14 mai 2021

CAHIER 10 – Document 1

Les services aux environnements de travail face aux conséquences de
la crise sanitaire

Latifa Hakkou, Présidente de l’ARSEG & Joël Larousse, Vice-Président de l’ARSEG

Propos recueillis par Michel Platzer et Xavier Baron

Diffusé le 18/05/2021, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

L’ARSEG est l’association professionnelle représentant la filière de l’environnement de travail, elle revendique 46 ans de savoir-faire et œuvre à la professionnalisation et à la promotion du métier de directeur/responsable de l’environnement de travail.

Rassemblant plus de 2000 adhérents (directeur/responsable environnement de travail, DET) répartis dans 7 délégations régionales, l’ARSEG organise près de 150 évènements annuels. A ce titre, elle a la légitimité à prendre part à tous les débats liés au travail : santé et bien-être des salariés, nouvelles organisations des espaces de travail, rapport au numérique, mobilité, aménagement du territoire, sécurité, etc.


La crise sanitaire actuelle bouscule les environnements de travail : quelles opportunités, quelles menaces pour les Directions des Environnements de Travail ?

 

Latifa Hakkou (LH) : nous avons connu une première période pendant la crise, mais nous sommes déjà dans l’après-Covid. La pandémie que nous vivons depuis 12 mois nous fait vivre une belle opportunité, pour nous-mêmes, nos équipes et nos prestataires. Nous n’avons jamais autant été mis en lumière dans nos entreprises pour ce qui a été réalisé durant les confinements et déconfinements successifs. On a fait travailler les équipes de sécurité, de courrier etc., de sorte à assurer la continuité de l’activité des bâtiments pendant les fermetures. Ensuite, ce sont nos équipes qui ont assuré la sécurité permettant aux salariés de revenir sur les sites avec des kits sanitaires, de nouvelles signalétiques dans le tertiaire, mais aussi dans les usines, pour certains d’entre nous, dans les magasins. Ces équipes ont géré la communication pour rassurer et permettre aux salariés de revenir avec sérénité. Nous avons aussi assuré la sécurité des salariés hors les murs de l’entreprise, avec les équipements nécessaires à leur travail. Nos équipes étaient dans l’ombre, elles sont devenues visibles. Nous avons été mis en évidence aux yeux de nos directions générales. Nous avons reçu des témoignages rares, de DRH par exemple, qui ont remercié publiquement les équipes de l’environnement du travail d’être venues, parfois sans transport en commun, en prenant des risques alors qu’il n’y avait pas grand-chose de prévu pour le premier confinement, pas de masques etc.

Joël Larousse (JL) : cette crise montre que l’objet de l’environnement de travail ne se limite plus à pousser des fonctionnalités standardisées, mais consiste à accompagner l’entreprise dans les changements du travail lui-même. C’est une ambition nouvelle quand on la décrit dans ces termes.  Le niveau de perception de cet enjeu par les  directions générales est très variable. Les moins engagées cherchent seulement à capturer les m² libérables. D’autres intègrent plus largement  la question du travail, avec des travaux transversaux appuyés sur des démarches de transformation approfondies.

C’est la responsabilité des acteurs collectifs comme l’ARSEG, en lien avec des fédérations patronales comme la FEP ou le SYPEMI, mais aussi avec les autres associations de donneurs d’ordres, engagés dans l’activité de leurs entités, de placer le sujet sous la bonne focale.

Les modèles immobiliers restreints, qui resteraient trop exclusivement orientés vers la rente unitaire du bâti ou de son exploitation, trop éloignés du travail réel, sont en effet menacés par les effets de la crise de la Covid. A contrario, tout ce qui s’oriente vers une offre d’intégration, de coopération, au profit de la continuité économique et sociale, centrées sur l’humain au travail porteur de la résilience du et au  travail, bénéficie d’opportunités nouvelles, parce que les nouveaux modèles s’évaluent dans ces termes.

