18 septembre 2022

CAHIER 19 – Document 2

INNOVER DANS LES OFFRES DE PROPRETE

Partie I/II

Dépasser les modalités actuelles de prescription et de contractualisation des services de propreté

Par Xavier Baron, consultant BCRH, Sociologie, co-fondateur et coordonnateur du CRDIA

Diffusé le 20/09/2022, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

 

Ce premier article est issu d’un travail d’analyse et de rédaction réalisé avec la participation active d’un dirigeant d’une grande entreprise de propreté et de services aux environnements de travail. Si ce dernier garde l’anonymat, sa contribution a été déterminante et se devait d’être signalée.

 

 

1 – Des pratiques gestionnaires inadéquates

Les activités de propreté sont contractualisées par des processus et des outils basés sur une méthodologie et des concepts inadéquats à leur nature servicielle.  Les organisations du travail sont figées et standardisées par les fréquentiels et les processus contractuels;

 

 

Sur un plan managérial, les fréquentiels très largement en usage dans le métier induisent des organisations du travail statiques, standardisées. Répétitives et simples à mettre en œuvre, elles laissent peu de place à l’initiative et à la responsabilité de l’intervenant. Le contrôle de la réalisation en même temps que celui de l’intervenant sont en apparence facilités. Le temps d’encadrement dédié aux agents de ces activités a de fait tendance à être minimisé et devient trop souvent une variable d’ajustement des coûts. Le rôle du manager de proximité est alors perçu comme celui d’un contrôleur (le terme d’inspecteur est encore souvent utilisé) en charge de faire respecter un dispositif établi au travers de fréquences d’intervention, de contrôle de résultats et de KPI[1] qui n’indiquent en aucune manière le niveau de satisfaction du bénéficiaire ou la valeur créée. Contrôler ou inspecter n’est pas manager une prestation au sens de l’adapter, de l’enrichir, de la faire évoluer. Ce dispositif ne favorise en rien un travail collaboratif entre encadrant et encadrés, ne stimule pas la remontée d’information du terrain et ne prend pas en compte les retours d’expériences. Il ne participe pas à l’excellence opérationnelle qui implique un management qualitatif et participatif.

 

« Tout ce qui n’est pas obligatoire est interdit » 

 

Les activités de propreté engagent principalement des ressources humaines (nombre d’heures à prester) et secondairement, des dotations en matériels (autolaveuses, robots, capteurs…). Des volumes peuvent être calculés à l’aide de fréquences pondérées par des durées standard d’exécution estimées a priori. La contractualisation des prestations de propreté se fait ainsi dans un cadre d’autant plus contraint qu’il découle directement d’un accord sur des prix bloqués sur la durée du marché. En passant par des fréquentiels, les prescriptions focalisent sur la conformité mais interdisent en pratique l’innovation, les initiatives et finalement … « tout ce qui n’est pas obligatoire ». Elles ne laissent de place qu’aux routines (fréquentiels imposés), au détriment de l’utile qui sans cesse varie. Cette conformité à un cadre prescrit figé donne lieu à des jeux de pouvoir tels que les prestataires sont niés dans leurs expertises et que les œuvrants sont amputés de leur intelligence. Elles consacrent un rapport de domination justifié de la part du client par sa position de « donneur d’ordres » sur le prestataire alors même que c’est l’entreprise de propreté qui maîtrise les savoirs et l’ingénierie sociale des réponses à ses besoins. Les bénéficiaires finaux eux-mêmes (parfois des clients) sont négligés dans leurs expériences singulières et dans leurs responsabilités.

