INNOVER DANS LES CONTRATS DE SERVICES
AUX ENVIRONNEMENTS DE TRAVAIL
Nos constats et observations
Nos travaux en 2018-2020 ont démontré que pour mobiliser ces services, des contrats d’achats de prestations ne suffisent pas à instaurer des relations de services. La fixation d’un prix par les coûts ne suffit pas à fonder un système de production des services performant, équilibré et durable.
Incomplets par construction, les contrats généralement appliqués pour les SET sont hérités des pratiques d’achats de biens tangibles ou de prestations à exécution immédiate. Ils sont particulièrement mal adaptés à leurs objets.
En pratique cependant, ces outils s’appliquent…, mais faute de mieux. En s’appliquant formellement, ils autorisent la mise à disposition de main d’œuvre. Mais s’agissant d’organiser et d’optimiser le travail et la production des services, les témoignages convergent ; ils ne sont pas opératoires. Ils participent même du profond déficit de confiance récurrent dans les relations clients fournisseurs et que l’on peut même qualifier de « défiance structurelle ».
Cette défiance est le résultat de supports et de pratiques de gestion qui codifient des :
- Prestations définies et prescrites techniquement, peu opératoires pour qualifier les relations à instituer,
- Productions valorisées en coûts, sans référence partagée à la valeur en termes d’utilité,
- Contrats conclus à durée déterminée instituant la précarité,
- Accords fondés sur la fiction d’obligations de résultats, pour des productions non mesurable et non dénombrables,
- Rapports de force déséquilibrés dans les processus de consultation,
- Une « performance » de conformité attendue des vertus d’une mise en concurrence périodique, alors même qu’il n’y a pas de véritable marché,
- Clients donneurs d’ordres en peine pour dire leurs « besoins »,
- Prestataires incités à promettre plus qu’ils ne peuvent tenir, tentés de parier sur le hors forfait (TS sur devis) pour rétablir leurs marges.
C’est au point que les formalismes rencontrés (AO, consultations, cahiers des charges, contrats…) en deviennent des « simulacres ». Ce n’est qu’après la signature que commence le travail de conception, d’organisation et d’opération des systèmes de production de services. In fine, les contrats ne s’appliquent sans dommage qu’à la condition ne pas interférer dans les relations au quotidien. Ils n’aident cependant pas à discriminer entre les mieux et les moins disants.
La problématique
Les Services aux Environnements de Travail constitue une filière émergente, déjà parmi les plus importante en termes d’emplois, en utilité sociale (démontrée largement dans la période COVID) et même en croissance . Elle est encore peu représentée, mal outillée et faiblement professionnalisée du fait d’une structuration inachevée, et de surcroît handicapée d’un déficit chronique de noblesse et de valorisation de ses métiers .
Obtenir une performance accrue dans la production des services à haute intensité de main d’œuvre pour la mise en œuvre de prestations à exécution successive est possible, et cela sans maltraiter le travail.. Pour cela, la filière a besoin d’innover en matière de contrats.
Nos propositions et pistes d’expérimentations en 2026
Cinq pistes émergent de nos recherches. Il est possible de concevoir des « contrats d’intérêt commun » équilibrés en termes d’engagements réciproques Il faut construire un accord des parties sur des engagements réciproques, au service d’intérêts communs, conçus pour durer et régulièrement refondés par le dialogue.. Ce seront des contrats libellés en obligation de moyens, orientés intérêts communs à durées indéterminées, largement forfaitisés, mobilisant des compétences d’orchestration et instituant des gouvernances fondées sur le dialogue. Il faut alors commencer par le début et gérer les prestations de services pour ce qu’elles sont ; des relations de services et non des échanges de droits de propriétés sur des biens, mêmes immatériels.
1 – Dépasser la fiction de contrats libellés en obligation de résultats
Dans les services relationnels, les efforts ne sont pas proportionnels aux effets, la valeur des effets réside dans les impacts co-produits du travail des oeuvrants avec les bénéficiaires. Les résultats eux-mêmes, quand ils sont observables, directs, immédiats…, sont pertinents et « constitutifs d’une valeur » mais qui est toujours dépendante de la « manière de rendre le service ». Au-delà du « visible » accessible par des métriques, cette valeur doit intégrer des dimensions d’effets indirects, induits, différés, incertains même, et pour beaucoup immatériels.
