Réinventer les contrats pour un FM générateur de valeur
Xavier Baron¹ et Luc Monteil²
Les modalités actuelles de contractualisation dans le FM privilégient la référence à des Services Level Agreements (SLA) et aux KPIs³. Ces outils décrivent et dimensionnent les prestations à l’aide de délais et de fréquentiels. Ils permettent de valoriser les prestations à l’aide de coûts unitaires horaires plus ou moins standards. Conçus pour élaborer un prix et faciliter le contrôle (indicateurs, pénalités), ces outils focalisent l’accord, comme les dispositifs de pilotage, sur l’exécution conforme de prestations définies techniquement. Problème : le sens de l’activité de service (pourquoi nettoyer, pourquoi sourire ?) est oublié. La qualité d’impact comme la finalité de la relation de service (les effets sur le bénéficiaire) sont oblitérés derrière un « comment » ou un « combien », chiffrés en fréquentiels, en heures de travail et en coûts, ramenés à des ratios par mètre carré.
Le savoir change de camp
La réduction des services à la prescription de prestations définies techniquement s’adosse à l’hypothèse d’une capacité des donneurs d’ordres à définir leurs besoins réels, leurs attentes légitimes comme celles de leurs bénéficiaires dans des sites toujours spécifiques. L’expérience montre que cette capacité n’est pas effective. Elle est au contraire tendanciellement en diminution au fur et à mesure des externalisations et de la complexité croissante des enjeux de bien-être, comme de réglementation et d’extension du périmètre du FM (environnement, RSE, Property Management…). En conséquence, les contrats pâtissent d’une incomplétude irréductible, mais encore aggravée par une tendance à la standardisation, un lissage des spécificités des sites, la non-prise en compte des enjeux/opportunités des territoires…
Seuls les coûts globaux et unitaires focalisent l’attention
Si le rapport de forces favorise le « client » par le jeu des renouvellements périodiques des contrats, le donneur d’ordre est en même temps de plus en plus dépendant de l’expertise des prestataires et de la qualité de leurs compétences. Avec les outils habituels de ces contrats, les prestataires ne savent pas mieux que les donneurs d’ordre exprimer ou caractériser la finalité des contrats en termes de valeur ajoutée produite pour le donneur d’ordre.
Faute d’accord sur la valeur ajoutée et sur la manière de répartir les gains de productivité, les négociations et les contrats ne se focalisent que sur les coûts a priori. Dans le FM, ils sont très majoritairement associés aux salaires des œuvrants. Quand les prestataires sont en difficulté sur un marché, ils sont conduits à émettre des offres anormalement basses. Sur la vie du contrat, les variables d’ajustement dont ils disposent sont alors la qualité, en tension, et les conditions d’emplois et de travail (dont la qualification) de leurs œuvrants, en danger.
Réciproquement, la dépendance des donneurs d’ordres et leurs enjeux financiers renforcent leur demande de contrôle. La difficulté comme les coûts de ces contrôles nourrissent à leur tour leur méfiance. Pour garantir a priori leur intérêt, ils sont alors tentés de jouer le rapport de force et la réduction des dépenses. La défiance est ainsi durablement instaurée et alimentée par les contrats entre donneurs d’ordres et prestataires.
Des contrats qui nuisent au travail
Ces mécanismes atteignent le travail. Les enjeux de qualité et de coopération entre les techniciens et les « habitants » sont mis en invisibilité et, a fortiori, non valorisés. L’intelligence du travail, l’engagement des techniciens, la pertinence des arbitrages quotidiens sur ce qu’il convient de faire…, ne sont pas reconnus par les Key Performance Indicators et autres outils promus par les contrats.
Au-delà des tensions nées de conditions de travail toujours difficiles (horaires, pénibilité physique, isolement…), ce déficit de reconnaissance engendre une difficulté majeure de management pour la productivité servicielle attendue. Le travail réel et son impact utile sont invisibles, voire niés. Les œuvrants sont réduits à des exécutants de prestations techniques conformes à des clauses incomplètes, imprécises et pas toujours pertinentes. Les FMers sont en grande difficulté pour fidéliser, pour investir sur les compétences, pour obtenir un présentéisme satisfaisant et une qualité d’engagement de leurs salariés.
Conçus pour instrumenter un accord préalable et une capacité de contrôles d’exécution, les contrats FM sont améliorables dans les deux champs du droit concernés : le droit commercial et le droit du travail.
