10 juin 2020

CAHIER 4 – Document 2

Quelles recherches pour le Facility Management dans la crise sanitaire ?

Note CRDIA rédigée par Xavier Baron, mai 2020

Diffusé le 11/06/2020, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Les différents travaux initiés dans le cadre du CRDIA depuis avril 2016 ont montré l’importance économique et sociale du secteur du FM en émergence, mais aussi les impasses auxquelles il est confronté depuis plusieurs années. Sans attendre la crise du Covid-19, nous avons souligné que l’avenir du FM doit s’envisager dans le cadre d’un véritable secteur économique. Le FM est un colosse, mais un colosse fragile. Insuffisamment intégré, il reste dominé par une pensée industrialiste et financiarisée obsolète et inadéquate. Mal reconnu, il n’est pas assez innovant. Dans l’esprit de beaucoup, c’est au mieux une dépense obligée sans valeur ajoutée, au pire une variable d’ajustement. La crise sanitaire alimente déjà les réflexes des donneurs d’ordres visant à « faire des économies », pris eux-mêmes dans l’injonction de réagir afin de rétablir l’équilibre de leurs actifs, coûte que coûte puisque c’est la guerre.

Cette crise sanitaire, qui vient de confiner la France et la moitié du monde pendant deux mois, n’est probablement que le souffle de la vague économique et sociale qui s’annonce. Elle mettra inévitablement en tension, pour des années, les entreprises clientes du FM. Le risque de voir le FM tiré à nouveau vers le bas n’a ainsi jamais été aussi grand, au prix de tensions accrues, tant avec les clients et les bénéficiaires, qu’avec les œuvrants des services, sans parler des destructions d’emplois à venir pour des populations dont certaines sont peu résilientes. En même temps, cette crise démontre l’importance du FM. Elle impose des précautions sanitaires, au moins temporairement, et des dépenses nouvelles pour reprendre le travail.

Comme dans toute crise, des opportunités se présentent. Pour avoir la capacité de s’en saisir collectivement, nous appelons à faire corps, à s’organiser pour observer, pour se concerter entre parties prenantes -les différents métiers des prestataires et les clients du secteur- pour innover et agir sur un mode solidaire.

 

1 – A l’échelle de l’économie, la crise sanitaire révèle les risques et enjeux associés aux espaces de travail

Cette crise constitue une atteinte d’ampleur extraordinaire, collective et individuelle, à la santé, l’économie, la finance, aux rapports humains, à l’organisation des entreprises et des espaces de travail. Entre pertes d’activité, coûts du maintien des emplois, désorganisation, perte de confiance dans l’avenir et peurs collectives, c’est l’ensemble de nos économies et de nos sociétés qui vont devoir faire preuve de résilience.

Plus spécifiquement, aurons-nous encore besoin de bureaux, et de quels bureaux ? Quel avenir pour l’open-space en flex-office ? Le paradigme dominant avant la crise du Covid-19 était orienté en faveur d’espaces toujours plus ouverts, lieux de rencontre physique (réunions et travail collectif), favorisant le brassage des populations (cowork), toujours plus densifiés par le partage des bureaux et requérant de se déplacer souvent (activity based). Il fallait « attirer et fidéliser les talents par une expérience utilisateur » d’un côté, réduire systématiquement les m² de l’autre. Comment allier demain performance du travail collectif, satisfaction des bénéficiaires et responsabilité de l’employeur de garantir la sécurité sanitaire ?

En pleine embardée du véhicule, ce n’est pas le moment pour les passagers de recommander au chauffeur qui a perdu la maîtrise un itinéraire bis, pour que « après ne soit pas comme avant ». Faire de la prospective en chambre aujourd’hui nous condamne à raisonner sur l’avenir (du travail) avec les concepts du passé, alors même que nous ne savons rien encore de ce que nous découvrirons quand la vague refluera.

La crise sanitaire cependant met déjà en lumière le caractère d’infrastructure collective d’utilité commune du FM pour les occupants des immeubles, les entreprises et la soutenabilité de notre société. Elle apporte un démenti cinglant à tous ceux qui parlent encore avec mépris des services, et de ces services comme étant « à faible valeur ajoutée ». C’est l’effet d’une confusion et d’un déni. Une confusion entre qualifications modestes et gestion bas de gamme, alors que la mobilisation efficace de professionnels exerçant des prestations à exécution successive, « chez les autres en présentiel », requiert une ingénierie de management et de Gestion des Ressources Humaines de premier plan.  C’est ensuite un déni de l’apport  de valeur des services aux immeubles et à leurs occupants, mais aussi de leur apport en performance pour la mise au travail de tous les bénéficiaires. La crise révèle leur caractère économiquement et socialement indispensable. Elle dit la profondeur des inepties et des lacunes d’instrumentations incapables de valoriser non seulement une valeur sociale d’utilité commune, chaque jour plus avérée, mais un rôle économique de l’ordre des fondamentaux :

