14 mai 2021

CAHIER 10 – Document 3

Quels arbitrages des salariés entre leurs lieux de travail dans l’après-crise ?

Alain d’Iribarne[1]

[1] iribarne@msh-paris.fr ; Directeur de recherche au CNRS ; Président du Comité scientifique d’ACTINEO

Diffusé le 18/05/2021, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

 d’Iribarne[1]

L’analyse des enquêtes réalisées par ACTINEO tous les deux ans (ici les données du baromètre 2019) éclairent les arbitrages que les actifs français travaillant dans les bureaux (salariés pour 96% d’entre eux) pourraient faire entre les différents lieux où ils pourront travailler, y compris leur immeuble de bureau et leur domicile[2] :

  • la Qualité de Vie au Travail (QVT), et singulièrement la qualité de l’aménagement des locaux et des bureaux jouera un rôle important et croissant en matière de santé et de bien-être au travail, cette QVT sera également importante en matière de relationnel et de performances ;
  • dans la perspective d’un espace de travail élargi, le domicile va jouer un rôle accru en raison d’un développement du télétravail ;
  • les arbitrages des collaborateurs entre les lieux de travail individuel et collectif, appréhendés comme un tout, dépendront donc en grande partie de leurs attractivités relatives.

1 – Les lieux de travail dont le salarié aimerait disposer dans son immeuble de bureau

 

Son bureau dans l’idéal 

Les pratiques actuelles des entreprises tendent à préférer les open-space, bureaux collectifs ouverts, et à évoluer de postes de travail dédiés vers des postes de travail non dédiés, combinés sous l’appellation générique de flex-office. Le tableau 1 est sans appel : rejet majeur du flex-office, qui porte plus sur le principe du poste de travail non dédié que sur le bureau collectif ouvert. Ce résultat indique à quel point les entreprises qui choisiront d’adopter ce modèle, perçu comme violent, devront mesurer les risques d’effets contreproductifs en particulier en matière de santé et de satisfaction au travail, avec des conséquences probables sur l’absentéisme[3]


Tableau 1 : si vous aviez le choix, où préféreriez-vous travailler ?1eret 2èmechoix1er choix
Poste de travail dédié dans un bureau individuel fermé0.590.45
Poste de travail dédié dans un bureau collectif de petite taille0.380.19
Poste de travail dédié dans un espace de travail ouvert 0.310.13
avec bulles de confidentialité et salles de réunions de proximité en libre accès
Uniquement du télétravail à domicile0.260.1
Sans poste de travail dédié, dans des espaces ouverts de grande taille0.120.06
Source : enquête ACTINEO 2019, pages 80 et suivantes


Un bureau idéal pour qui ?

Derrière les moyennes, on trouve des polarisations sur des profils particuliers. Nous avons donc regardé plus en détail quels étaient ceux qui prisaient le plus les postes de travail dédiés. Le résultat (tableau 2) fournit deux informations complémentaires :

  • les préférences exprimées sont en lien direct avec les lieux dans lesquels les répondants travaillent : celui qui travaille déjà dans un espace collectif ouvert et, qui plus est, en dehors de son immeuble de bureau, aura d’autant plus envie de travailler dans un espace collectif ouvert ;
  • dans les cas où l’âge est un facteur discriminant, les plus âgés sont fortement attachés aux bureaux individuels fermés, alors que les jeunes ont proportionnellement plus d’attirance pour les bureaux collectifs ouverts.

Tableau 2 : profils des amateurs de postes de travail dédiésMoyenne (*) Selon le lieu de travail actuelSelon l’âge
Un poste de travail dédié dans un bureau individuel fermé 0.59bureau individuel fermé : 75%55-65 ans : 68%
Un poste de travail dédié dans un bureau collectif fermé de petite taille0.38bureau fermé d’au moins 2 personnes : 47%
Un poste de travail dédié dans un espace collectif ouvert avec des bulles de confidentialité et des salles de réunion de proximité en libre accès0.31bureau collectif : 38%26-35 ans : 38%
utilisateurs réguliers de tiers-lieux : 41%
(*) : préférences en 1er et 2ème choix ; source :
enquête ACTINEO 2019, page 80


 Ces résultats permettent de nuancer les propos précédents. Ils mettent en évidence à la fois une logique de reproduction et l’existence d’une expérience d’usage. Il sera d’autant plus facile pour les entreprises de faire accepter le flex-office par leurs collaborateurs que ces derniers seront jeunes et déjà acculturés à son usage. Dans une logique de QVT, les concepteurs des bureaux et des postes de travail associés doivent ainsi être attentifs aux profils des futurs utilisateurs, trajectoires comprises.


