26 janvier 2024

CAHIER 29 – Document 3

L’Hospitality Management de Dalkia pour Framatome

Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA

 

Cet article de Retour d’Expérience (REX) analyse l’approche d’Hospitality Management (HM) Dalkia-Framatome qui a fait l’objet d’une présentation détaillée dans le Cahier du CRDIA n°28 de décembre 2023 « L’Hospitality Management à Framatome, tour AREVA, La Défense ».

Diffusé le 30/01/2024, avec le soutien de l’IDET et du SYPEMI 

Eléments d’analyse

Externaliser l’exécution de prestations techniques est une chose. Le client fait faire des activités qu’il connaît et pourrait encore réaliser lui-même. Il choisit de sous-traiter mais il maîtrise le « quoi » et le « comment ». Recourir à un fournisseur pour réaliser efficacement les services nécessaires à l’exploitation de ses espaces de travail est autre chose. Cela implique d’accéder à une capacité experte s’agissant de concevoir et manager un système de production particulier que le client connaît mal et ne peut maîtriser sans la coopération, en confiance, des prestataires. Ce besoin dépasse les besoins de définition et de conception d’une relation contractuelle. Et, s’agissant de prestations à exécution successive et forte intensité de main d’œuvre, ce besoin est permanent.

 

Dans le cas étudié, par l’histoire d’une restructuration, le client n’a ni la capacité ni la volonté d’exploiter lui-même les espaces de travail qu’il occupe. Il n’est plus en situation de faire exécuter par d’autres des activités qu’il pourrait produire lui-même. Il ne dispose donc pas de compétences subordonnées en interne, ni ne souhaite investir pour les (re)constituer. Il ne recherche pas seulement une mise à disposition de main d’œuvre, mais une offre de services dans laquelle le prestataire est un fournisseur expert. Cette expertise est évidemment postulée sur le savoir-faire de la mise en œuvre des services, « le comment ». Elle est également recherchée dans un appui-conseil à la formulation des besoins (évolutions, variabilité, innovation) et dans l’appréciation des résultats : le « quoi recherché » et le « quoi obtenu ».

 

Le cas des activités d’Hospitality Management (HM) de Framatome, mis en œuvre par Dalkia et ses sous-traitants, est à cet égard intéressant. Outre des informations sur les profils, l’étagement de différentes compétences pour différents apports, les témoignages recueillis décrivent un apport d’expertise et d’accompagnement d’innovations pour le client qui excède l’exécution de prestations définies techniquement, en moyens comme en résultats. L’expertise est ici mobilisée par une présence « intime », une pratique de l’écoute et une capacité d’interprétation (autant que d’animation) des bénéficiaires. Elle passe par une disponibilité quotidienne, ou la volonté d’aller régulièrement « à la rencontre ». Elle prend la forme d’un accompagnement des bénéficiaires, des opérationnels et de la direction (y compris, ponctuellement, vis-à-vis des partenaires sociaux).

 

A l’aide d’un premier questionnement centré sur la fonction « officielle » du HM mis en place par Dalkia, notre REX a permis d’éclairer l’apport d’un accompagnement d’expertise au niveau de la gouvernance des services et de la Direction de l’Environnement de Travail, à l’aide d’un temps très partiel, avec des caractéristiques de profil, d’indépendance et compétences.

 

Par un second questionnement, il a permis de repérer l’apport quotidien d’une deuxième fonction d’hospitality management, non organisée comme telle, assurée par un sous-traitant présent et engagé à temps plein sur le terrain, au profit des bénéficiaires en direct.

 

1 – Des apports en valeur et des systèmes relationnels distincts et complémentaires

Les productions servicielles de la première fonction mise en œuvre par Dalkia, que nous qualifions  d’« officielle », relèvent de trois dimensions :

 

  • Un apport « systémique » et indépendant des prestataires par un management[1] non hiérarchique du déploiement du contrat, à l’aide d’une expertise de l’exploitation en relai de la gouvernance client (animation du réseau des ambassadeurs, enquêtes régulières de satisfaction et besoins…) ;
  • Quelques livrables, notamment au démarrage du contrat, mesurables, dénombrables et techniquement descriptibles ;
  • Des apports ponctuels par des contributions à des innovations servicielles, sur un mode projet/mission (Cubes Green me, conception des noyaux…).

