30 octobre 2020

CAHIER 6 – Document 2

Emalec, une réponse multi technique innovante :
comment associer autonomie et contrôle ?

Janvier 2019 

Diffusé le 09/11/2020, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

 

Ludovic Lazzarotto, DGA d’Emalec[1]

 

Emalec est une entreprise de maintenance multitechnique, spécialiste des clients dotés de réseaux multi-sites. En 20 ans, Emalec a bâti son organisation et ses outils sur un modèle original qui comprend notamment des professionnels techniciens « nomades » dispersés sur les territoires, en France et en Europe. Ludovic Lazzarotto précise que ses efforts portent sur le développement de la maintenance industrielle complémentairement au FM. Il a 10 ans d’expérience dans les services aux industries, et 10 ans dans la production.

 

 

Présentation du cas Emalec

 

L’Entreprise fête ses 20 ans en 2019 : 350 personnes dont 200 techniciens, 250 000 interventions sur 20 000 sites dans 14 pays et 9 langues, un CA de 50M€ en 2018. Un technicien réalise de l’ordre de 1000 interventions par an[2], le plus souvent préventives, sur une centaine de sites. Emalec, c’est en résumé :

  • une spécialité : les grands nombres, le multi-site, la multi-compétence ;
  • une organisation basée sur la centralisation totale de sa gestion à Lyon.

 

 

Le territoire national et européen fait donc l’objet d’un maillage de techniciens, dont la gestion est centralisée à Lyon. Situation apparemment paradoxale : comment associer l’autonomie de ces personnes et leur contrôle, avec un lien permanent tout au long de leurs interventions ? La réponse est liée au profil des techniciens : ce sont des opérateurs matures, expérimentés qui ont pour la plupart choisi ce mode de fonctionnement associant autonomie et détachement sur un territoire. Le modèle met en cohérence individus et entreprise, et fonctionne ainsi parfaitement.

 

 

Le technicien part de chez lui le matin et rentre le soir. Au fur et à mesure de ses interventions, il communique avec Lyon (la base), rend des comptes, prend des informations, à travers un outil accessible par tablette et PC. La tablette lui permet de prendre une mission, d’avoir accès aux documents correspondants, de se rendre sur site avec une gamme de maintenance à réaliser (tout est documenté), de pouvoir envoyer des relevés de temps et d’informations, recueillir des signatures ou des validations clients en temps réel sur les sites. Pour que cette autonomie fonctionne, il est équipé d’un véhicule géo-localisé, largement doté d’un stock de matériel. Ce stock est géré à distance, la base sait ce dont il dispose, et un magasin central le réapprovisionne. Son téléphone portable professionnel, largement utilisé, lui donne un lien direct avec la base lorsque cela est utile, pour poser une question, parler avec quelqu’un… Loin d’être isolé, le technicien est complètement intégré, mais à distance. Il n’a pas de lieu de travail physique fixe correspondant à une communauté de travail, il est fréquent que le matériel lui soit livré à domicile, son point de chute. 

200 techniciens ce sont aussi et surtout 200 compétences. Il est central de travailler sur le recrutement, très sélectif et suivi, au cœur du système, d’une importante phase d’intégration.

 

 

Dans les premiers jours d’intégration, le nouveau technicien visite tous les services de l’entreprise, pour faire connaissance avec les personnes qui seront « derrière » sa tablette dans les échanges futurs. Chez Emalec, on ne parle pas à un robot, mais à des personnes sur lesquelles le technicien pourra s’appuyer à tout moment. Le lien est établi à cette occasion. Cette intégration est aussi un moment de vigilance extrême permettant de s’assurer que l’un et l’autre allons bien dans la même direction.

Au-delà commence  l’accompagnement, que l’on qualifie de « dynamique » : des contremaîtres, en région, passent pratiquement tout leur temps en déplacement pour être proches des techniciens. Une fois embauché et qualifié, le technicien n’est pas « lâché dans la nature ». Il est accompagné par ces contremaîtres qui vont le rassurer, lui indiquer les process, l’introduire chez les clients, montrer par l’exemple ce qu’il convient de faire. Le technicien peut s’appuyer à tout moment sur ce lien permanent de proximité en région.