Les autres lieux dont on dispose dans l’immeuble où se trouve son bureau et que l’on fréquente le plus

Les bureaux et leurs postes de travail ne sont qu’une partie des lieux et places de travail. Ils seraient même de plus en plus secondaires en cas de développement massif aussi bien du « travail libéré » que du travail « hors les murs ». Nous avons élaboré une taxinomie des autres lieux suivant leurs finalités : lieux destinés à permettre de travailler au calme ; lieux destinés à favoriser le travail collectif et lieux conviviaux de détente et de restauration. Nous avons ensuite distingué dans ces catégories des lieux « traditionnels » et des lieux « modernes », puis croisé les fréquences de présence et d’usage sur chacun de ces lieux. De ce croisement sont ressortis trois groupes : lieux jugés « incontournables », à la fois très présents et très fréquentés ; lieux « très attendus », peu présents mais relativement très fréquentés, et enfin lieux à « l’utilité marginale », à la fois peu présents et peu fréquentés.


Les lieux incontournables (tableau 3)

Sans surprise, la machine à café est de très loin le lieu le plus présent et le plus utilisé. A entendre ce qui est dit, son rôle d’espace d’échanges avec les collègues et de socialisation serait tellement essentiel pour la QVT des collaborateurs que son manque serait à lui seul une cause de non-extension du télétravail. Sur ce point, retenons simplement que la localisation de la machine à café mérite d’être étudiée avec soin. Plus important pour notre analyse, dans le petit nombre de lieux incontournables ainsi définis figurent des lieux que nous avons désigné comme « modernes » ; les lieux de détente et de repos, de restauration, ce qui montre qu’il y a là de vraies attentes.


Tableau 3 : les lieux incontournables (*)Dispose du lieuUtilise le lieu
Conviviaux de détente classique : coin café/machine à café 0.660.83
Conviviaux de détente et de restauration « moderne » cuisine en libre accès 0.380.73
salle de repos de détente0.340.72
(*) : tous les jours ou plusieurs fois par semaine en % ; source : enquête ACTINEO 2019, pages 45 et 46


 Les lieux très attendus (tableau 4)

Cette seconde catégorie de lieux est particulièrement intéressante en raison de sa construction ; une disponibilité relativement faible donnant lieu à une utilisation relativement forte constitue une indication intéressante de leur utilité. C’est le cas du restaurant et surtout de la cafétéria qui sont de grands classiques de l’aménagement des immeubles de bureau traditionnels.  C’est tout particulièrement le cas des bulles de confidentialité, des espaces de co-working et autres fab-lab encore très peu présents mais bien utilisés et dont on peut penser que la présence va se renforcer. On voit enfin que ces lieux « attendus » sont tous des lieux « modernes ». Ils devraient être présents dans un programme immobilier qui se veut attractif.


Tableau 4 : les lieux très attendus (*)Dispose du lieuUtilise le lieu
Lieux conviviaux de détente et de restauration (traditionnels)cafétéria0.220.73
restaurant d’entreprise0.220.69
Lieux destinés à favoriser le travail coopératif (modernes)espace convivial de partage informel0.180.71
espace de coworking0.060.63
espaces d’innovation, fab-lab ou incubateurs0.020.56
Lieux conviviaux de détente (modernes) : jardin, terrasse ou espace vert 0.240.58
Lieux destinés à permettre de travailler au calme (modernes) : bulles ou espaces de confidentialité0.070.52
(*) tous les jours ou plusieurs fois par semaine en % ; source : enquête ACTINEO 2019, pages 45 et 46


Les lieux marginaux (tableau 5)

Des questions se posent sur l’utilité de ces lieux définis comme peu présents et faiblement utilisés, et donc sur l’intérêt d’en prévoir dans un projet immobilier. On retrouve ici les salles de conférence ou auditorium, et les salles de réunion centrales réservables qui ne sont pas destinées à des usages intensifs, une réponse pourrait être de les externaliser. Il n’est pas surprenant de trouver également les bibliothèques, perçues comme un outil d’université plus que d’entreprise. On peut cependant leur attribuer un rôle de standing dont elles tirent souvent leur légitimité. Il est plus surprenant de trouver dans cette catégorie les salles de réunion de proximité et de visio-conférence, dont l’usage devrait se développer en accélération d’une dynamique déjà en cours[4].


