devant le travail à domicile avec 6 % (7 % tous les jours), et le travail « plus souvent dans un tiers lieu » qui ne représenterait que 03 %. Le travail dans des lieux multiples – dont bien évidemment l’immeuble de bureau où on est affecté et son domicile, mais aussi dans un autre établissement de son employeur, les locaux d’un client et un grand nombre d’autres lieux légitimes de travail -, pouvant être qualifié de nomadisme, concernerait 32 % de nos actifs.
Un problème avec cette vision très globale est qu’elle ne permet pas de disposer d’une vision convenable de ce que sont les espaces de travail, avec la diversité des lieux fréquentés et surtout avec l’importance de leur fréquentation. Or c’est cette information qui est essentielle pour mieux évaluer les conditions de travail. Afin de disposer de cette vision, nous avons repris la liste des seize lieux de travail que nous avions pu identifier au cours de nos enquêtes antérieures et nous les avons croisés avec leur fréquence d’usage. Nous avons ensuite classé ces résultats suivant une fréquence d’usage décroissante.
Le premier résultat qui ressort de ce croisement confirme qu’au sein de la très grande variété d’espaces de travail existants, émerge un noyau dur très restreint. Il est agencé autour de l’immeuble de bureau où l’actif est affecté qui, associé au domicile, joue un rôle central. Par ailleurs, dans cet immeuble, on voit une nette présence des lieux de travail autres que le poste de travail dédié à chacun[2] .
Ressort ensuite une confirmation de l’importance qu’ont d’autres établissements de l’employeur comme lieu de travail. Ce résultat est à rapprocher de la très faible fréquentation des immeubles de bureau où l’employeur loue des espaces de coworking.
A partir de cet ensemble de quatre lieux, on peut noter une nébuleuse de six autres lieux parmi lesquels figure en tête les locaux des clients, ce qui confirme la pratique fréquente qui consiste à héberger des prestataires de services dans ses locaux. L’intéressant est que la totalité des autres lieux de travail se rapporte au nomadisme – les cafés et restaurants, les transports en commun, les terrasses et autres jardins publics ainsi que les hôtels -, ce qui confirme que ces autres lieux sont bien constitutifs à la morphologie des espaces existants.
La morphologie des espaces de travail au printemps 2023
Lieux de travail | Tous les jours ou presque | Plusieurs fois par semaine | Plusieurs fois par mois | Au moins une fois par mois | Moins souvent | Jamais |
Son bureau | 60 % | 27 % | 6 % | 7 % | 00 % | 00 % |
Son domicile | 7 % | 19 % | 11 % | 6 % | 13 % | 45 % |
Dans son immeuble de bureau mais ailleurs qu’à son poste de travail | 9 % | 9 % | 11 % | 8 % | 16 % | 47% |
Dans un autre établissement de son employeur | 1 % | 3 % | 6 % | 5 % | 18 % | 66 % |
Les locaux d’un client | 2 % | 4 % | 3 % | 5 % | 12 % | 74 % |
Dans un café ou un restaurant | 1 % | 2 % | 4 % | 4 % | 13 % | 75 % |
Dans un transport en commun | 4 % | 3 % | 3 % | 3 % | 11 % | 76 % |
En extérieur, sur une terrasse ou dans un parc public | 1% | 2 % | 4 % | 5 % | 11 % | 77 % |
Dans un hôtel | 0 % | 1 % | 3 % | 3 % | 15 % | 78 % |
Dans un espace voyageur | 1 % | 1 % | 4 % | 2 % | 12 % | 80 % |
Dans une bibliothèque publique | 1 % | 1 % | 1 % | 2 % | 7 % | 88 % |
Dans une location saisonnière | 0 % | 1 % | 1 % | 2 % | 8 % | 88 % |
Un espace de coworking accueillant ponctuellement | 0 % | 1 % | 2 % | 2 % | 5 % | 89 % |
Dans une résidence secondaire | 0 % | 1 % | 1 % | 2 % | 7 % | 89 % |
Des bureaux dans un espace de coworking loué par son employeur | 1 % | 1 % | 1 % | 1 % | 4 % | 92 % |
Dans un Fab Lab | 0 % | 1 % | 1 % | 2 % | 3 % | 93 % |
Autre | ns | ns | ns | ns | ns | 98 % |
Restent les six autres lieux qui, tout en étant présents dans la constitution des espaces de travail, y sont marginaux puisque à raison d’au moins 88 % ils ne sont jamais des lieux de travail. L’intéressant est que dans cet ensemble, à part les bibliothèques publiques, on trouve ces lieux qui sont présentés comme la pointe avancée des nouveaux le lieux de travail que sont les immeubles dédiés à des espaces de coworking ou à des Fab Lab, mais aussi, avec autant d’usages, les locations saisonnières et les résidences secondaires. Cela confirme l’existence de cette forme d’extension des espaces de travail en relation avec le télétravail : travailler ailleurs pour plus de bien-être.
