Espaces de travail :
quelle contribution à la production de valeur* ? (II/II)
*Cet article publié dans le n°237 de la revue « Education permanente » est repris en deux parties par les Cahiers du CRDIA.
Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordinateur du CRDIA
Une désaffection de l’offre d’espaces de travail tertiaires ?
Dès le début des années 2010, responsables immobiliers comme de services généraux se plaignaient de bureaux sous-occupés. Aujourd’hui, il est question de taux d’occupation tombés à 40%, avec des variations en mode « pont suspendu » du lundi au vendredi. Ils coûtent pourtant chaque jour à peu près la même chose en loyer et en exploitation[1].
Les aménagements/agencements restent marqués d’une pensée tutélaire taylorienne
Victimes de conceptions marquées par la division du travail, à l’image des immeubles qui sont conçus sans référence aux travail réel, les espaces de travail sont trop souvent prescrits et configurés, parfois sur un mode très détaillé, sans que l’on sache qui va y faire quoi. Les aménagements précèdent largement les utilisateurs. La recherche d’économies d’échelle pousse à une standardisation des agencements et des mobiliers. C’est la pensée taylorienne qui est transposée ici. Cohérente avec le rapport de subordination salarial, elle a démontré son efficacité par la division du travail industrialiste. Au nom d’un savoir technique garantissant une conformité aux exigences réglementaires (lumière, qualité de l’air, ergonomie des postes, sécurité, évacuations …), des experts mobilisent des représentations théoriques sur des « besoins » définis a priori. Ils définissent des espaces préfigurés pour des « usages-types ». Malgré les efforts des space planners les projets convergent sur des réalisations qui se ressemblent étrangement ; open space et cloisons à mi-hauteur, benchs en ligne ou en étoile mais alignements rompus, plateaux et écrans dans une dominante de blanc sur gris, avec vitrophanies et tissus de sièges pastels[2]. L’effet « whaou » débouche sur des espaces prêts à photographier « instagrammables », des « bureaux témoins ». Le collaboratif et le convivial, le ressourcement et la détente, la rencontre et même la sérendipité… sont « agencés », préfigurés voire prescrits. Génériquement fonctionnelles et ergonomiques, ces immobilisations prennent le risque de proposer des espaces sans qualité spécifique, c’est-à-dire in fine non appropriés et donc, sinon « inappropriés », difficilement habitables et logiquement désertés quand les usagers n’ont pas la possibilité de les mettre à leur main.
Des activités de travail dis-localisées au travers d’espaces « sur prescrits »
Réputé trop gourmand en mètres carrés, le bureau « cellule », même collectif, est bien sûr remisé dans les greniers de l’histoire[3]. Dans les espaces ouverts (open space), accessibles parfois seulement en bureaux partagés (flex office), les postes sont standardisés et une approche naïvement égalitaire propose parfois de gommer les statuts différenciés et les niveaux hiérarchiques existants.
Les prétentions de prescription vont jusqu’au concept « d’activity based workplaces » ; l’agencement, l’ameublement et les équipements sont conçus de sorte à être « adaptés » à des activités prédéfinies. La liste de ces activités (et des formats d’aménagements spécialisés) est établie par avance autour de « besoins », et même en postulant des comportements codifiés : se concentrer, téléphoner, rédiger, dialoguer, se réunir, communiquer, utiliser un support visio, boire un café, manger, se reposer même… Pensés pour servir tous types de « besoins », mais sur un mode spécialisé et fragmenté, les aménagements réduisent les espaces appropriables à des « commodités » que les salariés ne peuvent qu’emprunter temporairement[4]. Ils doivent en réserver la disponibilité (extension progressive mais tendancielle du flex office[5]), sans être autorisés ni à les modifier, ni à se les approprier (clean desk policy).
Nomadisés dans leurs propres espaces de travail, ils sont voués à migrer sans cesse d’une position de travail à une autre, en fonction de ce qu’il y aurait à faire. Ils n’habitent plus[6]. Avec l’open space indifférencié (« du balayeur au directeur »), des cadres privés de leurs bureaux dédiés et privatifs ont dû trouver d’autres manières de se distinguer…, souvent en ne venant plus au bureau[7], parfois en privatisant des zones. Bien avant le choc de la crise sanitaire, les salariés pratiquaient déjà des formes de « télétravail gris ». Admise, mais souvent sous condition de clandestinité, poussée ensuite par le flex office, cette « dis-localisation » des activités de travail tertiaire n’était pas « tracée » par les enquêtes statistiques sur le travail et l’emploi.