Tableau 5 : les lieux marginaux (*)Dispose du lieuUtilise le lieu
Lieu convivial de détente, moderne : salle de sport0.070.28
Lieu destiné à permettre de travailler au calme, traditionnel : bibliothèque 0.120.43
Lieux destinés à favoriser le travail collaboratif, modernessalle de réunion de proximité en libre accès ou facilement réservable en ligne 0.270.43
salle de visio-conférence0.190.25
Lieux destinés à favoriser le travail collaboratif, traditionnelssalle de conférence, auditorium 0.140.23
salle de réunion centrale réservable0.290.24
Conciergerie0.070.39
(*) tous les jours ou plusieurs fois par semaine en % ; source : enquête ACTINEO 2019, pages 45 et 46


Reste la question des conciergeries dont on peut penser que l’utilité est peut-être d’autant plus limitée que le quartier où est implanté l’immeuble est riche en services. 


2 – Les équipements attendus sur le poste de travail

Pour mieux cerner les facteurs d’attractivité d’un immeuble de bureaux, nous avons également élaboré une taxinomie des équipements des postes de travail : quels sont les équipements dont les actifs travaillant dans des bureaux aimeraient disposer ? Nous avons regroupé en six grandes catégories les dix équipements qui caractérisent dans notre enquête les aménagements des lieux de travail : tables et sièges ; protection acoustique et éclairage, équipements informatiques et enfin, un ensemble constitué des caissons individuels, casiers de rangement et autre armoire de vestiaire.


Les équipements présents sur le lieu de travail principal

Les tableaux 6 et 7 mettent en évidence les niveaux des équipements sur le lieu de travail principal, suivant un ordre de présence décroissant, ainsi que le profil de leurs utilisateurs caractérisés par leur âge, leur catégorie professionnelle et la taille de leur entreprise. Pour mieux cerner les enjeux nous avons découpé l’ensemble de ces équipements en deux groupes distincts. Un premier groupe est composé des équipements qui sont fréquents, qualifiés de « basic ». Un second groupe est composé d’équipements nettement moins fréquents qualifiés de « différenciés », à défaut de « modernes ».


Tableau 6 : fréquences de présence des équipements « basics » des bureaux et profils de leurs utilisateurs MoyenneSelon l’âgeSelon la catégorie professionnelleSelon la taille d’entreprise
Armoire personnelle/ vestiaire0.52Ouvrier : 73%100/249 : 59%
Dirigeant : 65%
Casier individuel fixe pour ranger vos affaires personnelles0.5100/249 : 59%
Station de travail permettant de connecter vos équipements informatiques mobiles0.48Cadre/dirigeant : 57%
Caisson/casier individuel mobile pour ranger vos affaires0.43Millenials : 53%Dirigeant : 57%
Eclairage individuel réglable à votre gré 0.4>55ans : 50%Cadre/dirigeant : 50%
Siège ergonomique réglable 0.39Dirigeant : 59%>250 : 46%
Millenials : 19-29 ans ; source : enquête ACTINEO 2019, page 52

 

Deux enseignements ressortent de cette distinction en matière d’équipements :

  • une frilosité des entreprises : les équipements les plus banaux sont de loin les plus présents, tandis que les plus « modernes » le sont nettement moins ;
  • l’âge et la catégorie professionnelle sont nettement plus discriminants que la taille de l’entreprise. A l’exception des plus âgés pour l’éclairage individuel, ce qui peut se comprendre, les plus jeunes sont les mieux équipés, en particulier en équipements dits « modernes ».

Si on regarde les catégories professionnelles, les ouvriers disposent plus que tout le monde d’une armoire personnelle de vestiaire, ce qui se comprend. Mais pour le reste, aussi bien pour les équipements « basics » que pour les équipements « modernes », ce sont les dirigeants, seuls ou associés aux cadres, qui apparaissent favorisés : effets de statut qui caractérisent les entreprises, et effets de rapport à la modernité qui caractérisent les rapports d’âge.


Tableau 7 : fréquences de présence des équipements « différenciés » des bureaux et profils de leurs utilisateurs MoyenneAgeCatégorie professionnelle
Mobilier qui permet de s’isoler facilement du bruit0.2719/25 ans : 41%Cadre/dirigeant : 34%
Autre type de siège jugé mieux adapté aux besoins corporels0.27Dirigeant : 41%
Table réglable en hauteur 0.2Millenials : 35%Cadre/dirigeant : 26%
Mobilier connecté « intelligent » permettant d’adapter l’environnement de travail aux besoins 0.2Millenials : 30%Cadre/Dirigeant : 24%
Millenials : 19-29 ans ; source : enquête ACTINEO 2019, page 53

 

Les niveaux d’attente vis-à-vis des équipements de bureau

Le tableau 8 met en évidence les niveaux d’attente des actifs qui travaillent dans les bureaux. Il permet de distinguer trois grands groupes.