LH : Une belle opportunité a été créée également dans cette période dans la maturation de nos relations avec nos prestataires. Ils nous ont accompagnés, nous les avons aussi aidés : la position de l’ARSEG a été rapide et claire vis-à-vis des clients « voyous » qui ont décidé lors du premier confinement de résilier ou suspendre les contrats en utilisant la soi-disant clause « du cas de force majeure ». De prestataires, ils deviennent des partenaires. Il y a eu de l’entraide. Ils nous aident à construire l’avenir sur des catalogues de services à développer d’ici 2030, qui n’existent pas encore. On ne le fera pas tout seul mais avec les FMer, avec le SYPEMI et les prestataires. Nous avons cette chance à l’ARSEG d’avoir aussi bien les donneurs d’ordres que les prestataires.

 

Comment allez-vous prendre en compte le développement du télétravail ?

 

LH : comme toutes les directions, nous nous projetons à 3 ou 5 ans. Nous sommes aujourd’hui encore dans des services traditionnels. Avec les accords sur deux à trois jours de télétravail, nous serons amenés à proposer sur nos sites tertiaires des services qui n’existent pas encore. Ils devront créer un sentiment d’appartenance, du plaisir de revenir, d’échanger et de partager : des espaces de bien-être, de restauration, de convivialité, et pourquoi pas des lieux de cultures pour partager des livres, faire du sport etc.

Au-delà, cette pandémie va avoir un impact sur l’empreinte immobilière de nos entreprises. Pour les entreprises qui ont subi une crise économique et qui ont déjà mis en place des accords prévoyant 2 ou 3 jours de télétravail, on voit se dégager une réflexion sur le patrimoine, les actifs immobiliers dans les activités tertiaires, avec une perspective de réduction de surfaces pouvant aller jusqu’à 50% dans le tertiaire pour certains grands groupes. Dans les PME, on constate un mouvement en faveur du coworking, et de résiliation de baux, démarré dès 2020. Cette réduction prendra du temps. Cela relève de stratégies lourdes et nécessairement réfléchies, remontant à la présidence.

L’impact sera important sur les salariés en général et sur les activités des DET, de leurs salariés et de leurs prestataires. On va bien vers une réduction des surfaces avec une généralisation du flex-office et l’augmentation des espaces collaboratifs. Les bureaux attitrés et individuels qui existent encore vont être supprimés, même pour les directions générales. En optimisant nos surfaces, nous réduirons nos cahiers des charges et nous serons amenés également à réduire les effectifs correspondants. C’est une menace en soi, mais il nous appartient d’en faire une opportunité. Ce sera une optimisation accompagnant les évolutions du travail, conduisant à travailler différemment, dans des espaces réservés, comme c’est le cas avec le flex-office. Nous n’aurons plus comme modèle « un poste par personne », mais sans doute autour de 60 ou 70% seulement. Nous remplacerons la semaine de 5 jours par une semaine plus courte mais densifiée et diversifiée, sous le signe du bien-être, de la convivialité et du plaisir d’être ensemble. On nous demande d’être créatifs, disruptifs dans les aménagements et dans les services que nous allons proposer.

 

Vous anticipez d’offrir des services aux domiciles des salariés ?

 

LH : oui. Avec l’extension du télétravail, en plus de ce que nous leur offrirons de nouveau au bureau, il faudra créer une palette de services pour les collaborateurs chez eux pendant 2 à 3 jours ; en restauration, pour l’ergonomie des postes de travail, des services pour la maison, du coaching sportif etc. Certains proposeront une enveloppe budgétaire à disposition pour fournir des mobiliers ou pour rembourser sur notes de frais, mais il faudra sans doute aller plus loin. On devra se préoccuper de la luminosité, la température et l’acoustique au poste de travail à domicile par exemple. Sur le site, nous avons la main, ce n’est pas le cas du salarié chez lui.

