31 mai 2023

CAHIER 25 – Document 1

Des services « variabilisés » par planification en fonction de la fréquentation
Le cas d’un Musée public

Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA

 

Diffusé le 06/0/2023, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

Les services aux environnements de travail nécessaires à ce Musée sont mobilisés en full FM (Facility Management). Soumis à des variations normales et pour partie prédictibles de la fréquentation du public, les moyens humains externalisés de ces services sont variabilisés à l’aide d’une planification en fonction d’une batterie de critères préalablement codifiés et dimensionnés.

 

Les procédures et les effectifs de sécurité de cet établissement recevant du public font l’objet d’une attention particulière. L’accueil est également un enjeu sensible pour l’expérience client. Ces deux activités sont affectées en qualité de résultats comme en conditions de travail par la variabilité de la fréquentation d’une part et par les variations du cycle de production (vernissage, montage et démontage, colloque, spectacle…) d’autre part.

 

Le musée a choisi de recourir à un dispositif de planification adossé à une instrumentation sophistiquée. La variabilité comme la maîtrise des coûts sont obtenues par un effort de division du travail et de variation quantitative de la ressource en main d’œuvre en fonction de prévisions arrêtées deux semaines à l’avance.

 

Afin d’optimiser les coûts, ce dispositif applique ainsi la logique de l’intermittence à la sécurité, l’accueil et la régie : les contrats à durée indéterminée des personnels des prestataires prévoient des temps partiels intégrant l’acceptation d’une variabilité des horaires.

 

Hors sécurité, qui impose pour un établissement recevant du public la mobilisation explicite de moyens humains notamment fixés par la réglementation, d’autres démarches axées sur la polyvalence, les gains en compétence, l’auto-organisation, l’autonomie ou la mutualisation resteraient à explorer en réponses alternatives à ce besoin structurel de flexibilité.

 

 

 Le contrat Multi Services du Musée

Relevant des marchés publics, le contrat est porté par un FMer multitechnicien, issu du secteur de l’énergie. Les effectifs du Musée comptent 250 salariés. L’exploitation fait l’objet d’un contrat et d’une organisation en « full FM », multitechnique et multiservices dans le cadre d’un Contrat Multi Services (CMS). Formulé sur le principe en obligation de résultat, il recense systématiquement des indications d’obligations minimales de moyens.

 

Ouvert au milieu des années 2000, ce Musée est le premier de cette importance fonctionnant en « tout externalisé ». En visibilité, il est soumis à de fortes exigences. Il s’honore ainsi notamment d’avoir été le premier à rouvrir dès le début juin, après le premier confinement du printemps 2020. Le choix d’une organisation en full FM a été fait dès la création du Musée. Le contrat est en cours depuis novembre 2019. C’est le troisième contrat de 36 mois confié au prestataire FMer, avec une prolongation de onze mois en fin de second contrat, à l’initiative du client. 

 

Ce contrat mobilise autant de personnes sous-traitantes que de salariés, soit 250 personnes, dont 13 professionnels des domaines multitechniques. Ce sont principalement des « postés permanents », pour lesquels la variabilité de l’activité est faible et ne fait pas l’objet d’une organisation particulière. Les activités multitechniques sont forfaitisées en maintenance de niveau 4. La maintenance de niveau 5 et les travaux sont engagés sur devis, par bon de commande.

 

Ce contrat intègre un accompagnement permanent assuré par une société de conseil en AMOA exploitation (assistance à maîtrise d’ouvrage) pour sa conception, ses évolutions, le contrôle de sa mise en œuvre et même pour sa gouvernance. Un consultant, dédié à environ 80% d’un temps plein sur ce contrat, participe aux réunions d’anticipation par quinzaine. Si le cas ne s’est plus présenté dans les 18 derniers mois, le consultant était également régulièrement partie prenante de la documentation des pénalités appliquées au FMer, en nombre et en montants significatifs sur les contrats précédents déployés les années antérieures.

 

Le contrat lui-même est organisé en 13 sections regroupées en :

  • « Face Public », avec son responsable, rassemble accueil, manifestations et réservations, propreté et hygiène, gestion des déchets, espaces verts, sécurité incendie et sûreté ;
  • « Face Support » avec son responsable, est constitué notamment de la section « multitechnique », seule section directement opérée par le FMer, mais également des services généraux et de la signalétique, des systèmes d’information et de la régie technique.

Il est animé par une équipe de pilotage composée des deux responsables du contrat, des deux responsables de « Faces » (public et support) et d’une cellule planification composée de deux personnes (le responsable planification et un adjoint), plus un référent travaux et un ordonnanceur. Une dizaine de responsables opérationnels complètent l’encadrement des équipes, métier par métier. Tous ne sont pas à temps plein. Ils sont mobilisés à partir des entreprises sous-traitantes retenues en matière de propreté, de gestion des déchets, d’accueil, d’espaces verts, de sécurité privée, de factotum et petits travaux, d’informatique et de prestations événementielles.