  • Le FM a pour objet les aménités des espaces de travail en usages : mobilité, environnement, alimentation, hygiène, santé physique et psychique des travailleurs. Propreté et sécurité restent des vertus cardinales auxquelles il faut ajouter les conditions sanitaires. Leur remise en question dans la crise met le FM en obligation de réponses expertes et innovantes ;
  • Le FM est le métier qui peut et doit construire une expertise opératoire sur les conditions de la productivité des actifs de l’entreprise, immobiliers et humains, par l’adaptation des espaces et des services aux usages, la qualité des communautés de travail, d’environnement, d’accessibilité, d’accueil. Le bon usage des espaces disponibles, les proximités physique et géographique, avec l’extension probable du télétravail, entrent dans le champ d’expertise du FM. La crise met les FMers en première ligne de la valorisation bousculée de ce patrimoine et de ces ressources productives ;
  • Le FM constitue une ressource immatérielle et servicielle des infrastructures nécessaires au travail pour l’ensemble des activités économiques, qu’elles soient orientées profit ou service public. Garantir la sécurité, la santé, la qualité d’accueil et de vie au travail, sont des conditions de leur propre performance. Le FM est partie prenante de ces « utilités communes » qui remontent en importance, dans la sollicitation ;
  • Le déconfinement progressif et conditionnel apportera pendant des mois une démonstration renouvelée de la valeur ajoutée des services du FM, à condition évidemment que sa réactivité et le maintien de ses capacités permettent la mise en place de services à l’usage variabilisés, innovants et surtout, pertinents ;
  • Le FM c’est enfin la performance énergétique, environnementale et la qualité/durabilité dans l’usage des actifs immobiliers : services d’exploitation, maintenance des immeubles et des équipements, consommation d’énergie, production et recyclage des déchets etc. La remise en question par le confinement, sa sortie progressive, le télétravail, les conditions de sécurité dans les transports etc., réinterrogeront les politiques immobilières d’exploitation des entreprises.

Le télétravail est évidemment un sujet central. Limité à quelques 7 % jusqu’à la crise (au moins dans les pratiques officialisées) pour des durées de l’ordre d’une journée par semaine, il était conçu comme un « droit » accordé à une minorité privilégiée parce qu’employée dans un métier adéquat et disposant des équipements informatiques et de conditions favorables à domicile, donc volontaire[1]. Quelle sera la place du télétravail après cette crise et la longue période transitoire qui nous attend ?  S’il est un métier qui doit repenser l’espace de travail à partir de ces évolutions, c’est encore le FM.

Un secteur d’avenir, mais un colosse aux pieds d’argile


Une offre et un métier insuffisamment intégrés et structurés :
Absence de réelle différenciation entre les offres des majors du secteur ;
Pas d’opérateur au-delà de 1,7 Md€ de CA en FM (en France, source Sypemi / Xerfi) ;
Faible niveau d’intégration des prestations : les contrats en full FM sont sous-traités à 75% en cascade aux différentes spécialités mises en œuvre ;
Concurrence frontale entre de nombreux concurrents « équivalents » qui se rencontrent sur chaque contrat significatif, imposant des coûts commerciaux élevés au regard des marges escomptées ;
Pas de convention collective.

Une absence de modèle d’affaires soutenable :
Depuis la fin des externalisations qui ont accompagné son émergence (des années 1980 à 2000), le FM se développe dans une dynamique de croissance mais ne trouve pas de modèle d’affaire soutenable. Il est sous la menace permanente d’une paupérisation rampante :
Difficulté à exprimer les valeurs créées au-delà des coûts ;
Marges faibles : de 3 à 4% pour les prestataires les plus profitables, CICE inclus ;
Qualité des prestations tirée à la baisse, depuis 10 ans au moins[2], tensions sur les heures et les moyens mobilisés ;
Plus des deux tiers des salaires au SMIC (90% dans la propreté), avec des conditions de travail difficiles (pénibilité, horaires, astreintes) ;
Recours à la sous-traitance en cascade et aux travailleurs détachés pour certaines activités non postées ;
Captation des allègements de charges et des subventions dont bénéficient les prestataires (CICE, baisse des charges) par les donneurs d’ordres et les intermédiaires dans la chaîne de sous-traitance.

Pas de socle social commun de gestion des Ressources humaines : 
Des prestataires « fortement employeurs » mais dotés de peu de ressources en management et en Gestion des Ressources Humaines (GRH) : le taux d’encadrement, qui plafonne à 10%, reste en général autour de 5-8%, voire moins dans la propreté ;
Concurrence entre différentes conventions collectives ;
Absence de dialogue social structuré entre des partenaires sociaux aujourd’hui dispersés, insuffisamment homogènes et représentatifs[3] ;
Fort turnover et faible attractivité, trappe à travailleurs pauvres, tendance marquée à l’ethnicisation des recrutements, salariés multi-employeurs, temps partiels ;
Pas de filière métier en propre, ni d’organisation de la formation en transverse aux métiers et aux donneurs d’ordres ;
Ni tradition, ni savoir-faire et pas de moyens en études, recherche et développement, ni dans les entreprises, clients et prestataires, ni dans les branches (hormis la propreté).

 

2 – Des menaces et des opportunités pour le FM

 Des prestataires encore plus tirés vers le bas ?

Certains des prestataires sont devenus de très grandes entreprises. Plusieurs comptent plus de 50 000 salariés en France (Samsic, Atalian, ISS, Sodexo). Beaucoup sont des filiales de grands groupes (Veolia, Spie, Vinci, Derichebourg) dont l’Etat est partenaire ou même actionnaire (Engie, EDF). Ils disposent d’atouts et de compétences. Ils sont pourtant encore loin d’assumer leur rôle dans les débats qui étaient déjà là, et qui vont devenir centraux à l’aune des conséquences de la crise.

A quelles conditions seront-ils prêts à développer en urgence et à déployer leurs expertises discriminantes, à assumer leurs responsabilités pour répondre à ces questions ?