JL : en pratique, l’objet de l’environnement de travail se déplace. Il ne s’agira plus seulement d’offrir des services liés à un espace de travail, mais d’assurer une continuité de service au salarié, si possible « sans couture » et de bout en bout. Cela pose de nombreuses questions sur la capacité à opérer de la filière.  Il faudra pouvoir mobiliser les services des sites pour organiser sa journée en présentiel à partir de chez soi, et préparer sa journée de travail chez soi quand on est sur site. Le travailleur reste une seule et même personne, et l’empilement  des modes d’emploi des ressources au service du travail l’éloignent plus sûrement du sens de son activité que les kilomètres. Changer l’accès au service,  touchera l’organisation du travail des prestataires. C’est une opportunité  pour faire évoluer les services aux environnements de travail toujours confrontés au risque de faire du salarié la variable d’ajustement du champ de contraintes appliqué au parcours de service sur site. Le souci de l’efficacité des temps de contact avec le bénéficiaire était déjà là,  il va falloir prendre les moyens de remettre vraiment le salarié au centre du service.  C’est un changement considérable sur le terrain.


Quel rôle pour les Directions de l’Environnement de Travail ?

 

LH : une condition est que les directions des environnements du travail soient forces de propositions et prennent le lead de ces changements, sinon les directions des ressources humaines s’en empareront. Les choses ne vont pas arriver naturellement et simplement.

JL : il y a déjà une compétition  de fait entre les DSI, les DRH, les DI et les DET[1] – liée à l’approche du sujet par silos – qui dessert ce qui devrait être un projet d’entreprise. Ça passera. Les DET viennent d’hériter de l’adaptation des ressources à une gamme très large de situations de travail, ce qui nous donne l’opportunité de construire un vrai concept de service. C’est la première fois en trente ans. Pour qu’il prenne son sens, il faut le cadre social du télétravail assuré par les DRH, les interventions adaptées sur les bâtis, la création des conditions de la continuité digitale par les DSI. Notre mission dans cette transformation : mettre en avant la situation concrète de travail, simplifier l’accès aux services (notamment par le digital), les rendre porteurs et marqueurs du lien à l’entreprise. 

La crise sanitaire nous a montré  que nos sites industriels se sont adaptés beaucoup plus rapidement que les sites tertiaires. En quelques jours, les industriels ont réussi à faire coïncider sur chaque site les contraintes d’environnements avec l’activité. Les équipements de protection individuels (EPI) Covid ont été adoptés aisément parmi les autres EPI. Dans le tertiaire, la mise en adéquation n’a pas pu se faire sur les sites. Il faut féliciter tous les acteurs pour leurs  manœuvres absolument remarquables face au virus ; mais il est bien clair que le travail tertiaire n’a pas été possible sur les sites denses. Cette limite pointe l’inadéquation des espaces tertiaires au travail mis sous tension. Je précise : quand l’utilisabilité des sites est problématique ce n’est pas le travail qu’on adapte, ni le site qu’on fait évoluer : on va travailler ailleurs. Il n’y aurait donc plus de relation de nécessité entre le site et le travail.

C’est un constat qui accepte en creux un bilan compliqué à assumer : nos environnements de travail tels qu’ils sont ne seraient donc pas nécessaires au travail. L’accepter signifie s’obliger à passer à la vitesse au-dessus : bien entendu, les acquis d’ergonomie, de sécurité, de santé au travail, la fluidité des ressources, la vigilance à faire barrage autour du travail à tout ce qui est irrespectueux des hommes, des biens et du droit sont absolument nécessaires. Ils sont rendus nécessaires par le travail.

 Mais désormais, nous devons porter ces acquis hors les murs, dans une présence continue de l’entreprise en support du salarié au travail. En fait, c’est l’offre hyper-densifiée de l’immobilier tertiaire qui s’est disqualifiée, pas les environnements de travail, dont il faut désormais parler au pluriel. Notons qu’avec 40% d’inoccupation courante, on se doutait bien qu’il y avait un souci d’adéquation de l’occupation des espaces au travail réel. En finance on aurait appelé ça une bulle.


A long terme, 2030 par exemple, quelles pistes voyez-vous pour l’avenir de la fonction DET ?

 

LH : on le dit pour d’autres activités mais c’est particulièrement vrai dans l’environnement du travail, dans 10 ans, 50 % des métiers n’existeront plus et seront remplacés par des métiers inconnus aujourd’hui. Nous avons par exemple le cas des hospitality managers qui n’existaient pas il y a 5 ans. On a besoin et on recrute de plus en plus des profils hôteliers pour traiter de services qui sont de plus en plus professionnalisés, haut de gamme, notamment pour accompagner les déplacements qui reprendront.  Ces profils ne viendront pas à l’environnement du travail par hasard, mais par choix, avec un niveau plus élevé, une culture du service, des formations spécialisées.

