10 juin 2020

CAHIER 4 – Document 3

Manifeste pour une autre politique du travail
après crises dans le FM et les Environnements de travail

  • SYPEMI, Syndicat Professionnel des Entreprises de Multiservices Immobilier,
  • ARSEG, Association Nationale des Directeurs de Services Généraux,
  • CRDIA, Consortium de Recherche de l’Ile Adam.

Diffusé le 11/06/2020, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Qui rencontre-t-on dans les immeubles et les bureaux des entreprises, des gares, des aéroports et des usines aujourd’hui à l’arrêt ou au ralenti ? Qui conserve la mémoire de la crise épidémique précédente et d’un protocole de prise en charge ? Qui a su retrouver quelques dizaines de milliers de masques oubliés, parfois périmés mais toujours fonctionnels ? Qui assure la continuité quand les salariés sont à distance ? Qui accueille, nettoie, désinfecte, met en sécurité, assure le maintien en conditions opérationnelles des immeubles et des installations ? Qui appelle-t-on pour préparer les conditions de l’après 11 mai 2020, y compris la réouverture des chantiers ?


Utilité commune des activités et des travailleurs du FM

 Ce sont les services généraux, rebaptisés « Environnements du Travail » et les entreprises spécialisées en Facility Management. Avec leurs partenaires en maintenance, contrôle réglementaire, accueil, téléphonie, courrier, propreté, sécurité, pilotage de chantiers et travaux…, salariés internes et externes en coopération, ils constituent cette filière (ou secteur) du Facility Management. Ils ont fait ce travail au début de la crise nonobstant les difficultés sanitaires, de transport ou de garde d’enfants à l’instar de certains soignants et autres opérateurs de service. Ils l’ont fait sans se poser de questions, par souci de services simplement. Ils l’ont fait sans se réfugier derrière les contrats qui évidemment n’avaient pas anticipé un évènement extérieur, imprévisible mais pas irrésistible. Ce qui était impensé mais pourtant prédictible est là, et désormais probable. Mais surtout, ils le font sans avoir été jusque-là reconnus et correctement considérés à l’aune de leur utilité.

Ils sont trois millions d’hommes et de femmes. Pour l’économie et la société, ils sont une ressource de résistance, de continuité et demain, de résilience. Invisibles dans le flux des jours « heureux », avec des salaires directement soumis aux impératifs de concurrence par les prix, ou contraints par les calculs de révision de prix, on les découvre indispensables. Les œuvrants du FM travaillent toujours dans la discrétion. Ils ne bénéficient pas toujours des mêmes tarifs de cantine, souffrent de difficultés de transports. Leurs horaires, conditions d’emploi, salaires et caisses complémentaires ne sauraient se comparer à ceux des occupants des immeubles qu’ils servent. Ils sont astreints au présentiel, aux horaires atypiques, nativement exclus du télétravail voire même pour certains interdits de croiser les rares autres occupants de « leurs » immeubles en cette période de crise risquant des contaminations possibles. Sans eux, rien ne fonctionne ni ne fonctionnera durablement.


Un secteur en danger

 Comme ce fut le cas après la crise de 2008, on voit déjà des clients exigeant des économies, immédiatement et avec des effets probables sur plusieurs années, au détriment des prestataires et des salaires. Saluons ici l’initiative de l’ARSEG pour susciter une déclaration commune[1] du SYPEMI et de la FEDENE, de la FEP, de la RICS et de l’ADRA appelant à un traitement éthique et loyal des engagements contractuels avec les prestataires de services immobiliers aux entreprises dans la crise du Coronavirus. Il s’agit de veiller à la conservation d’un tissu serviciel précieux constitué de grandes et petites entreprises dont le métier est de répondre à la diversité des demandes tant en volume qu’en nature de prestations.