 

La variabilité n’est pas prise en compte :

A ces approximations s’ajoute un biais de fond. Le cadre contractuel (SLAs[2], fréquentiels, KPI) est fixé préalablement à la réalisation de la prestation, sans prendre en compte ses nécessaires variabilités et les véritables usages des lieux et des occupants concernés. S’il permet aisément, avec un simple tableur, de calculer un prix apparemment « objectif » (en pratique il est seulement déduit mécaniquement d’un cumul des coûts), il ne permet ni d’établir ni de garantir l’efficience économique des services de propreté. Cette efficience n’est d’ailleurs même pas réellement discutée en dehors de ratios horaires au m², à des niveaux de cadences et des taux de rémunération parfois « imposés » par les clients. La fiction d’un accord négocié s’efface ainsi devant un quasi-contrat d’adhésion alors qu’il s’agit de prestations dont la valeur tient plus à la manière dont le service est dispensé, in situ, que d’une simple exécution conforme. Le formalisme prend le pas sur la relation, l’apparence tient lieu de réel. La nécessaire intelligence de l’œuvrant pour obtenir de l’activité la finalité attendue dans la variabilité de sa pertinence n’est ni sollicitée, ni même autorisée.

 

La valeur est réduite au coût du nettoyage :

Un effet d’observation courante est alors que, face à la puissance des procédures d’achat, en l’absence de règles (sanitaires) ou d’exigences techniques (salles blanches par exemple), l’estimation de la valeur immatérielle du « propre », une fois assimilée à des fréquences de nettoyage, ne résiste pas aux coûts. Le sens et la finalité de l’activité sont totalement masqués derrière des quantités de moyens. Chacun sait pourtant que la valeur est affaire de finalité et dépend des contextes, des attentes et des usages. Quels que soient les coûts, la valeur est toujours sujette à évaluation. Elle est toujours variable et nécessairement diversement appréciée. Les outils de type référentiels arasent ces réalités. La valeur n’est pas prise en compte, seul le coût reste. La décision tombe alors, triviale : « moins cher c’est mieux ».

 

Cette difficulté d’évaluation n’est pas réservée à la propreté. La sécurité ou la santé par exemple la rencontrent également. Ce sont des dimensions qui ont un prix que leurs coûts ne résument pas. Dans le cas de la propreté, il faut y ajouter le handicap d’un déficit culturel de reconnaissance sociale. Les activités de propreté sont dévalorisées, associées à la sphère domestique de la servitude et/ou de la domesticité, et les exigences techniques et sociales du métier demeurent sous-estimées.

 

L’expertise des prestataires est niée

Dans la réalité d’une exécution successive des prestations, le service est toujours à adapter, à reconcevoir, à optimiser à rendre le plus pertinent possible. Même pour le recours à des niveaux de qualification souvent modestes, la mise en œuvre effective, au quotidien, de la propreté exige une expertise et une ingénierie sociale délicates et complexes. Cette expertise très opérationnelle est largement sous-estimée et insuffisamment sollicitée, notamment pour la définition de ce qu’il convient de faire, jour après jour, en fonction des aléas, des demandes, des contextes. Au contraire, les processus d’offre et de contractualisation reposent sur la fiction d’une capacité experte du client à définir ses besoins, une fois pour toutes, et plus encore, à prescrire les moyens de leur satisfaction puisqu’il intervient directement dans le dimensionnement des heures. Ces fictions reposent sur l’idée que la propreté n’est pas un métier de service exigeant en savoir-faire, en ingénierie sociale complexe et en qualifications. Elles se rassurent sur l’idée que la propreté n’est qu’une « commodité », indifférenciée, sans valeur ajoutée, pour des activités standardisables et ne nécessitant qu’une main d’œuvre mobilisable aux minima sociaux, sans management solide et sans progression. Elles sont enfin entérinées par l’inévitable présence d’opérateurs voyous, prêts au moins disant, renouvelant la Loi qui veut que « dans une guerre des prix, on trouve toujours moins cher ». Ils gagnent des marchés en sachant qu’ils ne feront pas ce qu’ils promettent, alimentant la défiance des clients sur toute la profession.

