14 mai 2021

CAHIER 10 – Document 2

Les services aux environnements de travail face aux conséquences
de la crise sanitaire

Eric Lefiot, Président du SYPEMI & Christophe Leroy, Secrétaire Général du SYPEMI

Propos recueillis par Michel Platzer et Xavier Baron

Diffusé le 18/05/2021, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Le SYPEMI – syndicat des professionnels du Facility Management – représente près de 90% du secteur et regroupe 23 entreprises, PME et filiales de grands groupes, réparties sur l’ensemble du territoire et générant un chiffre d’affaires de plus de 14 Mrds €, dont 4 Mrds € en FM.

Il a pour principale ambition de faire connaître le Facility Management (FM) comme solution stratégique pour la performance des organisations en proposant des services de pilotage externalisé, des activités multiservices et multitechniques. Il vise notamment à :

  • Promouvoir les métiers liés au pilotage FM auprès de l’ensemble de l’écosystème : clients privés, donneurs d’ordre, administrations, universités … ;
  • Défendre les droits et intérêts de ses adhérents ;
  • Favoriser le développement des activités du pilote FM externalisé ;
  • Renforcer la qualité de l’image des acteurs de la profession

Le SYPEMI est membre de la FEDENE, la fédération des services énergie environnement.

 

La crise sanitaire actuelle bouscule les services aux environnements de travail : quelles opportunités, quelles menaces pour le secteur du Facility management (FM) ?

 

La crise actuelle représente une opportunité pour le secteur du FM car elle met en évidence notre plus-value de chefs d’orchestre et d’assembleurs des métiers des services aux environnements de travail. Le recours massif au télétravail par les clients place nos pilotes de sites en responsabilité accrue sur le fonctionnement des immeubles et sur la coordination des mesures indispensables à la continuité de l’activité : organisation des mises en sécurité sanitaires, rappel des gestes barrières, nettoyage renforcé etc. Cette autonomie accrue, imposée par le contexte général, permet de démontrer en pratique ce que nous affirmons depuis des années. Comme le souligne le DRH de Nestlé dans le dernier livre blanc du SYPEMI : « Cette crise a mis en valeur auprès du Comité de Direction de Nestlé France l’importance d’un partenariat avec le FMeur, garant de la sécurité sanitaire, de l’accueil de collaborateurs et du bien-être au travail ».

 

La crise sanitaire a également servi de révélateur à l’importance réelle et concrète de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) dans la vie quotidienne des occupants de sites. Jusqu’alors, la RSE était surtout affaire de calculs d’indicateurs, de bilans carbone, de gestes écologiques etc., en un mot la RSE était soit très théorique, soit accessoire. Le prestataire se voit désormais « chargé » de la RSE du client, a minima avec plus de sanitaire, mais au-delà de l’environnemental le FM est bien au cœur du sujet.

Par sa remise en cause forcée des organisations et des valeurs ajoutées du FM, car il a évidemment été nécessaire de repenser les organisations dans des immeubles parfois largement désertés par leurs occupants passés en télétravail, la crise actuelle offre enfin une « fenêtre de tir » propice à une nouvelle approche des valeurs ajoutées du FM, en sortant de la logique sans avenir des recherches systématiques d’économies à périmètre identique.

La sortie de crise porte aussi une menace : actuellement, les sites tournent au ralenti avec des prestations adaptées et donc des baisses d’activité. Mais lorsque les sites vont de nouveau fonctionner « normalement », même avec des doses variables de télétravail, et que les mesures de soutien vont se réduire, le recalage des prestations et donc des coûts associés sera complexe avec des clients eux-mêmes en difficulté et à la recherche d’économies tous azimuts. L’atterrissage, fin 2021 et début 2022, sera peut-être difficile à gérer.

Concernant le contenu des prestations, la crise sanitaire a évidemment fait évoluer à la fois les contenus et les fréquentiels. La restauration collective a été touchée par le télétravail et les mesures sanitaires. La désinfection des espaces et des postes de travail a supplanté en partie la propreté traditionnelle, et restera une activité essentielle pendant au moins un an. Globalement, la crise a imposé et accéléré un champ d’expérimentation qui n’aurait jamais été exploré volontairement par les clients (à l’image du télétravail) mais aussi par leurs prestataires : les fréquentiels dans la propreté, voire même dans la technique pour les équipements non stratégiques, ne sont plus tabous.

Enfin, et nous y reviendrons plus loin, la crise sanitaire a induit une accélération des réflexions sur la flexibilité raisonnable/acceptable en imposant des modifications, des adaptations avec mise en œuvre immédiate, qui n’auraient sans doute pas vu le jour spontanément.

 

A plus long terme, par exemple 2030, quelles pistes pour l’avenir ?

 

Deux pistes semblent émerger, d’une part dans les activités traditionnelles du tertiaire et d’autre part dans de nouvelles activités à développer dans le champ des territoires.