JL : la Covid a, un moment, masqué les transformations du travail déjà à l’œuvre, nous avons quitté les bureaux mais ils se vidaient déjà avant ! La digitalisation robotise une partie des emplois tertiaires, d’autres sont désintermédiés, d’autres encore mondialisés, d’autres uberisés, d’autres créés, voire inventés. La Covid accélère la tendance globale à l’attrition des espaces tertiaires communs et nous a donné un éclairage de ce que ces espaces vont devenir, comme un saut dans l’avenir qui nous a permis d’essayer ce qui marche… et aussi ce qui ne marche pas. C’est bien la question du travail tertiaire et de ses espaces qui est posée, et du retournement du cycle qui a vu la valeur de l’immobilier et des services se maintenir, voire croître, aux dépens de la surface allouée au travail de chacun. Les DET ont fourni un travail phénoménal sur la même période, et exploité chaque évolution technologique, chaque rupture de marché, chaque évolution des services pour soutenir ce mouvement et augmenter santé, sécurité, simplicité d’accès aux ressources, acceptabilité sociale  en compensation, ou au service de ce changement qui apparaît aujourd’hui aussi comme une dérive au-delà de certaines limites. Ils y ont gagné un professionnalisme maintenant établi, et une maîtrise de la complexité – souvent sous-estimée –  qu’ils affrontent tous les jours.

Léonard Querelle[2] fait un bilan cruel. Ce qui a été érodé, ces quinze dernières années, c’est l’intimité du salarié en situation de travail, cette unité de base qui lui permet d’être lui-même au service du groupe. La garantie que l’espace commun protège est tombée. Cette proposition vaut aussi pour l’hygiène, la sûreté, la sécurité, et tous les construits collectifs qui rendent possible le travail. Tant qu’on n’aura pas pris la mesure de cette proposition, on ne comprendra pas le risque sociétal que prennent les entreprises à empiéter sur l’intimité du salarié chez lui. Quand la famille servira à assumer directement l’impact des errements des petits chefs, ceux du manque d’organisation de l’entreprise… je laisse mesurer ce que sera une société dont la famille aura perdu la ressource que lui donne son intimité. Rappelons que 70% des emplois en France sont tertiaires. Ce qui a lieu en ce moment est monstrueux dès lors qu’on ne mesure pas la portée de ce qui est en train de s’opérer ; en revanche il s’agit d’une opportunité remarquable si les différents acteurs savent tenir compte de tous les enjeux.

L’autre phénomène cadre de la décennie, c’est la transition énergétique.  Nous  devrons assumer des engagements très forts sur le développement durable, sur les usages, sur le bâti, qu’il faudra combiner avec une vision renouvelée du travail tertiaire. La solution ne pourra pas être portée par un seul acteur. Les investissements immobiliers et informatiques sont beaucoup trop lourds… et cette fois il n’y aura plus de surface de bureau à réduire en compensation. C’est donc le partage des efforts qui déterminera la réussite. Aux DRH de construire un télétravail responsable, et le droit qui va avec. Aux territoires de capturer le bénéfice de la présence des télétravailleurs en les soutenant. Aux environnements de travail d’accompagner le salarié en permanence. A l’immobilier de distribuer les espaces « servicés » là où ils sont utiles. Aux prestataires de créer les conditions d’emploi, de formation, de normes, d’interopérabilité, qui permettent de produire cette continuité… cette société de la continuité.  Cette obligation de travailler ensemble  constitue une vraie question politique.


L’Ile de France, espace tertiaire majeur, est-elle dans une situation de gouvernance particulière ?