Libeller des contrats de services relationnels et à exécution successive à l’aide d’obligation de résultats est une fiction. En gestion ce type de contrat relève du « mythe ». Il est banal, il est utile à certains et il perdure au nom des évidences partagées mais aussi parce qu’il est commode. Elle permet de se mettre d’accord…, sans avoir à se comprendre (sur les objectifs) et à s’expliquer (sur la bonne manière de faire). La fiction permet de « fixer un prix » à l’aide d’une grille Excell, sans avoir à connaître ni le réel des métiers ni celui des lieux à servir, mais simplement à l’aide de taux horaires. Elle suffit à instrumenter un processus formellement maîtrisé par un chiffrage des coûts sur des fréquences moyennes ou des niveaux standards comme si le monde était stable, les besoins connus, les immeubles équivalents les uns des autres à la surface près, une heure de travail comparable à une autre à la rémunération près.
Dans la vraie vie, on peut chiffrer des coûts d’hôtesses sur un présentéisme mesurable, mais pas la valeur de l’accueil. On peut fixer des fréquences de nettoyage et des vitesses d’exécution (surfaces en m² d’aspiration à l’heure), cela ne dit pas quelle est la propreté « utile et raisonnable » ni même la propreté « attendue ». On peut exiger un temps d’intervention maximal pour remettre en fonction un équipement en panne, cela ne dit pas la pertinence (l’impact utile) des coûts associés et de la gêne occasionnée sur la production du client. Le mythe fonctionne également parce que dans la pratique, les engagements en résultats sont en pratique doublés d’exigences en moyens. Quand ce n’est pas explicite, c’est pris en compte dans les feuilles Excell. Les prix sont déduits des coûts salariaux.
2 – Promouvoir des contrats d’intérêt commun libellés en obligation de moyens
Parler de « marché » et exiger des engagements en termes d’obligations de résultats, relève en pratique de l’abus de langage et/ou de l’abus de position dominante. Il y a bien des échanges, il y a de la concurrence, il y a des prix, mais il n’y pas de marché. Il n’y a pas deux immeubles ni deux bénéficiaires identiques, il n’y a pas de productions reproductibles à l’identique, standardisées et comparables, réalisées dans des conditions strictement équivalentes. Le prestataire peut et doit s’engager dans une volonté de services, mais il ne peut le faire sans relation avec les moyens dont le niveau dépend du consentement à la dépense du client et sans la coopération d’un client qui cherche sa réussite. Dans les services, les résultats ne peuvent pas être garanti à l’avance et ils sont coproduits.
Au contraire, le prestataire peut s’engager au service, à rendre le meilleur service possible, en contrepartie d’un consentement à la dépense du client autorisant la mobilisation de moyens, humains notamment. L’enjeu commun est alors d’obtenir l’effet utile optimum du travail mis en œuvre pour le client en en recherchant la pertinence. L’effet utile d’un service n’est en effet pas proportionnel à l’effort quantitatif Il y a donc de la place pour des gains de productivité réelle, en valeur. Mais ils ne peuvent pas être exigés sans référence aux moyens dont le client est comptable.
Réciproquement, il revient au client, c’est son intérêt, de faire de son mieux pour aider son prestataire. Chaque bénéficiaire co produit, plus ou moins, ses propres espaces et contribue à la performance des services. La manière de « rendre le service » est aussi importante que le service lui-même et le client en est co responsable.
3 – Promouvoir des contrats à durée indéterminée
Actuellement, les parties inscrivent leurs rapports juridiques et économiques dans la perspective d’un contrat-échange alors qu’une convention à durée indéterminée pourrait être le moyen de parvenir à une plus grande coopération entre elles au profit de contrats d’intérêt commun.
Pour véritablement entrer dans une relation de coopération les parties peuvent conclure un contrat à durée indéterminée, montrant qu’elles entendent s’engager sur une longue période dont elles ne connaissent pas le terme. Elles signifient qu’elles se font confiance, qu’elles ont la volonté de parvenir à des échanges marqués d’un intuitu personae important ce qui se traduirait par la personnalisation des services attendus par le client, l’exécution d’obligations particulières mises à la charge de ce dernier, notamment la prise en compte des contraintes techniques ou d’organisation rencontrées par le prestataire lors de l’exécution des prestations.
L’enjeu est moins juridique que relatif à la confiance sur la durée, ce qui peut se construire par des gouvernances adaptées. Rappelons que le contrat à durée déterminée présente l’inconvénient de devoir être exécuté jusqu’à l’échéance de son terme . C’est pourquoi, dans certains contrats, les parties stipulent une clause de rupture anticipée en prévoyant au début de leur exécution une période dite « probatoire » d’une durée de 6 à 12 mois au terme de laquelle le prestataire et le client disposent d’une faculté de rupture unilatérale. Le droit de rompre est, dans ce cas, le plus souvent subordonné au respect d’un délai de préavis de l’ordre de 2 mois. Il arrive aussi que des contrats prévoient d’autres cas de rupture unilatérale, notamment en cas de survenance de circonstances exceptionnelles comme la désaffectation des locaux du client dans lesquels les services sont fournis, ou divers manquements du prestataire à ses obligations. Le droit civil offre ainsi toutes les ressources pour donner aux parties le temps de mettre en place et d’ajuster les conditions dans lesquelles elles coopéreront pendant la longue durée que nécessite l’exécution d’un contrat d’intérêt commun.