L’idéal des lieux de travail au cours d’une semaine de travail type au-delà de la répartition actuelle
Compte tenu de l’importance que joue en matière de qualité de la vie la possibilité de construire à sa guise son espace de travail, on a approfondi les analyses dominantes en précisant la répartition des lieux de travail en fonction des jours de la semaine. Nous les avons appréhendés tels qu’ils ont été pratiqués en 2023 pour une semaine type, et tels qu’ils sont souhaités dans l’idéal par les actifs qui travaillent dans des bureaux. Pour cela, on a retenu quatre situations possibles, – ne travaille pas, travaille au bureau, travaille à son domicile ou dans des lieux autres -, ce qui permet de préciser, jour par jour, la morphologie hebdomadaire dominante des lieux de travail et sa déformation potentielle en relation avec les déplacements souhaités dans l’idéal par les actifs concernés. Par ce biais, il est possible de bien cerner des nouvelles zones de tensions qui, dans les prochaines années, ont toutes les chances d’intervenir entre les employeurs et leurs salariés, et en conséquence ce qui a des chances d’être au centre de négociations entre partenaires sociaux sur l’organisation du travail.
Les lieux de travail dans une semaine type :
en 2023 et dans l’idéal en fonction des jours de la semaine
Jour de la semaine | Au bureau | Au domicile | Dans un autre lieu | Ne travaille pas ce jour | ||||
Actuel | Idéal | Actuel | Idéal | Actuel | Idéal | Actuel | Idéal | |
lundi | 81 % | 65 % | 11 % | 27 % | 03 % | 03 % | 04 % | 05 % |
mardi | 86 % | 74 % | 07 % | 18 % | 04 % | 05 % | 02 % | 03 % |
mercredi | 75 % | 58 % | 14 % | 30 % | 04 % | 05 % | 07 % | 07 % |
jeudi | 82 % | 70 % | 10 % | 21 % | 05 % | 05 % | 03 % | 03 % |
vendredi | 79 % | 55 % | 15 % | 37% | 03 % | 04 % | 03 % | 04 % |
Samedi | 13 % | 09 % | 04 % | 09 % | 02 % | 02 % | 81% | 80 % |
Dimanche | 04 % | 04 % | 03 % | 05 % | 01 % | 01 % | 92 % | 90 % |
La morphologie de la semaine de télétravail au printemps 2023
En début d’année 2023, le nombre de jours moyen de travail à distance était de 2j/semaine, ce qui vient confirmer les observations faites sur les préférences françaises tant à partir des enquêtes d’Actineo de 2021 que de la lecture de nombreux accords d’entreprise. Pour nos salariés français et leurs employeurs, trois jours de travail dans son immeuble de bureau reste le compromis de référence car il limite le bouleversement des normes de travail dominantes[3].
Dans ce cadre, si on s’intéresse en premier à la question de savoir quels jours nos actifs travaillent dans la semaine, on constate que les fins de semaine avec le samedi (81%) et surtout le dimanche (92%), restent massivement des jours de non-travail, ce qui montre que dans notre société laïque, la grande tradition du repos dominical, le jour du Seigneur, perdure. Cette lecture est confortée par le fait que si quelque 13 % de nos actifs travaillent au bureau le samedi, 04 % y travaillent le dimanche [4]. Enfin, parmi les cinq autres jours de la semaine, seul le mercredi est un jour de non-travail significatif à raison de 07 %. Les autres jours de non-travail sont au plus le lundi avec 04 %, et au moins le mardi avec 02 %. Ce constat vient conforter la vision du mercredi « jour des enfants ».