Innover tant sur le champ du droit que du management
Pour le FM, en droit commercial, la qualité de relation et la confiance dont le contrat est en principe le gage et l’expression, sont un actif immatériel stratégique. Les donneurs d’ordres ne sont pas concurrents des prestataires. Trop souvent, les contrats participent d’une dégradation de la qualité de relation entre des acteurs dont l’intérêt commun est pourtant de coopérer. Les pratiques et les outils, globalement valides pour l’échange de droits de propriété sur des biens tangibles, trouvent leurs limites dans la construction d’un système de production de services comme c’est le cas du FM. Pour des achats de biens tangibles, des transactions obtenues au détriment d’un profit raisonnable du fournisseur ne modifient en rien les caractéristiques, les qualités, les volumes et les usages des biens livrés. Ce qui est perdu par l’un est « gagné » par l’autre, au moins tant que la concurrence existe. Cette mécanique constitue une impasse dans la logique servicielle dont relève le FM. Tout le monde finit par y perdre. Non seulement cette mécanique met en péril le fournisseur, mais elle ne permet pas d’obtenir le résultat correspondant au consentement à la dépense. Après plusieurs cycles de baisse, le prestataire est contraint sur la durée de restaurer, ou a minima, de préserver ses marges. Il fait des impasses sur la qualité. Il est conduit in fine à maltraiter les œuvrants. Le client n’est pas dupe. Trahi, sa méfiance est renforcée. Faute de savoir reconnaître la valeur économique et la valeur d’usage des productions intangibles des services, la défiance devient le « driver » de ces contrats ; de l’exigence de réduction des coûts d’un contrat à l’autre, à toujours plus de contrôles…, jusqu’à des clauses dites « de progrès » pour capter par avance d’éventuels gains de productivité dans la durée !
Une raison de fond est que ces contrats ne sont pas réellement des contrats de prestations, encore moins des contrats de services en résultats. Ce sont souvent des contrats de « mise à disposition temporaire de main-d’œuvre » fondés sur des prix centrés sur les coûts. SLAs, KPIs, contrôles, pénalités, renégociations périodiques…, polluent les relations et stérilisent les recherches de gains de productivité. Ils ne laissent aucune place aux investissements immatériels nécessaires des deux côtés, notamment en management et en compétence. Ils omettent de réguler le partage de la valeur ajoutée supplémentaire quand elle apparaît. Les innovations servicielles et la productivité ne peuvent pourtant être que coproduites dans la relation et l’échange. Les unes comme les autres requièrent la coopération. De manière symptomatique ainsi, nous connaissons des cas où la « compliance » et le respect strict des « règles de la concurrence » servent de justifications pour refuser aux prestataires les échanges et les informations nécessaires dans les périodes de requests for informations et d’appels d’offres.
Prendre en compte la dimension servicielle dans le champ du droit
Dans le champ du droit du travail, ces contrats constituent un verrou préjudiciable, voire contre-productif pour le travail lui-même. Prescriptives sur les dimensions techniques et mesurables des prestations, les clauses ignorent la dimension servicielle, l’engagement des œuvrants, leur capacité d’intelligence et d’innovation. Tout particulièrement dans les activités de FM, du fait du rapport de subordination dans la relation salariale, la gestion et l’organisation du travail sont pris dans une contradiction. Le Donneur d’Ordres doit éviter d’interférer dans la relation de subordination entre l’œuvrant et son employeur. Il risque en principe le délit de marchandage et la requalification d’un lien salarial non souhaité. La pertinence, la qualité et la valeur ajoutée démontrée de la prestation, fondent juridiquement le recours légitime à la sous-traitance. Elles dépendent de l’intensité et de la qualité relationnelle entre les habitants des espaces de travail et les œuvrants au quotidien !
L’enjeu est ainsi dans la capacité des instrumentations contractuelles à instaurer la coopération entre œuvrants et donneurs d’ordre. C’est la condition de l’ouverture d’espaces négociés d’innovations servicielles et de gains de productivité servicielle. Il faut passer d’accords sur les coûts à des engagements de valeur ajoutée. On sait les difficultés de sa mesure. Un axe de recherche est déployé au CRDIA pour en traiter[4]. Au-delà, cela passera toujours par la qualité de l’animation managériale et la qualité des relations aux clients. Faire évoluer les conditions et le formalisme de la relation contractuelle avec les donneurs d’ordres (décideurs, acheteurs…) est également indispensable. Si le contrat ne peut pas tout, il doit cesser d’être être un frein institutionnel et formel à la confiance et à la coopération.
Vers des accords de consentement à la dépense en contrepartie d’un consentement à l’engagement
Les clauses et conditions contractuelles sont sources de droit. Il s’agit de comprendre, par un effort de recherche, comment passer de l’instrumentation d’un processus d’achat de prestations définies techniquement…, à l’instrumentation d’un accord sur une acceptation de la dépense en contrepartie d’une contribution à la performance du donneur d’ordre et à une utilité sociale d’un secteur émergent, le FM. C’est à ce prix que l’on pourra référer l’activité du FM, non à des commodités coûteuses mais nécessaires, mais aux aménités des espaces de travail comme ressource productive.
¹ Xavier Baron est chercheur intervenant, sociologue praticien et coordinateur du CRDIA,
Consortium de Recherche pour le facility management.
² Luc Monteil est directeur immobilier de Bolloré Transport & Logistics, membre de l’ADI
et membre signataire du CRDIA.
³ Key Performance Indicators
[4] N.D.L.R : cet axe fait également partie de la feuille de route 2020 du SYPEMI.