La formation permanente est un autre point de passage très important. Il est de l’intérêt évident de l’entreprise de rendre les techniciens les plus polyvalents possible, pour leur permettre d’intervenir au mieux, en itinérance, sur chacun des sites. Pour 350 personnes, Emalec dispose de son propre centre de formation dans un bâtiment séparé, avec des modules ou stations pilotes, des démonstrateurs qui permettent aux techniciens de recevoir des formations utiles à nos clients tout au long de leur parcours professionnel (extinction incendie, alarme, climatisation, simulation de pannes…). Les techniciens y passent deux fois par an pour quelques jours, c’est aussi une opportunité pour eux de rentrer à la base. Cette action représente (normes, formation et qualité), à peu près 7% du CA.

 

 

Comment gérer cette complexité ? Environ 200 compétences différentes sont nomenclaturées dans notre outil de gestion dans les grands domaines : génie climatique, ventilation, génie électrique, plomberie serrurerie, sécurité du bâtiment, second œuvre, gros œuvre… Là encore, notre centre de formation s’affirme comme un outil exceptionnel de gestion de ces compétences.

Au-delà du développement des compétences, il est fondamental dans l’opérationnel de savoir les planifier et les utiliser de façon optimale. Le service planning est au cœur du système afin de s’assurer que la bonne personne est diligentée au bon endroit au bon moment. Au-delà, lorsqu’Emalec ne dispose pas d’une compétence en interne, un réseau de partenaires externes vient en appui.

Le cœur du système s’appelle Mozaris, notre outil ERP[3] : extrêmement étendu, enrichi sur 20 ans, un outil de plus en plus « ouvert » qui permet de gérer l’intégralité de l’entreprise.

 

 

Les filiales sont bien entendu toutes connectées, mais également les partenaires. L’ERP est utilisé par tous les supports opérationnels en interne. Il permet par exemple de gérer finement les stocks et les approvisionnements (4000 références, dont 1800 gérées en temps réel), de savoir exactement ce dont chacun dispose, de livrer directement sur les sites clients. En simplifiant les tâches de base, il laisse la place à la réflexion.

La force commerciale, les chargés d’affaire, les assistants techniques sont bien entendu connectés à Mozaris  ainsi que toute la partie administration des ventes. Ouvert sur l’extérieur, l’outil est doté d’une « couche internet », les clients peuvent se connecter par le web, s’informer sur le planning, obtenir des informations sur les interventions, les rapports (avec photos), permettant des devis très explicites, etc. L’outil est documenté avec une grande précision, et surtout mis à jour en continu.

 

 

Si la spécificité d’Emalec est dans le préventif et l’itinérance, 30% de nos forces sont « postées » ou « semi postées », des gens dédiés à un, deux ou trois sites assurant le préventif et le curatif.

L’activité internationale, qui représente 17% du chiffre d’affaires, est déployée sur deux modèles :

  • des filiales : Emalec dispose aujourd’hui de 4 filiales en Espagne, en Suisse, au Luxembourg et en Belgique. Elles disposent de forces opérationnelles et des outils ;
  • partout où nous n’avons pas de filiales, le développement se fait par les « Emalec Partners » pouvant utiliser notre logo, et qui acceptent notre charte de fonctionnement. Ce sont de petites entreprises de 10 à 30 personnes, qui restent flexibles, à taille humaine. Emalec les aide, les qualifie (structure, technicité, organisation), leur apporte le bénéfice de la centralisation et des outils, elles ont un accès spécifique à Mozaris. L’idée est d’être capable d’apporter un service homogène, unifié en multi sites à l’international, à un même niveau de qualité, à un client doté  d’implantations dans plusieurs pays, partout où sont ses sites. Dans l’exemple présenté, le client a son siège en Angleterre et des sites dans 14 pays en Europe. Il ne sait pas gérer, ou ne veut pas gérer lui-même la maintenance, en particulier pour des sites nombreux et diffus en Europe. Nous gérons en direct, via nos outils, nous nous adossons alors à nos filiales et aux partenaires pour la partie opérationnelle, travaillant tous sous Mozaris (réception des ordres de travail, transfert des bons d’intervention, factures et règlements) … Ces partenaires représentent 18% du chiffre d’affaires, réalisé en sous-traitance.