Si on s’intéresse maintenant aux lieux de travail, on peut constater que quels que soient les jours autres que le dimanche, le bureau est de très loin le premier lieu de travail. Pour le reste, le domicile est le lieu privilégié de travail. Il l’emporte sur l’ensemble des lieux « autres » (tous les autres lieux légitimes de travail dont les lieux tiers que sont comme on l’a vu, les espaces de coworking, mais aussi, les hôtels, les cafés, etc.). Ce constat confirme que contrairement à ce qu’on pouvait penser dans un premier temps, la référence à prendre est le télétravail conçu de façon binaire comme une rencontre entre deux lieux (le bureau dans son immeuble de bureau de référence et le domicile), et non une perspective beaucoup plus large ayant rapport avec le nomadisme.
Si on s’intéresse maintenant à la façon dont se distribue le travail entre les lieux précités et les jours de la semaine, on peut constater que pour tous les jours de la semaine autres que ceux de fin de semaine, nos actifs travaillent au bureau avec de faibles écarts d’un jour à l’autre. Toutefois, la présence la plus forte (86%) est le mardi, tandis que contrairement à ce qu’on aurait pu penser, la plus faible (75 %) est le mercredi et non le vendredi ; 79 %. On peut constater en parallèle que le travail au domicile est privilégié le vendredi (15%) et le moins pratiqué le mardi (07%), le mercredi venant en deuxième rang, juste après le vendredi, avec 14 %. Enfin, en ce qui concerne les autres lieux, on peut constater qu’au cours des cinq jours de travail de référence, c’est le jeudi qu’ils sont les plus utilisés (05%), les lundi et vendredi l’étant le moins (03 %).
Une lecture transversale des lieux de travail apporte des enseignements intéressants sur les allures respectives des jours de la semaine. Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, c’est bien le vendredi qu’on constate le plus fort glissement du travail au bureau vers le domicile, ce qui confirme l’idée que le télétravail relève en partie du « weekend élargi », ce que les managers de premier niveau (les n+1), apprécient peu. Cependant, si la moins forte présence au bureau le mercredi correspond elle aussi à un glissement en faveur d’un télétravail à domicile (c’est le jour de la semaine où l’immeuble de bureau est le plus délaissé en raison de l’importance du non-travail ce jour). Faute d’indications sur les comportements respectifs des hommes et des femmes, on peut légitimement penser qu’on a là un usage du télétravail qui s’inscrit dans la gestion précédemment qualifiée du « jour des enfants ». Et si on ajoute que le troisième jour de déplacement du bureau vers le domicile est le lundi, on trouve là un complément de ce qu’on a appelé l’effet « fin de semaine » du vendredi. Enfin, si on revient aux deux jours de fin de semaine, le constat du fait que le samedi reste un jour non négligeable de non-travail (81%) ne s’accompagne pas d’un déplacement massif du bureau au profit du domicile et des autres lieux. Il n’en va pas de même le dimanche où le non-travail se fait majoritairement au détriment de ce dernier (04%).
Au regard de l’ensemble de ces résultats, il semble légitime de considérer que le télétravail, tel qu’il est actuellement mis en œuvre en France à la suite de la pandémie du Covid, du moins pour les actifs qui à des degrés divers travaillent dans des bureaux, s’inscrit plus dans un approfondissement de la logique sociétale française que dans une rupture[5] .
La morphologie de l’espace de télétravail hebdomadaire idéal.
Dans l’idéal, le nombre de jours moyen de travail exprimé est de 2,5 j/semaine, soit un déplacement d’une demi-journée. Un tel déplacement peut donner l’impression d’être limité mais, dans la réalité, il peut changer beaucoup de choses s’il signifie un déplacement de la norme de référence vers un mix comportant nettement plus de trois jours de télétravail avec pour effet, comme on l’a dit, de déplacer le lieu principal de travail de son immeuble de bureau vers son domicile avec toutes les conséquences que l’on connaît.
