4 octobre 2023

CAHIER 26 – Document 1

Une propreté à l’usage appuyée sur la simplicité et la proximité :
NER Propreté

Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA

 

Diffusé le 11/10/2023, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

Des pratiques et des options exprimées par NER se dégage une conception de la propreté à l’usage faite de circuit court, de confiance accordée aux agents et de qualité de relation de proximité avec le client. A l’envers d’une forme d’industrialisation, de standardisation et de « processualisation », l’adaptabilité aux besoins du client est prioritairement recherchée, dans le registre serviciel et par une forme de sur-mesure quasi artisanal. NER revendique ainsi une capacité discriminante à engager chez ses clients des salariés :

  • « Travailleurs », qui démontrent une volonté de bien faire et de tout faire ;
  • « Peu absents », ce qui constitue une source d’économies substantielles relativement à la profession ;
  • « Autonomes », capables de moduler leurs activités (selon des zonings…) et de confiance ».

NER exprime le choix de la qualité de la relation au détriment du volume, de la fidélité (client et agent) au détriment de la croissance, d’un état de bien être des agents au détriment d’une optimisation des marges. C’est par un transfert de compétences au profit des agents que l’offre de NER développe une capacité de dépasser la simple exécution de prestations définies techniquement, au profit d’une prestation « à l’usage », au sens d’adaptée.

Deux contreparties apparaissent :

  • Une politique de prix et de marges élevées relativement à la concurrence, afin de dégager des marges de manœuvre pour les agents. « Il ne faut pas qu’ils soient en limite de surcharge si on leur demande de s’adapter »;
  • Une ingénierie sociale prenant la forme d’une attention de tous les instants « pour que les agents se sentent bien », dans leurs horaires (pas de parti pris particulier sur le travail en journée), dans leurs déplacements (une activité très concentrée géographiquement autour de Lens), dans les volumes d’heures proposés.

Parmi les conditions de cette équation, l’expérience de NER met en exergue :

  • Un choix de simplicité dans :
    • les organisations proposées aux agents ;
    • les définitions de besoins (utilisation du zoning) ;
    • l’évaluation des résultats (c’est propre ou ce n’est pas propre).
  • Un parti pris de proximité géographique et personnelle :
    • Des agents en général engagés sur plusieurs clients, à proximité géographique ;
    • Des clients de petite taille, non attachés aux fréquentiels, à la mise en concurrence ;
    • Des clients « accessibles » sur un mode individuel, facilitant l’évaluation globale mais valide, surtout sans indicateurs coûteux et difficiles à interpréter ;
    • Des vacations limitées, limitant le risque de la rupture ;
    • Des contrats de fait en durée indéterminée (avec quand même une référence à la date anniversaire) avec préavis de 4 mois.
  • Une préférence pour le « circuit court », soit des marchés de petite taille (inférieure en moyenne à 1000€ mensuels), constituant sans doute une limite de croissance.

La société NER

NER Propreté – Nettoyage Eco Responsable, est une PME installée à Lens. Elle compte environ 70 salariés (soit 30 ETP) pour un chiffre d’affaires de 1,7M€. La société créée en 2012 a connu un démarrage difficile, évitant de peu le dépôt de bilan en 2013. Elle est adossée depuis au groupe CLEANING BIO composé de quatre entreprises du secteur dirigées par Yann Orpin, 280 salariés (soit 180 ETP) pour un chiffre d’affaires 2019 de 5,5 M€. Julien Bigo, PDG fondateur de NER Propreté, fréquente régulièrement les cercles du Centre des Jeunes Dirigeants et a eu l’occasion de travailler sur les principes de l’économie de la fonctionnalité. La gérance de NER est maintenant assurée directement par Yann Orpin, Julien Bigo ayant évolué vers une nouvelle activité de propreté industrielle.

 

La stratégie de NER

 Elle n’est pas définie par une volonté de croissance, mais dans la recherche d’une qualité de relation avec les clients.

« Nous n’avons pas besoin de plus de clients, on se tourne vers la marge ».

« Nous cherchons à ne pas nous disperser, nous ne voulons pas trop de sites à gérer ».