 

Il n’y pas de recours à des salariés détachés, que cela soit vers les filiales à l’étranger ou de salariés étrangers détachés en France. Par contre, les interventions sont réalisées par des salariés des filiales Emalec, ou par des salariés des « partenaires qualifiés » par Emalec, outillés et accompagnés. Ils peuvent venir se faire former, sur les mêmes fréquences que nos salariés sur notre centre de formation. Ces partenaires reçoivent leurs bons de commande sur Mozaris, documentent le système et sont payés via l’ERP à partir du moment où l’ensemble des documents sont disponibles. On ne parle pas de sous-traitance mais de partenaires, qui interviennent sur des contrats-cadres annuels. Cela permet aussi de s’adapter à la législation et aux évolutions réglementaires propres à chaque pays. Ils gardent cependant leur autonomie totale, ils n’ont pas Emalec comme seul client et nous y faisons attention.

 

Une question est posée sur le respect des marges d’autonomie des techniciens, notamment à travers les délais et le pistage temporel accordé à chaque intervention, alors même que l’autonomie d’intervention et la capacité de prendre des initiatives sont des éléments importants de la qualité des interventions techniques.

Deux cas de figures et de réponses. Les plannings des tournées sont très optimisés sur plusieurs jours, lorsqu’il y a intervention sur préventif notamment avec, on l’a vu, une capacité des techniciens à être polyvalents :

  • Lorsque le technicien intervient sur du préventif, on sait d’avance ce que l’on va trouver et ce que l’on va faire. L’estimation des temps est maîtrisée et bien connue, le technicien va retrouver sur sa tablette toutes les informations de gammes et de processus lorsqu’il est sur le site, avec un maximum de précisions. La géolocalisation des véhicules permet en outre de détecter les retards, les aléas…, et de reprogrammer. Il n’y a pas de notion d’urgence.
  • En curatif, c’est complétement différent. Les techniciens qui sont détachés sont plus pointus sur le plan technique (on va chercher à détacher le technicien qui a la bonne compétence clé) et l’autonomie et la compétence jouent pleinement, avec la satisfaction de s’accomplir dans sa mission de dépannage, fier de dépanner seul ou avec l’aide de collègue(s).

 Préventif ou curatif, ce ne sont pas exactement les mêmes profils de techniciens mais Emalec développe la polyvalence dans l’intérêt de tous : client, technicien et entreprise.

 

Quelle autonomie de conseil vis-à-vis des clients pour les techniciens ?

C’est un point sur lequel Emalec investit tout particulièrement. Celui qui intervient, en préventif ou en curatif, est proche du client sur le terrain. Il est le mieux placé (on le forme à cela) pour faire des propositions et établir lui-même des devis, pour répondre à de nouvelles problématiques. La tablette et l’outil ERP sont des ressources précieuses : le technicien est en connexion directe, notamment avec le chargé d’affaire en charge du client (prestations contrat et hors contrat), qui va apporter la « couche commerciale ».

 

Comment gérer cette distinction entre curatif et préventif sur 200 techniciens répartis sur toute le territoire ?

Notre grande orientation, c’est la polyvalence :

  • Plus le technicien est polyvalent, plus il est en préventif avec des rayonnements (tournée) « en cercle » ;
  • Plus il est spécialisé, plus il est en curatif, avec d’autres plannings, avec des rayonnements différents « en étoile », il ne fait pas une tournée, il revient plus souvent à sa base.

Les techniciens ont un taux de productivité de 87% (taux d’occupation), ce qui est très élevé pour l’itinérance. C’est permis par le fait que nous assurons 100% du préventif d’une part, et par un maillage très fin des territoires, des implantations clients et des compétences.

 

Avant les questions, il est important d’insister sur un message. Au-delà de l’organisation, Emalec accorde une grande importance à la relation avec ses clients. Notés 77% sur l’habilitation EcoVadis[4], Label Gold, nous sommes très attachés à respecter l’égalité des chances et l’importance de la formation. C’est l’intérêt des techniciens, des clients, donc d’Emalec. On a aussi davantage de fidélisation, un turnover tout à fait raisonnable. Nous sommes particulièrement vigilants aux équipements fournis (véhicules, téléphones). Et enfin, nous travaillons particulièrement sur la sécurité, ce qui est aussi un moyen d’entretenir le lien avec les techniciens.

 

 

Enfin, nous mettons en exergue cette phrase, affichée en permanence dans notre hall : les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise ; sa réputation et ses hommes.

 

 

Questions et débats avec les chercheurs et les participants

 

Question de participants :

 

Quelle est votre typologie de clients ?

