10 décembre 2021

CAHIER 14 – Document 2

Le Property Management face à la crise sanitaire

Csongor Csukás, Président de l’APROMA

Propos recueillis par Michel Platzer et Xavier Baron

Diffusé le 14/12/2021, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Au contact quotidien des investisseurs comme des utilisateurs d’espaces de travail, le property manager occupe une position privilégiée pour analyser les conséquences de la crise sanitaire et comprendre la nouvelle donne de l’immobilier professionnel.

Nous avons posé la question des évolutions en cours à Csongor Csukás, actuellement président de Property Management France et Deputy Head of International Property Mangement de BNP Paribas Real Estate, groupe qu’il a rejoint en 2010 après 8 ans d’expériences dans le FM, le PM et le AM.

Il est également Président de l’APROMA, Association des Property Managers qui regroupe 22 entreprises gérant 81 millions de m² de surfaces immobilières de bureaux, commerces, logistique et locaux d’activités pour le compte d’investisseurs professionnels français et internationaux. Les adhérents de l’APROMA et leurs équipes (2300 collaborateurs), à 55% féminines, supervisent plus de 90% de ces actifs gérés pour compte de tiers en France, pour un chiffre d’affaires d’environ 260 M€.

 

Les investisseurs face à la crise sanitaire: une mutation des usages des bâtis

 

Csongor Csukás :

Le challenge actuel des bureaux face à la crise du Covid-19 et ses conséquences ressemble à celui des centres commerciaux face au développement du e-commerce. Auparavant, un centre commercial c’était beaucoup de surfaces de boutiques et de stockage desservies par des galeries. L’important, c’était les boutiques. Aujourd’hui, un centre commercial c’est d’abord une expérience émotionnelle destinée à créer un lien avec le consommateur sur des marques et des concepts. L’acte d’achat lui-même peut se faire dans un espace numérique, par internet, avec le support d’une logistique surdéveloppée. La répartition entre espaces boutiques et espaces d’animation a évolué en conséquence.

Le bureau fait face à une mutation du même type : d’usine à cols blancs, espace d’abord consacré à la production du travail tertiaire, il est gagné par de nouvelles priorités et se transforme en lieu d’échanges, de coopération, voire de plaisir. Le travail peut se faire partout, à la maison, au café, en coworking etc. Le « e-office », c’est ainsi moins d’espaces pour les postes de travail mais plus pour tout ce qui est coopératif, au profit d’une expérience collaborateur. Le bureau c’est désormais d’abord le lieu de vie commune de l’entreprise. Comme le e-commerce a boosté la logistique, le e-office booste le résidentiel.

Evidemment, les conséquences pour les investisseurs sont multiples : il faudra que les baux puissent suivre le mouvement, s’adapter aux besoins changeants des utilisateurs. La flexibilité sera le maître-mot. Pas pour 100% des espaces, bien sûr. Mais on peut facilement imaginer demain un grand compte louant par exemple 8000 m² d’espaces de travail en bail classique « 3/6/9 », mais avec une option de flexibilité permettant d’augmenter chaque trimestre sa surface entre 1000 et 3000 m², dans un périmètre court (le même immeuble ou un immeuble voisin). Il faudra imaginer des baux hybrides avec des mix « fixe-flex ».

Pour l’investisseur, ce sera bien sûr la fin du « long fleuve tranquille » avec des locataires, des baux et des revenus stables sur le moyen terme. Ce seront sans doute de nouveaux risques, les revenus des loyers étant soumis à de nouvelles formes de fluctuations. Mais ce seront aussi de nouvelles opportunités, avec de nouveaux gisements de croissances des revenus : le « flex » variable chaque trimestre ne se négociera pas au même loyer au m² que le 9 ans ferme. Un produit locatif plus variable, mais un loyer au m² plus élevé.

Les immeubles devront être plus modulables, intégrer une plus grande adaptabilité, une réversibilité des usages, des capacités de réaménagements, pas forcément prévisibles avec précision. Tout cela rebattra sans doute les cartes des calculs de valorisation des immeubles et pourrait modifier les équilibres actuels entre recettes d’exploitation et potentialités de plus-values à terme dans les quartiers les plus recherchés.


