21 février 2023

CAHIER 23 – Document 3

Innovation bioMérieux : l'analyse du CRDIA

Xavier Baron, coordinateur CRDIA

Diffusé le 28/02/2023, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

1 – Deux innovations « encastrées » en faveur d’une qualité de relation client / fournisseurs

Sur le terrain, bénéficiaires et prestataires vivent ensemble. L’impact de la performance du travail des uns sur la qualité des environnements des autres dépend de leur coopération. L’externalisation installe cependant un déséquilibre qui veut que les uns sont au service des autres sans partager tout à fait la « même égalité » en droits et en dignité. Les uns sont mis à distance et parfois même en invisibilité par les horaires, les uniformes, les statuts et des devenirs différents. Ils sont en présence et permanents mais séparés et précaires. Ils sont à « demeure » mais pas chez eux, non égaux. Le recours à une sous-traitance de rang deux accroît encore cette distance entre clients et métiers.

 

Préserver une qualité de relation directe client-fournisseur

Externaliser signifie passer d’un rapport salarial à un rapport commercial. En renonçant à subordonner, l’entreprise utilisatrice renonce à la responsabilité d’employeur mais reste exigeante sur des obligations de moyens assorties d’obligations de résultats. L’achat de services permet la mise à disposition temporaire de compétences. Il ne compense pas, mais consacre, les différences de statuts : qui commande et qui exécute. L’externalisation ajoute des spécificités liées aux conventions collectives. Elle acte de différences de conditions d’emploi et de rémunérations. En privilégiant la transaction dans un cadre de sous-traitance, l’externalisation dissocie les registres de performance des uns et des autres, et introduit le risque d’une concurrence car ce qui est gagné par l’un peut l’être au détriment de l’autre. Le droit du travail s’applique toujours, mais la relation devenue médiée perd plus souvent qu’elle ne gagne dans les garanties de conditions de travail, de représentation sociale et de qualité d’encadrement. Enfin, aux hiérarchies de noblesse déjà existantes entre niveaux et types d’activités s’ajoute le déséquilibre du rapport de force entre le client « toujours Roi » et ses fournisseurs « au service de », entre des « donneurs d’ordres » et des « sous-traitants ». Ces tensions sont réactivées régulièrement par les mises en concurrence.

 

Le pari de la confiance par le choix d’un contrat à durée indéterminée pour le lot multi technique

La structuration en macro lots ou Bundles combine plusieurs avantages. Elle est confirmée, dans le cas du REX cité, par une deuxième innovation : la mise en œuvre d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Dans ce cas, la structure en macro-lots a favorisé l’instauration de meilleures relations, d’une confiance accrue avec tous les prestataires, et notamment avec le prestataire multi technique. La confiance acquise en dix ans de bonnes relations a permis l’instauration d’un contrat « sans notion de durée ».

Pour ce choix du CDI, les arguments intégrant la dimension RSE[1] sont les suivants [2] : « D’un côté, prenant en compte le risque technique et financier, l’entreprise a souhaité orienter ses efforts vers un partenariat de confiance, ainsi qu’une relation tournée vers l’avenir aux côtés d’un prestataire dont elle est globalement satisfaite. Ses enjeux de transformations environnementales, énergétiques et digitales ne correspondent plus aux cycles d’appels d’offres actuels. De l’autre, au-delà du risque de perte de contrat lié à tout appel d’offres, le prestataire souffre du manque de visibilité à moyen terme afin de pouvoir investir chez son client et fidéliser ses Equipes, en leur offrant un environnement stable leur permettant de se projeter dans la durée.

Souhaitant capitaliser sur leurs 10 ans de collaboration, les parties ont décidé d’ancrer leur relation dans un projet tourné vers l’avenir. Le projet s’inscrit dans la politique RSE et le management des fournisseurs de l’entreprise ».

Ce pari de la confiance est ainsi traduit symboliquement par une perspective de durée longue. Il est exprimé en termes politiques dans le registre de la RSE. Il mérite une traduction en termes économiques pour des process plus performants et en termes sociologiques à travers la reconstitution partielle de liens sociaux au profit d’une forme de communauté de travail.

