26 janvier 2024

CAHIER 29 – Document 1

Pour une doctrine du management de l’hospitalité et des aménités

Xavier Baron & Nicolas Cugier

Tribune parue en novembre 2023 dans Workplace Magazine n°314.

Fondateur du Consortium de Recherche de l’Ile Adam (CRDIA), Xavier Baron est chercheur, économiste et sociologue praticien.

Nicolas Cugier, contributeur du CRDIA, est directeur du Facility Management chez Thalès.

Diffusé le 30/01/2024, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

Avec la montée en importance et en complexité des activités de services aux environnements de travail, des tentatives de valorisation ont été engagées pour pallier le déficit de reconnaissance. La notion d’hospitality management, récemment apparue, va dans ce sens. Elle présente l’intérêt de nommer un besoin de fond : la capacité à concevoir et gérer des systèmes de management des services, en dépassement des approches industrielles, au prix sans doute d’une doctrine encore à élaborer.

 

Avec 20,4 millions de bénéficiaires hébergés, 1,4 million de travailleurs pour un chiffre d’affaires annuel de plus de 102 milliards d’euros chez les prestataires, les services aux environnements de travail s’intègrent dans une filière économique et sociale d’ampleur nationale. Par les contributions communes de plus de 45 métiers mis en jeu, elle a pour objectif de contribuer à la performance des bâtis, équipements et utilisateurs des environnements de travail, intégrant les externalités sociales et environnementales.

 

Encore jeune, la filière des services aux environnements de travail n’est pas née d’innovations technologiques ni d’inventions de nouveaux produits mais d’une dynamique d’externalisation puis de rapprochement d’activités supports d’origines diverses : entretien bâtiment, maintenance d’équipements, espaces verts, propreté, accueil et sécurité, restauration… Même pour les activités les plus valorisées socialement comme la maintenance d’équipements complexes, la filière s’est construite sur l’héritage culturel d’un déficit de reconnaissance – la maintenance étant toujours moins valorisée que la production d’objets nouveaux.

 

Des emprunts à l’hôtellerie…

Au-delà d’un phénomène de mode ou de marketing, l’hospitality management emprunte à l’hôtellerie et au prendre soin (« care »). Il est d’abord le nom des formations dispensées dans les pays anglo-saxons pour l’hôtellerie. L’emprunt est intéressant et intuitif. Il s’appuie sur des bâtis, des occupants, des meubles, des aménagements et des services. Il capitalise sur l’image de l’environnement et des services haut de gamme des hôtels de luxe. Cette notion intègre l’exigence d’obtention d’une satisfaction élevée en référence au pouvoir « absolu » d’un consommateur qui paye pour assumer le choix de ce niveau de prestation.

 

Comparaison cependant n’est pas raison. Les environnements de travail et les surfaces des immeubles professionnels ne sont ni exploités ni valorisés comme des hôtels. Surtout, les salariés au travail ne sont pas des consommateurs au sens propre. Ils sont bénéficiaires des services en tant que subordonnés de leur employeur. Même en coworking, ou pour des campus de formation d’entreprise avec hébergement, la notion d’hotelling relève de l’analogie. 

 

… et au « care »

La référence au « care » ou « prendre soin » adresse pour sa part les services aux environnements de travail à l’image des infrastructures de services publics et des services de soins (santé, emplois de proximité aux personnes dépendantes). Il y a là aussi des analogies de posture, s’agissant d’entretenir, de « faire tenir ensemble » ; prendre soin des bâtiments, des occupants et de l’environnement, avec des effets sur le bien-être, la santé individuelle et publique, la durabilité et la qualité des liens sociaux… L’emploi de cette notion en limite cependant la portée à sa dimension sociale et à la limitation de dépenses évitables. Elle masque la dimension économique et financière du modèle d’affaire marchand des services en BtoB que constituent les services aux environnements de travail. 

 

Sour le terme d’hospitality management, il est souvent question d’une « posture d’écoute », d’un appel à un « sens du client et du service », d’une prise en charge d’évènementiels et parfois d’une « gestion des services sous-traités ». L’offre d’un hospitality manager souriant, à l’écoute, aux petits soins, à l’accueil d’évènementiels et au suivi des agents de propreté et des hôtesses serait ainsi un argument marketing pour des prestations techniques supplémentaires et plus qualitatives, dans l’anticipation, pour des clients qui en acceptent le prix. Dans les activités de services soft, beaucoup soulignent qu’il n’y a là rien de très nouveau pour les opérateurs qui intègrent quotidiennement la dimension de relation au-delà des prestations.

 

Nommer pour innover vraiment

Traduire est alors intéressant et nous parlerons de management de l’hospitalité et des aménités du travail.

Management est un mot français d’origine et d’autant plus adéquat qu’il intègre la notion de gestion, mais également de « ménagement ». Il désigne à la fois des systèmes mais aussi les hommes qui y participent, les « managers ». Il ne faut pas confondre ici le management et les managers. Ces derniers sont une part des systèmes de management conçus pour transformer du travail en performance.

 

Hospitalité, tout comme aménité, sont, eux aussi, des mots français. Aménités pour les environnements et hospitalité pour les services, disent des caractéristiques favorables recherchées, aménagées et organisées pour ce que les occupants et usagers peuvent et doivent en faire : un travail bien fait dans de bonnes conditions. Ces notions ne sont pas réductibles seulement à une attitude de service. Ce sont des finalités de valeur. L’hospitalité comme les aménités désignent des réalités immatérielles connotées positivement et désirables. Elles sont produites pour obtenir des effets utiles, au-delà de la satisfaction qu’elles procurent. Hospitalité dit accueil et bienveillance d’hôtes pour des bénéficiaires « invités » qui ne sont réduits ni à des consommateurs, ni à des subordonnés ou des obligés. Ces notions doivent devenir des référents d’évaluation, par exemple, d’un accueil composé de personnes et d’environnements, attractifs, bienveillants, propres à générer du bien-être.

 

Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie

Être en capacité de penser et promouvoir des systèmes de management de l’Hospitalité et des Aménités du travail est l’ambition que la filière des services aux environnements de travail doit poursuivre pour répondre aux besoins des clients et de la société. Cela exige une doctrine professionnelle renouvelée, c’est-à-dire un ensemble de savoirs professionnels et de règles communes à la filière.

 

Le fait que les mots pour la nommer soient des emprunts, non traduits, dit cette lacune. Il n’est pas question ici d’abstraction, mais de réalités opérationnelles qu’il convient de traiter à l’aide de savoirs opérationnels fondés.

 

Pour être structurante, une doctrine professionnelle doit s’exprimer dans un corpus explicite de savoirs professionnels. Il faut être capable de les écrire, de les enseigner et qu’ils s’imposent comme un référentiel, pour tous les acteurs de la filière comme aux tiers.

 

Cette doctrine doit décrire les conditions de la performance attendue de règles, d’organisations et d’instruments de gestion adaptés spécifiquement à la filière et indiquer les compétences spécifiques nées de ses pratiques et nécessaires à ses professionnels. Ainsi, elle contribuera à la performance en permettant d’en réunir les conditions.