Groupe de travail « Innovation contractuelle »
L’expérience de Steam’O
Corinne Colson Lafon
Mars 2019
Le FM est un marché d’offre dont les conditions n’ont pratiquement pas changé depuis 20 ans : les clients appellent les sous-traitants de leur choix et demandent un prix pour l’exécution de tâches (gammes de maintenances, fréquentiels, heures…). C’est une équation technico-économique. Le prix est le plus souvent une « construction du passé » faite par le donneur d’ordres à partir d’éléments anciens. Les demandeurs s’adressent aux FMers[1] sur un mode systématique (3 ans généralement), comme moyen de « s’assurer qu’on est au prix ». Cela induit un biais de perception. De plus, le prix doit quasi-systématiquement être à la baisse ou maintenu par rapport à la précédente consultation.
Si la réalisation des prestations (le contrat) est pilotée dans la durée par un Responsable Technique ou Services Généraux, la consultation, elle, est le plus souvent pilotée par des acheteurs assistés de juristes. Les clauses sont « celles du client », et trop souvent se ressemblent quel que soit le marché. Les spécificités d’occupation des bâtiments ne sont que rarement prises en compte dans l’élaboration du cahier des charges.
En pratique, nous avons plusieurs contrats « en CDI[2] », avec des délais de préavis de rupture de 3 à 6 mois. Il y a de toute façon une jurisprudence qui impose un « délai raisonnable de prévenance ». De même, nous considérons que l’arme des pénalités n’est pas toujours utile, voire pas toujours utilisée à bon escient. En effet, en lieu et place de la pénalité, porteuse de défiance, le client est toujours en droit d’appliquer un avoir si une prestation n’est pas effectuée…
Sur les 50 plus gros contrats de Steam’O, 25 sont soit en CDD[3] initial mais ensuite en « renouvèlement tacite annuel », soit indéfinis sauf dénonciation avec 3 à 6 mois de préavis. 5 sont en CDI. 25 sont en CDD « ferme », parfois en « 3 ans + 1 + 1 », voire d’emblée sur 5 ans.
Quand nous recevons une consultation, les articles clés à examiner sont :
– la comparution ;
– l’objet : FM, multitechnique seul, services seuls ; avec garantie de résultats ou de moyens, ou un mix des deux ;
– la durée ;
– les clauses d’assurances (parfois excessives sur les plafonds) ;
– les pénalités.
Dans de nombreux cas, le contrat n’est évidemment ni négocié, ni négociable : il est imposé dès l’appel d’offre, on nous demande d’en parapher les pages dans le CCTP[4] ou le projet de contrat[5].
Historiquement, on est dans la défiance. Les lignes commencent cependant à bouger. On commence à mettre « plus de notes » sur la qualité, mais cela tient peut-être à notre position de challenger.
Deux points saillants ressortent des trois exemples de contrats (ou « non contrats ») présentés ci-après[6] : deux exemples où la prestation comprend une forte dimension de conseil, notamment au démarrage, et le troisième où le marché était à bon de commande, sans contrat.
Deux cas dans lesquels les prestations comprennent du conseil : un industriel de la chimie et la filiale d’un groupe qui déménage.
A chaque fois, l’innovation nait d’une rencontre avec un dirigeant, qui a une « vraie problématique à résoudre ». Nous ne sommes pas alors dans une relation de sous-traitance. Le juridique ou les achats interviennent après l’expression d’une intention claire. Cela fonctionne aussi parce que ce président ou ce directeur général sait que son interlocuteur est, comme lui, en pleine capacité de décision.
Dans le cas de l’industriel de la chimie, le donneur d’ordre souhaitait rompre avec un certain nombre de pratiques qui ne lui permettaient plus d’avoir de visibilité sur la réalité des process dans son usine. Il s’est passé un deal : « Si vous voulez que je vous aide, il faut de la confiance. Vous me dites ce que cela vous coûte aujourd’hui, je fais un diagnostic ». Dans ce contrat, les exigences étaient les suivantes :
- ne pas dépasser le coût donné par le client ;
- reprendre certains des personnels qui œuvraient sur les installations, pour garantir les compétences pointues liées à ce site ;
- aider les équipes du client en charge de la maintenance ;
- constituer une nouvelle équipe ;
- faire notre affaire de la gestion des autres sous-traitants.
La prestation a démarré par un diagnostic organisationnel, économique et technique, bien sûr dans le cadre de la compréhension fine de la stratégie de développement voulue par l’industriel pour son usine. Ce type de prestation est très risqué pour les parties. Le donneur d’ordre se demande si le prestataire sera en mesure de réaliser ce qu’il attend et le prestataire se demande s’il y aura un retour sur investissement. Aussi, nous avons spontanément calé le contrat sur 5 ans, en prenant en compte ces investissements, plus le fait que nous n’avons pas « vendu » la prestation de diagnostic conseil initial, seulement l’opérationnel. D’où un contrat peu prolixe, peut-être parce qu’il porte sur du conseil qui nécessite une relation de confiance[7] !