 

Permettre au client d’acquérir une posture de coproducteur plutôt que donneurs d’ordres

La structuration en Bundles comme la mise au point d’un contrat en CDI nous intéressent en ce qu’elles compensent les effets négatifs sur la capacité de vivre ensemble d’une distance instaurée par le client quand il externalise. Dans l’expérience relatée, le pari de la qualité relationnelle et de la confiance prime sur le maintien de jeux de rôles dominant/dominé dans la recherche de performance. Pour être performant, le client ne peut rester dans la posture simple de donneur d’ordres. Non seulement la complexité croissante des métiers et des interactions exige des compétences, s’agissant de prescrire, que seuls les fournisseurs peuvent acquérir, mais surtout il peut et doit contribuer à la performance et aux compétences d’expertise de son prestataire plutôt que de s’évertuer à prescrire ou contrôler des activités qu’il n’est plus capable de réaliser lui-même. Loin de la posture d’un donneur d’ordres placé en surplomb, le client doit exprimer et partager ses objectifs. Il est dépendant d’une qualité d’engagement solidaire  de travailleurs qu’il ne veut plus ou ne peut pas embaucher. Il est pour partie responsable de relations qui contribuent à restaurer  les conditions d’un « affectio societatis », d’une appartenance à une communauté d’objectifs et de travail…, sans les leviers du rapport de subordination salarial !

 

Proximité et devenir en commun comme conditions de la coopération

 

Coopérer, c’est travailler en tenant compte des contraintes des autres, et pour cela, il faut les connaître. C’est agir en étant solidaire. Il faut que les enjeux des bénéficiaires soient compris et comptent pour les prestataires. En contrepartie, il faut que les contraintes des prestataires soient connues et comptent pour les bénéficiaires. Il faut donc de la confiance réciproque, de l’interconnaissance, en un mot de la solidarité. Capitalisant l’apport de sociologues de la GRH[3], deux conditions sont nécessaires pour instaurer la confiance et la solidarité dont ont besoin les travailleurs pour coopérer, pour « faire collectif » : la proximité et la durée. Il n’y a pas de confiance et de solidarité sans expérimenter la proximité aux autres (professionnelle, statutaire, sociale, culturelle, géographique…) et sans la perception d’un devenir en commun suffisamment long.

 

Dans tous les cas, il a fallu donner du temps au temps : une conduite du changement sur la durée

Ces innovations ont été accompagnées d’efforts de « conduite du changement » sur la longue durée. Sept ans de réflexion[4] et de maturation ont été nécessaires entre le constat en 2017 des limites d’un premier choix (en 2012 au profit d’un Full FM, lui-même préparé sur 18 mois) et le lancement d’un « CDI unique en France » en avril 2022. En amont de la mise au point du contrat « sans notion de durée », en parallèle au déploiement de la structuration en Bundles, l’entreprise a mené en 2020 un « processus de réflexion et de consultation. Elle a demandé à son prestataire sa vision sur les nouvelles tendances du marché en termes de gestion de bâtiments et d’innovations ». « La méthodologie, accompagnée d’un consultant, a consisté en une phase d’interviews d’une vingtaine de personnes des deux parties, suivie d’ateliers mixtes par site sur des sujets variés comme les limites du contrat, la coopération entre les équipes et les dépenses hors forfaits, les optimisations indirectes, etc. ». Du CDI sont attendus des effets positifs sur l’engagement du prestataire, mais, dans le même temps et peut-être plus encore dans l’immédiat, ce CDI est la sanction d’une confiance obtenue et expérimentée pendant une décennie. 

 

 

2 – Réduire la précarité induite par la sous-traitance

Dans la pensée dominante, les contrats à échéances fixes, l’activation des rapports de forces par les mises en concurrence périodiques au moyen d’appels d’offre etc. sont a priori vertueux. Ils introduisent bien sûr des coûts des deux côtés, une précarité et une incertitude volontairement entretenues, mais seraient favorables à l’obtention de progrès par le challenge, l’émulation, les remises en cause des routines et l’innovation. Les risques de relations installées dans le rapport de forces et sur la base d’intérêts réputés divergents, seraient compensés par l’activation d’un aiguillon motivationnel. La mise en concurrence périodique serait censée interdire « l’endormissement » des prestataires[5] et garantir la « meilleure performance possible » pour le client. La domination et la peur sont ainsi érigées en leviers de management. Avec le choix des Bundles et du CDI, l’expérience analysée témoigne d’une toute autre recherche : sans recourir au rapport salarial (lien de subordination), comment restaurer des conditions d’une coopération entre prestataire et client qui permettent d’obtenir l’engagement et l’expertise du prestataire ?  Plutôt que d’activer la pression par la menace et la contrainte, il s’agit de réunir (instrumenter, signifier) les conditions du « bien travailler ensemble », avec une forme adaptée de deal basé sur un néo « affectio societatis ».