4 – Elargir la logique forfaitaire
Prix de marché, standards, fréquentiels, coûts moyens, objectifs de résultats sont des concepts peu opératoires et très mal adaptées aux achats de services à forte intensité de main d’œuvre et à forte composante relationnelle.
La forfaitisation est une voie tout à la fois « simple », légitime et porteuse d’une meilleure maîtrise des coûts (enrayer la machine à devis supplémentaires), une confiance et des modalités de gouvernance adaptées permettant de focaliser l’intelligence sur l’expertise et le travail, sur la pertinence et l’intelligence des relations et non sur une conformité impossible à des prescrits toujours insuffisants.
Selon les activités, la forfaitisation peut prendre différentes formes.
L’accueil et la sécurité sont des services qui sont déjà, pour l’essentiel et par construction, régis par des contrats de moyens, tant il est évident qu’ils résistent à la notion de résultat.
Ce n’est pas le cas actuellement de la propreté. Cette activité reste principalement mobilisée sur des contrats libellés en obligation de résultats. Cette obligation est pourtant tout aussi difficile à décrire et à évaluer par des indicateurs mesurables standardisés représentatifs de la diversité des réalités, et des moments de la prestation. La propreté, comme les contrôles réglementaires, voire la gestion des déchets (hormis le traitement concerné directement par des enjeux de volume) peuvent tout à fait rentrer dans une logique de forfait..
La maintenance multi technique des équipements peut également être forfaitisée. Eviter les jeux de frontières et de hors forfait peut être obtenu par la demande d’une prestation assurant la maintenance de niveau 5, au sens de la norme AFNOR . Cela s’applique aux activités de GTB /GTC, de maintenance des CVC, des équipements de courant fort, de sécurité incendie, d’installations de sûreté, des appareils élévateurs…
Les petits travaux dits « de proximité », répondant aux aléas du quotidien ou à des demandes ponctuelles des bénéficiaires, le règlement des petits incidents, peuvent utilement faire l’objet de forfaits encadrés par des budgets. Cela peut concerner les activités de courrier et de petites manutentions. C’est également possible pour l’entretien des espaces verts, extérieurs et abords des sites. C’est toujours possible également pour les contrôles réglementaires
Dès qu’un historique des coûts est disponible, le client peut dire ce qu’il est prêts à consacrer à ces travaux (par différence ou par analogie avec les dépenses des années passées) et confier forfaitairement aux prestataires la responsabilité du bon usage et du respect du montant alloué.
5 – Apprendre à orchestrer et à gouverner les relations par le dialogue
En 2025, des signes indiquent que le modèle du Full FM est aujourd’hui en recul en France. Pour autant, la poursuite des externalisations et de la spécialisation des métiers de l’autre pose un redoutable problème de gestion. Plus de compétences expertes et diversifiées, au service d’un même site suppose une capacité accrue d’intégration (sans la subordination salariale) et d’orchestration. Ce sont des systèmes de (co)-production de services qu’il convient de penser et d’opérer sur la durée.
Par FM la profession désigne une modalité d’organisation et d’acquisition contractuelle et opérationnelle de différentes activités, relevant de métiers distincts et spécialisés, mais confiant la responsabilité du pilotage d’ensemble à un seul opérateur, exerçant le plus souvent en direct une partie des prestations.
Sous-traiter le « pilotage » des contrats peut soulager certains clients, peu pourvus eux-mêmes en compétences internes, avec la notion de guichet unique. Si les mots ont un sens, après quelques années d’expériences, la notion de pilotage s’avère insuffisante et se voit relayée par la notion d’orchestration.
Enfin, penser l’évaluation et la valorisation, sur un mode opératoire, mais par d’autres processus que la mobilisation de métriques chiffrées, mène à l’hypothèse de gouvernances opérées par une instanciation des processus d’évaluation. Méthodologiquement, ce sont des « instances », c’est-à-dire des intelligences humaines explicitement organisées (instanciées), qui seront en capacité d’effectuer un travail d’évaluation (de jugement de l’utilité) et de valorisation (de monétisation notamment). Ce sont des instances, probablement collégiales, mandatées, des compétences en action qui pourront et devront évaluer, puis valoriser à l’aide de conventions et de « procédures négociées ».