La relation s’est mise en place sur la base d’une convention en 4 articles, durée 5 ans en costs plus fees, en totale transparence des coûts, y compris un plan de progrès prévoyant du 50/50 sur les fees.
On était au point l’année suivante, confirmé par un audit. Nous avons ensuite rédigé le contrat formel voulu par les juristes de l’entreprise, contrat que l’on n’a jamais rouvert ! Et pourtant, nous avons modulé la charge des équipes, revu régulièrement les objectifs, repris des activités avec des investissements…
Discussion
Un tel contrat pourrait-il être transposable dans un contexte classique ? En quoi l’absence de contrat a facilité le pilotage des équipes ? Cette absence de contrat ressemble à une convention d’engagement, on sort du contrat de sous-traitance classique ?
Le document bref permet de sceller un pari qui contient une grande dimension intuitu personae propre à un contrat portant sur du conseil. En effet, le client avait un besoin de conseil et d’accompagnement et pas seulement un besoin d’achat de commodités. Le dirigeant de cette usine n’aurait pas eu cette démarche s’il n’avait pas eu un problème, et ce problème c’était une exigence de rupture. L’absence de contrat conduit à co-construire la relation. Autrement dit, il faut « manager » la relation, modifier les annexes. Mais les directions des achats s’opposent à ce type de fonctionnement (trop d’incertitudes pour eux ?). D’ailleurs souvent les cahiers des charges doivent être retraduits pour les équipes opérationnelles.
Dans un deuxième exemple, déménagement d’une filiale d’un groupe américain, il y a eu aussi une « convention d’engagement », suivie d’un contrat classique 18 mois plus tard, pour un marché annuel de près d’un million d’€. Là, encore, la convention d’engagement a été passée en 4 articles, sur une durée de 7 ans. Le processus achat a été démarré classiquement puis le directeur général a fait stopper la démarche, car il avait fait son choix de partenaire. Comprenant que la conclusion du contrat serait longue compte tenu de la complexité du marché et du nombre de prestations couvertes, j’ai proposé de démarrer sur la convention d’engagement : ensuite, comme dans le cas précédent nous avons dû formaliser un contrat en mobilisant les juristes.
Ce n’est pas une affaire de style. Dans le premier cas, le patron est « intuitif » et très rapide dans ses prises de décisions. Dans le second cas, c’est un dirigeant plus « analytique », mais qui avait besoin d’assurer la paix sociale, de gérer un déménagement, de reprendre la maîtrise de ses coûts (qu’il avait perdue), et donc de garantir le choix d’un « partenaire de confiance », au-delà du simple choix d’un prestataire. Ce marché était marqué par une grande confiance réciproque : tous les paramètres économiques étaient dévoilés (facturation à partir d’un coefficient sur achat, donc hors forfait).
Discussion
Dans les deux exemples, le dirigeant du donneur d’ordre s’affranchit des règles internes concernant la passation des marchés. Ce n’est évidemment pas le cas de tous les marchés. Certains prestataires veulent aussi que les choses soient « carrées ». C’est contradictoire. Quand c’est carré c’est confortable (pas de surprise). Certains gros prestataires se sont d’ailleurs organisés pour s’adapter à ce type de marché. Tout est automatisé des deux côtés. Aucune nécessité d’adaptation, aucune dimension de conseil.
Un participant remarque que les plus gros prestataires pourraient ne plus être capables de répondre à des appels d’offres qui évolueraient dans ce sens (dimension de conseil) car ils ont fait de la croissance en se massifiant. Ils ne pourraient donc pas être disruptifs. D’ailleurs Steam’O, petit opérateur, n’essaie-t-il pas de se placer et de développer ce type de marché disruptif pour gagner des parts économiques en proposant un autre type d’offre et en suscitant de nouveaux besoins dans un contexte qui a été « fabriqué » par et au profit des gros opérateurs ? A mettre en rapport avec le cas Copernic 2[8] sur les prestations de niveau 5 mais sur des aspects de conseil technique, alors que Steam’O a expérimenté une sorte de conseil en organisation
Est-ce que Steam’O est « remonté » dans la chaîne de valeur, est-ce que cela leur a fait gagner plus d’argent, ont-ils dû recruter des salariés avec un niveau d’expertise de type « conseil » ?
Nous restons un FMer intégré œuvrant et qui souhaite aussi apporter de la valeur ajoutée de pilotage et d’accompagnement au client. Donc si en effet nous avons une petite part de dimension de conseil dans notre posture client, nous ne sommes néanmoins pas des consultants.