Un premier groupe arrive nettement en tête (1er et 2ème rang). Il est composé de « la table de travail réglable en hauteur » et « du mobilier connecté intelligent ». Il est suivi d’un second groupe composé « des sièges ergonomiques » (3ème rang) ainsi que « d’un mobilier qui permet de s’isoler du bruit » et « d’un autre type de siège jugé mieux adapté à ses besoins corporels » à égalité au 4ème rang des attentes. Sont ainsi regroupées au sommet de la hiérarchie des attentes les composantes principales d’une ergonomie moderne des postes de travail :

  • la possibilité d’ajuster au mieux son poste de travail en fonction de sa morphologie et de ses besoins pour des raisons de santé physique ;
  • la possibilité de se protéger de la principale nuisance dans les open-space qu’est le bruit ;
  • mais surtout la possibilité de disposer de postes de travail équipés en informatique à la hauteur de ce qui est demandé pour travailler en « collaboratif » et à distance.

Arrivent ensuite, en situation intermédiaire, « éclairages individuels » (6ème rang), disant l’importance accordée à la possibilité d’adapter l’éclairage du poste à ses besoins propres, et en fin de classement les équipements les plus banaux : « stations de travail », « caissons individuels mobiles pour classer ses affaires », « casiers individuels » et « armoires personnelles pour servir de vestiaire ».


Tableau 8 : niveaux d’attente des actifs travaillant dans des bureaux au regard des équipements de leur lieu de travail : « j’aimerais avoir sur mon lieu de travail … »%Rang
Table réglable en hauteur0.481er
Connexions Mobilier connecté « intelligent » 0.462ème
Station de travail permettant de connecter les équipements informatiques mobiles 0.257ème
(PC, tablettes…)
SiègesSiège ergonomique réglable 0.433ème
Autre type de siège mieux adapté à vos besoins corporels0.414ème
Bruit : mobilier qui permet de s’isoler facilement du bruit0.414ème
Eclairage individuel réglable 0.366ème
RangementsCaisson/ casier individuel mobile pour ranger ses affaires 0.248éme
Casier individuel fixe pour ranger ses affaires personnelles0.239éme
Armoire personnelle/vestiaire0.2310éme
Aucun de ces équipements0.1511éme
Source : enquête ACTINEO 2019, page 84

 

Les attentes formulées et les équipements existants

Nous avons rapproché la hiérarchie des préférences des actifs sur les équipements de la fréquence de présence de ces équipements. Là encore, les équipements les plus attendus sont les moins classiques et les moins présents, et inversement. En croisant les taux de présence et les niveaux d’envie de pouvoir en disposer, trois grandes situations apparaissent, qui viennent s’articuler aux trois groupes précédents. L’ensemble donne une indication du retard des entreprises françaises au regard des attentes de leurs collaborateurs en matière de modernité, autant d’équipements informatiques que de confort[5]

On trouve des équipements très attendus et peu présents, eux-mêmes divisibles en deux sous-groupes. Le premier est composé de la table de travail réglable en hauteur et du mobilier connecté intelligent qui, comme on l’a vu, arrivent en 1er et 2ème rang alors qu’ils ne sont présents que dans moins de 20% des entreprises. Le second, présent dans un peu plus de 25% d’entre elles, est composé d’un mobilier qui permet de s’isoler du bruit et « d’un autre type de siège jugé mieux adapté à ses besoins corporels », ces derniers arrivant comme on l’a vu à égalité au 4ème rang des attentes.

A l’inverse, on trouve des équipements relevant « d’un contrat de base » constitués des casiers individuels et armoires personnelles pour servir de vestiaire. Présents dans plus de 50% des entreprises, ils sont en même temps les moins désirés. Figurent également dans cette catégorie, « de base », les caissons et les stations de travail, un peu moins présents et un peu plus attendus.

Reste une troisième catégorie constituée de situations intermédiaires. Elle correspond aux « sièges ergonomiques » et aux « éclairages individuels » qui restent relativement présents dans les entreprises, – un peu moins de 40% -, tout en étant fortement attendus.

 

Les profils des actifs qui expriment des attentes renforcées (tableau 9)

Quels sont les actifs qui ont les attentes les plus fortes et par rapports à quels équipements ?   Pour répondre, nous n’avons retenu que les écarts significatifs par rapport aux moyennes que l’on vient de voir, sur les caractéristiques d’âge, de catégories professionnelles et de tailles d’entreprise. Ce sont principalement les jeunes générations (celles que les entreprises se disputent) et, quand c’est précisé, l’encadrement de base (cadres ou agents de maîtrise) qui expriment le plus ces attentes et qui sont plutôt plus présents dans les petites entreprises. 