Faute d’investissement en R&D, certains prestataires sont restés dans une posture de « réponse » à des cahiers des charges qu’ils n’élaborent ni même parfois ne discutent. Ils n’ont pas développé une maîtrise de la professionnalité proprement servicielle requise. En position de « sous-traitants », leur expertise des conditions de la performance du travail des bénéficiaires n’est ni véritablement formulée, ni suffisamment construite. Tendus sur les marges et les menaces de remise en cause régulière des contrats, certains ont surtout développé une ingénierie sociale de flexibilité d’emplois, voire de politiques de déflation salariale, et une gestion par les chiffres. Ils ont joué leur compétitivité sur la proposition de prix attractifs, en prenant des risques sur leur capacité à tenir les promesses de qualité. Peu familiers du développement des compétences et de la gestion des parcours, leurs savoir-faire en GRH n’ont pas encore pris le relais d’une position de « marchandeurs », placeurs grappillant une marge sur la fourniture de bras. Cette crise sera fatale à tous ceux qui n’ont pas déjà entrepris leur transformation pour acquérir la capacité à réaliser et assumer leur promesse de valeur : proposer des environnements de travail aménitaires en étant capables de conseiller, articuler et mettre en œuvre, au cas par cas, les méthodes et les moyens permettant de garantir la santé, la sécurité, la sobriété environnementale et la responsabilité sociétale de la vie au travail au sein des entreprises clientes et partenaires.


Des clients de plus en plus dépendants, mais qui restent dominants

Alors même que les entreprises de FM ont actuellement l’occasion de montrer leur capacité de résistance au profit de leurs clients, alors que les salariés de la propreté, de la sécurité, de l’accueil ou de la maintenance sont sur le terrain, le secteur risque d’être sanctionné par un redoublement du choc général de la baisse d’activité, par les réflexes de ses propres clients. Une menace se présente évidemment du côté des donneurs d’ordres. Certains déjà bloquent les paiements, exigent des moins-values, évoquent des renégociations afin de peser à nouveau sur les marges des prestataires.  Ils contribuent ainsi à comprimer encore les salaires, à accélérer les « politiques de travail au sifflet ». Ils trouveront des justifications dans les dégradations de leurs propres résultats économiques et financiers, et dans une nouvelle version du « there is no alternative ». Qu’importe que les prestataires ne soient en aucune façon responsables, ils sont dominés. Pour certains « donneurs d’ordres », le FM constitue une réserve de travailleurs pauvres, exposés s’il le faut, et bien sûr exclus du télétravail. Cette main d’œuvre a été externalisée justement pour coûter « moins cher », avec des conventions collectives éclatées, des charges allégées, des aides à l’emploi. Elle constitue une armée globalement silencieuse, dispersée, renouvelable au besoin par de nouveaux migrants. La crise peut conforter ces postures, abritées par la jouissance d’une position de dominants. Elle sera aussi un révélateur de la dépendance croissante et irréversible des entreprises qui ont délégué l’expertise, en même temps que la gestion opératoire des aménités de leurs espaces de travail. Leurs prestataires sont et seront à terme tendanciellement plus compétents qu’elles-mêmes. Il est urgent pour elles d’en faire des partenaires solidaires, au moins des fournisseurs compétents et pertinents, mais certainement pas seulement des sous-traitants.


Des responsabilités nouvelles pour le métier du FM

Sur le long terme, il va falloir répondre à la question : comment associer prévention durable des risques sanitaires, performances économiques du travail et performances environnementales et sociales ? Qu’est-ce que le travail au bureau ? Quels sont les autres usages imaginables des espaces de travail ? Le présentiel est-il nécessaire ou favorable, dans quels cas et à quel prix ? Les donneurs d’ordres seront contraints de repenser la hiérarchie de leurs priorités, et singulièrement les attentes renforcées des 20 millions de salariés dans leur relation à leur espace de travail, d’un point de vue sanitaire bien sûr, mais pas seulement. C’est tout leur environnement de travail, la manière dont leurs employeurs les accueillent, les équipent, les sécurisent qui seront questionnés. Demain, les entreprises continueront-elles de servir les immeubles, l’œil rivé sur les indicateurs, ou choisiront-elles de servir au mieux les personnes, quel que soit leur lieu de travail ?

Face à ces enjeux, les prestataires ont une carte à jouer et une responsabilité. Ils sont encore nombreux à attendre de leurs clients qu’ils disent précisément ce que sont leurs « besoins », les attentes de leurs salariés, et à s’étonner benoîtement de la vacuité des réponses… Henri Ford aurait déclaré au début du siècle précédent ; « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu des chevaux plus rapides ». La capacité d’expertise des prestataires sera sollicitée. On ne leur demandera plus seulement d’exécuter, voire de dire comment faire, mais d’être une ressource en valeur ajoutée sur la réponse à la question « quoi faire ? ». Ce sont eux qui font, ce sont eux qui vivent au quotidien avec les bénéficiaires, ce sont eux qui maîtrisent les conditions d’opérabilité des décisions politiques des clients.


Un enjeu de climat social

Dans l’immédiat, la crise actuelle engage une gestion des risques de dégradation du climat social. Après 16 mois de gilets jaunes et de grèves sur les retraites, la crise a fait apparaître de nouveaux clivages sociaux, de nouvelles inégalités, de nouvelles injustices. Quelles seront les postures si des décomptes macabres de morts « pour l’entreprise, dans l’exercice de leurs fonctions » sont égrenés jour après jour, sur les réseaux sociaux pendant des mois ? Réussir la symétrie des attentions, satisfaire au mieux tous les salariés (et pas seulement les « talents »), prendront tout leur sens dans la période qui s’ouvre afin de remettre tout le monde au travail sur un mode favorable.