 

Le travail réel est mis en invisibilité

 Les productions des services ne sont pas des biens tangibles. Ne pas prendre en compte cette caractéristique nourrit un mythe du côté des outils : des SLAs assortis de KPI et de fréquentiels seraient pertinents et valides pour « objectiver » la prestation (en moyens), fournir une métrique de sa « mesure » (en résultats) et rendre possible un pilotage/contrôle à distance de type cockpit management. Ce n’est pas seulement approximatif ou illusoire, c’est techniquement et conceptuellement faux. Pour que des fréquentiels soient représentatifs d’un effort en même temps que d’un résultat, il faudrait que les paramètres de l’activité soient standardisables. Il faudrait que le salissement et son appréciation soient constants. Il faudrait que le nettoiement soit codifiable et répétable à l’identique, sans altération des conditions ou variabilité associée aux bénéficiaires et aux opérateurs. Il faudrait qu’il soit indépendant de celui qui le réalise comme de ceux qui en co-évaluent le résultat et sa pertinence. Il faudrait que le travail à faire soit toujours le même, duplicable. Dit autrement, il faudrait que la propreté soit une activité industrialisable, et non une relation de service. Si les fréquentiels peuvent être un outil de dimensionnement et de dialogue au plus près du terrain, utilisés comme base contractuelle ils masquent ce qui fait la réalité du travail pour ne retenir que l’exécution d’actes techniques standardisés, réduits à des fréquences figées que multiplient des durées théoriques et moyennisées.  Ils fondent des accords sur une fiction souvent construite à l’aide de « copier-coller » d’un cahier des charges à l’autre. A défaut d’éclairer, ces outils rassurent. Ils donnent l’illusion de maîtrise et d’objectivité. Ils flattent les esprits simples ; la propreté, le service, la QVT[3]…, peuvent être pensés à l’aide d’une métrique du nettoyage. La préférence/fascination pour les chiffres suffit ensuite à expliquer l’attachement des acteurs à leur utilisation.

 

Les opérationnels sont confrontés à des conflits de valeur : 

Dans le quotidien du travail, les acteurs sont très régulièrement appelés à composer avec les contraintes, notamment imprévues, pour obtenir les résultats attendus. Ils doivent souvent tricher sur la lettre des règles pour mieux respecter l’esprit des intentions qui les motivent. L’excès et l’inadéquation de forme des prescriptions actuellement déployées dans les services de propreté conduisent trop souvent les opérateurs à vivre des injonctions contradictoires et des « conflits de valeur »[4].

 

Pour les reportings au sommet, les acteurs de terrain ont développé des savoir-faire de gestion des indicateurs pour verdir les tableaux, leur donnant ainsi une vertu thérapeutique. Sur le terrain, les clients ne sont pas dupes mais cela peut être traité en transparence et en bonne intelligence. Heureusement, c’est souvent le cas. Mais sur la durée et en cas de tensions, ces jeux sont délétères sur le management, la motivation et la santé des opérateurs. Parce que les outils et les règles les contraignent à nier les écarts, les impasses et les imprévus, ils sont condamnés à les travailler dans la clandestinité. Alors que les outils et le management devraient reconnaître leurs efforts pour bien faire et les remercier pour cela, ils comprennent qu’il est prudent de mettre eux-mêmes en invisibilité ce qui fait la qualité de leur travail. Ils dissimulent ce qu’ils font de bien mais pas prévu, ils laissent déclarer au contraire des choses moins pertinentes qu’ils ne font pas. Cette organisation de l’invisibilité est coûteuse en injonctions contradictoires et en risques de conflits de valeur. Les unes comme les autres constituent des sources identifiées d’atteintes à la santé psychique. D’un côté il faut être conforme, de l’autre il faut faire ce qui est utile mais sans le dire. Enfin, si une dose modérée d’opacité peut être tolérée, elle est toujours susceptible d’alimenter la défiance.

 

 

2 – Quelles conditions pour innover dans les offres de propreté ?