Réponse de Lionel Montero, directeur commercial : Emalec s’est construit sur des clients structurés en réseaux, et notamment des réseaux de retail, puis du bancaire, des stations d’essence…

30% de l’activité par ailleurs est « postée », essentiellement des grands sites tertiaires, surtout en région parisienne, mais aussi en province. Emalec a également des activités de maintenance industrielle (de machines-outils), avec une filiale spécialisée récemment intégrée (UPM).

 

Les techniciens et les chargés d’affaire ont-ils un seul client ?

Non, c’est du portefeuille pour les chargés d’affaires et des tournées pour les techniciens. A noter, l’intégration d’une filiale spécialisée dans l’outillage industriel beaucoup plus lourd.

 

Au-delà de la pure technicité, disposez-vous aussi de formations de type comportemental ou relationnel ?

Bien sûr, les chargés d’affaires, les commerciaux sont formés. Chaque métier a ses formations. Il faut bien entendu former à la culture « service » mais l’essentiel se situe au niveau du recrutement : Emalec recrute des gens qui ont cette culture-là, qui se perçoivent comme « service ». Il y a au demeurant beaucoup de formations à tous les niveaux et tous les métiers. Cela vient aussi avec le temps, l’expérience. A noter que si, sur le recrutement, Emalec privilégie pour les techniciens itinérants des gens qui ont déjà de l’expérience, la moyenne d’âge reste assez jeune.

 

Avant de passer la parole aux chercheurs invités, Xavier Baron conclut en soulignant le paradoxe de l’autonomie importante des techniciens, mais une autonomie (des salariés Emalec comme des sous-traitants) qui est aussi très encadrée électroniquement (on pourrait presque parler de « laisse électronique »). Cela rapproche le fonctionnement d’Emalec d’une forme de « plateforme » (non pas « collaborative », type Uber), mais outillée d’une manière proche par l’outil ERP, y compris avec l’intervention possible du client via l’outil et les fonctions supports centralisées. De même, l’importance des fonctions supports (100 supports pour 200 techniciens plus les partenaires) est à souligner, donnant une organisation très centralisée. Un participant relève l’analogie avec les pilotes d’avions. Ils sont à distance, hyper qualifiés, ils n’ont pas de bureaux, très « encadrés aussi », mais ont besoin d’énormément de supports. 

 

 

 

Sophia Galiere  (Université de Nantes) :

Sophia Galiere  rappelle que le cas d’Emalec est bien différent de ces entreprises de plateformes externes (type Uber ou Lulu dans ma rue), employant des indépendants (de manière discutable d’ailleurs). Le but pour ces plateformes est de réduire les coûts en s’exonérant du salariat. Pour éviter le risque de requalification, il leur faut coordonner des activités à distance de la manière la plus invisible qui soit. D’où une notion de « management algorithmique ». Ici ce n’est pas du tout le cas. Les techniciens sont salariés avec de bonnes conditions. L’enjeu pour Emalec c’est de savoir comment on fait pour coordonner efficacement à distance.

En termes de recherche, on bute sur la notion de plateforme. Mozaris est un ERP, mais un ERP est une plateforme. Le terme est polysémique, c’est ce qui fait son succès dans le débat public et la recherche. Citons ici le dernier numéro de la revue scientifique Réseaux (présente surtout sur les activités numériques mais pas seulement) consacré aux plateformes. Il y est mis évidence que la notion de plateforme peut renvoyer à des ERP, des places de marché et des média sociaux. Donc Mozaris+ est une plateforme, mais de management à distance. Là où les plateformes d’indépendants vont essayer de cacher ce management humain derrière la plateforme ; à l’inverse Emalec assume, déploie une palette de pratiques managériales et les met en avant.

Par ailleurs, malgré la distance, cela ne me semble pas non plus être dans la recherche d’un contrôle permanent, même avec la géolocalisation. Quelle forme prend réellement ce contrôle ? La coordination semble plutôt se faire en amont de l’intervention par une standardisation par les compétences et par les normes culturelles. Cette période de recrutement, de formation, d’accompagnement, joue dans l’action des techniciens sur le terrain. La coordination fonctionne aussi parce que les personnes sont expérimentées. Pouvez-vous revenir sur le contrôle et l’usage des outils téléphones ou tablettes ?