A moyen terme enfin, la notion même de crise sera à questionner. Réunir les conditions de déconfinement des activités, de sécurisation sanitaire du retour au travail, sous la menace pendant des mois de contamination au Covid-19, ne manquera pas d’alimenter des cahiers des charges nouveaux et exigeants sur la durée. La crise, dont la sortie sera progressive, démontrera aux clients, acheteurs, directions financières, salariés et à leurs représentants syndicaux, les besoins de santé et de sécurité, les besoins de services en présentiel, en proximité et en empathie, les besoins d’adaptation et de socialité, de sobriété et d’accessibilité. Dans le domaine de l’alimentation par exemple, la responsabilité des prestataires de la restauration collective dépasse la satisfaction des employeurs et même des bénéficiaires. Ils sont un acteur de santé publique (habitudes alimentaires, prévention du diabète et de l’obésité…), et en même temps un acteur de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire par leur capacité à agir sur les approvisionnements, par exemple en produits bio et circuits courts. Ils sont un acteur des territoires.

Ces nouveaux besoins, y compris rassurer les salariés, renchériront les prestations de FM pendant toute la période de circulation active du virus puis, au nom de la prévention, sur la longue durée. Leur intégration à l’aide de nouvelles organisations mettra les prestataires en position de responsabilités nouvelles pour l’avenir.


Une injonction contradictoire pour les donneurs d’ordres ; des innovations obligées !

Cela veut dire pour les clients, la confrontation à une injonction contradictoire :

  • réduire les coûts, faire des économies pour rétablir les comptes de l’entreprise, dégager à nouveau une rémunération des actionnaires, rétablir les conditions de la compétitivité etc. ;
  • et en même temps, investir plus et mieux, mobiliser plus d’attention, de moyens, de considération du travail des œuvrants du FM, mieux garantir la sécurité sanitaire, rassurer et montrer le prix que l’on accorde à la santé des salariés internes et externes…

La période qui s’ouvre sera évidemment riche en changements. Ces changements peuvent marquer une terrible régression, un recul des conditions de vie au travail et des conditions de la performance du travail. Ils pourront dégrader encore l’équilibre économique des prestataires. Ils occasionneront probablement une explosion du chômage. Certains y trouveront des arguments en faveur de la précarisation accrue des emplois et de la déflation salariale.

Ou bien, la période qui s’ouvre sera riche en innovations, contraintes ou volontaires. Comment assurer une restauration collective économiquement viable en respectant les distanciations requises ? A défaut, comment faire venir des salariés sur des sites sans assurer les repas ?  Comment modifier les habitudes de déplacements ? Comment assurer (imposer) des distances dans des open space et en flex office ? Et pourquoi enfin faire venir des salariés en centres-villes d’accès difficiles par les transports en commun, si c’est pour se parler derrière des plexiglass ?

Qui engager dans la prévention et les gestes barrières ?  Les sanitarisations des surfaces, des sièges, des claviers …, resteront-elles toujours l’apanage exclusif de « servants externalisés » ou devront-elles être coproduites par les bénéficiaires ? Les agents d’accueil ou de sécurité seront-ils indéfiniment « interdits » de prendre la température des arrivants, faute d’habilitation ? Les agents de propreté ne pourront-ils jamais évoluer sur des petits travaux de mécanique, ou de lamping faute d’habilitation électrique de premier niveau ? Comment intégrer les œuvrants des prestataires aux Plans de Continuité des Activités face aux risques incendie, sanitaire (et alimentaire), mais également de sûreté (et informatiques), naturels (et climatiques) ?

3 – Que faire ?

Le FM et les prestataires de services occupent déjà une place centrale dans cette nouvelle donne. Ce secteur se constitue justement pour acquérir la maîtrise simultanée et intégrée des services :

  • aux personnes travaillant dans les immeubles ;
  • aux entreprises occupant des espaces professionnels ;
  • aux propriétaires en assurant la maintenance des fonctions techniques des immeubles et de l’environnement ;
  • à l’environnement au sens des territoires comme de l’écologie, au sens de l’énergie comme de la prévention de la santé des salariés et des riverains…

Le FM acteur central du bureau de demain, ses usages, ses contraintes nouvelles

A condition d’investir en recherche et d’expérimenter, la crise du Covid-19 peut être une opportunité. Une volonté d’investissement peut trouver une fenêtre de tir favorable pour une maturation accélérée du métier du FM. La crise est un révélateur et, dans la période, l’argent coûte encore peu.

Les initiatives et travaux engagés depuis 4 ans par le CRDIA ont privilégié deux voies de progrès pour permettre au secteur de dépasser ses fragilités structurelles. Il s’agit de recherches et d’expérimentations pour :

  • Dépasser les impasses de la pensée managériale industrialiste au profit de la construction d’une doctrine managériale adaptée à la logique servicielle ;
  • Remettre le travail au centre de la production de la valeur.