Par comparaison, en prenant « l’idéal » en considération, on trouve globalement pour les cinq jours de travail hors fin de semaine une réduction du travail au bureau avec un net déplacement au profit d’un accroissement du travail à son domicile associé à un faible effet sur le travail en d’autres lieux et sur le non-travail : il n’y a pas d’attente significativement forte en faveur d’un non-travail ou d’un travail dans un autre lieu. Cependant, même si globalement on assiste à un rééquilibrage souhaité des lieux de travail au profit du domicile, – ce qui signifie que ce dernier devrait prendre à tout point de vue une importance accrue aussi bien comme lieu de travail et de vie avec ses équipements, que comme lieu de socialisation-, on a peu de chance d’assister à une demande révolutionnaire, le bureau bien qu’affaibli restant toujours le principal lieux de travail y compris le vendredi qui reste le jour d’usage le plus faible (55%).
D’une certaine façon, le plus important est constitué par les évolutions relatives dans la fréquentation des lieux de travail d’un jour à l’autre de la semaine. Ces mouvements se feraient suivant un ordre structurellement changé, mais avec des pressions observées plus ou moins fortes sur la base d’un possible doublement du travail à domicile pour chacun des cinq jours de travail de la semaine :
- le vendredi, on assiste à une plus nette accentuation de la pression du travail à son domicile (37 % vs 15%) au détriment du travail au bureau (55 % vs 79 %), ce qui vient renforcer l’hypothèse selon laquelle les organisations productives seront confrontées à des négociations serrées autour d’une hybridation nettement accentuée ce jour. En effet, il ne faut pas oublier que les managers, tout particulièrement de premier niveau, y voient une extension dissimulée d’un week-end de trois jours ;
- on peut également constater une augmentation de la pression le mercredi avec un passage pour le travail à domicile de 14 % à 30 % et, à l’inverse, un travail au bureau ramené de 75% à 58 %, sans qu’on ait une réduction du non-travail salarié. Ce constat vient renforcer l’hypothèse selon laquelle le travail hybride du mercredi est destiné à gagner de la souplesse dans la gestion du jour des enfants, d’où à nouveau une réticence des managers de premier niveau à son égard ;
- le lundi garde son troisième rang avec un déplacement équivalent en proportion à celui du vendredi, soit pour le travail à domicile un passage de 11 % à 27 % et pour le travail au bureau de 81 % à 65 %. On voit pointer ici une hypothèse encore plus intéressante pour la méditation des managers : celle d’une semaine de travail de quatre jours avec un vendredi non travaillé et deux jours de télétravail les lundi et mercredi ;
- on retrouve le jeudi en quatrième rang avec une attente d’un passage à un travail à domicile de 10% à 21 % associé à une réduction plus limitée du travail au bureau de 82 % à 70 %. Celui-ci resterait donc « un jour du bureau » ;
- le mardi ferme toujours la marche avec une augmentation du travail à domicile de 07 % à 18 % et une réduction du travail au bureau de 86 % à 74 %. Les mardi et jeudi deviendraient donc ces fameux jours privilégiant les convivialités, les rencontres informelles et surtout, la consolidation d’équipe grâce à la vertu annoncée du présentiel au bureau.
Restent les deux jours de fin de semaine. Le samedi, le souhait n’est pas de moins travailler, à la limite plutôt plus avec 80 % vs 81 %. Par contre, on constate à nouveau un souhait de réduire le travail au bureau (09 % vs 13%), au profit d’une augmentation du travail au domicile (09 % vs 04%) sans qu’il y ait de souhait de changement pour le travail dans un autre lieu, ces derniers restant totalement marginaux (02%). On constate un mouvement équivalent le dimanche avec plutôt plus de travail, (90 % souhaitent ne pas travailler alors que 92 % ne travaillent pas ce jour-là), associé à un petit déplacement au profit du télétravail à domicile : 05 % vs 03%. On ne peut donc pas dire qu’il y a de la pression pour remettre en cause la semaine de cinq jours.
Les évolutions les plus souhaitables dans des 10 années à venir.
Pour avoir une idée plus complète de la perception par nos actifs travaillant dans des bureaux de ce que serait pour eux un avenir souhaitable, on leur a proposé 10 domaines d’évolutions possibles de diverses natures intéressant toutes le travail, et nous leur avons demandé d’indiquer dans quelle mesure chacune de ces évolutions leur paraissait souhaitable. On a classé en suite les réponses suivant une fréquence décroissante, ordonnées en trois catégories d’évolutions plus ou moins disruptives.