Les utilisateurs face à la crise sanitaire : une nouvelle attention portée à l’attractivité des espaces

 

 Csongor Csukás : 

Les cycles économiques et les cycles de l’immobilier imposent de ne pas porter d’avis définitif sur l’équilibre des liens entre employeur et salarié d’une part, locataire d’espaces et propriétaire d’immeubles d’autre part. On ne peut se situer que dans une conjoncture. Depuis 2012, on vit un cycle de croissance de la demande immobilière, y compris pendant la crise de la Covid. Avant cette crise, le cowork était déjà une réponse. La conjoncture actuelle du marché du travail conduit les entreprises à porter une attention croissante au fait d’offrir des espaces de travail capables de retenir les talents. C’est vrai pour les grands comptes dans le Triangle d’Or. C’est vrai également pour de nombreuses autres entreprises du tertiaire.

Le bureau se doit donc d’être attractif. Et de plus en plus d’utilisateurs, face au coût du poste de travail, ne pensent plus seulement en « combien je paye ? »  (avec le corollaire classique du cost killing et du quick win) mais aussi en « pour quoi je paye ? ». Les espaces de travail jouent alors un rôle-clé dans le triangle magique Attirer/Motiver/Retenir les talents et, en situation de pénurie, tous les salariés. Un nombre croissant d’utilisateurs considèrent l’espace de travail comme un outil de la performance et non plus comme une charge par essence excessive et presque inutile. 

Avec les nouvelles possibilités offertes par le télétravail, le coworking etc. la crise sanitaire a accéléré la mutation des besoins et des attentes des utilisateurs, mutation qui se développe aujourd’hui sur trois axes : digitale, servicielle, écologique.

L’image de l’utilisateur arc-bouté sur la baisse de ses coûts immobiliers et de services associés finira ainsi par s’estomper au profit de la recherche de ces nouvelles qualités, indispensables à l’efficacité des occupants des espaces tertiaires, même si les mouvements resteront bien entendu progressifs.

Avant qu’une nouvelle évolution du marché du travail et des tensions immobilières ne vienne dans 5 ans, peut-être 10 ou 15, bousculer une fois encore ces équilibres par essence instables. Mais sans retour en arrière, chaque période apportant son lot de progrès dont certains demeurent acquis.


Les property managers face à la crise sanitaire : évoluer sans oublier les fondamentaux

 

 Csongor Csukás : 

Depuis des années, le métier du PM (property management) est sous la pression d’un effet de ciseau entre une croissance régulière des charges, essentiellement salariales, et une relative stagnation des honoraires.

Face à cette situation, des opérateurs ont parfois cédé trop facilement aux sirènes de l’innovation, remettant en cause les fondamentaux du métier au profit du développement de nouveaux concepts (hospitality management), de nouveaux outils (digitalisation) ou de nouvelles offres, s’éloignant des bases indispensables à l’établissement d’une relation client stable : gestion administrative, gestion technique, quittancement, suivi des baux, indexations, éléments économiques de valorisation des immeubles, pilotage des CapEx prévues dans le Business Plan de l’immeuble etc.

Ces métiers et ces compétences sont en réalité encore plus essentiels qu’avant, face à un monde qui évolue rapidement (voir ci-dessus) : seule une approche fine et réactive de la réalité du terrain par le property manager permet à l’asset management de structurer en confiance une stratégie de patrimoine.

Au-delà de ces fondamentaux, il est clair que le property manager doit aujourd’hui être attentif non seulement à la qualité des performances de l’immeuble, non seulement à la satisfaction des entreprises locataires, mais aussi aux occupants utilisateurs finaux des espaces : le terme PM pourrait aussi signifier dans l’avenir People Management

Et bien entendu, la question du développement durable et des nouveaux engagements de résultats qui vont s’imposer à l’immobilier et aux services impactera toujours plus les 3 métiers de l’Asset Management, du Property Management et du Facility Management.

Ces trois métiers doivent et peuvent travailler ensemble : historiquement, l’asset gérait le portefeuille d’investissements, le property les immeubles et la relation avec les occupants et le facility les services aux occupants. Les trois transformations déjà citées : digitale, servicielle et écologique imposent de trouver de nouveaux modes de travail et d’échanges. Dans un immobilier de moins en moins immobile, il y aura sans conteste à l’avenir une demande croissante pour les services aux environnements du travail qui rassemblent, face aux mêmes défis, prestataires externalisés et prestataires internes. Dans le secteur du property management, échanges et synergies se développent déjà entre PM « internes » (par exemple de certaines foncières) et PM « externes » sous contrats, notamment pour répondre au mieux aux enjeux de la qualité. L’avenir des métiers dépasse évidemment les choix organisationnels et nous devons tous œuvrer ensemble.