Elles sont confirmées par l’actualité et on peut espérer qu’elles trouveront des échos renouvelés malgré les enjeux de rétablissement de la santé économique des donneurs d’ordres du FM. Nous nous réjouissons ainsi qu’à l’instar des soignants, éboueurs, caissières, livreurs et chauffeurs routiers, l’employé de propreté, l’agent de sécurité et l’hôtesse d’accueil soient mis en lumière, avec une prise de conscience collective de leur utilité, de leur importance et des conditions dans lesquelles ils sont tenus. C’est bien. La volonté de bien faire est là, mais pour combien de temps ? Les faiblesses structurelles de l’offre dues à l’émiettement de la filière et aux cloisonnements des métiers (auxquelles correspondent également des organisations en silos chez les donneurs d’ordres) seront longues à dépasser. Les pratiques contractuelles inadéquates sont fortement intégrées dans les outils et les habitudes.  La défiance est là. Les rapports de force déséquilibrés sont installés dans les relations comme dans les esprits. Les hiérarchies sociales ont une forte inertie culturelle, et les mémoires s’effacent vite dès que la contrainte disparaît.


Des recherches pour développer une pensée managériale et servicielle adaptée

Il faut soutenir les prises de conscience émotionnelles (les applaudissements) par des constructions intellectuelles. Il faut poursuivre (étendre) les efforts d’investissements en R&D pour la production d’une pensée managériale enfin adaptée à l’activité servicielle. Issu de la période des externalisations des années 1980, et après une période de professionnalisation métier par métier (années 1990-2000), le FM doit sortir d’un modèle de sous-traitance de fourniture de main d’œuvre qui laisse les donneurs d’ordres insatisfaits, quand bien même ils en sont en partie responsables. Les normes (ou habitudes) de relations et de contractualisations, fondées sur des concepts inadéquats (SLAs, KPIs, coûts moyens au m²) et le postulat des vertus de la compétition, alimentent une défiance généralisée :

  • Les donneurs d’ordre se plaignent d’un secteur incapable de répondre pleinement à leurs besoins, notamment en innovations, sans pour autant changer leurs pratiques. Ils appliquent un principe récurrent de recherche d’économie, induit par leurs propres logiques comptables et financières. La valeur produite par les services n’est pas correctement monétisée, seul le coût est valorisé. Ces pratiques organisent la prédation des marges, autour de l’idée selon laquelle le FM serait fait pour l’essentiel du pilotage d’activités nécessaires mais sans valeur ajoutée ;
  • Les prestataires sont en tension, notamment les « sous-traitants de second rang » : certains prestataires « de tête » peuvent être tentés de faire durer la rente encore un peu, en cultivant une position favorable vis-à-vis des sous-traitants de second rang dans la relation au client. D’autres développent des stratégies défensives de sauvegarde des volumes, au prix d’offres anormalement basses, au risque de susciter eux-mêmes l’émergence d’acteurs « toujours moins disant ».

 Pour en sortir par le haut, il convient de penser les prestations, y compris les immeubles, les aménagements et les environnements, « as services ». Le FM ne se limite surtout pas à une sous-traitance de prestations industrialistes, orientées volumes et gérées par les chiffres. C’est précisément cette compréhension qui renforce la standardisation et la division du travail, qui appauvrissent les services et le travail. Les activités servicielles du FM sont spécifiques, les besoins singuliers, les sites particuliers :

  • Les bénéficiaires exigent des services personnalisés : on ne répond pas à une demande de services de qualité par la simple mise à disposition temporaire d’équipes sous-payées ;
  • La qualité ne peut plus se dire avec des KPI quantitatifs, mais au travers d’évaluations nécessairement concertées de la pertinence située des activités ;
  • Travailler et obtenir des gains de productivité ne saurait se limiter à de simples réductions des dépenses. Cela passe par un enrichissement de l’output immatériel en valeur des prestations ;
  • Sortir des calculs de prix calés sur un cumul des coûts des prestations (voire en deçà) principalement constitués de salaires et charges, excluant toute capacité à proposer des montées en gamme et des services nouveaux ;
  • Améliorer les performances, au-delà de la conformité aux prescrits souvent lacunaires, en veillant à l’enrichissement des ressources immatérielles (compétences, confiance, santé) ;
  • Procéder à l’intégration des différents services au travers d’une polyvalence et d’une gestion systémique du FM, qui ne se limite pas à la fonction de pilotage de sous-traitance et de contrats.

Des travaux et des réflexions collectives sur la mesure de la valeur produite par les services et sur la conception de nouveaux types de contrats sont deux des champs de recherches soutenues par le CRDIA dès sa création.


Des savoir-faire construits dans l’enquête et par des expérimentations, pour remettre le travail en visibilité et au centre de la création de valeur

Traiter durablement de la reconnaissance des œuvrants des services FM ne peut pas se limiter à quelques sympathiques déclarations, en attendant des autres (les branches, les clients, l’état…) qu’ils fassent un effort, serait-il socialement juste et politiquement légitime. Desserrer l’étau des prix ne se fera pas sans perspective d’accroissement de la valeur produite, sans capacité à réaliser des gains de productivité réels, y compris pour des productions immatérielles. Le premier enjeu réside, pour les entreprises prestataires, à acquérir et à démontrer une capacité à enrichir en valeur l’output serviciel du travail des opérateurs. Cela vise des dispositifs, des méthodes, des concepts, des outils de gestion, des organisations. C’est l’enjeu de ce que nous appelons innovation servicielle[4]. Cet enjeu est encore conceptuel et culturel.