 

Ludovic Lazzarotto 

Une image a été employée tout à l’heure, que je vois pour ma part totalement « dans le miroir ». Le lien permanent que nous pouvons établir avec le technicien, par la tablette, le téléphone, ou le système etc., la communication avec eux, n’est pas une « laisse » qui limite leur terrain d’action, c’est plutôt la corde qui assure le grimpeur. C’est cela qu’il faut voir : c’est quelque chose qui est rassurant pour eux. Le technicien n’est pas tout seul. Il n’est pas lâché dans la nature face à son contrat, face au client, face au problème et « vas-y, débrouille toi ! ». Sinon les clients nous le reprocheraient et ça se ressentirait sur les résultats.

Sur l’aspect ERP et plateforme, les choses sont bien différentes. Mozaris est à la base un ERP, débuté il y a une vingtaine d’années avec la société. On n’est pas en train de faire de faire de l’ «Uberisation » de la maintenance, comme certaines applications le proposent. Nous allons beaucoup plus loin qu’une mise en relation.

Le contrôle n’est pas un « flicage ». Le lien (la tablette) est un moyen d’enregistrer l’information pour rendre le service que les clients attendent. Car les clients n’attendent pas seulement qu’on réalise du curatif ou un préventif, on va beaucoup plus loin. On leur rend régulièrement des informations et on peut les conseiller sur leurs installations. Sans ce que vous présentez comme un contrôle, sans la collecte de ces informations, on ne serait pas capables de rendre ce niveau de qualité de réponse.  Par ailleurs il y a des aspects contractuels et économiques. Par exemple, quand on a fait une intervention qui est facturée à l’heure, il est important d’être clair (heures et durée d’intervention).  Le client l’a constaté, il l’a signé, il n’y a pas de contestation sur le sujet. Ce n’est pas du contrôle, c’est un devoir de transparence.

 

Cette pratique est un parti pris « anti-forfait » ?

Oui, un parti pris anti-forfait et un parti pris pour la qualité. Le forfait est quelque chose qui va à l’encontre de la qualité. Quand on est dans un forfait, la tendance du prestataire va être de baisser la qualité, le prestataire peut être incité à fournir moins.

L’outil sert à créer de la transparence et donc de la confiance avec le client. On est jugé par des KPI[5] dans le cadre des contrats, on doit être en capacité de donner ces informations-là en transparence. Au-delà, en pratique, le premier contrôle ou tracking qui porte sur le technicien, la qualité de son travail, c’est le client !

 

Intervention de Nicolas Klein (sociologue, LATTS, Marne la Vallée)

Tout à fait d’accord avec le parallèle avec la compagnie aérienne. C’est révélateur de la complexité des situations dans lesquelles Emalec intervient. Ce sont aussi des cas dans lesquels la prescription ne va pas suffire, elle va être dépassée. Le contrôle, tout en restant contrôle, va devenir une ressource, un outil de repérage pour le technicien. Parfois même, le tracking peut aussi être un moyen pour le prestataire de se protéger d’abus (du client).

J’ai trouvé le cas Emalec très intéressant. Au cours de ma carrière, avant d’être chercheur, j’ai été responsable Ressources Humaines de techniciens itinérants dans les télécoms. Puis j’ai mené des recherches sur plusieurs populations itinérantes. J’ai été plutôt habitué à voir des cas où l’itinérance conduit des organisations décentralisées à donner du pouvoir à des entités locales. Il est intéressant de voir dans le cas d’Emalec le choix de conserver une organisation centralisée, avec une grande sophistication de ses outils ERP, outils qui sont bien des outils de centralisation des données et des décisions. Votre organisation est bien en relation avec les outils que vous utilisez. Là-dessus, je vous renvoie aux travaux de Pascal Ughetto sur l’ERP ou de Marie Benedetto-Mayer sur le CRM[6].

Donc d’un côté, une organisation très centralisée, et de l’autre des techniciens très autonomes et entre les deux, vous avez bien montré tout le travail d’organisation nécessaire pour les rejoindre. La formation, l’accompagnement, mais également le rôle des acteurs intermédiaires, ces 100 supports dont on a parlé, sur le terrain en région ou au téléphone. Ce sont des supports quotidiens, humains, qui complètent l’outil. De même, je trouve intéressant l’équilibre que vous évoquez entre présence physique (formation) et coordination par plateforme du travail de terrain. Des travaux sur les plateformes de coordination de gens qui travaillent sur des sujets communs montrent que la plateforme ne peut qu’amplifier des relations qui se sont créées en présence. Les moments de socialisation présentielle sont centraux pour permettre la coopération à distance.