Les évolutions les plus souhaitables
Évolutions les plus souhaitables dans les 10 prochaines années | Souhaitable |
En prolongement : Bien-être, Écologie et Confort
| 84 % 76 % 70 % |
Avec une inflexion : L’organisation des temps et lieux de travail
| 68 % 66 % |
Dans une perspective disruptive : La place des bureaux et des humains
| 55 % 45 % 32 % 25 % 13 % |
Il est significatif que les trois dimensions citées comme étant les plus souhaitables relèvent de l’action des entreprises orientées vers le bien-être et l’écologie en ce qui concerne les aménagements des lieux de travail, et le confort en ce qui concerne le domicile. Nos actifs montrent ainsi, avec force, la pérennité de leurs attentes vis-à-vis de leurs employeurs, leur indiquant très nettement leurs priorités tout en ayant l’avantage de s’inscrire dans le prolongement des trajectoires actuelles. Il n’y aura donc pas de surprise pour eux.
Viennent ensuite, avec une semaine de travail de 4 jours et 32 heures ainsi qu’une liberté de travailler depuis le l’endroit de leur choix, deux dimensions qui s’inscrivent en complément des précédentes, mais qui cette fois-ci correspondent à une quête de liberté accrue comme base de bien-être. Un problème pour les entreprises est que pour advenir, elles supposent de solides inflexions par rapport aux trajectoires actuelles
Viennent enfin cinq dimensions qui tout en étant très variées ont comme caractéristique commune d’être jugées nettement moins souhaitables et de s’inscrire dans des perspectives de rupture par rapport au présent.
On y trouve en premier lieu, la possibilité pour les salariés d’organiser leur semaine de travail comme ils le souhaitent sur les sept jours de la semaine, ce qui correspondrait à une déstructuration complète des normes séculaires qui, avec les week end, régissent notre fonctionnement hebdomadaire et dont a vu la prégnance avec les perspectives de télétravail.
On trouve ensuite, encore moins souhaitée, une dimension qui concerne les espaces de travail dans les immeubles de bureau, avec la perspective de voir la fin des bureaux fermés au profit d’une généralisation des open space, même « modulables et collaboratifs centrés sur le bien-être et l’intelligence collective ». On a là une confirmation de la résistance à ces open space et le doute exprimé de les voir radicalement améliorés.
On entre enfin dans la vision du pire : celle de voir la fin du travail hybride avec un « retour au bureau en 100 % présentiel et le télétravail une exception », ainsi que celle de voir disparaître tout travail dans son immeuble de bureau, la plupart de nos actifs travaillant chez eux ou dans des espaces de coworking. On voit bien que ces perspectives sont perçues comme des régressions si elles étaient mises en œuvre, ce qui confirme, si c’est nécessaire, que le travail hybride est devenu plus que jamais la norme pour le travail dans les bureaux.
Reste, sur un plan totalement différent, un refus total de voir disparaître le travail humain par le biais des robots ou de l’intelligence artificielle qui viendraient le remplacer.
Les évolutions les plus souhaitables par catégorie d’actifs
Compte tenu de notre hypothèse que dans l’avenir on aura un renforcement du paradigme de la diversité avec plutôt un affaiblissement des normes, on a repris ici à titre exploratoire, quatre dimensions qui concernent de façon privilégiée les lieux et régimes de travail en lien avec le bien-être, pour voir dans quelle mesure il existerait pour chacune d’elles des écarts plus ou moins importants par rapport à la moyenne en fonction des caractéristiques de nos actifs. Nous avons suivi pour cela l’ordre de souhait décroissant et retenu dans chaque cas, les quatre écarts à la moyenne les plus significatifs.
L’intéressant de cet exercice est qu’au-delà des différences qu’on peut observer sur chacune de ces quatre dimensions, on voit que les évolutions les plus souhaitables se trouvent du côté des femmes et des jeunes avec comme corollaire les employés et la fonction publique, tandis qu’à l’inverse, les hommes, les plus âgés, les managers et les salariés du privé sont plus en retrait vis-à-vis de ces évolutions souhaitables. Une hypothèse serait que ces écarts d’attentes en matière de changements souhaités seraient dus à des écarts de satisfaction par rapport à l’existant de sorte que la motricité vis-à-vis d’un autre avenir ne serait pas tout à fait là où on aurait tendance à l’attendre, c’est à dire du côté des jeunes cadre dynamiques du privé.