Pour innover, il faut comprendre pourquoi les prescriptions par SLA, fréquentiels et autres KPIs restent si largement utilisées. Les tableurs et les formulations sur lesquels les accords sont passés sont typiquement de l’ordre du « mythe utile » en gestion. Ces outils ne font pas ce qu’ils prétendent, mais offrent une solution facile pour établir un prix apparemment objectif. Ce sont des simulacres. Ils ne décrivent pas la réalité, les chiffres sont faux, l’accord est scellé sur une base fictionnelle. 

 

Sur la méthode ; accepter de dépasser les faux-semblants conceptuels :

De mauvais outils n’empêchent pas toujours de travailler, à condition cependant qu’ils soient régulièrement remis à leur place ou intelligemment contournés. C’est typiquement le cas des SLAs, fréquentiels, KPIs et autres pénalités des contrats. Ils sont aussi généralisés et banalisés…, qu’ils ne sont pas respectés ! Appliquer à la lettre les fréquentiels notamment reviendrait pour les acteurs à se satisfaire de prestations impersonnelles et inadaptées à la vie des lieux. Heureusement, les faits résistent et la réalité compense ce que les mauvaises théories ne prennent pas en compte. L’écart entre le prescrit et le réel n’est pas accidentel, il est fonctionnel. Ne pas appliquer le prescrit en stricte conformité, ou les règles formelles, est en pratique une condition pour mieux respecter l’esprit de la relation de service dans ses usages réels et ses finalités de performance. Elle conditionne la possibilité de la pertinence. Pour le client, le non-respect des fréquences n’est pas synonyme d’une baisse du rendement ou de la productivité directe du travail. L’intelligence opérationnelle des acteurs, le bon sens sur le terrain, la volonté de bien faire ce qui est utile…, contribuent à une qualité du travail « à côté » des fréquentiels, parfois même « malgré » les fréquentiels. Dans le réel, les contournements des règles sont nécessaires à l’obtention de la meilleure qualité possible dans les contraintes rencontrées. Ceci explique que les clients sur le terrain ferment souvent les yeux.

 

Les fréquentiels sont également défendus par certains prestataires, avec l’idée qu’ils constitueraient une source de droit qui les protège des abus de pouvoir des clients. Une fois la conformité établie sur le respect des SLAs et fréquences, le client ne pourrait plus rien leur reprocher, ils ne risqueraient pas la pénalité. La situation actuelle est ainsi le résultat d’un mode de défense des opérateurs de propreté contre l’agressivité des acheteurs : les fréquentiels x taux horaires de la convention collective = le prix. Cela « objective » la commande, sinon en résultats, au moins en termes de moyens limités. Dans un contexte de défiance, le prestataire peut en effet chercher à s’abriter derrière des prescriptions détaillées et chiffrées imposées au contrat et se sentir ainsi prémuni contre les attentes du client, et particulièrement celles des bénéficiaires. C’est évidemment prendre un grand risque sur sa satisfaction et les perspectives de renouvèlement. Une dernière raison « tactique » explique enfin l’attachement de certains prestataires à ces outils. Ils connaissent, souvent mieux que leurs clients, les limites opérationnelles, sémantiques et pratiques des fréquentiels, SLA’s et autres KPIs. Ils savent leurs imprécisions et leur incomplétude fondamentale. Ils peuvent alors s’en servir, investir les « oublis » du cadre formel contractuel, argumenter sur la survenance d’aléas et imprévus…, pour restaurer des marges de manœuvre et parfois, pour suggérer des travaux supplémentaires. Le hors forfait et les TS (travaux supplémentaires) sont une source de marges fréquemment améliorées relativement aux activités prévues, une fois le client réputé captif pour quelques mois ou années. 

 

Si l’on voit bien comment des acteurs peuvent s’accommoder de théories fausses et d’outils bancals, quitte à en détourner l’esprit, innover dans les offres ne se fera cependant que dans une clarification nécessaire à la confiance.