 

Les productions servicielles de la seconde fonction observée, dite « de terrain », sont caractérisées par :

 

  • Un effet d’humanisation du système d’exploitation, une qualité de relation incarnée par un temps plein et une disponibilité immédiate ;
  • Un effet de facilitation et de simplification de l’accès aux ressources du site par les bénéficiaires, intégrant différents champs d’interventions, de l’accès aux salles de réunions à l’évènementiel et à l’accueil, des outils aux applications bureautiques, de la propreté au courrier et aux petits travaux ;
  • Un effet de rassurement et de reconnaissance des bénéficiaires qui se sentent accompagnés, au-delà de processus et d’outils plus ou moins contraignants.

 

Les apports de ce second registre sont d’autant plus signalés qu’ils contrasteraient avec un contexte tendu et de plus en plus soumis à des procédures, dans une entreprise qui serait moins « riche » et devenue moins conviviale que par le passé (moins communautaire). L’exploitation des environnements de travail n’échapperait pas à des processus et des outils censés aider, mais vécus par certains comme consommateurs de temps, complexes et contraignants. Les moyens alloués par l’entreprise aux environnements seraient toujours plus limités. L’open space et plus encore le Flex, sont commentés comme des organisations déshumanisantes, acceptées du fait des contraintes économiques et du télétravail, mais en même temps aggravées par l’accroissement des distances au travail.

 

Si l’on s’accorde sur le fait que les deux fonctions nourrissent, chacune à leur niveau, un enrichissement des services, cet effet est le résultat d’une coexistence, voire d’une complémentation des deux. Cette coopération effective est le fait des personnes, elle a été obtenue dans la pratique mais il est remarquable en soi qu’elle n’ait jamais été ni organisée, ni prise en compte, ni « théorisée ».

 

  • Des contributions appréciées et valorisées différemment

Dans les deux cas, la question de la valorisation et de la monétisation de ces fonctions comme de leurs apports en valeur est posée.

La fonction officielle de HM est « valorisée » commercialement comme un apport discriminant du prestataire dans la relation client, mais non monétisée spécifiquement. C’est un service « gratuit », inclus dans le forfait, et seulement « dimensionné » à un temps très partiel (1/2 journée par semaine). La fonction du HM « officiel » n’est pas véritablement décrite. Elle n’est pas non plus justifiée par une promesse d’exécution d’une liste de prestations techniques définies préalablement. Elle ne fait pas l’objet d’un SLA[2] complémentaire. Le HM version Dalkia n’est pas décrit comme nécessaire au pilotage des équipes Dalkia (un coût de transaction), ou des équipes des partenaires (sous-traitants) dans une fonction d’encadrement ou de contract management, il est crédité d’un apport d’expertise qui manque au client. Il ne s’agit plus seulement d’exécution conforme de prestations techniques et prescrites, mais de mettre en action sur un mode « proactif » une capacité d’adaptation et d’évolution des prestations d’exploitation. Le HM est alors un élément d’une démonstration du prestataire s’agissant de s’engager dans une relation de coproduction et de co-conception, « à l’usage », pour répondre aux attentes du client. Il n’est pas précisé si l’apport est dans la finesse qualitative de la connaissance des besoins, dans l’évolutivité ou dans les deux. Ce rôle permet de renforcer significativement la confiance qui manque souvent au client vis-à-vis du, ou de ses, prestataire(s).

 

Le professionnel qui a créé la fonction dite « de terrain » est facturé classiquement via une relation de sous-traitance, non pour ce qu’il apporte en valeur, mais pour réaliser en principe des prestations limitées à l‘évènementiel et à une fonction d’interface avec les services d’exploitation « propriétaire » de la Tour. Le HM « terrain » est présenté dans les entretiens comme « indispensable », « toujours présent et efficace » pour les bénéficiaires en direct. Il est une ressource au quotidien, notamment pour composer avec (voire compenser) les contraintes des applications de gestion, des règles et des procédures. Que cela concerne le Flex, la fourniture de petit matériel ou de consommables, les salles de réunion, l’accueil…, il est celui qui fait et celui qui rend les choses « simples » ou au moins « vivables ». Il est ainsi une des réponses aux limites de la standardisation et des excès de gestion procédurale que dénoncent certains bénéficiaires. « Il y a bien des outils, mais je ne m’en sers pas, je demande à D. (responsable services aux occupants) ou à H. (HM terrain) ».

 

Les actions de chacun portent sur des publics (« sujets ») distincts, expliquant des niveaux de visibilité très différents, indépendamment des mécaniques de facturation.

 

  • Le HM officiel sert et est connu surtout du système client. Il agit, notamment par le conseil, en coopération avec les responsables DET de Framatome, les responsables prestataires de Dalkia et les « ambassadeurs » ;
  • Le HM terrain sert et est connu du « système bénéficiaires » (du responsable services aux occupants aux assistantes, et des prestataires tous métiers intervenants sur la Tour). Il agit avec, mais non soumis aux systèmes de demandes d’intervention, aux processus et aux frontières des métiers (lots, entreprises sous-traitantes…).