« Notre approche est à l’inverse de l’industriel. On fait du « nettoyage à vue ». Plus on est proche de nos clients, plus on est efficace. Mon job, c’est être l’interface entre un besoin client et les capacités des agents, lesquels doivent apprendre ».

« En premier lieu, ce sont les valeurs qui font qu’on se retrouve. Le secteur géographique est en effet un point important car un client isolé, loin d’un secteur géographique travaillé, sera un client moins visité, les risques et coûts liés aux remplacements sont compliqués et souvent non rentables ».

« On vend du bon sens dans un besoin de prestation défini (quotidien, hebdo…), on assure des enquêtes de satisfaction pour mesurer de la qualité ».

« Nous partons d’un prérequis : le temps alloué doit être suffisant pour que ce soit propre (c’est moi qui l’ai vendu, donc c’est ma responsabilité), pour le reste, on communique un maximum pour avoir les ressentis des uns et des autres et faire progresser la prestation ».

 

Le management de NER

 « Notre philosophie est dans la croyance que nous avons des pépites, ce sont nos salariés ».

« Ce sont des gens qui aiment leur métier, qui sont compétents ».

« Notre idée est de faire en sorte que le client veuille travailler avec eux, tellement ce sont des gens bien ». 

« Cela se traduit surtout dans les valeurs que nous partageons (plutôt dans nos comportements), et notre rôle d’accompagnateur. On essaie qu’ils ne manquent de rien pour réaliser à bien leurs prestations, dans le quotidien ».

« C’est le respect que nous avons envers eux qui fait qu’ils se sentent bien chez nous ».

« Le rôle du patron et de l’encadrement est de les aider, faire en sorte qu’ils se sentent bien ».

« Ne manquer ni de produits ni de matériel. Les Responsables de sites NER les accompagnent, les forment, les aident à comprendre les besoins d’organisation du site (simple et efficace) ».

« Nous venons de faire monter en compétence une agente qui devient responsable de site, et qui connait parfaitement le terrain pour amener le service attendu par l’entreprise (chacun sa part) ».

« Lors des passages des Responsables de site, l’enjeu est de faire progresser les agents, d’obtenir que les réflexes de mesure de la qualité par nos agents soient plus justes et réguliers, et que les besoins en formation soient traduits dans l’immédiat. S’il y a une remise en cause de l’employé de propreté en tant que partie prenante d’un dysfonctionnement, une analyse est réalisée portant sur la part de responsabilité de l’encadrement : « est-ce que j’ai fait ma part ? » »

« Nous n’avons rien à voir avec certaines grandes entreprises, ce sont des gens qui n’ont rien à faire des agents, je les vois traiter leur agents comme de la m…, leurs soucis s’arrêtent aux responsables de sites ».

 

Le parti pris de la simplicité dans la relation client

 « Pendant une période, on mettait beaucoup en avant  la résolution des problèmes du client. Un peu moins maintenant, mais nous continuons la pratique du zoning des surfaces dans les contrats sur trois niveaux (couleurs), depuis 2016 ».

  

Pour illustration, protocole de nettoyage :

 

Priorité

Descriptif

Localisation

Haute

Prestation réalisée avec attention.

HALL – DIRECTION – SANITAIRES RDC – KITCHENETTE RDC

Moyenne

Prestation réalisée suivant l’ordre des priorités.

ESPACE ATELIER – BUREAUX –

SALLE DE REUNION – SALLE DE FORMATION

Basse

Prestation réalisée suivant l’ordre des priorités par rotation

 

Toute prestation exceptionnelle ne fera pas l’objet d’une facturation supplémentaire si elle est effectuée en remplacement d’une tâche prévue dans le temps contractuel imparti au collaborateur.

Dans les contrats,

« on se contente de listes de tâches non exhaustives, on utilise des formules comme « on s’occupe de l’ensemble de l’entretien », on évite les cahiers des charges. Par ailleurs, on est capables de moduler la prestation, mais ce n’est pas simple côté contrats ». Si nous n’intégrons pas toujours un zoning explicite au niveau du contrat, la pratique et l’esprit restent les mêmes ; et cela se discute dans la vie du contrat directement avec les clients ».