Dans le grand tertiaire, même dimensionnés à l’aide de taux de foisonnement élevés[8], les bureaux sont « traversés », mais toujours sous-occupés. Ceux qui ne peuvent pas télétravailler sont alors fondés à demander des contreparties compensatoires à ce qui est maintenant un avantage pour ceux qui peuvent échapper aux bureaux, et tous pourraient se rejoindre sur la projection d’un nouvel eldorado ; la semaine de quatre jours.
Si les bureaux sont difficilement appropriables et désertés, si le télétravail a du succès, ce n’est pas seulement parce que les aménagements ou les modalités d’accès limitent leur appropriation. D’autres dimensions sont en cause ; le management, l’éloignement, l’inconfort des transports et les coûts des mobilités pendulaires, l’évolution des attentes, voire une érosion du sens que l’on donne à son travail (dans des économies financiarisées) et à une réduction de son importance relative dans la vie des personnes.
Nous faisons cependant l’hypothèse qu’une des causes profondes se trouve dans la difficulté à penser et à agencer les espaces de travail en regard des exigences proprement servicielles de la performance du travail. Avec l’extension des activités de travail portant sur des productions servicielles, l’ambition de maîtrise et de contrôle des employeurs perdure, mais ne peut plus être référée à des « résultats » mesurables et dénombrables. L’ambition de maîtrise se reporte sur les modes opératoires et sur une préfiguration excessive des usages des espaces, alors qu’il s’agit d’activités toujours spécifiques et variables, sans cesse reconçues à chaque occurrence d’exécution…, et par des individus eux-mêmes singuliers ! Faute de pensée alternative, la rémanence des représentations industrialistes tayloriennes l’emporte. Des « besoins » pensés par des experts pour des employés « types » guident les traductions en surfaces et agencement. La financiarisation et la recherche d’économies accélèrent l’extension des bureaux partagés.
Tout comme le taylorisme tend à séparer le travail du travailleur jusqu’à l’automatiser une fois devenu indépendant, l’open space et le flex office, d’autant plus en Activity Based Concept, « déracinent » le travailleur de son propre espace de travail. En cela nous reconnaissons des hétérotopies, c’est-à-dire des environnements de travail tertiaires en passe de devenir des espaces « autres ». « Les hétérotopies(sont) des emplacements localisés mais qui « reflètent » tous les autres (asiles, prisons, bibliothèques, navires, cimetières, musées, foires, villages vacances, etc.) et qui sont comme le miroir de la société. Les hétérotopies créent des espaces de (dé)compensation face au défaut d’agencement (…) » [9].
Symptomatiquement, c’est dans cette difficulté à penser les espaces comme contributeurs de la performance que nous comprenons la succession des modes qui ont traversé les bureaux. Faute de doctrine, les espaces de travail tertiaires et les services associés bricolent les codes d’autres univers et proposent des « comme » ; à l’hôtel et à la maison bien sûr, mais également comme un campus universitaire, un club de vacances, des établissements de santé, des hubs aéroportuaires[10]…, autant de copies auxquelles, on le sait, les intéressés préfèreront les originaux.
Expériences et compétences à coopérer sont localisées
L’activité de production doit pourtant bien être organisée. A défaut, elle sera a minima auto organisée. Serait-ce au profit de productions immatérielles, le travail met en jeu des personnes avec leur corps et en relation avec d’autres. Le travail est ainsi toujours localisé.
Pas de lieux habités sans services
Beaux ou moches, contraignants ou facilitants…, les espaces seront habités, c’est-à-dire appropriés si les occupants peuvent y faire l’expérience / apprentissage d’une compétence centrale de la performance du travail ; la capacité de coopérer dans des collectifs.