 

Avec le CDI : recréer des liens sociaux, permettre de refonder des solidarités sans embaucher

Au contraire d’un postulat d’intérêts divergents, le client a besoin pour sa performance d’un fournisseur fort, compétent et solidaire de ses objectifs. Mais pour qu’il accepte d’exprimer ses compétences et son expertise au profit de son client, ce fournisseur a besoin d’un avenir avec ce client et de sa confiance. La recherche de performance doit être commune (interdépendance) et sur les mêmes définitions (se connaître, se reconnaître).

La portée symbolique du contrat à durée indéterminée capitalise sur cette confiance, et parie sur sa pérennité : on peut divorcer, mais quand on se marie c’est sans notion de durée a priori, dans l’intention au moins.

 

Une durée indéterminée, pour signifier un devenir en commun ?

 

En termes juridiques, les contrats de services aux environnements de travail portent sur des prestations à exécution successive. L’accord est passé, il fixe un prix, sur des prestations qui ne sont pas encore réalisées et dont les conditions de mises en œuvre sont susceptibles d’évolutions. C’est aussi le cas du contrat de travail : la bonne foi dans l’exécution est plus importante pour les parties ou les juges, que l’intitulé du poste ou une description de prescrits techniques.

Dans les services de ce type, il y a d’un côté un engagement à la dépense et de l’autre, un engagement au service. Comme dans un contrat de travail, la rupture peut toujours intervenir, à tout instant (par différence avec le CDD) et à la convenance des parties. La notion de durée indéterminée ne peut en aucun cas être assimilée à celle de perpétuité. L’indétermination est l’indication d’une volonté d’installer la relation sans notion de durée, c’est-à-dire justement, sur la durée longue. Pour fonder des collectifs, des solidarités et des coopérations, ce n’est pas le passé vécu en commun qui compte le plus. Pour coopérer, nul besoin de s’aimer. L’investissement nécessaire pour tenir compte de la contrainte des autres dans la mise en œuvre de son propre travail, exige de pouvoir se projeter dans la temporalité longue, avec la possibilité d’un « à-venir » désirable, au moins possible sinon probable

 

Limiter les coûts réels et symboliques des appels d’offre, pour les deux parties

En contrepartie des « gains postulés » de la mise en concurrence systématique, il faut prendre en compte les coûts réels des impacts négatifs en postures de négociation, en dégradation des motivations et de la qualité d’engagement. Il y a un prix à la défiance exprimée par les appels d’offres sur la bonne volonté des œuvrants, au jour le jour, notamment à l’approche des échéances. Ces coûts immatériels renchérissent les coûts directs et indirects des processus achats, pour partie nécessaires, mais toujours improductifs.

On estime à environ 1% le coût direct pour le client d’un appel d’offres pour des marchés de services aux environnements de travail. Ce coût direct est plus près du double si on prend en compte les coûts cachés en temps passé, non comptabilisés. Réciproquement, le « Bid Cost » (coût d’offre ou coût de soumission) pour le prestataire est estimé entre 2 et 3% du montant total du contrat. Il intègre les coûts directs et indirects des réponses aux appels d’offres, mais également les dépenses en compétences et en investissements commerciaux, nécessaires pour pallier les incertitudes liées aux risques de pertes de marché à chaque renouvellement.

Quand on connait, d’une part, les niveaux habituels de marges des prestataires de services aux environnements de travail, et d’autre part l’avantage que revêt une connaissance intime de l’entreprise, sa culture et ses occupants, par les œuvrants des prestataires, les dépenses improductives générées par la répétition des processus achats doivent être interrogées. Elles sont d’autant moins justifiées que, année après année, les potentiels de « savings » sont réduits.

L’innovation du CDI introduit dans la balance les gains sur la QVT[6] des personnes auxquelles il est demandé de s’engager. Il est difficile d’être solidaire des attentes de son client ou même de son employeur, si on ne partage pas un avenir en commun au-delà de quelques mois ou années. La réduction de la précarité porte effet sur les relations de travail, en situation chez le client mais également dans les relations des œuvrants à leur propre employeur. Elle impacte l’implantation géographique du travailleur, son logement et sa famille. Elle porte à effet sur son expertise, en partie acquise sur place et valorisable en situation, expertise et savoir utile perdus à chaque renouvellement manqué.