Un autre point crucial est l’échange d’information lors de la construction de l’offre. Pour faire une offre de conseil le prestataire doit recevoir des données précises et complètes. La phase préparatoire est très importante. Les clients en général ont du mal à donner des éléments de couts quand ils cherchent à challenger leur prestataire ou à en changer. Ils cherchent en effet toujours un prix le plus bas, donc, ils ne peuvent pas penser qu’en donnant leurs couts, nos offres seront aussi compétitives que possible… De plus, malheureusement, les notions de plans de progrès restent encore trop perçues comme un simple -x% par an… alors qu’un plan de progrès bien conçu et équilibré permettrait de changer l’angle d’approche de la relation et l’amener à se transformer en co-construction.
Troisième exemple : ce client, en dessous d’un million d’euros (full FM), à l’issue d’une consultation, décide du prestataire mais ne veut pas formaliser un contrat.
Le bon de commande constitue un contrat suffisant et ce bon se réfère à un cahier des charges (pas forcément signé). « Tout était dans l’appel d’offre ». De plus, pas besoin de réécrire ce qui est déjà dans la loi. D’ailleurs Steam’O ne sait plus très bien ce qui est écrit dans le bon de commande, ni dans les annexes… puisque ce sont les annexes des documents de consultation, très opérationnelles, qui décrivent un mix entre les « moyens à mettre en œuvre » et « les attendus » de la prestation.
Ce type de marché nécessite un suivi réciproque du contrat et du contenu des prestations : il faut faire vivre le contrat et donc le manager. Ce type de prestation nécessite un apprentissage pour connaître et pratiquer le contexte.
La question est soulevée de savoir ce qui se passe en cas de conflit : problème probatoire si les parties portent l’affaire en justice. Or les tribunaux de commerce aiment bien les contrats car ils permettent de connaître l’étendue de l’engagement réciproque des parties. Les enjeux financiers sont importants, avec parfois un retard de paiement équivalent à plusieurs années.
Discussion
Les contrats ne sont ni des outils de gestion opérationnelle (on trouve ce qu’il faut dans les CCTP) ni des outils de communication. Il faut souvent en faire ensuite la pédagogie aux équipes. Les acheteurs doivent comparer des choses qui ne sont pas comparables !
Il y aurait bien besoin d’une période probatoire, de 6 mois par exemple, en aval de la signature. Ces contrats sont bâtis sur un mythe, l’idée que l’on peut réunir et maîtriser les données et les processus a priori. Même des taux d’utilisation ou de disponibilité dépendent de bien des choses et ne valent pas « en soi ».
Comment le prestataire peut-il réduire l’angoisse du client ? Souvent, pour nous prestataires, l’exigence d’un plan de progrès de x% par an, se traduit par une remise (que l’on n’a pas d’autre choix de que provisionner : si les moyens sont définis et les couts unitaires aussi, alors comment baisser le prix si on ne peut changer ni l’un ni l’autre ?).
Le CDI est une tendance « émergente et vertueuse », autant pour le prestataire que pour le client. Il faudrait alors, en référence à la biologie et aux neurosciences, viser des systèmes autopoïétiques[9]. Ce type de marché peut être à durée indéterminée. Le prestataire doit alors être au taquet tout le temps (pas de rattrapage de coût établi à l’avance comme dans un CDD). Mais dans un CDI le donneur d’ordre ne perçoit pas toujours le rapport prix/performance, il sait combien il paye sans vraiment savoir ce qu’il achète. Les métiers du FM ne sont pas considérés à la hauteur de leur valeur technique comme dans d’autres métiers. Et ce n’est pas non plus une filière comme le nucléaire ou l’aéronautique.
Quoiqu’il en soit il faut un choc de simplification des clauses. Les contrats volumineux contiennent des clauses qui ne servent à rien car ils sont issus d’un modèle qui ne reflète pas la réalité de la volonté des parties. On fait du « prêt à porter » juridique là où il faudrait du « sur mesure ».
[1] Opérateurs de Facility Management
[2] Contrat à durée indéterminée
[3] Contrat à durée déterminée
[4] Cahier des Clauses Techniques Particulières
[5] On se rapprocherait ainsi du champ du contrat d’adhésion ?
[6] On ne connait pas de cas de « non contrat » sur des prestations multi techniques
[7] On n’écrit pas un contrat de 400 pages quand va voir son médecin ou son avocat
[8] Contrat FM de Thales (qui sera présenté dans un prochain numéro des Cahiers, N.D.L.R)
[9] Autopoïèse : propriété d’un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, de maintenir son organisation malgré le changement de composants