 

Un dispositif variabilisé sur la base de clés préétablies contractuellement

Ce troisième contrat a été l’occasion d’intégrer une variabilité dans les prestations sur la base des taux de fréquentation du public. Ce mode de gestion, mis en œuvre depuis fin 2019, distingue :

 

  • un socle constitué d’un nombre de postes permanents. Il est dimensionné pour couvrir les plages horaires définies (d’une durée de 7,5 à 13h) pour la sûreté, l’accueil et le nettoyage. Ce socle prend en compte les horaires d’ouvertures du jardin et du Musée, 311 jours dans l’année. Les services aux occupants permanents (les salariés du Musée) constituent une partie non variabilisée des services FM (dont 40% de la charge propreté consacrée aux trois bâtiments administratifs). Ils entrent dans le dimensionnement du socle « figé » ;
  • les compléments forfaitaires dimensionnés sur la durée de 36 mois. Métier par métier (principalement accueil et sécurité, marginalement propreté), ils autorisent le recours à des moyens supplémentaires. Décidés 15 jours à l’avance, ils permettent le recours à des heures d’agents pour des volumes pré-identifiés à l’aide de clés préétablies selon fréquentation et évènements ;
  • au cas par cas, des besoins en moyens supplémentaires sont décidés hors forfaits. Ils font l’objet de devis particuliers et d’un circuit de commande différent.

Ce socle et les activités correspondantes sont décrits et institués conformément à un cahier des clauses techniques particulières (CCTP) conçu classiquement en référence à des fréquentiels listés dans une des annexes du contrat, et des macro-plannings (vitrerie par exemple). Le multitechnique relève du socle « figé », avec une charge de travail pour l’essentiel non sensible aux évolutions de fréquentation ou aux évènements.

 

La « variabilité » est assurée par une autre partie du contrat, dans le forfait mais hors socle. Elle concerne les services aux publics et est conçue pour évoluer en fonction des saisons, des mois, des jours de la semaine, et surtout des évènements programmés. Elle permet de moduler les prestations dans les quatre domaines de :

  • l’accueil ;
  • la sécurité/sûreté assurée par une entreprise de sécurité, en co-traitance et hors contrat FM mais régie par les mêmes principes ;
  • la propreté ;
  • la régie technique.

Un jeu de clés contractualisé via le CCTP a été préétabli par lieu, par évènement etc. Il permet de prendre en compte la variabilité par des ressources humaines supplémentaires libellées en heures. Ces heures sont précisées systématiquement en qualifications et valorisées par le bordereau de prix unitaires (BPU). Trois clés principales d’activation de la variabilité déclenchent le recours à ces moyens complémentaires forfaitaires. Elles sont fonctions de seuils de fréquentation au-dessus de :

  • 2501 entrées, principalement pour 2 postes d’accueil par activation de la clé P1 ;
  • 3501 entrées, permettant de mobiliser 5 postes d’accueil et 2 postes de sûreté complémentaires avec activation de la clé P2 ;
  • au-delà de 4500 entrées, les effectifs sont renforcés de 7 postes d’accueil, 2 postes de sûreté et un poste propreté, clé P3.

La fréquentation n’est pas la seule variabilité prise en compte :

  • des clés supplémentaires sont activées (principalement pour la sûreté), pour la surveillance de travaux, les montages/démontages d’expositions provisoires, pour un dimanche de gratuité… (de P4 à P10) ;
  • s’y ajoute enfin la possibilité de mobiliser des ressources complémentaires. Elles sont définies a priori et pour des plages horaires fixées :
    • en régie du fait des évènements comme une conférence (R1), un colloque (R2) ou des types de spectacles (R3 à R5) ;
    • en accueil et sûreté, de A1 à A5 et de B1 à B2 (de la conférence au spectacle niveau 2), ou encore pour un vernissage (E1).

Une gestion de la variabilité instrumentée avec précision

Ce contrat ainsi instrumenté intègre donc la fréquentation, mais également des évènements et des travaux. L’activation des clés est décidée 15 jours à l’avance par une réunion de planification qui a lieu chaque mardi avec la direction des publics (Musée), la direction financière, les responsables du pilotage des multiservices, accueil, sûreté, propreté.

 

Elle est organisée sous la responsabilité de la cellule planification, avec en général la présence du consultant. Les prévisions sont discutées à partir des historiques de fréquentation par période et en tenant compte des différents évènements ou éléments de contexte. En effet, la variabilité est surtout influencée par les successions d’expositions temporaires et d’évènements (conférences, colloques, spectacles, privatisations…). Ces évènements occasionnent une variation des modalités d’occupation des différentes zones (galeries, jardins…). Une fois les décisions validées par la direction des publics du musée, les clés activées parmi la vingtaine correspondant aux différents cas de figures préétablis, déclenchent des demandes de personnel (durées et horaires précisées).