Pour que les espaces soient « en usage » sur un mode pertinent, il faut que le travailleur et ses collectifs soient autorisés et acquièrent une maîtrise d’usage des espaces de travail. C’est l’affaire des services. Ne serait-ce que pour être en conformité avec les réglementations, les surfaces en m² doivent être « servicées ». Pour transformer des m² en « environnements de travail », il faut des services. Pour en faire des « installations[11] » productives pertinentes, il faut des services. Pour en faire des « lieux », il faut que les occupants puissent faire l’expérience d’une appropriation[12]. Toujours en coproduction avec les bénéficiaires, les Services aux Environnements de Travail (dont les services généraux internes) ont pour pertinence économique et pour finalité sociale de faire des espaces le support d’expériences afin de modifier favorablement l’état des bénéficiaires. Si le bien-être est ici un argument pour les bénéficiaires, si leur satisfaction est un argument pour les directions des ressources humaines, c’est une amélioration de la capacité productive qui intéresse l’employeur en tant qu’investisseur, en contrepartie des dépenses auxquelles il consent pour les environnements de travail.
Habiter, c’est construire des habitudes, c’est acquérir des compétences
En même temps qu’un lieu naît d’une envie et d’une possibilité d’habiter, habiter un lieu produit des compétences. Habiter et habitudes ont la même racine. Habiter, ce n’est pas seulement occuper, c’est acquérir des habitudes, c’est-à-dire apprendre des routines, développer des automatismes qui sont autant de savoir-faire, savoir-être et savoir-vivre même, facilitants et productifs. L’espace et ses agencements relèvent des communs. Ils ne sont pas donnés par la nature, mais construits par une intention productive (un projet). C’est dans des formes d’usages et de gestion collective qu’un espace physique devient une ressource pour une communauté. En même temps, agencé, porteur de symboles, approprié, il donne à voir d’un coup d’œil, par une ambiance, des odeurs et des couleurs, ce qui est en commun. Il exprime sans avoir à l’expliciter, ce qui fait « commun », ce que l’on fait en commun. En accueillant la présence, il propose une appréhension globale et directe de sens, une représentation partagée. Devenu lieu, l’espace est un langage, il propose une grammaire « performative ». Il porte au bénéfice d’une appréhension spontanée, globale des schèmes de représentations (symbole, niveau de confort, distribution des rôles…) qui disent quelque chose et rappellent tous les jours, qui est qui dans quelle place relativement au travail (et dans l’espace). L’espace de travail/territoire illustre et met en scène ce que les uns et les autres font ensemble et sur quoi porte le travail (des images, des produits…).
Le concept clé est ici pour nous celui d’appropriation, comme action et comme processus. Dans un espace appropriable et habitable, un « regard circulaire[13] » suffit à ses occupants pour apprendre du lieu, savoir en quoi il est ressource ou au contraire, contrainte. Encore faut-il que les occupants soient autorisés, voire équipés, pour participer eux-mêmes à la production de leur espace. Appropriable, le support que constitue l’espace est un avatar de l’organisation du travail et il est porteur de schèmes de représentation[14]. Co-produit dans et par l’expérience, l’espace est un objet d’auto-organisation des schèmes d’action collective.
Approprié, c’est un outil mobilisable pour l’action de produire, y compris soi-même sur un mode réflexif. Habités, les espaces sont un levier d’acquisition de compétences relationnelles. Appropriés et modifiés par les usages, ils signifient, ils illustrent, ils décrivent dans l’espace ce que coopérer veut dire. Alors, ces lieux « valent bien » qu’on s’y rende volontairement, ils sont un actant de la performance. « Si le travailleur se déplace, c’est aussi pour rechercher une émulation intellectuelle, faire l’exercice d’un collectif solidaire, ressentir la fierté du travail bien fait en collectif et des valeurs de l’entreprise, apprendre au contact de managers… Pour cela, le bureau doit constituer un espace de vie et de réalisation personnelle et collective »[15].
Quels que soient le confort, les fonctionnalités et l’équipement du domicile, d’un hôtel ou d’un quelconque autre tiers lieu, cette « pertinence située » de l’espace ne peut être favorisée et acquise que dans des lieux collectifs, stables sinon « immobiles », des lieux chargés justement du sens que donne la finalité commune de la production ; des espaces qui offrent les leviers d’une coopération avec les collègues qu’un relationnel en présentiel suscite, ou au moins rend plus aisé.