 

Si les contributions servicielles de l’un comme de l’autre sont apparemment « liées » ou « encastrées » en bonne intelligence en termes d’impacts utiles, avec comme point commun une définition de la qualité dans le registre de la pertinence située, leurs différences de situations sont nombreuses.

 

L’un est à temps plein, l’autre est à temps très partiel. L’un est Dalkia, explicitement hospitality manager et indépendant des équipes d’exploitation. L’autre est « mis à disposition », à temps plein par un sous-traitant, partie prenante directe d’un sous-ensemble d’exploitation sans définition de fonction précise.  Le premier est « officiel » et le second, largement « invisible » au premier abord.

La visibilité du premier fait partie de son apport (y compris commercial), et sa reconnaissance est un levier de sa capacité d’action.

 

L’invisibilité du second n’a par contre pas de raison fonctionnelle, si ce n’est dans un mode d’action qui s’est accommodé de sa discrétion. La qualité reconnue de son action relève non de la conformité (au prescrit, aux processus, au contrat…), mais d’une pertinence située en coopération. La simplicité, l’immédiateté sur fond de relations directes, sont des leviers d’efficacité. Invisible, au-delà de la conformité, il peut se consacrer à ce qui est utile, et non pas seulement à ce qui lui est autorisé ou explicitement demandé.

 

Cette invisibilité présente cependant des dangers. Outre une forme d’injustice pour la personne, elle a contribué mi-2022 au risque d’une disparition pure et simple de cette situation professionnelle par le départ du titulaire. Pour des raisons liées aux mécaniques de contractualisation entre plusieurs niveaux de sous-traitance, le HM « terrain » a en effet vécu une période éprouvante d’incertitude. Il s’est vu signifier son embauche la veille de la fin officielle du contrat qui liait son employeur au contractant de Framatome (Dalkia). Il a ainsi dû changer d’employeur pour continuer à servir, mais sans « remonter la chaine[3] » pour autant. Bien que mieux reconnu (statut, rémunération) depuis son changement d’employeur, sans changer de poste ou de travail au moins dans l’immédiat, il est toujours salarié d’un (autre) sous-traitant de second degré.

 

3 – Des situations professionnelles intimement liées à des personnes

La dimension personnalisée d’une situation professionnelle peut-être une qualité, notamment pour des activités relationnelles exigeant un fort engagement subjectif, comme c’est ici le cas. Pour le gestionnaire, elle présente une difficulté. Si la réussite ou les limites s’expliquent par les équations personnelles, les situations professionnelles ne sont reproductibles qu’à la condition de castings complexes.

 

Dans les deux cas, les personnes interrogées (prestataires et client), de même que les intéressés eux-mêmes, soulignent l’importance des « qualités » de l’un comme de l’autre.

Dans les deux cas, il n’y a pas de définition de fonction. Il y a même une forme de théorisation de cette absence. Pour être « pertinent », il faut éviter de codifier à l’avance. Ne pas définir serait une condition pour ne pas être contraint ou limité a priori et laisser le professionnel libre d’agir en contexte.

 

Dans les deux cas, il s’agit de faire preuve d’aptitudes (capacité à faire, à agir) avec :

 

  • Des compétences, réputées acquises par la formation (notamment la formation initiale hôtelière du HM terrain) et/ou l’expérience (notamment ancien responsable de site sénior du HM officiel) ;
  • Des talents, des « dispositions » à faire « bien » (mieux que les autres), des choses réputées difficiles. C’est souligné dans le cas du HM terrain, avec des qualificatifs soulignant l’engagement personnel, l’attachement à résoudre effectivement les problèmes des bénéficiaires et une dimension de solidarité démontrée. C’est exprimé dans le cas du HM officiel avec des termes comme « un sens aigu du service », « savoir fédérer, favoriser la synergie et la conciliation », « un talent d’animateur ».

 

Cette approche trouve une traduction dans les usages de la notion de profil :

 

  • Elle trouve une expression pour le HM officiel chez les représentants du client (la DET) qui soulignent : « un profil sénior, expert, organisateur, porteur de solutions innovantes » et surtout indépendant des intérêts économiques du ou des prestataires. « L’employeur » de la fonction (chez Dalkia) évoque une liste de compétences requises à la fois dans le registre du savoir-être, dans celui de qualités individuelles (dons de soi, sens du service), mais également d’exigence d’adhésion à des objectifs institutionnels de l’entreprise (souci de l’image, transcender les objectifs). Des « savoirs » requis dans plusieurs domaines d’expertise sont également évoqués, comme l’exploitation immobilière, la culture du client (et celles des prestataires), les innovations disponibles.