Pour les activités traditionnelles des services associés l’immobilier de bureaux, un des enjeux majeurs se trouve dans la remise en cause de la césure entre immobilier et services. Cette barrière, avec d’un côté les acteurs de l’immobilier focalisés sur les rendements locatifs, les valorisations des immeubles et les équilibres de portefeuilles et de l’autre les acteurs des services axés sur les valeurs de bien être des occupants, de bon fonctionnement des immeubles, de sécurité et de sûreté, ne permet pas une approche globale de la chaîne de valeur de l’immobilier. Nous sommes face à des hiérarchies de métiers entre asset managers, property managers et facility managers, et il sera indispensable de se parler mieux et plus, de reconnecter l’amont et l’aval pour envisager ensemble un avenir qui va conjuguer télétravail, nécessité de suivre les salariés dans les multiples lieux où s’exercera désormais leur activité etc. L’absence de dialogue, qui pouvait malheureusement subsister en régime stable, devient un handicap lorsque tout change et qu’il faut repenser les valeurs ajoutées de chacun comme c’est le cas actuellement, et désormais les conjuguer.

Mais il faut aussi innover et aller à la rencontre de nouveaux marchés à créer : dans l’avenir, le FM doit développer de nouveaux liens avec la territorialité en ne se limitant pas au tertiaire concentré et en ciblant les personnes et les organisations, pas seulement les immeubles. Les besoins et attentes de services ne se situent pas seulement à la Défense ou dans le Triangle d’Or de Paris. Surtout lorsque de nombreux salariés de ces sites risquent de les déserter pour la Lozère ou la Bretagne, sous la seule condition d’une liaison numérique de qualité. Il demeure en France de véritables déserts de services, comme le montre très récemment la carte des vaccinodromes du Covid ci-dessous, qui fait apparaître de nombreuses « zones blanches ».

Le FM a une carte à jouer face à cette situation en proposant aux territoires le développement de centres de services proches du public, dans le cadre d’une sorte de « délégation multiservices », assurée par des personnels en posture d’interopérabilité et portant sur des questions administratives, divers services de proximité à l’habitant, à l’entreprise, au salarié, à la collectivité … pourquoi pas de type sanitaire, etc.

Il ne s’agirait pas d’« externalisation » de services publics à proprement parler, mais de création ex nihilo de services divers assurés par le secteur privé. Il serait ainsi possible de résoudre la quadrature du cercle entre politiques de réduction des dépenses publiques et engagements de présence et de services au plus près des populations.  Cette démarche permettrait évidemment la création d’emplois locaux axés sur le principe de la flexibilité du travail et de l’interopérabilité des métiers.

Des réflexions sont actuellement cours au sein du SYPEMI sur les deux pistes évoquées ci-dessus. 

 

Quelle place dans l’avenir pour les services dans le coût complet du poste de travail ?

 

Nous sommes face à une problématique permanente qui oppose l’économie à la recherche du bien-être des occupants. Je le rappelle une nouvelle fois : la réduction des coûts n’est pas une solution, mais un problème. Imaginer sans cesse le « moins cher » ne mène à rien, ce sont des approches de courte vue qui enferment à chaque fois donneur d’ordres et prestataire dans la même boîte étanche dont l’air se raréfie peu à peu.

Il faut travailler ensemble sur une qualité adaptée, mesurer le juste besoin du client et adapter la prestation en conséquence. Le prix suivra. Nous constatons parfois que des exigences fortes exprimées dans les cahiers des charges ne sont pas en relation directe avec le besoin, mais visent à « sécuriser » le dispositif : on demande le maximum possible pour être certain d’avoir au final au minimum le souhaité … Il faut sortir de cette approche de défiance pour travailler sur le juste nécessaire. C’est ce que nous faisons en liaison avec le Conseil National des Achats (CNA) : définir le juste besoin et le juste prix. C’est le projet de co-construction, mais qui appelle des actions préalables :

  • la co-construction avec ses conséquences en termes de flexibilité et de variabilité est exclue en marchés publics car il est presque impossible de sélectionner un prestataire avant d’avoir défini avec précision son intervention ;
  • pour les marchés privés, c’est bien entendu possible mais il faut en préalable établir la confiance entre client et prestataire. Cette confiance doit se construire, en donnant au client des engagements de bonnes pratiques. C’est ce que nous faisons par exemple avec les engagements de réversibilité : le prestataire évincé d’un contrat est parfois tenté de pratiquer la politique de « terre brûlée » en ne laissant aucune donnée ni aucun dossier technique à son successeur afin de « faire payer » son éviction. C’est une crainte récurrente des clients qui se sentent parfois « otages » de leurs prestataires. Nos engagements de réversibilité, déclinés dans un engagement contractuel commun entre adhérents du SYPEMI et disponible sur son site Internet, sont un des outils qui peut permettre de rendre le partenariat sincère, et faciliter ainsi la co-construction de services adaptés aux nouvelles demandes des utilisateurs. La confiance est le maître mot : quand elle est établie, tout est possible.