Des espaces « as services » et avec des services
Une fois la localisation arrêtée et l’agencement proposé, la question n’est plus « immobilière », c’est une affaire d’usages. La performance productive des espaces que les entreprises louent et exploitent à grands frais dépend donc de la façon dont l’entreprise, en système avec ses partenaires prestataires, parvient à en faire les supports d’expériences productives. Cela se matérialise quotidiennement dans les expériences des lieux et dans des relations de services.
Les Services aux Environnements de Travail ont ce pouvoir « d’assistance à maîtrise d’usage » des espaces. Ils sont l’équipement, ils sont les accompagnants d’une appropriation des espaces par les occupants. A l’instar de la maintenance pour le « soin des choses »[16], les relations de services aux occupants des environnements de travail sont la condition d’un bon usage de l’investissement et d’un développement de compétences communes. « Le milieu, qu’il soit naturel, linguistique ou idéologique, constitue une sorte de dénominateur commun grâce auquel on peut parvenir à une coordination dans l’action ou à une entente au plan des représentations. Pas de croyances collectives sans mécanisme stabilisé qui uniformise sinon le contenu des croyances, du moins les mécanismes de leur formation et leurs fonctions existentielles ou sociales. Un contexte forme un « arrière-plan » par rapport auquel les conduites ou les pensées sont ontologiquement des effets ou des variations [17]».
En réduisant les surfaces ou en laissant le télétravail se déployer sans réorganisation, les entreprises prennent le risque de remplacer une expérience de la relation par des échanges à distance amputés partiellement de leurs portées affectives et cognitives sur les liens sociaux. La flemme le dispute alors à la goujaterie quand on voit se multiplier des échanges par mails et en « visio » d’un poste à l’autre parfois au même étage dans l’immeuble, depuis son véhicule ou de chez soi, caméras éteintes. Le pire est atteint ; on s’est déplacé pour aller au bureau, sans faire collectif.
Le « full remote » est de ce point de vue une tentation d’apprenti sorcier et le spaceless working est un « oxymoron[18] ». Dans le déni des dimensions anthropologiques fondamentales, l’un et l’autre sont porteurs de violence.
Agencer les présences et cultiver la proxémie
L’expérience du travail est toujours spatialisée. La proximité physique et géographique est une condition de la coopération. Elle n’est pas la seule. La proximité peut aussi être favorisée par la langue, la culture, une même appartenance sociale ou professionnelle…. Mais si on peut appartenir à un collectif à distance et coopérer sans être en présence, nous restons fondamentalement des animaux sociaux. De plus, le travail serviciel est toujours relationnel. Il exige un engagement subjectif de personnes elles-mêmes incarnées dans leurs corps. Le travail intellectuel, communicationnelle et relationnel…, reste du travail. Il est toujours l’œuvre d’un corps, lui-même situé quelque part.
En contrepartie d’un coût, les espaces doivent être des « actants[19] » de performance. L’important est alors qu’ils soient agencés de telle sorte qu’ils permettent la coopération, la confiance et la solidarité. Enfin, l’espace de travail est le marqueur d’un rapport au temps ; celui du travail et celui d’un temps « à venir », celui que l’on va passer ensemble, la perspective d’un devenir en commun. Travailler c’est projeter soi-même dans un à-venir. Le durable d’un bâti, la familiarité avec une adresse et des environnements stables sont des qualités temporelles de l’espace, pour créer des habitudes et proposer des repères qui structurent l’expérience du travail, dans l’à-venir.
Travailler de chez soi, avec d’autres, n’est pas équivalent à travailler ensemble, quelque part. Ce quelque part ne peut pas être seulement virtuel, il est tangible. Il est habituel et approprié (au double sens du terme) quand il est habité. C’est un « immeuble » pour le travail tertiaire. Il a comme vertu d’être là et de porter l’idée qu’il sera encore là demain.