 

Une prévision des besoins en main d’œuvre est ainsi arrêtée pour chaque semaine, avec deux semaines d’avance pour respecter le délai de prévenance des personnels (durée et horaires). Les propositions validées sont ensuite rassemblées en un devis présenté chaque mois et donnant lieu à un bon de commande pris en charge sur le « complément forfaitaire ».

 

L’équipe de pilotage du contrat ne dispose pas a posteriori des chiffres exacts de fréquentation. Le travail se fait sur des fourchettes indicatives, puis avec la connaissance du flow en temps réel. Cette gouvernance induit une fonction nouvelle ; le responsable planification, lequel a lui-même un adjoint. « Il est le numéro trois des responsabilités d’encadrement du contrat ».

La fréquentation peut fortement varier selon les « thèmes » des expositions. « De fait, les expos voyagent ». La direction des publics du Musée sait anticiper les niveaux de fréquentation, y compris en fonction :

  • de la concomitance avec d’autres évènements, dans le Musée ou dans Paris ;
  • ou encore de l’importance de la campagne de publicité qui accompagne telle ou telle manifestation.

Dans les cas où le forfait ne permet pas de couvrir le besoin en variation :

  • pour des volumes d’heures supplémentaires ou pour des amplitudes horaires en excès, le contrat prévoit une possibilité de « paracommande », hors forfait, donnant lieu à un devis et une commande spécifique (généralement construite sur le BPU) ;
  • enfin, il arrive que l’équipe de pilotage procède par « désoclage », en réaffectant des personnels des activités récurrentes ou planifiées à des évènements particuliers.

Une variabilité des activités de propreté au final limitée

Ce dispositif ainsi mis en œuvre apparaît complexe et sophistiqué. Il gère une variabilité forfaitairement prévue au contrat (matérialisée par un montant dit P2) d’environ 12% du montant total du contrat annuel global, lui-même de l’ordre de 10 M€. Ce montant du P2 est un peu supérieur à celui du P5 (environ 10%), réservé aux travaux, y compris les devis hors forfait permettant notamment de prendre en compte les évènementiels non prédictibles année après année. Dans cette limite, la variabilité paraît surtout effective et significativement dimensionnée pour la sûreté, (près de 10 000 heures par an) et l’accueil (plus de 12 000 heures par an). Elle est également structurante avec quelques 5000 heures par an environ de prestations pour les activités de régie de spectacles, colloques etc.

 

Dans le domaine de propreté en revanche, la variabilité organisée contractuellement propose d’accéder à une « réserve » limitée à 330 heures par an. Elle permet (dans le forfait) d’ajouter un seul poste dit « de permanence en propreté » pour des vacations d’une durée de 8 à 11,5 heures. Cette variabilité n’est déclenchée qu’au niveau de fréquentation supérieur à 4500 visiteurs (P3). Elle ne permet que le renfort d’un seul poste sur des journées de 7 à 11,5 heures. Sur une année pleine, cela représente une trentaine de jours. Cette marge de souplesse relative est à mettre en regard d’une équipe du prestataire propreté mobilisant de l’ordre de 25 salariés (15 ETP) chaque jour, pour le nettoyage de surfaces représentant au total environ 55 000 m². Cette activité est par ailleurs classiquement encadrée par des prescriptions systématiquement précisées dans le CCTP. Libellées en obligation de résultats, les activités de nettoyage sont précisées également (annexe 3 du CCTP) par l’exigence « d’un nombre indicatif de la fréquence minimale d’intervention », zone par zone, local par local, précisant les surfaces par type de revêtement de sol, y compris les modalités et les formats de contrôle ainsi que le format du reporting mensuel (comme pour toutes les autres sections). La part de l’activité de propreté sensible à la variabilité de la fréquentation (et des évènements) serait limitée à 40% du total de la charge, pour l’essentiel relative à l’entretien des espaces ouverts à la visite, sanitaires inclus. D’une part, ces zones ne sont pas traitées (sauf sanitaires) pendant les heures d’ouverture au public. D’autre part, les 60% restant de la charge propreté sont alloués :

  • pour 20% à l’entretien des œuvres : c’est une part importante et spécifique à l’entretien de collections présentes en réserves ou en plateaux, constituées de matériaux naturels (bois, cordes, cuirs…) notablement sensibles aux parasites ;
  • pour 40% à l’entretien des trois bâtiments administratifs abritant les effectifs fonctionnaires permanents, activités tertiaires classiques non variables, sauf crise Covid.

Enfin, cette variabilité est en bonne partie « écrasée » par la pratique : chaque jour, une « mise à blanc » des espaces visiteurs est effectuée par des brigades organisées en horaires décalés, en fin de journée après la fermeture et le matin avant l’ouverture entre 6h00 et 10h30.