 

JL : en Ile-de-France, du choix de l’hyperdensité résulte un défi tel qu’il est évidemment plus rapidement clivant dans l’espace politique qu’ailleurs. Si 30% des m² tertiaires se libèrent, le choc sera majeur pour tous les acteurs. Or il existe une telle intrication entre les taxes, les transports, les acteurs immobiliers, leurs contreparties dans les collectivités attachées au développement ou à l’urbanisme aux différents échelons territoriaux, qu’il est extravagant d’imaginer un mouvement d’ensemble, voire même concerté, en réponse à l’ajustement du travail. Mais des millions de salariés sont restés chez eux, sans altérer fondamentalement l’activité tertiaire de bureau ; ce qui met tout le monde devant la nécessité de répondre au risque. N’excluons pas que la réponse politique puisse passer par le contrôle du volume de télétravail, de façon à maîtriser par un seul point plusieurs risques. Sur ce sujet comme sur d’autres, quand on parle de la façon de répartir la richesse, par territoires, par groupes sociaux, par filières, on parle toujours de politique.

Le choix de la concentration en Ile-de-France a été un choix politique. Il a construit des opportunités, mais aussi des risques de transport, de pollution, de dépendance aux infrastructures, de sécurité, auxquels nous sommes confrontés tous les jours. Le risque sanitaire vient de se rappeler à notre souvenir : le bâti en zone concentrée est en effet très peu adapté à la distanciation. Rappelons que ce risque n’existait pas – ou beaucoup moins – dans l’univers du bureau cloisonné et du transport individuel. C’est la concentration dans le bureau, ajoutée à la concentration dans la ville, suivant le même mouvement en quelque sorte, qui a renvoyé toute l’Ile-de-France tertiaire en télétravail. Sans ignorer les limites de l’analogie, le travail tertiaire intensif fait le même constat que l’agriculture intensive industrielle : il va falloir changer pour durer. Là aussi ce sont des choix politiques.

 

Quelle sera la place pour les services dans le coût complet du poste de travail dans l’avenir ?

 

JL : la vieille répartition services/immeuble souffre. En fait les modèles les mieux adaptés sont ceux qui adressent aux équipes des ressources qui intègrent sans les différencier l’immeuble et le concept de service qu’il sert. Le bail standard est un outil de protection du capital immobilier et des investissements associés dont les spécificités sont inadéquates à la prestation de service au travail tel qu’il se dessine en ce moment. J’espère que les acteurs trouveront les ressources nécessaires à retourner la problématique, et des formules contractuelles qui leur permettront d’associer immobilier et services dans un modèle qui protège le travail.

Parce que l’enjeu est là. Le télétravail met le travail en danger. A quoi sert de parler d’égalité de salaire ou de traquer la discrimination si vous effacez l’écart de conditions de travail entre une personne qui vit dans 100 m² sans enfant et son collègue qui doit réaliser les mêmes tâches dans 50 m² et assiégé par quatre enfants en bas âge. Nos bureaux sont le lieu d’une sécurité, et d’une équité, qui fait du travail une ressource accessible à tous et une chance pour tous.  Le télétravail abolit ce fondamental social. Nous devons donc repenser la protection du travail tout au long des nouvelles situations de travail, ce qui  disqualifie la notion de poste et de son coût complet… Il faut penser au coût d’un service continu en support au salarié lui-même et non pas au poste… cela ne peut pas faire de mal… même si pour cela il faut admettre que l’immobilier classique qui ne saura pas s’adapter peut se faire intermédier.


Quelle est la position des DET sur le coworking et les tiers lieux ?

 

JL : le coworking et les tiers lieux fournissent le modèle d’un service « disponible partout ».  Ce modèle apporte des solutions a minima dans 4 cas.