Conclusion : valuer les lieux de travail comme services
La contribution de la ressource spatiale n’est pas d’abord technique, ni conditionnée à des surfaces en volume, ni même à des aménagements plus ou moins bien pensés. Elle est dans le « génie des lieux »[20] et elle est servicielle. Elle passe par un enrichissement de l’état de capacité des « habitants » comme producteurs de valeur par le travail[21]. Elle est dans une capacité/maîtrise d’usage des environnements de travail (agencement, modes d’occupation, accueil et services) par ces mêmes habitants. C’est cette maîtrise d’usage qui permet, ou non, d’acquérir et enrichir les compétences productives, par la colocalisation et la concomitance des activités de travail en collectifs. Accroître la portée contributive des espaces de travail suppose donc d’être capable d’en faire des « lieux appropriés collectivement », mais encore faut-il pouvoir préciser à quel prix ?
La valeur des services aux environnements comme des usages d’un espace de travail connaît une mesure simple pour les employeurs dirigeants. C’est le prix qu’ils sont prêts à payer pour louer et obtenir des services. L’enjeu reste celui d’éclairer ce client sur le bon niveau de la dépense à laquelle il doit consentir pour transformer un coût certain en une valeur potentielle, pour faire des espaces un actant positif à ses propres configurations productives. La difficulté est pour le gestionnaire. Il faut mesurer, mais sans métrique, c’est-à-dire sans le support de réalités tangibles mesurables et dénombrables. Il faut donc assumer que la valeur ne soit pas donnée par un chiffre ou un ratio comparant des dimensions physiques, mais par un processus de jugement et de décision dans l’incertitude. Attribuer une valeur à un espace de travail, « à habiter » n’est ni à la portée d’un mécanisme de marché, ni à la portée des outils d’évaluation des coûts. C’est un acte de direction qui exige de de mener un processus d’évaluation.
Plus exactement, ce sera notre conclusion, il faut apprendre « valuer »[22], c’est-à-dire à cerner l’objectivité des valeurs de la contribution à la performance des espaces et des services, faute de métriques, par l’enquête [23]. Valuer l’impact utile d’un service, consiste à porter un jugement de valeur sur une coproduction. C’est toujours une co valuation, elle est relationnelle, elle est fondée sur le dialogue. L’objectivité n’est pas donnée, c’est un construit « par l’exercice de l’intelligence dans le traitement d’une situation ».
Pour assurer une maitrise d’usage des espaces de travail, il faut concevoir les systèmes serviciels les plus adaptés. Il faut donc définir et s’entendre sur « ce à quoi l’on tient », sur ce qui fait valeur pour les utilisateurs/bénéficiaires des espaces et des services. D’un point de vue d’instrumentation de gestion, il faudra donc inventer des manières, des instances, des processus de refondation régulière des accords (employeurs/bénéficiaires, prestataires de services et donneurs d’ordres, responsables environnements de travail, acheteurs et financiers) sur la pertinence des espaces comme services, refonder l’accord sur la pertinence située des usages de ces espaces à l’aune de l’expérience quotidienne du travail. C’est une rupture dans les habitudes et outils de gestion qu’il faut opérer. Les cahiers des charges et/ou les indicateurs chiffrés peuvent aider, ils ne peuvent pas décider. Faute de métrique, la mesure doit être opérée par des instances dialogiques. Et pour que le dialogue produise, il devra être instruit par des enquêtes (ou RETEX, Retours d’Expériences), il devra être éclairé de preuves par l’expérimentation, puis enrichi de délibérations menées par des personnes et des rôles légitimes (autorisés).
C’est ce qui nous apprendra, non en général, mais au cas par cas de chaque configuration productive, combien mais également comment, l’espace de travail contribue (et comment il peut contribuer encore plus) à la performance productive.
[1] Un phénomène qui alimente les raisonnements en faveur de la semaine de 4 jours.
[2] Pour une large recension des travaux disponibles, Bouchez J.P., Le travail et ses espaces, Editions De Boeck, mars 2023.
[3] Le bureau cloisonné, individuel et collectif (50/50), régresse (-5 pts par rapport à 2019) mais reste le modèle pour 61% des actifs travaillant dans des bureaux (Actineo, Baromètre 2023).