En comparant enfin ceux qui sont suréquipés par rapport à la moyenne avec ceux qui ont des attentes plus fortes que les autres on constate un fort recouvrement pour les âges et les catégories professionnelles – des jeunes et des cadres/managers – mais un décalage dans les tailles des entreprises, les présences étant plutôt plus fortes dans les entreprises de taille moyenne et les attentes plus fortes dans les petites.


Tableau 9 : ceux qui ont les attentes renforcées : « j’aimerais avoir sur mon lieu de travail … »MoyenneAgeCatégorie professionnelleTaille d’entreprise
Table réglable en hauteur0.48
Connexions Mobilier connecté « intelligent »0.46Cadres managers de 1er niveau : 56%
Station de travail permettant de connecter les équipements informatiques mobiles (PC, tablettes)0.25Millenials : 37%10 à 49 : 32%
SiègesSiège ergonomique réglable 0.43Millénials : 56%Cadres managers de 1er niveau 53%
Autre type de siège mieux adapté à vos besoins corporels0.41Millenials : 50%
Mobilier qui permette de s’isoler facilement du bruit0.41
éclairage individuel réglable 0.36Millenials : 45%TAM 47%50 à 99 : 45%
RangementsCaisson/casier individuel mobile pour ranger ses affaires0.24Ouvriers : 39%
Casier individuel fixe pour ranger ses affaires personnelles0.23
Armoire personnelle/vestiaire0.2319/25 ans : 33%
Aucun de ces équipements0.15Cadres non managers : 23%TPE : 22%
Millenials : 19-29 ans ; TAM Techniciens Agents de Maitrise ; TPE <10 salariés ; source baromètre ACTINEO 2019, page 84

 

3 – Les satisfactions vis-à-vis des lieux de travail hors de l’immeuble de bureaux de son entreprise

 Le domicile, l’hôtel, le restaurant/café ou un espace de co-working…, constituent aujourd’hui des lieux d’autant plus légitimes de travail que la perspective se dessine d’une forte augmentation du télétravail : singulièrement hier celle des tiers-lieux espaces de co-working et demain, celle des hôtels à la recherche d’un relais de croissance. Une des questions qui se pose alors pour la suite du déconfinement est celle des arbitrages que les salariés vont souhaiter opérer entre leurs lieux de travail. Les attractivités relatives de ces lieux vont intervenir dans ces arbitrages. Quels niveaux de satisfactions offrent-ils à leurs utilisateurs et quels sont plus précisément les éléments constitutifs de ces satisfactions et insatisfactions ?


Une taxinomie pour caractériser la qualité des lieux de travail (tableau 10).

Pour répondre à cette question, nous avons élaboré une taxinomie qui s’appuie sur sept grandes dimensions largement reconnues comme éléments importants de la qualité de vie au travail et au sein desquelles nous avons rangé les dimensions analytiques élémentaires.


Tableau 10 Taxinomie élaborée pour caractériser la qualité d’un lieu de travail
Caractéristiques physique du bâti qualité de l’éclairage
niveau du bruit
température (trop froid, trop chaud…)
L’ergonomie confort du siège sur lequel je travaille
confort de la table sur laquelle je travaille
Les infrastructures de communication possibilité de recharger facilement mes appareils électroniques
qualité du réseau téléphonique mobile
qualité de la connexion internet
possibilité d’organiser une conférence téléphonique
Des places disponibles pour gérer ses affaires de travail pour disposer mes affaires de travail
pour ranger mes affaires de travail
Des possibilités pour s’organiser organiser une réunion de travail
pouvoir gérer des tâches personnelles
pouvoir disposer de différents types d’espaces
Des possibilités pour travailler de façon conviviale boire ou grignoter quelque chose
me détendre, faire une pause agréable
La confidentialité

  

Les niveaux de satisfaction des principaux lieux de travail hors des bureaux de l’employeur (tableau 11)

Pour chacun des quatre lieux précités, les utilisateurs expriment leur degré de satisfaction sur une échelle allant de très satisfait à pas satisfait du tout[6]. Dans le tableau ne figurent que les éléments qui ont procuré les satisfactions les plus grandes et ceux qui ont procuré les satisfactions les plus faibles en retenant uniquement l’indicateur « très satisfait ».