Les souhaits pour la priorité donnée au bien-être
Par rapport à la moyenne de 84 %, on a des écarts qui sont limités à moins de 10 %, ce qui montre que ces attentes sont fortement généralisées. Toutefois, elles sont plus fortes chez les actifs travaillant dans le secteur public (88%), les femmes (87 %), les CSP intermédiaires et + ainsi que chez les actifs travaillant en régions (85%). Ils s’opposent en cela aux actifs du secteurs privé ou travaillant en Île-de-France (82%), de CSP- (81%) et hommes (80%)
D’une certaine façon on peut penser que les actifs de la fonction publique, femmes, qui sont en province et ont un capital culturel plus élevé, ont comme référence la qualité de leur logement et transfèrent plus que les autres, le même niveau d’attente dans leurs immeubles de bureau.
Les souhaits pour la priorité donnée à la préservation de l’environnement dans l’aménagement des lieux de travail.
Arrivés en deuxième rang avec 76 %, on a également des écarts à la moyenne qui sont limités à moins de 10 %, sachant que parmi les quatre dimensions caractérisant les actifs, seules deux – le genre et le secteur d’activité-, sont communes avec la dimension précédente. Pour cette priorité, les écarts les plus marqués le sont au sein de la catégorie professionnelle et l’âge, sachant que ce sont les actifs dans la pleine force de l’âge productifs, – les 35 – 44 ans-, qui sont les plus demandeurs (80%) avec les femmes, les employés et les actifs du secteur public qui le sont à 75 %. Par opposition, les moins demandeurs sont les managers (70%), les actifs en plein âge productifs mais plus âgés, – 72 % pour 45 – 54 ans-, ainsi que les hommes (73%) et les actifs travaillant dans le secteur privé (75 %). On notera au passage que les plus jeunes et les plus âgés se situent en position intermédiaire avec respectivement 77 % et 76 % et que, lu d’une autre façon, une nette césure s’opère au sein de la classe d’âge centrale : les 35-55 ans.
Au regard de ces tendances, on peut penser qu’on retrouve là, le rôle moteur des jeunes actifs et à nouveau des femmes qui en raison de leur plus forte présence parmi les employés et dans la fonction publique, auraient en ce qui les concerne, un rôle d’entraînement.
Les souhaits pour la priorité donnée à une semaine de travail de quatre jours et de 32h.
Arrivée au quatrième rang avec 68 %, la recherche des écarts à la moyenne souhaitable a conduit à mettre en évidence les quatre facteurs identiques à ceux de la dimension précédente avec des écarts également faibles sauf pour les catégories professionnelles pour lesquelles on constate un fort contraste entre les employés plus favorables (71%) et les managers très défavorables (59%). Ce résultat est certainement le plus significatif de tous.
Chose peu surprenante, on voit que les plus favorables sont les plus jeunes, – 18-34 : 71 % -, les employés et le secteur public (71%) ainsi que les femmes à raison de 70 %. D’une certaine façon, ces résultats sont cohérents car les femmes sont plus nombreuses parmi les employés qui sont également plus nombreux dans les administrations publiques. A l’inverse, les moins favorables sont les plus âgés et les actifs du secteur privé (66%) ainsi que les hommes (64 %) et comme on vient de le voir, les managers, ce qui est également cohérent, les managers étant souvent des hommes, plus âgés et plus présents dans le privé.
On peut légitiment faire l’hypothèse que le plus grand attrait sur les femmes par rapport aux hommes est lié à leurs plus grandes activités autres que celles dans leur emploi ; que le constat d’une plus grande attirance pour les jeunes que pour les plus âgés peut être interprété par le fait que le travail était encore central dans la vie de ces générations ; et qu’une telle réticence chez les managers est due au fait que comme dans le cas du télétravail ils voient dans un tel avenir une source en ce qui les concerne de plus d’ennuis que d’avantages [6]. On peut faire encore plus cette hypothèse pour les managers des trois fonctions publiques instruits par le passage aux 35h avec les jours de RTT associés qui ont été source d’un double effet pervers constitué par une dégradation conjointe de bien-être et d’efficience productive[7].
Les souhaits pour la priorité donnée à la possibilité de travailler depuis l’endroit de son choix.