 

Sur la durée des contrats

 « Nous cherchons à transformer le modèle économique, mais nous sommes toujours sur des contrats d’un an, nous n’avons pas réussi à mettre en place des contrats explicitement à durée indéterminée. Nous n’en avons pas fait une priorité. Nos contrats contiennent cependant déjà une clause de CDI, avec l’usage du terme « abonnement » ».

 

 ARTICLE 1 – DUREE DU CONTRAT Les abonnements souscrits sans limitation de durée sont résiliables au gré de chaque partie, avec préavis de 4 mois par lettre recommandée avec accusé de réception à chaque échéance anniversaire. Les contrats d’abonnement établis pour une durée indéterminée prennent effet à compter du premier jour d’intervention et sont valables un an, renouvelables par tacite reconduction ou peuvent être dénoncés par lettre recommandée avec accusé de réception 4 mois avant la date anniversaire, la date de réception du courrier fera foi.

 

Sur l’évaluation de la qualité

 « Il y a un prérequis, c’est propre. Au-delà, il faut une communication qui passe par l’agent, il faut faire en sorte que le client parle à l’œuvrant, qu’il soit responsabilisé ».

« Nous mettons en place un cahier de liaison sur site. Dans la création d‘une appli en cours, nous intégrons la possibilité pour le client de choisir de transmettre l’info, à l’agent ou au Responsable de Site… »

« L’important est dans la connaissance du site, une capacité de réaction sur tout, c’est là que je joue l’intégration ».

« C’est assez transparent dans la relation client, si l’accompagnement terrain est bon, que l’agent se sent bien sur le site, en règle générale ça roule. Notre job sera de traduire l’organisation à avoir pour qu’elle soit simple, transmissible et compréhensible par tous ».

 

Sur les outils numériques

 « Nous avons intégré un logiciel métier (en fait, c’est le deuxième, nous avons fait des erreurs sur le premier) de façon à gérer le back office (d’activité multi entreprises), pas seulement pour la gestion des clients, pour les salariés aussi. Nous cherchons maintenant à digitaliser la relation client avec un développement spécifique ».

 

Eléments d’analyse

 L’expérience de NER Propreté témoigne d’une volonté de valorisation, voire de protection, des agents de propreté.  Dans les pratiques de gestion, une forme de « propreté à l’usage » est en recherche à travers :

  • La détermination avec le client de zones à traiter de manières différenciées en termes d’efforts et de résultats sans passer par des fréquentiels, ce qui suggère un échange en amont, plus ou moins bien acté dans le contrat, sur ce qui importe pour le client, ce qui compte pour lui au-delà d’un prérequis général de « propreté » minimale ;
  • La volonté de faire appel à la responsabilité de l’agent, à dire la confiance portée à ses capacités ;
  • L’insistance sur la condition qu’il soit dans une relation de proximité avec le client. Il faut que le client « parle à l’agent », ce qui suggère un rôle de l’encadrement pour obtenir du client cette relation ;
  • L’appel à des notions du type « on s’occupe de l’ensemble de l’entretien » et dans l’évitement des cahiers des charges.

Cette propreté à l’usage n’est pas théorisée, ni décrite, ni contractualisée comme telle. Notre hypothèse est cependant qu’elle correspond bien à une réalité (voire un modèle, celui d’une cohérence dans la recherche de la simplicité), comme résultat d’une qualité d’intégration de l’agent, à la fois comme salarié de NER (bien traité) et comme prestataire « responsable et engagé » chez le client (en proximité).

 

La propreté à l’usage est ici une déclinaison d’une volonté de proposer du « sur mesure ».

Elle repose principalement sur l’agent. Il est en situation de déployer une grande autonomie. Il est équipé de « simplicité ». Cette autonomie, dans l’intention, est « équipée/soutenue/favorisée » …, par l’affirmation de la responsabilité de l’agent, par une présence effective de l’encadrement et un soutien personnalisé  à l’amélioration de ses capacités sur la durée.