Notons enfin que la précarité installée par les appels d’offres périodiques est une limitation de la capacité même du client à obtenir les expertises et l’aide justement attendues des fournisseurs. Dans le cas étudié, il est rapporté que les porteurs de projets techniques internes au client répugnaient à associer les fournisseurs quand les échéances excédaient le terme du contrat, par pudeur ou par respect de la lettre.  Ce frein tombe de lui-même avec la seule annonce de l’option du CDI.

 

Un éloignement de la concurrence

 

Si le CDI sanctionne une confiance acquise et une reconnaissance de la pertinence du partenaire, il capitalise sur la connaissance intime du client que le partenaire développe, sur ses équipements, ses contraintes, la culture de ses occupants. En développant sa connaissance des sites et des besoins du client, la durée et la confiance accroissent les capacités réelles de gains de productivité. En renonçant aux mises en concurrence non nécessaires, les parties réduisent les coûts commerciaux et les coûts d’achat. En réduisant les coûts de transactions (réduction des coûts de contrôles et de reporting), en accroissant la capacité d’enrichissement immatériel de la portée productive des prestations…, le prestataire induit des « savings » pour son client. C’est son intérêt : il se rend indispensable et  installe des barrières vertueuses à l’entrée de ses concurrents.

 

Manifester et renforcer les conditions de relations de confiance

Ne proposer que des contrats à échéances fixes, ou désigner quelqu’un d’autre pour « gérer la relation », constituent des énoncés de défiance. Sans recourir à l’intégration par l’embauche, la clause de durée indéterminée propose au prestataire et à ses équipes un argument pour investir, une forme de reconnaissance et une raison d’être solidaire du client. L’organisation en Bundles restaure l’autonomie des grands métiers, elle valorise leurs expertises et évite un intermédiaire entre le client et ses fournisseurs.

CDI et relations directes ont en commun une portée de réduction des effets négatifs de l’externalisation : éloignement, invisibilisation, rupture des liens communautaires et de l’unité de commandement, précarisation des emplois sur fond de remise en concurrence, différenciation par le statut d’emploi des niveaux de noblesse et d’appartenance au projet d’entreprise. Ces effets ne sont pas seulement négatifs sur l’image et le statut. Ils influencent négativement l’engagement des œuvrants des services du fait des différences de statuts que leur impose la relation commerciale. Les œuvrants sont physiquement présents, parfois même plus présents que les bénéficiaires. Ils sont l’instrument du Plan de Continuité des Productions. Ils ne sont pratiquement jamais en télétravail ! Ils sont solidaires « à demeure », mais pourtant sous-traitants, symboliquement et réellement exclus de la communauté de travail. La proposition par le client d’un contrat en CDI pour l’un de ses prestataires,  c’est la démonstration d’une confiance déjà à l’œuvre et le gage d’une confiance et d’une solidarité pour l’avenir. Dans ce domaine, le symbolique compte au moins autant que la technique.

Les macros lots sont « moins optimisés » sur le papier (moins de massification, de mutualisation, d’économie d’échelle, un peu plus de contrats à gérer…), mais permettent de valoriser les métiers.

Le CDI est moins protecteur qu’un CDD : il ne garantit que la durée du préavis, il implique un renoncement à des indemnités de rupture. Symboliquement cependant, le message du CDI est clairement l’inverse d’une moindre protection. Le CDI est un marqueur, il est fondateur d’une confiance tant il énonce la volonté d’un devenir en commun sur la durée et l’engagement de cultiver la proximité nécessaire.

 

Améliorer la QVT et l’attractivité des emplois de services

Fortement mis en exergue par les acteurs du cas étudié, Bundles et CDI facilitent les recrutements d’œuvrants « dans un contexte de tension de recrutement ». C’est une promesse de réduction de ses coûts commerciaux, par « une fidélisation du client, avec un contrat rentable permettant d’être dans l’amélioration continue demandée par le client ». Aux dires du prestataire toujours, le CDI améliore immédiatement l’attractivité des emplois ainsi stabilisés, quand bien même ils le seraient plus symboliquement que réellement. Le CDI permet d’argumenter sur la stabilité de l’emploi (ou du poste) proposé, permettant aux salariés du prestataire d’envisager de s’installer géographiquement. « Les derniers recrutements ont été réalisés dans un délai moyen divisé par trois pour tous types de postes, et ce, grâce à la vision long terme du contrat qui a séduit les candidats ».