Tableau 11 : niveaux de satisfaction par rapport à des éléments de vie au travail dans des lieux autres que son immeuble de bureau (en %)domiciletiers lieuxhôtelsrestaurants
Caractéristiques physiques du bâti  qualité de l’éclairage 42262719
niveau du bruit44262817
température (trop froid, trop chaud…)43223022
Ergonomie confort du siège sur lequel je travaille 38252519
confort de la table sur laquelle je travaille39262518
Infrastructures de communication recharger facilement mes appareils électroniques 47273121
qualité du réseau téléphonique mobile 40272724
qualité de la connexion internet40302721
organiser une conférence téléphonique28272417
Places disponibles pour disposer mes affaires de travail43262419
pour ranger mes affaires de travail412623?
Possibilités pour s’organiser organiser une réunion de travail 28232317
pouvoir gérer des tâches personnelles42252320
pouvoir disposer de différents types d’espaces40232619
Travailler de façon convivialeboire ou grignoter quelque chose 49262829
me détendre, faire une pause agréable48283024
Confidentialité46293019
Source : enquête ACTINEO 2019, pages 65, 66, 70, 71, 76

 

Deux lectures de ces données sont possibles. L’une horizontale, par élément, met en évidence les caractéristiques communes aux quatre lieux, en contraste avec les immeubles de bureaux. L’autre verticale, lieu par lieu, met en évidence la spécificité des satisfactions d’usage propre à chacun d’eux et donne ainsi une idée de leurs performances relatives en matière de QVT.


Une lecture trans-lieux de travail, des niveaux relatifs de satisfaction

Si on prend en considération les niveaux de satisfaction les plus élevés, seul « pouvoir me détendre et faire une pause agréable » est présent sur les quatre lieux avec un bon classement. « pouvoir boire et grignoter quelque chose » est présent dans deux lieux où ils sont classés en tête ainsi que « pouvoir recharger facilement ses appareils électroniques » et les possibilités de confidentialité. A l’inverse, pour les niveaux de satisfaction les plus faibles, on trouve citée pour les quatre lieux « la possibilité d’organiser une réunion de travail » ; pour deux lieux « la possibilité d’organiser une conférence téléphonique » ainsi que « la possibilité de pouvoir gérer des tâches personnelles » et « l’ergonomie, le confort du siège ».

Cette lecture trans-lieux laisse supposer que, par contraste avec son immeuble de bureau traditionnel, la convivialité est une marque de fabrique commune à ces lieux tout en permettant une certaine confidentialité. A l’inverse ils seraient mal adaptés pour tout ce qui concerne les réunions, en présentiel mais aussi à distance, sans que les infrastructures de communication soient en cause. Dans l’état des choses, tout en étant peu confortables (sièges, température, bruit), et mal commodes (gérer ses tâches personnelles, ranger ses affaires), ces lieux seraient donc plutôt mieux adaptés à une pratique de travail individuel.


Une lecture des niveaux relatifs de satisfaction suivant les lieux de travail

Au-delà des satisfactions et insatisfactions communes à ces quatre lieux, une lecture des profils propres à chacun d’eux permet de mettre en évidence leurs forces et leurs faiblesses en termes de satisfaction pour leurs usagers.

 

Le domicile. Ce lieu nous intéresse en priorité compte tenu de notre objet. Il se singularise des trois autres par le fait qu’il conjugue un niveau moyen de satisfaction et une dispersion nettement plus élevés. Du point de vue de ses usagers, il apparaît avec quatre atouts majeurs : il est agréable d’y travailler de façon détendue, boire et grignoter, faire des pauses agréables, et c’est aussi un lieu où il est facile de trouver une prise de courant et où on peut travailler en toute confidentialité. A l’inverse, il se présente comme un lieu peu favorable aux réunions de travail, en présentiel comme en conférence téléphonique. En valeur intermédiaire, les niveaux de bruit et de température ainsi que les possibilités de ranger ses affaires sont évalués de façon favorable. Les ergonomies des tables et sièges de travail sont évaluées de façon défavorable.

Le domicile se présente comme un lieu où on va pouvoir travailler seul et en paix, avec une bonne qualité de vie. Il ne faudra donc pas beaucoup d’incitations pour pousser les salariés qui en auraient la possibilité, à travailler chez eux de façon régulière, voire privilégiée : il suffira de procéder à des investissements somme toute limités pour monter le niveau d’ergonomie du poste de travail et pour permettre de travailler de façon plus satisfaisante en téléconférence, voire en visioconférence.

 

Les espaces de co-working.  Dans ce large mouvement de multiplication des lieux légitimes de travail en dehors de son immeuble de bureau, les espaces de co-working sont une composante qui monte rapidement en puissance avec comme originalité par rapport aux trois autres lieux d’être explicitement conçus comme des lieux de travail[7].

