11 avril 2020

CAHIER 3 – Document 2

Délégation globale de gestion. Un contrat «monde» entre une banque et un opérateur immobilier

Présentation et débats  lors de la réunion CRDIA du 02 avril 2019
Retranscription par Jean Yves Kerbourc’h

Mai 2019

Diffusé le 15/04/2020, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Fondé au milieu du  19ème siècle, le groupe bancaire concerné, désigné par « la Banque » dans ce compte-rendu, exploite 3800 bureaux dans 66 pays, emploie 229 000 salariés dont 8000 en France. La région Europe, qui comprend l’Afrique du Sud et la Barbade, rassemble de l’ordre de 20% de l’activité mondiale. La filiale française représente environ 27% de cette région Europe, 20% pour la France et 7% pour les filiales européennes rattachées.

La Banque occupe en France, environ 191 000 m² principalement en mode locatif, dont 300 agences, quatre sites centraux (dont deux de 27 000 m² et 40 000 m²), un data center de 4.000 m² en cours d’externalisation et plusieurs sites régionaux ne dépassant pas les 1000 m².  Elle a externalisé la majorité de ses actifs immobiliers auprès de foncières dans les années 2010, dans le cadre d’opérations de lease-back.

Un contrat de gestion « monde »

Depuis 2013, et en principe jusque 2021, par un contrat cadre de gestion  de droit britannique, la Banque a confié la totalité de la maintenance des bâtiments et des services aux occupants à l’échelle monde, à un grand Opérateur américain de Services Immobiliers, désigné dans la suite par « l’OpSI ». Ce contrat rassemble des conditions générales et particulières, ainsi que des particularités locales. Il intègre un prix au m² via une matrice par pays, bâtiment et prestation.

Pour mettre en œuvre ce contrat hors normes, l’OpSI pilote, exécute directement quelques missions, mais délègue (sous-traite)  majoritairement les tâches demandées à des prestataires, notamment en France, en mode « miroir » : reproduction des exigences du client dans les contrats conclus avec les sous-traitants.

L’OpSI  assure ainsi les prestations de pilotage, et directement certaines prestations, principalement sur les sites significatifs en mode posté et dédiés. Ce contrat est le plus gros de ce type au monde. Sa gestion occupe en back office au niveau monde environ un millier de salariés. Le montant global du marché Monde pour l’OpSI  reste une donnée confidentielle.

 Un modèle d’externalisation globale

Cet esprit de gouvernance déléguée a également été déployé dans d’autres métiers non Core Business par La Banque, non seulement par la Direction Immobilière Monde (gestion des travaux, property management, etc.), mais aussi dans d’autres métiers (sûreté, transport de fonds, informatique, achats, autres services supports…).

Le contrat entre La Banque et l’OpSI  en France

En 2017, le contrat représente pour la France 12,6 millions d’€ (12 Millions en 2019). Les frais de gestion du contrat France sont de l’ordre de 300k€. Le nettoyage représente 149 000 € par mois.

A ces montants forfaitaires s’ajoutent 2 millions d’€ de petits travaux et 2 millions d’€ de travaux supplémentaires, conduits par l’OpSI, avec des prestataires qu’il sélectionne et référence, puis rémunère directement. Ceux-ci sont refacturés en « open book », costs plus fees. Il s’agit principalement en France d’un prestataire de Facility Management (FMer), issu de l’énergie et spécialiste du multi technique, ainsi que, pour la propreté, d’une société de nettoyage, 4ème employeur privé mondial et présent dans 70 pays. Les transactions dans ou hors forfaits avec les sous-traitants de l’OpSI  sont réputées exemptes de remises de fin d’année (RFA).

Le contrat et ses annexes représentent un document de presque 700 pages, dont une grande moitié de Conditions Particulières et Locales. Le chiffrage est produit via une matrice, avec un prix au m² donné par le contrat dans une grille de calcul commune :

  • les prestations applicables par pays sont réparties en 12 domaines, dont le management des services, les SI, l’HS ou l’environnement ;
  • la segmentation est ensuite construite en 5 familles de « services delivery», et une cinquantaine de sous familles ;
  • les exigences de services sont classées sur une double échelle, d’immeubles d’une part, de priorité ensuite ;
  • les immeubles sont classés sur une échelle à 5 niveaux : A et B pour « critique » ou « prestige », C et D pour le back-office, X pour les agences. Les sites fermés font l’objet d’un cahier des charges allégé ;
  • les demandes d’interventions sont priorisées sur une échelle de 1 à 3, en référence à une échelle de risque des activités. Les priorités sont distinguées entre « urgent », « essentiel » et « routine », définissant notamment des temps de réactivité et de résolution différenciés.

Définitions et gestion des prestations : l’exemple du nettoyage

Les prestations sont suivies et évaluées selon des critères de temps (réactivité) sur les trois étapes de traitement : temps de prise en compte, temps de réaction, délai d’intervention ; avec pondération  par type d’activité (A-B, C-D, X). Les services délivrés sont évalués exclusivement en termes de résultats, activité par activité (ou supports) selon une échelle comportant  5 niveaux.