  1. En appoint au télétravail, un plateau de services près de chez soi fournissant la continuité pour des activités qui exigent des moyens mutualisés qui peuvent s’utiliser ponctuellement (salles, dvisio, réseaux haut débit, reprographie, réception/expédition), non disponibles au domicile mais qui ne justifient pas un déplacement au bureau (sans compter que se rendre sur son lieu de travail juste pour le courrier et les copies n’a pas de sens). Une des réponses sera de permettre au télétravailleur d’accéder à des tiers lieux « de proximité », des tiers lieux « territoriaux », plateformes de services.
  2. Les tiers-lieux supports au nomadisme : le salarié en déplacement – hier sous un régime exceptionnel – voudra être soutenu dans ses phases de travail avec une meilleure continuité. Il voudra accéder à une plateforme de travail aisément sur son trajet, et comptera sur son employeur pour assurer cette continuité. Adieu les problèmes de batterie, de connexion, les comptes-rendus rédigés le PC posé sur les genoux, les sandwichs à la volée … et aussi les déjeuners d’affaire à rallonge : on peut très bien aligner trois rendez-vous au lounge du coworking le plus proche, ou dans une salle de réunion… comme au bureau.
  3. Le besoin d’espaces supplémentaires flexibles, tels qu’il existe déjà, mais revu sur des standards plus « corporate », en clair dans un concept moins bling-bling et plus soucieux d’ergonomie dans les situations de travail.
  4. Enfin, la continuité de l’offre de services faite au salarié va faire déteindre ces trois propositions sur l’offre principale, sur site employeur, et étendre ce nouveau design de service aux immeubles employeurs, avec d’autant plus de cohérence qu’ils ressembleront davantage aux offres externes en devenant flexibles. Ici, ce ne sont pas les tiers lieux qui s’étendront, mais le design de service, plus orienté vers l’utilisateur, qu’ils ont développé.

La place des prestataires dans l’avenir ?

 

LH : elle sera marquée par la formation. Il leur faudra une très grande proximité avec les entreprises.
Nos prestataires viennent déjà nous voir. Ils nous interrogent sur l’avenir, ils cherchent à anticiper. On vit vraiment une révolution, sur ce qu’on appelle « le travail », ce qu’est un bureau etc. Les prestataires n’ont pas le choix. C’est le moment pour eux de faire de la co-construction. Sinon, ils seront très vite dépassés.

JL : les prestataires qui ne sauront pas intégrer les offres de services à venir descendront un cran de sous-traitance. Ce n’est souhaitable pour personne. Pour assurer une capacité accrue à servir, les prestataires devront développer une capacité à dépasser le marché d’offre, plutôt brutal, auquel 20 ans d’usure les ont amenés. Aujourd’hui, nous sommes condamnés à acheter la propreté qui est proposée, et non celle  dont nous avons besoin. Propreté, sûreté, accueil, restauration, proposent des objets très rigides, attachés au site, certes optimisés économiquement, techniquement et socialement… mais inéligibles à un concept de service multi sites et multi acteurs, capables de servir nos salariés là où ils seront. Le besoin d’intégration à l’échelle de la filière est considérable. D’ailleurs, si les acteurs n’ont pas la capacité de se construire en filière, les surfaces en m² – qui sont l’assiette aujourd’hui de leurs modèles d’affaires – vont continuer à se réduire, sans que ces services puissent se transférer vers le télétravail ; ce serait un échec immérité, au vu de la professionnalisation dont ils ont tous fait preuve sur les dernières décennies, dans la production et au pilotage. Les donneurs d’ordres ont leur part d’engagement dans ce challenge : ils doivent construire la possibilité de développer les concepts de services adaptés à leurs entreprises, et  d’engager les autres acteurs de l’entreprise dans cette ambition. Ici, la conviction et l’ambition des directions générales feront la différence.

 

Etes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?

 

LH : totalement optimiste, par l’opportunité offerte. Depuis très longtemps, nous n’avons pas eu un contexte aussi favorable. Nous sommes à l’heure, voire en avance sur les évolutions en cours. Nous devons aller vers des sociétés environnementalement sobres et accueillantes. A nous de jouer. La crise Covid a eu cet intérêt de montrer de manière forte et claire la matérialité et l’importance des progrès à faire pour y contribuer. Nous ne faisons que décrire pour le métier qui est le nôtre, les enjeux dont nous sommes dépositaires, donneurs d’ordres et prestataires. Nous avons la volonté et la capacité de les assumer.


[1] Direction des Services Informatiques, Direction des Ressources Humaines, Direction Immobilière, Direction de l’Environnement de Travail.

[2] Président du CINOV, Syndicat français représentant la profession du conseil en ergonomie