Pour beaucoup, l’innovation dans les services (de type accueil, sécurité, propreté, courrier…), ne peut être que l’affaire de start-up (pour être inventif), le plus souvent dans le registre de la   technologie, ou de l’ordre d’une intensification directe du travail. Innover veut alors dire intégrer des technologies nouvelles, pour faire des choses que l’on ne peut pas faire sans, (un BIM[5] exploitation, des capteurs en IoT[6] par exemple), ou remplacer les hommes par des automates. La productivité attendue réside dans des productions inaccessibles à l’homme (détection de présence au radar ou infrarouge par exemple), ou moins chers (caméras, bornes d’accueil…), sans toujours vérifier que le service rendu est effectivement équivalent, dans l’usage et en valeur. L’autre piste classiquement industrialiste de recherche de gains de productivité est dans l’intensification directe du travail (vitesse d’exécution). Dans ce registre, avec des conditions de travail encore souvent pénibles, les limites sont évidemment déjà connues sinon dépassées.

En économie servicielle, la piste la plus féconde est ailleurs. Elle est dans l’accroissement des ressources que constituent la confiance, la pertinence et les compétences dans les relations, afin de gagner en productivité par l’organisation, l’engagement subjectif. Il faut certes automatiser, surtout pour alléger les tâches pénibles, répétitives… Il faut parfois faire confiance aux jeunes entrepreneurs, mais l’enjeu principal reste la mobilisation de l’intelligence. Il est dans les économies que génère la coopération en coproduction avec les clients et les bénéficiaires.  Si la démonstration reste à faire avec des mesures non triviales, des expérimentations dans ce registre font l’objet de recherches appliquées sur différents terrains avec le CRDIA et des prestataires depuis 2018.


 Assumer enfin la dimension servicielle du FM

Au-delà, la crise sanitaire indique que le new deal pour les environnements du bureau de demain ne se construira pas avec des salariés des services sous-valorisés, peu qualifiés, mal rémunérés et des contrats au rabais. Sur les sites des clients, les personnels œuvrants sont trop souvent « abandonnés » dans leur activité quotidienne, sans encadrement suffisant, avec perte progressive du lien avec l’employeur. Ils sont soumis à des injonctions contradictoires entre les clauses de leur contrat de travail et les demandes des clients. Mal reconnus, avec peu de perspectives de parcours professionnels, ces œuvrants sont parfois même ostracisés (pour ne pas déranger les « salariés cœur de métiers »), sans accès aux services communs (cantines au tarif visiteur).  Il faut ainsi se battre sans relâche contre les effets délétères de l’usage de ces mots qui en ajoutent au malheur du monde des services, notamment en France :

  • Des concepts obsolètes, comme « activités à faible valeur ajoutée » dans l’outillage intellectuel de beaucoup d’économistes et autres experts ;
  • Des vocables méprisants et illégitimes, comme « commodités » pour désigner certaines productions ou « travail ancillaire » pour dégrader le service au rang de servitude et réduire les compétences aménitaires à la servilité ;
  • Voire, l’usage mal maîtrisé de termes opposant le back (l’arrière) et le front, le cœur de métier et la périphérie, alors qu’il n’y a pas de production sans logistique, ni de cœur qui batte durablement sans les autres organes.

La crise a montré que le back pouvait justement être au front, dans la relation, exposé, pendant que le cœur noble est en télétravail, confiné « à l’arrière ».

Reconnaître la valeur du travail des œuvrants, développer leur engagement et leur autonomie est une condition d’une meilleure compréhension de la qualité effective du travail serviciel, au-delà de la notion de qualité, au profit de l’expression d’une pertinence située de leur contribution productive, de la qualité de leur travail, de leur utilité aux autres et de l’utilité de leur travail pour eux-mêmes.


Un secteur moteur d’une croissance retrouvée dans un développement durable

L’argument n’est pas seulement « humaniste ». Le FM est un secteur fortement employeur. Avant la crise, c’est un secteur structurellement en pénurie pour les emplois les plus qualifiés et dans une dynamique de croissance plus élevée que la moyenne de l’économie. Pendant la crise, une accélération relative de la demande en B to B peut être anticipée, pendant la (les ?) période(s) de circulation du (des ?) virus. Par un effet encore renforcé par cette crise, l’innovation servicielle, notamment dans le FM, est un enjeu de croissance économique précisément compatible avec le développement durable, les économies d’énergie, la maîtrise de la dérive climatique, l’entretien des actifs immobiliers et des équipements, la réduction des consommables, les circuits courts. Bref, le FM est un des secteurs de la croissance vertueuse de demain, par différence par exemple avec le transport aérien ou par conteneurs.  Enfin, du côté du business, la croissance par conquête de marchés encore non externalisés est loin d’être épuisée. L’ouverture des services publics centraux et territoriaux à une extension de l’externalisation des services FM (dont la restauration), au-delà des prisons, des hôpitaux et de l’armée… relativement en avance dans ce domaine, sera conditionnée à leur niveau d’acceptabilité sociale par l’état, les élus et les organisations syndicales des personnels fonctionnaires et des agents des fonctions publiques. Il y faudra probablement des « véhicules » adaptés (SEM, GIE…)[7] mais il faudra également des garanties sociales via un socle solide et un décloisonnement des filières des entreprises prestataires. Le FM au service du secteur public de demain, qui va continuer d’externaliser, sera construit avec les opérateurs qui servent déjà les entreprises privées, qui achètent très largement ces prestations depuis 30 ans. 