Si cela doit être confirmé sur la durée, les parties prenantes soulignent ainsi, avant même l’entrée en vigueur du CDI, que «la relation de confiance entre les équipes du client et du prestataire n’a jamais été aussi bonne que depuis la mise en place de la démarche et la signature de ce nouveau contrat. La direction du prestataire multi technique exprime son sentiment d’un changement dans la relation au quotidien entre les équipes, passant d’une relation de fournisseur, à une relation de partenaire intégré aux enjeux et aux projets de l’entreprise » [7].

 

Un empowerment du prestataire

En soi, un CDI peut ne rien changer techniquement, tout comme le fait de regrouper ou non des lots de marchés. Très au-delà de la technique, la structuration en Bundles et la dynamique en faveur de CDI sont des actes forts de la part de l’entreprise. Le client reconnait et acte son besoin d’un partenaire fort. Il est « dominant parce que client », il a un pouvoir de dépense mais il est dépendant. Le prestataire est dominé parce que fournisseur. Il pérennise son chiffre d’affaires. Il a les hommes et il maîtrise l’ingénierie sociale de métiers à forte intensité de main d’œuvre, en tension et exigeants en conditions de travail (astreintes, aléas…). En bref, il est compétent.

Dans le contexte du cas étudié, le CDI est la manifestation d’une reconnaissance d’intérêts communs entre client et fournisseur, et d’une volonté des parties de contribuer à renforcer l’autre plutôt que de chercher le dominer dans un jeu à somme nulle[8].

Le client exprime son souhait de disposer de la disponibilité (et de la bonne volonté) d’un prestataire fort, compétent, installé dans la durée. Le prestataire peut s’engager, au-delà d’une conformité à un prescrit, à rechercher la performance de son client.

Dans cette perspective, la relation directe aux fournisseurs en Bundles rétablit la possibilité et la pertinence de relations en top to top des principaux fournisseurs. Ils font à nouveau l’objet d’une relation directe avec le client, non médiée par un tiers, avec la possibilité de faire des propositions, de mettre en scène et en initiatives leurs expertises propres sans craindre de voir leurs apports en valeur ajoutée détournés. Le nouveau contrat en CDI intègre ainsi l’obligation pour le prestataire de réaliser chaque année des économies directes ou indirectes à hauteur de 2% du montant du contrat, et à défaut, de consacrer en investissements des moyens pour mener des « proof of concept » d’innovation, sans attendre une commande du client ou même l’expression d’un besoin. C’est tout à la fois une contrepartie de la promesse d’une relation sur la durée et un argument pour pousser le prestataire à valoriser son expertise.

Avec le CDI, « nous créons de la valeur, nous ouvrons le champ des possibles, nous sommes dans un projet co-construit qui casse les codes et nous propulse vers une relation équilibrée qui garantit les intérêts de performance des parties[9] ». Au contraire des clients qui s’inquiètent de confier « le camion et les clés du camion » au prestataire qu’ils ont choisi dans une dépendance mal assumée, l’expérience développe un choix et un processus relationnel dans lesquels le client participe au renforcement du pouvoir du prestataire. Il limite sa dépendance en étant actif dans la constitution effective des capacités de son partenaire, pour les porter au meilleur niveau possible au bénéfice de sa propre performance. Ce sont des conditions d’un empowerment du fournisseur.

Enfin, une contrepartie de reconnaissance est intégrée. Dès la structuration en Bundles,  l’entreprise cliente avait proposé au prestataire multi technique l’application d’une rétribution incitative afin de permettre au prestataire, à sa main, d’intéresser les œuvrants à la réussite. Le résultat de cette démarche, sous la responsabilité des prestataires, aurait eu un impact positif selon les témoignages recueillis[10].

 

La proximité, un concept multiple

 

La proximité ici est multiforme. Elle est d’abord spatiale et géographique. Il est difficile de se sentir proche de quelqu’un qu’on ne rencontre pas. C’est une des raisons du travail en journée dans la propreté, sachant que cette proximité physique peut aider ou au contraire créer des tensions si elle se transforme en promiscuité, c’est-à-dire en une cohabitation obligée avec des gens qui ne partagent pas les mêmes objectifs et contraintes, la culture et les valeurs. La proximité a des dimensions nationales, religieuses, idéologiques et politiques, elle est également professionnelle : la propreté pour un professionnel n’est pas celle d’un particulier pour son domicile. L’éloignement est évidemment aussi affaire de langues. Coopérer est d’autant plus un effort que les personnes bénéficient de statuts inégaux, qu’elles n’ont pas les mêmes patrons, qu’elles bénéficient de conditions de travail et de rémunération différentes produisant des écarts importants en termes sociaux, d’éducation et de modes de vie.