 

  • Cette notion de « profil » se retrouve mais avec un style et des mots différents pour le HM de terrain. Il est plus jeune et de statut plus modeste. Il n’est réellement visible que par les bénéficiaires et le responsable des services aux occupants, lesquels valorisent moins des compétences « hard » ou des connaissances (que son diplôme atteste) que « la gentillesse », la fiabilité, la réactivité, l’adaptabilité. Ils soulignent « la capacité qui est aussi une volonté » de répondre toujours, et rapidement. Ils constatent et félicitent une posture qu’ils qualifient de « solidaire » avec les bénéficiaires qui soulignent son rôle et sa place dans la communauté[4].

 

Le HM « officiel » est présenté comme un « référent » pour les activités de services aux environnements de travail du client. Il est une ressource pour la gouvernance en appui du donneur d’ordre. Il doit faire preuve de pragmatisme, d’adaptabilité, mais également, être porteur de connaissances métiers qui manquent au client, tout en respectant la culture de l’entreprise, la sociologie des bénéficiaires, le style et l’organisation du client.

 

« Nous avons externalisé, dans une entreprise en crise et en réorganisation, nous avons dimensionné la fonction DET sur un mode très « lean ». Nous n’avons que deux personnes dans la tour Areva pour assurer la responsabilité de 10 lots techniques d’équipements, et de 10 lots de services. En proposant un rôle expert et sénior, clairement indépendant de l’exploitation, Dalkia nous a convaincus et apporté « une courroie de transmission » qui manquait entre moi (le client) et les occupants ». 

 

Conclusion :
des hospitality managers, mais pas encore un système de management de l’hospitalité ?

Dans les relations clients/prestataires, il est fréquent de voir certains responsables services généraux des clients s’inquiéter d’une perte de pouvoir. « Non seulement je lui confie le volant du camion, mais en full FM, je lui donne les clés ». La défiance alimentée par des contrats incomplets et des rapports de force construit des situations dans lesquelles le prestataire est suspecté de jouer ses intérêts propres, contre son client. Il ne peut être de bon conseil puisqu’il est juge et partie.

 

L’expertise sollicitée est alors potentiellement « tiraillée » entre la rationalité client (toujours, plus et mieux à coûts maîtrisés) et celle du prestataire (élargissement du chiffre d’affaire et de la marge sur ses propres activités et celles des prestataires dont il assure le « pilotage »). Un risque de défiance invalide souvent l’écoute du client pour son prestataire, lui préférant alors parfois un tiers (AMOA ou PM)[5].

 

Dans le cas étudié, il y des indices d’une satisfaction renforcée par les interventions des deux Hospitality Managers ; officiel et terrain. Au-delà de leurs prestations respectives à des niveaux et pour des publics différents, ces hospitality managers contribuent complémentairement à un management enrichi de l’hospitalité. Pour partie intentionnelle, pour partie « inattendue et miraculeuse », il y a la démonstration que la coopération est possible entre client et prestataire, et entre différents prestataires.

 

Il y a cependant un constat d’insatisfaction du côté du client : « Malgré notre volonté de confier le volant et les clés à notre prestataire, il ne prend pas le pouvoir (pas à la vitesse attendue). Je (DET) considère aujourd’hui que nous sommes, avec mon équipe, (encore trop) les experts de notre bâtiment et des services aux occupants ».

 

Dit autrement, il y aurait un « management de l’hospitalité » encore insuffisant du point de vue du client. Malgré des « prestations d’hospitality management » réalisées par des hospitality managers appréciés, il n’y a pas encore un système de management de l’hospitalité suffisamment explicité, organisé et maîtrisé, et suffisamment fort pour résister par exemple à des renouvellements de personnes. 

 

 

[1] Le management évoqué ici n’est ni hiérarchique (délégation du pouvoir d’employeur), ni même de l’ordre du « pilotage ». A proximité des organisations par projet, l’autorité exercée s’adosse à un pouvoir d’influence, légitimé par son expertise, et dans ce cas, par son indépendance.

[2] Service Level Agreement

[3] Expression de l’intéressé traduisant sa préférence pour une embauche par le premier contractant, faute d’imaginer même la possibilité d’une embauche par le client.

[4] C.f. les appréciations entendues sur la perte de qualité du lien social et le prix accordé à la solidarité, illustrés par cette remarque : « Le Flex ne serait pas vivable sans H. » (le HM « terrain »), ou « encore, « il nous aide, on l’aide ». 

[5] Assistance à Maîtrise d’Ouvrage, Property Manager.