Pour le nettoyage, par exemple, un « objectif minimum » de résultat est défini zone par zone selon l’activité (espace accueil public, vitrages…). La norme à atteindre est au niveau 5 « après nettoyage » pour les front office, alors qu’un niveau 4 est toléré sur le back office.

Les notations entre 1 et 5 définissent le résultat visible (pas de traces de doigts, quelques traces, des traces, etc.) par activité (vitrerie, sanitaire, sols durs, accessoires et équipements…) comme « un standard minimum acceptable entre deux nettoyages ». Par exemple, les sols durs (parquets, linos, carrelage), au niveau 3, présenteront des « débris visibles, de poussières, de moutons, de taches nettoyables. Des sols ne présentent pas une finition régulière, uniforme dans l’état d’usure, avec une brillance appropriée, sans rayure, aux normes anti-glissade ».

Ainsi,  toutes les prestations ont été conçues pour être analysées comme des obligations de résultat et non de moyens (« La vitrine doit être propre »). La Banque et l’OpSI attendent un résultat en laissant le choix des moyens aux prestataires.

La gestion du contrat

En France, la gestion du contrat emploie de l’ordre de 20 personnes. L’OpSI   assure une partie du multitechnique avec une quinzaine de salariés postés sur les 2 grands sites, et 6 salariés de l’OpSI  assurent la gestion en province (responsables FM régionaux).

En France, mais aussi au Royaume Uni,  l’OpSI   a choisi d’externaliser les activités multitechniques « non-résidents » au profit d’un FMer  spécialiste du multitechnique.  Un contrat mondial de nettoyage lie l’OpSI à l’entreprise de nettoyage.

La particularité française en termes de sous-traitance est la permanence de salariés sur site après plusieurs changements successifs de prestataires.  Il arrive, comme souvent, que les salariés de l’entreprise de propreté ne sachent plus vraiment qui est leur employeur.

La mesure

Une vingtaine KPIs « clés » ont été définis et sont suivis en co-pilotage par la Banque et l’OpSI dans un tableau de bord dont le client est destinataire au travers de réunions hebdomadaires et mensuelles (de suivi) et de la réunion trimestrielle (de notation subjective de la prestation).

Par exemple, il existe 4 KPIs pour la propreté : satisfaction utilisateur, délai d’exécution de la tâche, respect du planning de maintenance préventive, audit semestriel du service rendu (Satisfaction Survey).

 

Commentaires et questions

La question est posée de la qualification de l’intervention de l’OpSI: partenaire ou prestataire ?

En effet pour beaucoup de prestations l’OpSI est un intermédiaire qui fait appel à des sous-traitants avec lesquels il conclut des marchés. Il s’agit donc d’une vraie sous-traitance, soit une relation à trois personnes : donneur d’ordre, entrepreneur principal et sous-traitants.

Quel est l’objet du contrat ? S’agit-il seulement d’exécuter les prestations que l’OpSI sous-traite ensuite ? Le contrat porte-t-il sur une prestation d’organisation et d’agencement ainsi que de gestion du FM par l’OpSI, même si la nature et le niveau de ces prestations sont prévus dans le contrat ?

Ce n’est pas un mandat. Il s’agit d’un contrat qui ressemble beaucoup à celui d’une délégation de service (délégation de gestion : parallèle à faire avec la délégation de service public ?).

Quel est le rôle de la filiale Banque France dans le suivi ?

La Banque délègue la surveillance du contrôle de la qualité des prestations à l’OpSI qui est à la fois le prestataire officiel et le contrôleur. Il assure le suivi des prestations grâce à un logiciel qu’il a conçu. 

Quel décalage entre de ce que « dit » le logiciel et la réalité du terrain ? Quel type de gouvernance La Banque assume-t-elle ? A-t’elle des personnes compétentes pour suivre ce type de contrat très particulier ?

En 2017, la direction immobilière s’est dotée d’un manager « confirmé » pour faire vivre et contrôler le contrat.

L’OpSI fait-il jouer la concurrence et a-t’il intérêt à le faire ? Existe-t-il des remises faites à l’OpSI  en fonction des volumes de commande ? Sont-elles répercutées sur le contrat ?

L’OpSI est « artisan d’une bureaucratie » achat dont on peut craindre qu’elle pousse les prix vers le haut par une politique de référencement que l’OpSI maîtrise seul dans une logique de « centrale d’achat à l’échelle européenne ». Sur demande de la Banque, des conditions drastiques sont imposées limitant le nombre de sociétés aptes à répondre. Cette situation oligopolistique est en défaveur du Donneur d’Ordre, puisque la concurrence ne joue plus.

Dans ces conditions quelle est la valeur ajoutée de l’OpSI dans ce mode de fonctionnement, plutôt qu’un rapport direct donneur d’ordre-prestataire classique ?

En effet l’OpSI, qui doit couvrir ses coûts fixes et dégager une marge opérationnelle, n’a plus les mêmes intérêts économiques que son client.

Ce contrat peut paraître déséquilibré en défaveur du client ?

L’OpSI est dominant, car c’est un intermédiaire mais il est juge et partie : il passe les marchés auprès des sous-traitants, les paie, les contrôle. Le contrat « monde » conduit à standardiser les prestations. Or la culture n’est pas la même partout. La culture du contrat non plus.