 

Conclusion : restaurer la proximité, proposer un devenir en commun et accroître ainsi les capacités des prestataires

 

Avec la structuration en Bundles, puis l’innovation contractuelle en CDI, le cas analysé montre comment un client et un prestataire peuvent ensemble rechercher des conditions d’une solidarité entre des personnes de statuts, de métiers et d’entreprises différents, mais qui contribuent ensemble à la même performance. Le gain mis en avant dans ce cas par les acteurs est « RSE » : sur la QVT et la santé des œuvrants des prestataires. Les perspectives de gains économiques sont également au rendez-vous.

Certes, il faut pour cela renoncer aux idées reçues : la peur est plus motrice que la confiance, le progrès se résume à imposer des « savings » à des fournisseurs cachant des marges indécentes … que le client est toujours légitime à capter à son profit.

 

Les achats publics ?

 

Pour des raisons de principes (lutte contre les ententes, la corruption, contre les limitations de la concurrence et l’égalité d’accès aux marchés publics) les règles, les « bonnes pratiques » diffusées, les processus et la culture des achats publics sont le plus souvent orientés en défaveur des lots groupés comme d’une valorisation sur la longue durée des acquis d’une relation. Outre la privation de leviers de performance, les achats publics participent d’une pérennisation de conceptions et de pratiques dysfonctionnelles.

 

Par l’externalisation, les relations entre clients et prestataires, entre œuvrants et bénéficiaires des services aux environnements de travail ne peuvent plus reposer sur une appartenance commune à un employeur. Les uns et les autres appartiennent à des employeurs différents, ils sont régis par des conventions collectives différentes. Le délit de marchandage sanctionne l’interdiction d’un transfert du lien de subordination au client. Pour autant, la performance du système de production de services aux environnements de travail est conditionnée à son niveau d’intégration (entre les métiers) et à sa pertinence pour la réalité (culturelle, humaine, professionnelle) spécifique du client. Pour obtenir la performance, client et prestataires ne peuvent se contenter de cohabiter. Le service n’est pas un « objet » que l’on peut livrer, c’est une relation que l’on ne peut que vivre et revivre à chaque occurrence sur un mode individuellement engagé. Pour bien travailler, pour travailler efficacement, les uns et les autres doivent être en relation de coopération.

 

L’externalisation et la complexification des activités ont créé une distance. L’organisation en Bundles tente de marier une optimisation des processus achats, relativement à la pratique de l’individual services (lot par lot), avec une approche « tempérée » de l’intégration des services qui évite un trop grand éloignement des prestataires du client. Par l’allongement de la durée de la relation avec la politique de renouvellement de gré à gré, puis la proposition de contrat à durée indéterminée, l’entreprise prend acte de son besoin de disposer de compétences fiables connaissant parfaitement les installations et les bénéficiaires. En offrant un environnement stable, l’entreprise permet au prestataire de se projeter dans la durée. Le CDI, tout en ne garantissant techniquement qu’un délai de préavis négocié, promeut une relation longue durée.

 

 « La réaction des collaborateurs du prestataire suite à l’annonce de la signature du nouveau contrat a fait plus que confirmer que le poids d’une date de fin de contrat était pour eux une source d’anxiété, ou au moins un grand questionnement sur leurs avenirs[11] ».

« Quel soulagement de ne plus avoir ce stress, cette appréhension sur l’avenir du contrat, et donc de notre poste. On le ressent, quelque chose de positif s’est installé dans l’équipe[12] ».

 

 

[1] Responsabilité Sociétale des Entreprises

[2] Dossier de candidature Trophée Décision Achat septembre 2022.

[3] Bernard Galambaud à partir de travaux de Michel De Coster M. et Christophe  Dubois.

[4] Pour paraphraser le titre de la célèbre comédie de Billy Wilder (1955).

[5] Cette conception reprend avec des mots plus modernes la vision ontologique de Frédérik Winslow Taylor et sa théorie naïve sur la flânerie systématique de l’ouvrier : « La paresse naturelle des hommes est grave ; mais le mal de beaucoup le plus grand, dont souffrent ouvriers et patrons, est la flânerie systématique à peu près universelle tous les systèmes ordinaires d’organisation », dans La Direction des Ateliers, 1919.

[6] Qualité de Vie au Travail.

[7] Dossier de candidature déjà cité.

[8] Tout ce que l’un gagne, l’autre le perd.

[9] Directeur des achats indirects client.

[10] Dossier candidature Trophées.

[11] Responsable prestataire

[12] Technicien de maintenance prestataire