Un tel progrès économique et social ne peut s’accomplir que dans le cadre d’une action commune associant donneurs d’ordres (privés et publics) et prestataires. Les uns doivent accepter de rendre visibles les œuvrants et valoriser leurs actions. Les autres doivent agir sur les formations, les qualifications, et bien sûr, les salaires. Il y a là un enjeu politique autant que social. Les niveaux et conditions de rémunération seront la première aune de mesure de la reconnaissance du travail. Dans ces activités où la main d’œuvre représente de 85 à 93% des coûts de production, la décision appartient autant aux clients qu’aux prestataires. L’on voit mal comment limiter les comportements pervers de passagers clandestins ou les effets d’aubaine, sans une déontologie client (refus des offres anormalement basses, reconnaissance des qualifications) et le relai normatif.

Les enjeux et modalités de mobilisation de la main d’œuvre ont fait l’objet d’un premier colloque (à l’Université de Paris Dauphine) en janvier 2019 (CF. publication dans les Cahiers du CRDIA).

 4 – Il faut réunir maintenant des états généraux du FM

Fort des travaux engagés depuis 4 ans avec un collectif de donneurs d’ordres, des services généraux et de directions immobilières, le CRDIA soutiendra l’urgence et la pertinence de recherches et d’expérimentations, tout en sachant qu’elles n’y suffiront pas. Le secteur du FM est encore émergent. Il a besoin de dialogue social, d’un dépassement des segmentations professionnelles et sociales héritées de métiers identifiés par champs techniques. Il a besoin d’une refondation de normes professionnelles et de conventions sociales communes adaptées au service de son objet ; les aménités des espaces productifs. Il n’a plus le temps, il n‘aura pas d’autres aides des pouvoirs publics, il y a aujourd’hui bien d’autres prioritaires. Il a besoin de s’organiser, de participer à sa propre régulation.

A défaut, à court terme, les risques de tensions, de conflits et a minima, de désengagements massifs des salariés seront accrus par la crise du fait d’un renforcement des injustices vécues sur les conditions d’emploi, de travail et de rémunération, entre prestataires et bénéficiaires, voire entre salariés des différents prestataires.

A moyen terme, la sortie de crise sera d’autant plus difficile et coûteuse que les efforts des uns ne seront pas relayés par les autres. A long terme, sans un relai normatif et une dynamique politique, la constitution de ce secteur majeur pour la compétitivité économique et sociale de notre société restera lente, voire contrariée par l’héritage industrialiste et la logique de financiarisation.

Notre conviction est que le FM peut devenir, pour le 21ème siècle serviciel, ce que l’automobile a été pour l’économie industrielle du 20ème ; le secteur porteur des valeurs attendues par une société de services dans un développement durable promoteur d’emplois, d’inventions organisationnelles, instrumentales, managériales. Il faut pour cela qu’il se constitue en un secteur fort, transverse aux prestataires et aux donneurs d’ordres, reconnu et capable de former ses propres compétences.


Engager les partenaires sociaux et les pouvoirs publics sur une plateforme sociale commune

Un troisième volet apparaît à la faveur de la crise. Il dépasse évidemment les compétences d’un collectif de recherche. Il engage prioritairement les prestataires et leurs représentants patronaux, les organisations syndicales de salariés, les associations professionnelles. Il engage également les clients/donneurs d’ordres, mais aussi les pouvoirs publics. C’est un chantier de régulation et d’organisation d’un socle social commun au profit de l’ensemble du secteur.

Garantir les moyens d’une « sécurité de la vie économique et sociale »

La crise sanitaire en effet est un révélateur des exigences des systèmes de gestion des Environnements de Travail. En période normale, la performance du FM est jugée dans un rapport qualité/prix d’environnement et de services aux personnes qui accroisse les capacités productives des bénéficiaires et secondairement leur satisfaction.

En période de pandémie, cette performance se dit dans l’obtention d’une garantie de « sécurité de vie sociale ». Il est de la responsabilité légale des employeurs (clients ou prestataires) d’assurer par tous les moyens la santé physique et mentale de leurs salariés. A défaut, ils encourent la faute inexcusable. Les systèmes serviciels de FM sont-ils en mesure de procurer santé et sécurité aux salariés de leurs clients afin de leur permettre d’assurer la continuité des activités sociales et économiques ? Ils doivent alors obtenir cette performance, avec et pour les donneurs d’ordres, en intégrant la contrainte d’une mise à l’écart des présumés malades et en faisant adopter des usages collectifs qui s’assurent fréquemment que les objets des environnements sont bien désinfectés.

Les services FM sont un maillon de la continuité de la vie économique et sociale

La crise du Covid-19 nous rappelle que les services de Facility Management, tout comme les services de soin, ne sont pas tout à fait un produit ni une marchandise comme les autres. Ils relèvent eux aussi des services d’infrastructure. Ils produisent chaque jour la sécurité, la continuité des environnements économiques et sociaux nécessaires aux entreprises, organisations et administrations. Ils sont comptables d’une responsabilité qui leur a été confiée : assurer la continuité de l’activité, y compris et surtout en période de crise, aujourd’hui pandémique et demain, climatique, économique, sociale…. A ce titre, les services d’Environnement de Travail sont partie prenante de la continuité des services d’infrastructure de l’ensemble du pays. Ils sont de même nature que la santé, l’enseignement, la sécurité, la sûreté, la logistique, les transports, l’alimentation, que leurs opérateurs soient publics et/ou privés. Ils assument une part d’utilité commune qui dépasse leurs clients. En tension aujourd’hui ils souffrent, à l’échelle de la société, des mêmes maux que le FM à l’échelle de l’entreprise : déconsidération, sous-investissement, rationalisation obtuse, logique du chiffre appliquée à des relations, incohérence du cadre d’objectifs, absence de stratégie, externalisation (ou privatisation, mise en concessions), désintérêt des dirigeants.