Par rapport au domicile, les espaces de co-working se caractérisent par un niveau moyen et une dispersion de satisfaction nettement plus faibles. Leurs utilisateurs leur accordent avant tout comme qualité la connexion à Internet, juste devant la confidentialité et le fait de pouvoir y travailler de façon détendue. L’ensemble est suivi de près par la qualité du réseau téléphonique mobile, la possibilité d’organiser une conférence téléphonique et enfin, la possibilité de recharger facilement ses appareils électroniques. On retrouve là un ensemble de qualités recherchées par les usagers des espaces de co-working.  A l’inverse, ils leur reprochent souvent la qualité de la température, la possibilité d’organiser une réunion de travail mais se plaignent aussi de l’ergonomie et du confort du siège sur lequel ils travaillent. Ils leur reprochent également une faible possibilité pour gérer des tâches personnelles, et de disposer de différents types d’espaces.

Ces faibles satisfactions ne sont pas surprenantes. Elles recoupent l’absence par principe de bureaux et de postes de travail dédiés dans les espaces de co-working. Par contre, elles laissent penser qu’une partie significative de ces lieux de travail ne sont pas à la hauteur de leurs promesses, la qualité du confort des sièges et de la température étant des bases de la QVT. Il en va de même si ces lieux veulent offrir des possibilités d’organiser des réunions. Derrière ces critiques, on peut penser que c’est un business-model actuellement dominant qui est en cause.           


Les hôtels. Ils sont également intéressants à examiner de façon comparative avec les domiciles et les espaces de co-working. Ils évoluent vers des offres de salles de réunions tandis que leurs bars et autres lieux de détente tendent à devenir des lieux de rencontre de travail. A la sortie des contraintes de la pandémie, on sent se renforcer l’idée que les hôtels pourraient devenir des lieux de co-working, ou des lieux de travail éphémères, des chambres pouvant être louées à la journée, voire à la demi-journée, en tant que de bureaux.

Comme pour le domicile, leurs utilisateurs apprécient de pouvoir y travailler de façon détendue et d’y trouver facilement des prises de courant. Leur possibilité de confidentialité est également appréciée, ainsi que le confort du réglage de température. Ils sont en résumé appréciés pour des qualités qu’ils empruntent en partie au domicile et en partie aux espaces de co-working.

Logiquement, nos actifs leur reprochent la difficulté de pouvoir s’installer et le manque de places disponibles pour pouvoir gérer des tâches personnelles. Curieusement en revanche, ils sont peu satisfaits de la possibilité d’organiser des réunions de travail alors que les hôtels en font un élément explicite de leur offre. Une explication possible est que pour leur travail, ils sont amenés à fréquenter des hôtels de catégories « éco » voire « super éco »[8] sous-équipés dans ce registre.

 

Les restaurants/cafés. Des quatre lieux de travail testés, ils sont ceux vis-à-vis desquels les utilisateurs expriment les satisfactions les plus faibles, avec des écarts très faibles entre satisfactions et insatisfactions. Sans surprise, la chose qu’ils apprécient vraiment est de pouvoir y grignoter, plus encore que le fait de pouvoir y travailler de façon détendue. Ces lieux sont faits pour ça. Ils apprécient également la qualité des réseaux téléphoniques mobiles. A l’inverse, une multitude de reproches leur sont faits : niveau de bruit, possibilité d’organiser des réunions de travail et des conférences téléphoniques, sans oublier l’ergonomie et le confort des tables de travail.


Conclusion : Quelles perspectives d’évolution des espaces de travail domicile/ immeuble de bureau à partir des attentes des utilisateurs ? 

Les résultats de l’enquête mettent en évidence les points forts et les points faibles de chacun de ces lieux. Ils indiquent des pistes à suivre. En combinant préférences d’usage, attentes et satisfactions, ils donnent des pistes précieuses aux aménageurs des immeubles de bureau pour améliorer la QVT suivant trois directions. Les deux premières concernent les équipements qui s’invitent avec force : une amélioration de l’ergonomie et des conforts des équipements de bureau pour qu’ils s’adaptent mieux aux morphologies et aux pratiques de travail de chacun ; une amélioration des postes de travail numériques pour les mettre à la hauteur des attentes formulées et pas seulement à distance. La troisième concerne les aménagements des lieux de travail afin qu’ils deviennent plus attirants : des lieux où il fera bon vivre autant qu’il fera bon travailler.

Plus globalement, l’enquête montre que l’immeuble de bureau doit être conçu comme une des composantes d’un système de lieux de travail supports des espaces de travail individuels et collectifs. La QVT offerte par l’immeuble est par ailleurs située dans la qualité de vie offerte par le quartier où il est implanté[9]. En effet, en matière de QVT autant qu’en matière d’efficience productive, tous les lieux et équipements évoqués constituent un système les liant les uns aux autres dans une perspective de complémentarité, sachant que le maillon le plus faible détermine la faiblesse globale du système.  