[4] Fanny Lederlin évoque ces mécanismes en évoquant l’atomisation du travail par des formes de « tâcheronisation » (p27-31) et pour les espaces, la condamnation à une transhumance perpétuelle (p112-113) dans Les dépossédés de l’open space, une critique écologique du travail, PUF 2020.
[5] 21% des actifs travaillant dans des bureaux (Actineo 2023). Cette extension trouve d’autant moins de résistance du côté des salariés et des organisations syndicales qu’elle est argumentée comme une contrepartie évidente du télétravail.
[6] Voir l’étude symptomatiquement intitulée « Le travail déraciné. Enquête sur les impacts humains et immobiliers de la déspatialisation du travail », The Boson Project avec La Française et l’ADI, diffusée en octobre 2023. Nous notons l’usage de termes inhabituels pour ces milieux, avec un « travail désimmobilisé (…), un travail déraciné (…) à l’heure ou la France débat sur le « désengagement » des salariés et l’exode vers une « autre vie ». https://contenu.thebosonproject.com/plezi_file/652d2ee5d59cbc433ba17cd8/le-travail-deracine-vf.pdf
[7] Ce comportement symbolique a été démocratisé depuis par le télétravail.
[8] Un taux de foisonnement de 2 exprime le choix de mettre à disposition un poste de travail pour deux salariés.
[9] Concept forgé par Michel Foucault en 1967, discuté par Laurent Duclos dans « Les approches du territoire », Commissariat général au Plan, mars 2002 page 20.
[10] Des codes qui semblent vouloir faire oublier que, paradoxalement, c’est de travail et de production qu’il est question.
[11] CF. les travaux de Saadi Lahlou reprenant les concepts d’affordances, « Installation Theory. The societal construction and regulation of behavior », Cambridge University Press, 2017
[12] Dans les deux sens de propres à un usage, mais également d’appropriés par des personnes.
[13] Notion empruntée à Jean Claude Kaufmann pour qualifier une compétence s’agissant d’apprécier des qualités et des possibilités d’un lieu pour décider et adopter un comportement (en l’occurrence une plage), Corps de femmes, regards d’hommes, Editeur Agora, 1998.
[14] Les concepts d’avatar et schème de représentation ont été élaborés notamment par Jean Rabardel, ergonome. Voir « Les hommes et les technologies ; approche cognitive des instruments contemporains » Armand Colin, pp.239, 1995.
[15] Etude Boson Project déjà citée.
[16] Titre de l’ouvrage de Jérôme Denis et David Pontille déjà cité.
[17] Zask (J.), 2008, « Situation ou contexte ? Une lecture de Dewey. », Revue internationale de philosophie, n° 245, p. 319.
[18] Oxymoron, terme anglais, oxymore en français.
[19] CF. la Théorie des Acteurs Réseaux (Michel Callon et Bruno Latour), concept désignant des entités humaines ou non, matérielles et non matérielles, définies par leur faculté à agir.
[20] Ce qui fait qu’un lieu est unique dans une combinaison de localisation, d’agencement et de ressenti (l’espace conçu, vécu, perçu).
[21] Définition de T.P. Hill, The review ot income and wealth, décembre 1977, citée et précisée par Jean Gadrey, dans Services ; La productivité en question, 1996, page 171. « Un service peut être défini comme un changement d’état d’une personne, ou d’un bien appartenant à un agent économique quelconque, changement qui est réalisé par un autre agent économique avec l’accord préalable du premier agent ».
Voir également Gadrey Jean, Le service n’est pas un produit : quelques implications pour l’analyse économique et pour la gestion. In: Politiques et management public, vol. 9, n° 1, 1991. pp. 1-24.
[22] Concept forgé par John Dewey pour fonder une morale expérimentale. Voir Alexandra Bidet, Louis Quéré, Gérôme Truc. « Ce à quoi nous tenons. Dewey et la formation des valeurs », in John Dewey, La formation des valeurs, La Découverte, pp.5-64, 2011, et Philippe Lorino, Pragmatisme et études des organisations, Librairie Eyrolles, 2020
[23] Baron X., Pour un autre management des activités de service, Revue Cadres CFDT n° 498 octobre 2023, https://www.larevuecadres.fr/articles/pour-un-autre-management-des-activites-de-service/6996.