Xavier BARON. Participation au colloque « ESS et création de valeur » du 12 décembre 2017
Les activités réunies sous le terme de facility management (FM) désignent entre 20 et 40 métiers au service des immeubles et des habitants des immeubles d’espaces de travail. Indispensables pour que tout fonctionne bien dans un bâtiment, les entreprises de ce secteur sont peu connues, mais pourtant gros employeurs. Ce secteur compte en effet 1,5M d’emplois, non délocalisables, peu automatisables, malt reconnus et soumis à des contraintes de conditions de travail difficiles et d’organisation fortes.
Dans la volonté de participer à une maturité plus grande du secteur, un consortium de recherche en sciences sociales a été signé en avril 2016. Il est coordonné par Xavier Baron. Il associe des grandes entreprises (Thales, EDF, Bolloré Logistics,…) et des PME du secteur (Génie des Lieux, Stea’O) à des chercheurs. Des recherches et des expérimentations sont lancées ou en voie d l’être sur la « mesure de la valeur des services », mais également, sur les contrats, l’innovation servicielle, les modalités de mobilisation de la main d’œuvre, la formation… Le périmètre travaillé concerne les services B to B, non B to C, et sans tenir compte par exemple des services aux collectivités locales. Ces réflexions sur la valorisation des services dans ce secteur pourront se révéler utiles pour penser la mesure d’impact dans l’ESS.
Les clients du secteur sont des entreprises désormais financiarisées. Elles fondent leur stratégie sur une volonté de recentrage sur leur cœur de métier réputé à forte valeur ajoutée. Depuis le début des années 80, elles ont externalisé progressivement l’essentiel des activités « périphériques », et notamment les services généraux, notgamment dans une perspective de réduction des coûts. Le modèle d’affaire des prestataires s’est ainsi fondé sur la volonté de leur client d’externaliser la gestion d’une main d’œuvre dont les clients ne veulent plus la gestion, quitte à surpayer pour la gestion de cette externalisation et pour la professionnalisation de cette dernière. Le secteur a vu croître de grandes entreprises prestataires, qui répondent à la demande de grands clients. Les uns et les autres constatent qu’ils sont sur une activité d’avenir, une perspective d’intégration d’activités incontournables : elles assurent le « silence des organes ».
La crise de 2008 a vu se nouer la crise de ce modèle d’affaire. Dans un contexte où l’externalisation est de plus en plus réalisée et la professionnalisation partiellement acquise, les clients ne sont plus prêts à surpayer ces services. Des seuils de réduction des coûts sont imposés dans les contrats de prestation pratiquement à chaque renouvelment de contrat. Passé un seuil, ces « progrès » sont difficilement atteignables. Dans le FM, le prix du service est à 90% composé de coût main d’œuvre, laquelle pour plus de la moitié est calé pratiquement au niveau du SMIC. Dès lors, les prestataires sont conduits à composer en supprimant les coûts liés à la formation, au management, ou en baissant la qualité du service, voire, à prendre des libertés avec les contrats et même le droit du travail. Cette pression sur les coûts condamne les prestataires à ne pas livrer (tout) ce qu’ils ont promis, ce qui entretient la défiance des clients. En résultat, toujours davantage d’appel d’offres, toujours plus de prescriptions en termes de moyens, de contrôle, de key performance indicators. In fine, un travail maltraité, avec des politiques de déflation salariale sur des populations.
Le FM est donc un secteur d’avenir, mais la crise de son modèle économique le tire vers le bas. Mal considéré, il est en risque d’abandon par les grands groupes, du fait des faibles marges et de sa complexité de gestion sociale. Face à un modèle d’affaire en crise, le secteur ne sait pas bien dire quel est son modèle économique, sa promesse de performance. Il ne sait pas bien valoriser son utilité sociale.
La difficulté est de se mettre d’accord, non sur des coûts, mais sur la valeur du service proposé : comment déterminer la valeur d’un bureau propre, de la qualité de l’accueil, d’un sourire, d’un sentiment de sécurité ? Le principal enjeu est de dépasser la définition intrinsèque des services (des prestations), vers une définition (une utilité) et vers un partage sur la pertinence des services. En effet, le service n’est pas que la mise à disposition temporaire d’un équipement ou de compétences au meilleur coût. Cette conception implique une valorisation par les coûts débouchant sur des systèmes d’achats tendus et prescriptifs, organisés autour de key performance indicators débouchant sur des contrôles et des pénalités.
Les économistes des services comme Jean Gadrey proposent ainsi une définition fonctionnelle de ces derniers, valorisant leur capacité à modifier favorablement l’état de leur bénéficiaire, ce qui n’est pas nécessairement tangible. Nous pensons que cette perspective peut nourrir l’effort visant à mieux mesurer la valeur du service. La difficulté est évidemment de mesurer l’impact utile d’une activité (comme le sourire d’une hôtesse) laissant peu de traces tangibles. Dès lors, sans renoncer à des métriques gestionnaires, le travail de valorisation ne peut reposer uniquement sur ces métriques. Il suppose des processus de valorisation co construit. En effet, on ne modifie jamais l’état d’un bénéficiaire sans sa participation : le service est lui-même toujours co-produit. La valeur servicielle est donc nécessairement coproduite et coévaluée. Des progrès sont à faire dans ce qui relève de l’enquête et probablement, de la constitution d’instances permettant l’évaluation.
Cette approche renouvelée de l’évaluation et de la mesure doit cependant aller de pair avec une stratégie d’innovation servicielle et contractuelle. Le fond du diagnostic est qu’il existe des gisements de productivité servicielle, à condition d’activer la capacité des oeuvrants à produire une pertinence dans un espace situé à un moment donné, bref, à activer des leviers de productivité serviciels et non seulement industriels. On pourrait ainsi raisonner en termes de pertinence située davantage que de simple qualité, terme dont la connotation industrielle n’est pas opératoire et tire vers l’exécution conforme de prestations normalisées. Le travail serviciel est différent de l’activité industrielle. On ne peut pas optimiser les services de la même manière que les activités portant sur des objets. On ne peut pas valorisé de la même manière des « services rendus » par un échange marchand de droit de propriété. Sa valeur résulte d’une relation de coproduction, d’où la nécessité d’innovation servicielle et contractuelle. Il est nécessaire de repenser toute l’instrumentation gestionnaire, qui conçoit la valeur comme mesure des coûts sans tenir compte de l’impact utile.