Pour cette proposition arrivée en cinquième rang avec une moyenne de 66 %, on retrouve à nouveau parmi les quatre caractéristiques des actifs pour lesquels il y a le plus d’écart à la moyenne, le genre, l’âge et la catégorie professionnelle, mais aussi pour la première fois, la taille d’agglomération de la commune de résidence.
Si à nouveau, on voit que les femmes sont plus favorables que les hommes (69 % vs 62%) et que les employés sont également plus favorables que les managers (68 % vs 61%), on peut constater qu’en matière d’âge ce sont les plus jeunes (18-34 et 35 – 44 ans) qui aspirent le plus à la liberté dans le choix de leur lieu de travail (71 %) suivis des 45 -54 ans (66 %) et avec un fort décalage avec les plus âgés : 55 % pour les plus de 55 ans. De même, on peut constater qu’en matière de taille d’agglomération de la commune de résidence on a un souhait qui s’élève régulièrement quand on passe des communes rurales et des unités urbaines de 2000 à 20000 habitants (62% et 63 %) aux unités urbaines de plus de 100000 habitants et à l’Île-de-France (69 % et 71 %), les souhaits s’élevant à 66 % pour les unités urbaines de taille intermédiaire entre 20000 et 100000 habitants.
Pour comprendre ces écarts, on voit bien à nouveau les relations qui peuvent exister entre femme et employé, de même qu’entre homme et âge. Et, pour expliquer le fort décrochage qu’on constate chez les plus âgés et le moindre intérêt des actifs de communes rurales et des petites agglomérations, on pourrait faire l’hypothèse d’un plus grand conservatisme chez ces derniers ou d’une plus grande satisfaction par rapport à l’existant.
Les perspectives d’avenir à 10 ans entre le souhaitable et le probable.
Arrivé à ce stade, il est intéressant pour cerner un peu mieux les perspectives d’avenir selon nos actifs, de confronter leur souhaitable avec ce qu’ils considèrent comme le probable.
Les évolutions les plus souhaitables et les plus probables
Évolutions susceptibles de se produire dans les 10 prochaines années | souhaitable | probable |
En prolongement : Bien-être, Écologie et Confort
| 84 % 76 % 70 % | 53 % 63 % 42 % |
Avec une inflexion : L’organisation des temps et lieux de travail ;
| 68 % 66 % | 45 % 42 % |
Dans une perspective disruptive : La place des bureaux et des humains
| 55 % 45 % 32 % 25 % 13 % | 35 % 43 % 36 % 33 % 35 % |
A cet effet, on a constitué un tableau à double entrée permettant de mettre en évidence quatre quadrants opposant d’un côté le souhaitable/probable au peu souhaitable/peu probable et de l’autre le peu souhaitable/probable au souhaitable/peu probable. En quelque sorte, une vision d’un avenir dans ces 10 prochaines années entre utopie (une société idéale), et dystopie (une société qu’on ne souhaite pas voir arriver et qui risque d’arriver). En fait quand on regarde la répartition entre les quatre quadrants de nos dimensions d’analyse, on ne peut qu’être frappé par un sentiment d’ensemble d’optimisme.
Les évolutions les plus souhaitables et les plus probables
Peu souhaitable/probable | Souhaitable/ probable
|
Peu souhaitable/peu probable
| Souhaitable/ peu probable
|
Le souhaitable/ probable ou l’utopie.
On retrouve dans ce quadrant, qui correspond à la perspective la plus optimiste, deux avenirs jugés les plus souhaitables avec des priorités données au bien-être et à l’environnement. Ce constat montre que nos actifs pensent que leurs aspirations les plus chères – qualité de vie au travail, respect de l’environnement et même réaménagement des rapports vie au travail/vie hors travail -, seront entendues par les employeurs. En fait on voit bien qu’ils s’inscrivent dans la perspective d’une évolution sociétale plus globale qui inclut les entreprises.
Le peu souhaitable/peu probable
On trouve dans ce quadrant une situation en quelque sorte inverse puisque ce qui n’est pas souhaité est estimé comme ayant peu de chance d’arriver, ce qu’on peut également qualifier comme de l’optimisme : on n’a pas trop envie que cela arrive mais il y a peu de chance qu’il en soit ainsi. On trouve dans ce quadrant les trois perspectives qui correspondent à un net retour en arrière par rapport aux avancées de l’hybridation du travail avec soit le retour au bureau, soit au contraire la fin du bureau. Pour eux, il est donc net que l’hybridation restera la norme. Ils ne croient pas non plus à une occurrence de ce qu’ils refusent le plus : la substitution de la machine à l’homme avec les nouvelles générations d’outils informatiques ; robots et intelligence artificielle.