Secteur de main d’œuvre, à faibles marges, le FM (Facility Management) n’est pas un secteur capitalistique de profit. Il est cependant – et ce virus l’a éclairé – un secteur en charge d’utilité commune. Il partage en cela des proximités avec la filière santé. C’est un secteur garant de robustesse et de vitalité sociale, au-delà de ce qu’il rapporte à ses actionnaires ou de ce qu’il économise financièrement à ses clients. C’est un secteur d’intérêt général qui n’a jamais été une composante des services publics. Il est au contraire durablement externalisé, au risque d’une position de « sous-traitance » dans la chaine de valeur ainsi rallongée. Les salariés de ces services mobilisent leurs engagements, leurs capacités relationnelles et d’initiatives. Des efforts sont déjà faits par des donneurs d’ordres et des prestataires pour rapprocher la main d’œuvre des normes sociales en termes d’alphabétisation, d’autonomie de transport (permis de conduire), de connaissance et partage des diversités culturelles. Ces initiatives doivent être structurées et relayées plus largement. Quel que soit leur niveau de qualification, ces travailleurs sont les garants de la pertinence située de leur travail, de leur utilité aux autres et à eux-mêmes. Ils ont besoin de management, de conditions de travail améliorées. Ils ont besoin de formation, de reconnaissance de leurs compétences et de leur polyvalence. Ils ont droit à des parcours professionnels.

Il faut sortir des héritages toxiques et des cloisonnements surannés entre Travaux, Mobiliers et Aménagements, Maintenance, Outils numériques, Transports et logistique, Energie, Déchets, Propreté, Espaces verts, Restauration collective, Accueil, Santé et sanitarisation etc. Plusieurs branches professionnelles, 30 métiers et 150 spécialités sont concernés par ce besoin immédiat de rénovation des pratiques de gestion, des conventions collectives, des contrats, de l’employabilité et de la mobilité, des relationnels clients, mais aussi des formations… Nous devons également penser au rôle qu’auront ces métiers et ces entreprises sur les enjeux RSE de nos enfants, liés à la mobilité de notre société.

Bien avant cette crise sanitaire, la conscience de l’urgence était déjà là s’agissant d’installer le FM dans d’autres modèles d’affaires que celui d’une fourniture de main d’œuvre. Chaque jour, les prestataires et les donneurs d’ordres sont plus nombreux à reconnaitre l’importance des valeurs immatérielles créées par ces métiers. Nombreux cependant se heurtent à l’incapacité à sortir du piège des systèmes de contractualisation, de la gouvernance des chiffres, de la sous-valorisation du travail et des rapports de force déséquilibrés.


Des états généraux pour réunir les conditions d’une sortie de crises

A la crise sanitaire succédera la crise économique et la crise sociale, aggravées pour ces personnels si mal reconnus. Que sera l’après de cet enchainement probable de crises ?

Le Président de la République a annoncé pour l’hôpital, le 25 mars ; « un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit ». Le 13 avril, citant la deuxième phrase de l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, il a ajouté solennellement : « il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Il est temps de construire un cadre social au secteur du FM. Pour faire face aux enjeux de régulation des marchés, il faut créer des filières transverses de formation, inventer des systèmes pertinents de rémunérations, de reconnaissance, de retraites complémentaires et de couverture sociale. Il faut donner à ces centaines de milliers de travailleurs un socle de compétences, des formations, des référentiels, des possibilités de parcours. Il faut équiper les employeurs de ces services. Il faut donner aux milliers de clients, donneurs d’ordres, les capacités d’apprécier et d’acheter à leur juste valeur des services produits pour eux-mêmes. Ne serait-ce que pour en assurer la continuité, il faut valoriser ces métiers.

Pour être à la hauteur de ce rendez-vous, nous demandons à l’Etat et aux partenaires sociaux de convoquer des Etats Généraux des services FM aux entreprises. Tous sont impliqués dans les enjeux de reconnaissance des compétences spécifiques qu’exige le Service aux autres.


[1] https://www.monde-proprete.com/arseg-un-communique-de-presse-partage