17 juin 2021

CAHIER 11 – Document 2

" La fin d'un cycle ? "

Thierry Cadiot

Senior Facility Manager France dans une multinationale,

membre du Comex de l’ARSEG,  en charge des études et de la formation.

Diffusé le 22/06/2021, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Thierry Cadiot reprend et complète ici un article paru en 2020 dans Workplace Magazine sous le même titre.

 

Une crise en plusieurs phases

 

Avant même que le virus circule vraiment, dès la fin janvier-début février 2020, après avoir reçu quelques signaux de notre réseau international notamment en Asie, nous avons déclenché un groupe de gestion de crise. L’objectif était d’analyser les données et d’être capable de préconiser des décisions. Dans un premier temps, on a surtout essayé de comprendre ce qu’il se passait, voir quels étaient les impacts, les risques et capitaliser sur ce qui avait déjà été tenté dans les autres pays (Chine, Corée, Italie, Suède, …).

Pour réorganiser le travail dans les bureaux, avec nos prestataires, nous nous sommes basés sur les préconisations des organisations gouvernementales et autres organismes (comme l’INRS, l’OMS) puis nous avons suivi et adapté les guidelines globales et régionales de notre groupe mondial, pour concevoir les nôtres. À titre d’exemple, et en se basant sur notre connaissance du virus, j’ai pris la décision dès la mi-février de fermer les espaces de travail dès lors qu’une suspicion de Covid-19 était avérée et ce durant 3 jours pleins avant un nettoyage et une désinfection « normale ». Cette stratégie de ciblage des risques nous a permis d’éviter des désinfections lourdes par la suite. Nous avons aussi mis en place un nettoyage et une désinfection quotidienne de tous les postes de travail, ainsi qu’une désinfection des points de contact deux à trois fois par jour.

Pendant le premier confinement début mars 2020, nous avons pris le parti en 24 heures de mettre en œuvre le télétravail. Nous étions prêts le 13 mars pour mettre une très grande majorité de nos collaborateurs en travail à distance. Pour y arriver nous nous sommes appuyés sur l’expérience des grèves durant lesquelles nous avions déjà déployé des plans de continuité d’activité. Grâce à cette préparation, tous les collaborateurs sont partis chez eux …, pour deux semaines initialement !

Ceux qui restaient avaient parfois des comportements irrationnels. Ce fut sans doute la partie la plus surprenante de la crise, et j’en cite pour preuve les nombreuses légendes urbaines qui ont alimenté les discussions au bureau.

Nous avons initié un 1er retour progressif dans nos immeubles à partir du 11 mai. Le plan de marche a été organisé par vagues de 10 % toutes les trois semaines. Ce qui aurait dû nous amener à un ratio de 50-60 % de salariés à fin juillet. Nous avions aussi préparé les règles et aménagements nécessaires à une distanciation physique globalement respectée.

Mais comme chacun le sait, la pandémie a bégayé ; une première fois en octobre 2020, une seconde fois en janvier 2021. Il a fallu reprendre les mesures mises en place ; split teams, télétravail, présence sur site à tour de rôle, réunions virtuelles, mais aussi réouverture des services tels que l’accueil, la restauration, le help desk informatique…

Pendant 10 mois, le télétravail forcé a donc été la règle, avec par deux fois des tentatives pour rappeler nos collaborateurs. A ces occasions, nous avons pu constater plusieurs comportements : il y avait ceux qui étaient bien en télétravail (et même parfois trop, au bord de la piscine), il y avait ceux qui appréciaient de ne plus subir les transports, mais il y avait aussi ceux qui souffraient de l’isolement. Encore aujourd’hui, le retour à la « normale » n’est pas prévu avant septembre 2021.

Quelques ajustements, mais pas de psychose


Maintenant que la fin de la crise se profile, il y a des domaines où l’on va revenir à la « normale », mais aussi quelques ajustements que nous garderons en vigueur.