Dans la perspective post-pandémie d’une recomposition des espaces de travail de bureau, en prenant comme critère la QVT, les restaurants et les cafés ont peu de chance de devenir un lieu structurel de travail. Ce n’est pas leur rôle et leur modèle d’affaire en est trop éloigné.

Il en va différemment des tiers-lieux espaces de co-working. Au prix d’une évolution de leurs modèles d’affaires les tirant vers des immeubles de bureaux à structures flexibles associées à des locations « liquides » et au prix d’améliorations dans leurs offres, ils peuvent devenir une composante structurelle plus importante des espaces de travail post-confinement. Ils peuvent ouvrir ainsi le jeu des possibles dans la configuration de ces espaces, en particulier du point de vue territorial. Ils sont susceptibles de prendre une place au côté des domiciles dont les qualités seraient insuffisantes pour offrir des conditions de travail permettant une pratique pleine du télétravail. De plus, ce qui serait important, ils seraient susceptibles d’offrir aux télétravailleurs une rupture de l’isolement, des lieux de socialisation de voisinage. 

Dans la perspective d’un déplacement stratégique vers l’intégration de lieux structurels de travail dans leur offre, le cas des hôtels est particulièrement intéressant. Compte tenu de leur maillage sur le territoire et de leur variété, ils pourraient enrichir substantiellement à moyen terme la panoplie des tiers-lieux de travail.  Combinant un ensemble complet d’offres de services et se rapprochant du modèle d’affaire déjà largement éprouvé par les offreurs de séminaires résidents, ils pourraient devenir une composante d’un maillage territorial décentralisé dans les petites agglomérations à la recherche d’activités nouvelles réalisées à distance.

Reste le cas central : celui des combinaisons susceptibles d’advenir entre télétravail à domicile et travail dans l’immeuble de bureau où se trouve le poste de travail principal. Dans l’hypothèse où les collaborateurs auront la possibilité de négocier cette combinaison en fonction de leurs préférences propres, notre étude montre que les qualités des lieux et la façon dont les collaborateurs seront susceptibles de les apprécier jouent un grand rôle, voire un rôle déterminant, dans le choix final.


[1] iribarne@msh-paris.fr ; Directeur de recherche au CNRS ; Président du Comité scientifique d’ACTINEO

[2] Au sortir du confinement : Quels jours d’après ? Desk sharing, espaces de co-working, home office : vers une diversification fortement accrue des lieux et temps de travail. Mai 2020 ; Quelle place à venir pour le télétravail après le déconfinement ? Ce que les enquêtes d’ACTINEO permettent de dire. Juin 2020.

[3] Ainsi à la question dans l’enquête ACTINEO de 2019 ; « Je ressens le besoin de m’arrêter alors que je ne suis pas malade », si 32% ont répondu qu’ils étaient d’accord, le taux montait à 54% chez les insatisfaits et à 59% chez les très insatisfaits

[4] Entre 2017 et 2019, le taux de présence des salles de réunion a augmenté de 4 points et leur taux d’usage de 9 points, tandis que le taux d’usage des salles de visio-conférence a augmenté de 18 points.

[5] En toute rigueur, on pourrait voir une certaine tautologie dans cette construction dans la mesure où on peut penser que les attentes seront d’autant plus fortes que la disposition est faible. Cette hypothèse supposerait une forte corrélation inverse entre les niveaux d’attente et les niveaux de présence, ce qui n’est pas le cas.    

[6] Soit « travaillant au moins une fois par mois » : 490 chez eux ; 264 dans des hôtels ; 465 dans un restaurant/café ; 296 dans un espace de co-working

[7] Parmi nos actifs les utilisateurs d’espaces de co-working sont passés de 15% à 38% entre 2015 et 2019. 

[8] Selon l’institut MKG ; en France métropolitaine où les chaines intégrées représentent les ¾ des chambres, 27% d’entre elles seraient « super éco » et 32% « éco », ces proportions étant respectivement de 13% et 48% pour les hôtels indépendants, les « moyennes gammes » représentant quant à elles respectivement 27% et 29%

[9] Ainsi, à la question ; « Et pour chacun de ces éléments de votre vie au travail, quel est votre degré de satisfaction ? », la réponse a été « très satisfait » pour seulement 18% des répondants, ces satisfactions montant à 41% pour les Dirigeants et à 21% pour les 19 à 25 ans.