J’ai deux questions : Sur la dimension collective de l’activité technicienne, j’ai eu l’occasion de connaître des travaux américains sur les prestataires de centrales nucléaires et chez les techniciens de Xerox qui interviennent chez leurs clients. Ils insistent très fortement sur la dimension collective (des relations à côté et en parallèle de l’activité) qui permet aux techniciens de mettre à jours leurs compétences, mais également, dans l’activité elle-même, d’améliorer leurs interventions par l’interaction entre pairs. Avez-vous des initiatives ou des outils pour faciliter ces interactions entre pairs ? Seconde question, une question centrale pour cette journée et dans les relations de services, qu’en est-il de la reconnaissance des compétences des techniciens par le client ?

 

Ludovic Lazzarotto :

La question de la gestion centralisée est aussi une réponse à la demande des clients, quand on travaille H24 et 7/7.  Si on décentralisait la structure, comment être capable d’assurer quand le technicien arrête sa journée ou prend ses congés par exemple ? Chacun raisonne à sa taille. Si on veut avoir ce service continu, il faut avoir une certaine centralisation. La décentralisation existe aussi chez Emalec par les filiales. 

L’échange entre pairs, vous avez raison, c’est important, c’est une nécessité. D’une part, les techniciens sont en relation permanente avec les chargés d’affaire, en région. Ensuite il y a le centre de formation, dans lequel les techniciens vont rentrer une, souvent deux fois par an, à Saint Genis. Ce n’est pas un technicien qui vient mais un groupe, avec donc des relations entre pairs. 

Sur la reconnaissance des compétences par les clients, ceux-ci ont la capacité de s’exprimer, de faire des retours (via la plateforme web). Le taux de fidélisation de nos clients est un critère essentiel : nous constatons des taux très élevés.

Au-delà de cela, quand on regarde le parcours des techniciens Emalec, ils deviennent contremaîtres, chargés d’affaires, donc leurs compétences autres que techniques sont aussi reconnues.

 

On rencontre dans le secteur la difficulté à recruter des gens compétents. Vous faites comment ?

Dans tous les métiers c’est une grosse affaire, c’est compliqué. Encore une fois, il faut accepter d’investir dans la formation, les rémunérations sont bonnes, et le modèle plait à des gens, on le signalait, qui sont des gens mûrs. Il y a parmi eux beaucoup d’anciens artisans, des gens passionnés par leur métier, avec deux qualités : ce sont des super-techniciens et ils connaissent la relation client. Souvent ils ne sont pas très attirés par tout ce qui est gestion et ils peuvent se concentrer sur ce qu’ils aiment faire, le client et la technique.           

 

Je perçois des éléments d’un modèle tourné vers l’excellence opérationnelle en B2B. Une place pour le B2B2C ?

Pour nous, la vraie réponse en B to B to C est présente, elle apparaît sur l’innovation servicielle sur différents métiers. On est souvent encore en mono métier. C’est sur l’inter-métier que cela se jouera, sur un mix d’offres et de compétences.

 

Sur le SI, les clients ont leur propre système et ils nous l’imposent. Comment vous faites ?

Oui, nous c’est Mozaris, mais on a un système ouvert. Notre service informatique et communication peut créer des passerelles, via des interfaces quand c’est possible. On a des clients qui peuvent avoir des systèmes fermés, cela arrive. Dans ces cas-là on travaille en double écran, et oui … certains de nos assistants transfèrent des données ! Avec dans le pire des cas des doubles écrans côté Emalec pour transférer les données.

 

 

[1] La présentation, effectuée au colloque CRDIA du 15 janvier 2019 sur la mobilisation du travail dans le FM, est portée par Ludovic Lazzarotto, en présence de Lionel Montero, directeur commercial. Deux chercheurs questionnent et proposent des éléments de reformulations ou de références, à partir de travaux de recherches : Sophia Galiere, gestionnaire, Université de Nantes et Nicolas Klein, sociologue au LATTS, Université de Paris-Est Marne la Vallée.

 

[2] Moyenne calculée sur l’ensemble de l’activité

[3] Entreprise Resource Planning, système d’information qui permet de gérer au quotidien l’ensemble des informations et actions opérationnelles d’une entreprise

[4] EcoVadis : service d’évaluation complet de la politique de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

[5] Key Performance Indicator

[6][6] Customer Relationship Management