Pour faciliter la circulation dans les zones de croisement, on a mis en place un marquage au sol avec des fléchages, des circuits, de l’affichage et les salles de réunions restent interdites …

Bien sûr, nous mettons du gel hydroalcoolique à disposition sur chaque palier d’ascenseur et avons programmé des désinfections des postes de travail au moins une fois par jour, deux fois quand il s’agit de postes partagés.

En revanche, pas de prise de température, car ce n’est pas un indicateur fiable. Si la personne a marché vite, ou est stressée, sa température ne reflète en aucun cas un symptôme quelconque. Pour que cela soit réellement pertinent, il faudrait réaliser deux prises de températures à intervalle, par la médecine du travail, ce qui n’est pas réaliste.

Nous avons décalé des horaires, (le matin à partir de 7h00), afin de lisser les arrivées de nos collaborateurs, que ce soit dans les transports ou sur les sites.

Côté restauration, après avoir opté pour un système de plateau-repas à emporter, avec la fermeture des salles des restaurants, ceux-ci ont rouvert avec une offre mixte : sur place dans le respect de la jauge. C’est difficile de discuter avec son voisin de tables assis à 2 mètres !

Un inconvénient majeur de « l’emporté » est le manque absolu de contrôle de la distanciation sociale. Combien de fois avons-nous vu ces tablées de collaborateurs assis côte à côte dans des salles trop petites eu égard au nombre de convives ? Au-delà cela pose en plus un nouveau problème de gestion de déchets disséminés dans les étages.

 

Et après ?

 

Clairement, je pense que l’on va changer de société. Nous sommes arrivés aux limites du système actuel et à la fin d’un cycle. À commencer par l’approvisionnement des produits sanitaires. Il est évident que le fait de tout délocaliser en Chine nous pose un problème alors que ce pays a connu un arrêt de son économie pendant plusieurs semaines et que nous restons dépendants des transports.

Sur les espaces de travail nous ne pouvons pas nous exonérer de réfléchir et d’imaginer aujourd’hui et demain. Par exemple, nous devons nous poser la question du flex office : comment se prémunir du risque d’une nouvelle contamination dans quelques temps ?

Cette crise va évidemment changer l’approche des entreprises vis-à-vis du télétravail. La vraie question est de construire aujourd’hui le télétravail, avec quel lien social ? Où sera l’esprit de la collaboration, le besoin de tribu ? Aujourd’hui, on voit bien qu’une majorité des salariés s’y sont adaptés, mais contraints et forcés. Quelle est réellement leur demande ? Tous n’ont pas une maison de campagne et une piscine pour jouir du bonheur de ce télétravail. Combien sont-ils à tourner en rond dans 45, voire 20 m², à partager un bureau/salon avec son conjoint, ses enfants ? Pour quelles fonctions et comment ?  Tout ceci reste à valider.

Personnellement, j’ai perdu en efficacité avec des journées de 10 à 12h perdues en recherche d’informations et faute de disponibilité de mes interlocuteurs, mobilisé par des visio-conférences sans fin …

Quel est aussi l’intérêt demain de construire ou d’exploiter de très grands immeubles de 40 000, 80 000 ou 120 000 m² ?

Est-il toujours pertinent de concentrer l’activité sur un seul gros site ? À mon sens cela expose l’entreprise à des risques majeurs… comme l’absence de sites de repli.

Nous allons par ailleurs observer un changement signifiant dans le rapport au travail, notamment chez les jeunes générations, avec un phénomène de délocalisation en régions pour des raisons de qualité de vie, de sens et de mobilité…

Il y a là beaucoup de questions qu’il va falloir se poser. La page est à remplir.

En tant que DET (Directeurs de l’Environnement de Travail, NDLR), nous ne sommes pas seulement parties prenantes, nous sommes en position de pivot dans cette réflexion, ne serait-ce que par l’expérience de notre quotidien ces derniers mois.

Enfin, nous échangeons et nous réfléchissons sur le futur de nos immeubles et de notre métier au sein de notre association, l’ARSEG.  Nous ne sommes qu’au début de la réflexion. Une chose est sûre : il y aura du changement.