Une responsabilité de service qui suppose la coopération

C’est aux politiques de rappeler aux contractants, prestataires et clients, que cette performance des métiers de l’environnement du travail est inscrite dans les prérequis qui constituent le cadre de notre société. C’est à l’Etat de rappeler que cette mission est pour partie d’intérêt général, donc incontournable, et d’imposer aux acteurs en charge, prestataires et donneurs d’ordre, le respect de leur responsabilité. Les associations professionnelles, les syndicats d’employeurs et de salariés, le Ministère du travail…, doivent élaborer en concertation le cadre normatif des conditions d’exercice de cette responsabilité dans le contexte évolutif que l’on connait.

Evidemment, les modèles d’affaires des activités de FM devront en tenir compte, en formulant le « comment » et « le combien » de cette performance de santé, de sécurité, de sûreté. Ce prix – comme cette performance – ne pourront être abaissés en deçà des moyens nécessaires à la sécurité plus globale de l’activité, et les moyens de l’exprimer devront être définis.

Organiser l’intégration progressive et l’unité du secteur du FM

Les opérateurs, prestataires et sous-traitants ne pourront assumer leur responsabilité économique et sociale sans « travailler ensemble », sans coopérer. Le métier FM doit se construire à l’aide d’un cadre minimum de proximités des conditions d’emplois et de travail, comme des enjeux de performance et de solidarité (dans la responsabilité), entre les différents métiers qui aujourd’hui participent à la production de services aux aménités des espaces de travail. L’avenir selon nous est dans l’intégration des services et l’émergence d’un métier de FM, très au-delà de l’assemblage, voire du pilotage.  Entreprises et œuvrants de la propreté, sûreté, accueil, alimentation, courrier, factotum, hospitality management… doivent co-opérer. Pour cela ils doivent avoir la capacité de connaître et de composer avec les contraintes des autres. Pour s’intégrer, ils doivent disposer d’un socle de connaissances communes répondant à leur nécessité de manœuvrer ensemble. L’ensemble du secteur doit s’appuyer sur un tronc commun de connaissances (des filières de formations professionnelles) qui permette :

  • d’interagir de façon organisée, afin de saisir l’espace de travail comme un objet intégré ;
  • de se doter de matériels et de processus compatibles.

Au-delà d’une coordination ou d’un pilotage, ils doivent pouvoir coproduire. C’est en se formant aux mêmes sources qu’ils y parviendront.

Des services intégrés accessibles aux achats des opérateurs publics

Aujourd’hui le Code de la Commande Publique empêche un acteur public d’acheter du FM. Il le contraint structurellement à devoir supporter l’émiettement des territoires fonctionnels, des responsabilités, des moyens sur l’ensemble du spectre des 35 métiers décrits plus haut. Comment dans ces conditions intervenir de façon efficace ? Imagine-t-on la sécurité incendie entre les mains de 10 acteurs ? Pourquoi la sécurité sanitaire le serait-elle ? Sans parler d’efficience !

Les services et les entreprises soumis au Code des Marchés Publics sont les premiers à devoir assumer la continuité d’activité dans l’exercice de leurs missions. En vue de garantir l’efficacité qu’on doit en attendre, il est indispensable de leur ouvrir la capacité d’acheter des services intégrés et pas seulement d’accéder à un agrégat de métiers allotis, comme c’est le cas aujourd’hui.

De plus, le souci légitime de ne pas concentrer la dépense publique auprès de quelques grands acteurs, aux dépens d’une redistribution indispensable auprès des PME et sur l’ensemble des territoires ne doit pas condamner les acteurs émergents à rester sous le seuil de la capacité de financement de leur évolution.

Promouvoir un acteur des territoires

Enfin, permettre à l’ensemble des entreprises publiques d’accéder au FM, c’est leur permettre de coproduire localement des services intégrés pour les communes, les collectivités, les établissements publics. C’est leur permettre de créer les conditions d’une externalisation performante, redistribuant en circuit court l’argent public directement sur leur territoire.  C’est un levier pour dynamiser un tissu local d’entreprises de FM dont les méthodes, les outils, l’informatique, les moyens, les compétences leur permettront d’intégrer des systèmes de production servicielle, à l’échelle nationale et européenne, sans quitter les territoires.


[1] Voir Futuribles International, Travail et télétravail après la pandémie de Covid-19, André-Yves Porntoff, n° 243, 14 mai 2020.

[2] Par exemple dans la propreté : 180 m² à l’heure pour 100 francs de salaire brut en 1985, 350 à 450 m² à l’heure pour 15€ de salaire brut en 2015.

[3] A la Fédération des Services de la CFDT par exemple, les services aux entreprises (qui excèdent largement les services aux immeubles et aux occupants des espaces de travail) sont traités par une secrétaire nationale en charge de très nombreux dossiers, dont les services aux personnes.

[4] Laquelle n’exclue évidemment pas des innovations produits (ou marketing), proposer et mettre en œuvre des services différents ou nouveaux et en tirer si possible des recettes et marges supplémentaires.

[5] Building Information Modeling, modélisation des données de l’immeuble.

[6] Internet of Things, internet des objets connectés.

[7] Société d’Economie Mixte, Groupement d’Intérêt Economique.