 

Sur les outils ; remettre les enjeux des contrats et les fréquentiels à leur place :

Il faut comprendre en effet que, faute d’outils et de processus adaptés, des mises en concurrence sur la base de SLAs et fréquentiels permettent malgré tout d’habiller des processus d’échanges commerciaux par des métriques simples qui n’engagent pas nécessairement les directions générales. Tant que la défiance est le postulat, ces outils ont un avenir. Ils ne permettent pas de s’entendre et de fonder un accord dans le réel et dans la durée, mais ils offrent une fiction permettant de fixer un prix.

 

Dépasser ces jeux suppose de changer de paradigme en faisant l’hypothèse que les clients et les prestataires de la relation de service ne sont pas concurrents, que leurs intérêts ne sont pas nécessairement contradictoires. L’obtention des conditions d’environnement de la performance des clients est alors un gage de réussite du prestataire comme de la fierté d’un travail bien fait. Dans une économie de l’usage et des services, le prestataire a intérêt à contribuer à la performance du client, le client a intérêt à s’adosser à un prestataire compétent, innovant, capable d’investir. Le jeu peut être à somme positive. Loin de la fiction d’achats de prestations instantanées au juste prix pour des justes besoins, il faut inventer des processus d’accords construits sur la recherche d’intérêts communs[5]. Ils doivent fonder l’accord sur l’engagement du prestataire à contribuer aux objectifs du client. Il faut pour cela bien les connaître et s’entendre sur la manière d’évaluer l’atteinte des résultats attendus. L’instrumentation de la relation passera notamment par des dispositifs conventionnels de gouvernances adaptées intégrant les usages, la variabilité et la pertinence. Il est clair que les outils comme le formalisme contractuel ne suffiront probablement pas à eux seuls pour garantir une relation performante dans la confiance. Ce qui est un confort pour des négociateurs « en haut », produit cependant trop d’effets délétères « en bas » pour ne pas faire l’effort de remise en place des contrats et des outils qui permettent de les élaborer.

 

Sur les rôles ; assumer le consentement à la dépense pour la propreté :

L’idée d’un « juste besoin » qui serait définissable techniquement à l’avance, en référence à des surfaces et permettant de déduire mécaniquement un « juste prix » calculé par un tableur est un mythe utile pour les négociateurs (acheteurs, AMOA, commerciaux). Pour les utilisateurs, les prescripteurs, les opérationnels, c’est une fiction. Cet arsenal permet simplement de sauver la face. Si les fréquentiels sont toujours utilisés, c’est en raison d’un déficit des clients s’agissant de dire leur « consentement à la dépense de propreté ». Trop souvent, les acheteurs, les prescripteurs centraux, les financiers, les AMOA… n’ont pas le pouvoir de décision et les compétences politiques suffisantes pour engager leurs entreprises sur la pertinence des dépenses de propreté en regard d’objectifs stratégiques et sociaux. Faute d’indications suffisantes pour dire ou apprécier la valeur recherchée, ils s’en remettent aux prestataires pour leur faire dire un prix. Ils les placent dans une double contrainte sans solution ; ne pas perdre d’argent, mais gagner le marché mis en concurrence. La qualité et même la faisabilité sont des variables d’ajustement à traiter plus tard, dans la mise en œuvre. Les acheteurs se satisfont ensuite de l’assurance que ce qu’ils achètent l’est le « moins cher possible », dès lors qu’ils finissent par donner l’avantage au moins-disant.