Le peu souhaitable/probable.
On trouve ici une situation de dystopie ; ce qui est le plus inquiétant pour nos actifs en matière d’avenir. Dans ce cas, ils ne se font pas trop d’illusions. Or, ce quadrant est vide, ce qui d’une certaine façon est une troisième forme d’optimisme.
Le souhaitable/ peu probable
Reste ce dernier quadrant qui peut être interprété comme celui d’un certain regret, ou comme une absence d’illusion au regard de la possibilité de voir des attentes satisfaites alors qu’elles sont importantes pour eux. Il est significatif en effet qu’il concerne la participation des employeurs à l’aménagement de leurs postes de travail au domicile, ainsi que la possibilité de voir émerger un compromis autour d’une redéfinition de ce qui est la gestion des lieux et temps de travail sur une base beaucoup plus libre dans le cadre d’une semaine classique de travail.
[1] Au-delà des résultats présentés ici, tous les résultats de l’enquêtes sont présents sur le site d’Actineo : https:// www.actineo.fr
[2] Cela ne signifie nullement une bascule en flex office car dans de nombreux cas, on a une multiplication des lieux légitimes de travail dans les immeubles de bureau associée à des postes de travail dédiés.
[3] On rappellera que la différence majeure se fait entre deux et trois jours de télétravail. En fait, avec deux jours de télétravail, le fait de travailler trois jours par semaine dans son immeuble de bureau a comme conséquence que l’immeuble de bureau reste le lieu principal de socialisation au travail. C’est l’inverse quand le télétravail dépasse les deux jours.
[4] On rappellera qu’en France, le travail du dimanche est encadré par de nombreuses dispositions législatives et qu’un salarié ne peut pas travailler plus de six jours par semaine.
[5] Au regard de ces résultats, l’information apportée par le lettre d’information Anews workwell dans sa livraison du 22 mai 2024 est intéressante dans la mesure où elle donne les résultats d’une étude réalisée aux États-Unis par Flec index sur les jours de présence que les entreprises qui ont opté pour le travail hybride imposent à leur salariés. D’après cette étude, les entreprises laisseraient à leurs salariés une quasi totale liberté le vendredi, seulement 8 % imposant une présence ce jour-là, contre 25 % le lundi, 79 % le mardi, 72 % le mercredi et 64 % le jeudi. La lettre indique également qu’une étude publiée par Nick Blom indique que le vendredi est le jour de la semaine qui est privilégié pour le télétravail. Et, si on comprend bien les données collectées par l’institut Leesman, le vendredi ne retrouverait au bureau que 20 % de sa fréquentation pré-covid.
[6]Un autre aspect, bien connu des professions bénéficiant d’un temps de travail hebdomadaire réduit, est celui d’une deuxième activité avec un objectif d’autant plus louable que des salaires bas demandent souvent « d’arrondir des fins de mois » qui peuvent être difficiles et que ces activités rendent des services qui peuvent être difficiles à trouver par ailleurs. Cette perspective d’une seconde activité avec une semaine de quatre jours et 32h, de plus combinée avec les jours de RTT et les congés payés, s’ouvre d’autant mieux qu’existe le statut d’autoentrepreneur qui permet de faire de façon tout à fait légale du travail complémentaire. S’ouvre ainsi une perspective nouvelle bien connue des Italiens, d’un pluri-emploi suivant des combinaisons possiblement multiples et qui ne demandent pas de passer par du temps partiel ou mieux, par de l’absentéisme basé sur des congés maladie comme ce qui commence à inquiéter le patron de la RATP et la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie). Voir, Julien da Sols : La RATP va licencier les chauffeurs de bus reconvertis en VTC pendant un arrêt maladie, Le Figaro, 16 mai 2024, p. 24.
[7] Il est certain qu’un passage à la semaine de travail de quatre jours et à 32h, n’échappera pas à la grande tradition du fonctionnement des rapports sociaux de production à la française.