31 janvier 2018

Une approche attentive à l’émergence et à l’action

Il s’agit de comprendre et expliquer l’impact des dimensions sociales (collectives, institutionnelles, structurelles, interactionnelles, culturelles, organisationnelles, techniques) sur les façons de penser (les représentations), sur les comportements (les façons d’agir) et sur les façons de structurer les modalités du vivre ensemble (morale, éthique, politique) et du travailler ensemble (relations de travail, contrats, espaces de travail).

Le domaine des sciences sociales mobilisé concerne les activités sociales finalisées sur la production de valeur ; une sociologie du travail, appliquée à un objet ; les réalités productives nouvelles et émergentes désignées par la notion de Facility Management.

Notre approche postule l’importance agissante et effective des choix individuels et collectifs notamment confrontés à divers facteurs de mutations du fait de :

  • la distance irréductible et croissante entre le travail réel et le travail prescrit,
  • la digitalisation (ou informatisation et automatisation) participant de l’accélération de l’accroissement informationnel,
  • l’intellectualisation des activités productives par l’accroissement des richesses dégageant l’homme de l’exigence d’une survie immédiate et le relai de la technologie,
  • la dématérialisation croissante des productions dont la part tangible (les biens) se heurte à la saturation et à l’environnement,
  • la servicialisation des économies au profit d’un output sur l’état des bénéficiaires de l’ordre des savoirs plutôt que l’accumulation consumériste d’objet.
  • l’exigence d’engagement subjectif au travail et d’accès à la possibilité d’une trajectoire au-delà la de jouissance d’une « place ».
  • un rapport en évolution à l’autorité et à la hiérarchie au profit de nouvelles formes de légitimité.

C’est une compréhension qui s’inscrit dans une lecture de la dynamique de civilisation (Elias) tendant à l’émergence d’une société d’individus. Elle privilégie l’approche ontologique de l’individu comme acteur, comme être d’activité, doté certes d’une rationalité limitée, mais responsable, indissociablement « social », c’est-à-dire étranger à la perspective « d’individus sans société ». Elle se focalise notamment sur les mécanismes et régularités observables de socialisation secondaire (par le travail et l’entreprise). Elle fait l’hypothèse d’une influence déterminante de la dimension organisationnelle de cette socialisation sur les comportements productifs. En cela, elle participe d’un courant qui postule la centralité du travail (au sens des activités, des situations, des enjeux d’articulation entre le professionnel et la vie personnel, entre la subordination et la tension démocratique…) comme levier d’individuation et comme vecteur de socialisation, notamment à l’aide de collectifs.

Parmi les leviers de compréhension et d’action sur les comportements, le primat est accordé aux impacts de l’organisation du travail et des activités. L’organisation est ici constituée tout à la fois :

  • de caractéristiques structurelles (bureaucratie, projet, matrice, réseaux…),
  • des modes de coordination ou de coopération
  • des choix de nature et d’intensité de la division du travail et de la répartition des activités (et tâches), horizontalement, transversalement et verticalement
  • de leviers instrumentaux, à la fois « avatars et schèmes de représentations », relevant tout à la fois de la gestion, du droit, de l’animation et du contrôle,
  • de cultures professionnelles (doctrines, codes, normes)
  • des représentations partagées au niveau des collectifs et des ensembles productifs (cultures d’entreprises, normes de groupes sur le rapport aux objectifs et à la déontique),
  • des systèmes de rétributions (monétaires, symboliques), d’évaluation et de reconnaissance,
  • des systèmes d’interactions régulant les rapports de force et de pouvoir (autorité, management, gouvernance),
  • des modalités de définitions, d’organisation et d’usages des espaces de travail :
    • Etendus, au sens du nomadisme, du travail à distance, du télétravail…,
    • Augmentés, au sens des espaces virtuels aménagés par les technologiques numériques de communication.

Loin des préventions « anti utilitaristes » que l’on retrouve dans les approches de la décroissance mais loin de la propension à la critique négative[1], c’est une approche de l’émergence. Participant explicitement d’une recherche d’efficacité, c’est une démarche d’intervention tournée vers l’action[2]. Elle est étrangère à une distinction entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Elle ne (re)connaît pas la différence entre « recherche » et « intervention ». Non seulement elle ne craint pas de « modifier le réel » par l’observation et l’expérimentation, mais elle vise une contribution à la modification du réel à l’occasion de le recherche.

 


 

[1]De Pierre Veltz, pour le colloque « Transmissions » du 05 juin 2013 à Paris. « Wolf Lepenies a souligné combien la sociologie européenne du 19ème siècle a dû trouver, difficilement, son chemin entre les sciences et les lettres. Le contexte intellectuel actuel est profondément différent, mais l’unité des sciences sociales face au bloc des sciences de la nature n’existe pas plus qu’hier. Entre sciences de la nature – où la montée de l’informatique, de la biologie et des neurosciences rebat les cartes – et prétentions positivistes et normatives de l’économie et du management, la sociologie est, de plus en plus, en situation tierce et, de facto, résiduelle. Son magistère, très relatif, mais réel, auprès d’un Etat modernisateur s’est largement évanoui. La personnalisation même de ses paradigmes, le rôle des grands hommes dans sa reconnaissance publique, sans équivalent dans les autres disciplines, sont une source de fragilité, surtout lorsque les grands hommes ont disparu. Dans cette situation difficile que le retour quasi total de la sociologie dans le giron académique n’a nullement conjuré, la défense corporatiste est une tentation, mais pas la solution. Pas plus que la revendication auto-proclamée d’être la seule discipline critique survivante dans un univers gagné par le conformisme systémique. La logique du réduit assiégé où survivent les purs est mortelle. Il convient au contraire de s’interroger sérieusement sur les raisons de cette baisse d’influence, sur ce qui dans les méthodes et les moyens de travail de la discipline pourrait fonder une légitimité nouvelle, permettre d’appréhender la complexité de la société autrement que les disciplines dites connexes, et justifier la prétention au monopole de la posture critique autrement que par une connivence avec les sphères militantes. Comment effectuer cette rénovation dans un monde devenu considérablement plus réflexif, où la révolution numérique produit en permanence des masses de données qui bouleversent totalement le contexte d’auto-analyse de la société. Entre la multiplication des cafés philos et autres rituels qui traduisent la recherche de sens d’une société saturée d’informations, et les Big Data appropriés par le monde marchand et ses gourous du marketing, comment réinventer la sociologie ? Voilà la question que la génération des baby-boomers pose à ses successeurs ».

[2] Voir Revue Savoirs Baron X.