 

Il faut ici interpeller les Directions Générales des clients. Le prix de la propreté n’est pas technique. La valeur du service n’est pas dans les coûts cumulés des moyens finalement alloués. Le prix, c’est la valeur attribuée par le client. Il n’y a pas de juste besoin. Il y a par contre toujours, assumé ou non, un consentement à la dépense du client pour l’obtention de la performance de son entreprise et de ses collaborateurs. C’est au client et à lui seul qu’il revient de dire, en amont des négociations, quel prix il est prêt à payer pour la propreté qu’il veut garantir pour la santé, le bien-être et la reconnaissance qu’il veut témoigner à ses salariés. C’est au donneur d’ordre qu’il revient de préciser et assumer quel usage il veut faire de la propreté, de la sanitarisation… C’est encore lui, et lui seul qui peut et doit formuler ses exigences en termes de comportements de ses propres salariés/bénéficiaires. Le nettoyage le moins cher sera toujours celui qu’on ne fera pas, dont on acceptera de se passer. La responsabilité du prestataire est de répondre au comment, mais pas au quoi. Elle ne peut pas se substituer à celle du donneur d’ordre pour dire son niveau de son consentement à la dépense. Fixer ce niveau n’est pas non plus de la responsabilité d’acheteurs, ni même des services généraux. C’est une décision politique de Direction Générale. Ensuite le prestataire pourra démontrer et apporter son expertise, il pourra assumer la responsabilité de faire « au mieux pour obtenir le meilleur résultat possible » dans le cadre d’une contrainte de prix qu’il peut conseiller, mais dont il n’a pas à juger.

 

Certes, la pertinence économique et sociale de services « à exécution successive » est difficile à apprécier à l’avance. Elle l’est d’autant plus qu’elle ne dépend pas exclusivement du prestataire, mais d’une collaboration opérationnelle qui engage activement les clients, et les bénéficiaires qui ne sont pas directement clients. Les décideurs actuellement présents dans les processus achat sont en pratique trop souvent éloignés du terrain, des attentes des bénéficiaires comme des contraintes des prestataires. A l’exception d’un parti pris de réduction des dépenses, ils sont insuffisamment porteurs des raisons de Direction Générale d’une stratégie de propreté.

 

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Alors qu’ils peuvent faire sens pour organiser, les fréquentiels utilisés dans les contrats sont contre-productifs dès lors qu’ils sont érigés en règle gravée dans le marbre. « Prises au sérieux », les prescriptions détaillées excluent le dialogue et l’intelligence, elles nient les usages et invisibilisent le travail réel. De globalement indicatifs et justes, quand ils sont manipulés avec précaution par des professionnels qui connaissent bien les contextes, les SLA’s et fréquentiels sont précisément inapplicables et faux quand ils sont codifiés dans des clauses génériques, figées et contraignantes. Appliqués à la propreté, les formats industrialistes pensés pour des échanges de biens tangibles ou de prestations instantanées sont inadéquats et porteurs d’effets pervers pour des prestations servicielles à exécution successive. Dépasser les logiques qui fondent les pratiques gestionnaires, notamment en matière d’achat, est une condition nécessaire aux innovations attendues des offres de propreté. L’enjeu ? Des gains de productivité dans le réel, en passant d’un achat de prestations techniques de nettoyage à des accords sur la fourniture de services pertinents à l’usage, porteurs d’impacts en valeur ajoutée.

 

 

 

[1] Key Performance Indicator, Indicateur Clé de Performance

[2] Service Level Agreement, Accord sur le Niveau de Service

[3] Qualité de Vie au Travail

[4] Cf l’étude récente de la DARES sur les liens entre la santé et les conflits de valeur : « Six actifs occupés sur dix signalent être exposés à des conflits de valeurs dans leur travail (…). Certains doivent faire un travail qu’ils jugent en grande partie inutile, ce à quoi s’ajoute, pour d’autres, l’absence de fierté du travail bien fait. D’autres encore estiment manquer de moyens pour bien faire leur travail mais se sentent malgré tout fiers du résultat. Le dernier cas concerne les personnes qui cumulent la plupart des conflits de valeur. DARES Analyse n°21 de mai 2021

[5] C.f. KERBOURC’H J. Y., BARON X., « La sous-traitance de services support aux entreprises », La Semaine Juridique, Entreprises et Affaires n° 26, 1er juillet 2021, pp 43-53