Le coworking offre un exemple intéressant en termes de services : en base, il s’agit de transformer des baux classiques 3/6/9 en conventions d’occupation de courte, voire très courte durée. Evidemment, le modèle économique impose des niveaux de loyers courts à la demande et en évolution croissante, au regard des loyers traditionnels, il faut bien financer la vacance et le BFR[1] induit. Mais impossible commercialement d’afficher ces loyers « secs » qui feraient fuir les clients par comparaison aux loyers classiques. Le mécanisme consiste à commercialiser un package « loyer + services » avec un maximum de services visibles, accessibles à tous, peu courants dans les immeubles classiques, parfois « nice to have » et peu coûteux : boissons à volonté, musique, ambiance etc. De quoi réfléchir au concept de « juste nécessaire » … Mais FM et coworking ne doivent pas être opposés, ils offrent tous deux du service piloté.

 

Les distinctions entre métiers sont-elles un frein au développement du FM ?

 

La crise du Covid impose de nouvelles réflexions sur les concepts d’interopérabilité et de flexibilité. Un des atouts du FM au regard des services internes est évidemment sa flexibilité, qui permet d’adapter la prestation à la hausse ou à la baisse en cas d’événements exceptionnels, ce qui est difficile voire impossible avec des équipes internalisées.

Il faut en premier lieu, au niveau des contrats, quitter le dogme du global et forfaitaire pour une logique associant une partie de forfaitaire à une partie non forfaitaire sur bordereau de prix. C’est le cas de façon croissante sur les appels d’offres récents et c’est probablement une bonne chose.

Seconde idée, l’interopérabilité : quel client ne s’est-il jamais étonné de voir des agents de sécurité statiques face à un dispositif d’accueil visiteurs sous pression, voire débordé, ou encore des équipes de nettoyage interdites de relamping … travailler à plus d’interopérabilité permettrait aux gens d’évoluer vers d’autres métiers, mieux valoriser les fonctions et les revenus. Mais là, c’est beaucoup plus complexe :

  • d’une part, la performance nécessite souvent une bonne maîtrise technique : c’est le cas par exemple en restauration, en sécurité, en propreté ;
  • d’autre part, les métiers sont organisés par secteurs qui cloisonnent fort logiquement ces différents métiers. Ceux-ci peuvent chercher à s’étendre vers des services connexes comme par exemple le courrier – qui peut être assuré par les équipes d’accueil -, de propreté ou de polyvalents techniques, mais ces interactions restent limitées ;
  • enfin, si chacun s’accorde à penser qu’en théorie le raisonnement par métier est dépassé et que notre guide doit être la logique des marchés et des prestations par la polyvalence, il y a loin de l’idée à la pratique. Et pourtant l’évolution des collaborateurs et des métiers se fera par l’augmentation des compétences et des savoir-faire.

Pourquoi, dans ces conditions, ne pas imaginer la reconnaissance du FM comme UN métier, intégrateur des métiers de services et générateur de polyvalence ? Certes, le message est difficile à entendre alors que l’heure est à la réduction des branches. Néanmoins, une action spécifique, expérimentale, focalisée sur de nouveaux services par exemple aux territoires comme évoqué précédemment, pourrait aujourd’hui justifier une telle réflexion.

On ne peut enfin évoquer la question des métiers sans s’interroger sur les enjeux de la digitalisation. Chaque prestataire doit bien entendu être à la fois en capacité de proposer des outils digitaux, et de s’adapter aux outils de son donneur d’ordres. Je ne crois pas au mirage de l’outil digital miracle qui réglerait d’un claquement de doigts tous les échanges entre client et prestataires, et qui pourrait par ailleurs présenter le risque d’une forme certaine d’« uberisation » de nos métiers.

 

Les mouvements de concentration en opérateurs multi-métiers vont-ils se poursuivre ? De petites structures indépendantes peuvent-elles prospérer ?

 

Il est clair que les grands clients ont besoin d’acteurs d’une taille suffisante pour leur offrir adaptabilité, flexibilité et maîtrise des risques à grande échelle. Ce sont ces grands acteurs qui peuvent également être à l’origine de réflexions sur l’avenir des métiers.

Mais je reste frappé par la multiplicité des besoins et des marchés locaux, accessibles à des acteurs de proximité de taille moyenne : la demande de multiservices des professionnels est immense, permanente et en croissance. Les marchés régionaux et locaux du dépannage, du multi technique et du multiservices, sous réserve d’une organisation adaptée et d’une réactivité sans faille, autorisent des croissances remarquables comme c’est le cas déjà de certains adhérents du SYPEMI.

Il y a donc de la place pour tout le monde, et surtout un grand potentiel d’activités à développer dans l’avenir. Au cœur de la crise du Covid, le SYPEMI reste confiant.

 

 

[1] Besoin en Fonds de Roulement