1 décembre 2022

CAHIER 21 – Document 2

Arguments et freins pour les salariés d’un retour au travail dans leur immeuble de bureau dans 5 aires métropolitaines internationales

Alain d’Iribane* / Les Cahiers du CRDIA

*Directeur de recherche au CNRS et président du Conseil scientifique de l’Observatoire de la qualité de la vie au bureau (ACTINEO) iribarne@msh-paris.fr

Diffusé le 06/12/2022, avec le soutien de l’ARSEG et du SYPEMI 

Les facteurs favorables au retour au travail dans son immeuble de bureau

Plusieurs dimensions, en apparence hétéroclites, constituent les pièces d’un puzzle qui se combinent pour constituer un tableau, exigeant pour ceux qui veulent réussir sa mise en œuvre. Une partie de ces pièces relève de l’immobilier et de la qualité de ses aménagements. Répondant plus ou moins aux attentes des usagers, l’immeuble de bureau devient un lieu de vie tout autant qu’un lieu de travail. Une autre partie relève des perspectives d’usages, sachant que l’ensemble est soumis à la volonté de convenablement séparer vie privée et vie professionnelle.

 

Une répartition des lieux qui permet de bien marquer la frontière du travail et de la vie privée, pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

 

À la question : Je fais le maximum pour préserver des frontières très marquées entre mon travail et ma vie privée, 86 % des actifs ont répondu qu’ils étaient d’accord, dont 33 % tout à fait d’accord. Par son importance, cette dimension va jouer un rôle directeur dans le choix des lieux de travail. Cependant, on constate des écarts importants, en particulier entre le Grand Paris qui décroche fortement avec 68 % d’accord et 21 % tout à fait d’accord, et le GAFA Land avec 88 % d’accord et 38 % tout à fait d’accord. Entre ces deux extrêmes, s’invite Singapour, avec respectivement 81 % et 21 %.

 

À la question : J’aimerais avoir un meilleur équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle, 79 % des actifs ont répondu qu’ils étaient d’accord, dont 30 % tout à fait d’accord, ce qui est également considérable. L’intéressant ici est à nouveau le contraste entre le Grand Paris qui se positionne en dessous de la moyenne (74 % d’accord et 21 % tout à fait d’accord) et le GAFA land qui se positionne nettement au-dessus (87 % d’accord et 47% tout à fait d’accord), l’écart le plus fort étant sur le tout à fait d’accord. Cela signifie à nouveau que ce facteur sera moins moteur pour les actifs du Grand Paris que pour les autres et singulièrement pour ceux du GAFA Land.

 

Les attentes marquées d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et aussi de frontières entre travail et vie privée, jouent en faveur des immeubles de bureau car rien de tel que l’immeuble de bureau pour marquer cette frontière. Or, ce sont les actifs du Grand Paris qui expriment le moins fortement cette recherche de séparation entre vie privée et vie professionnelle. Ces derniers gèrent mieux cette séparation et/ou acceptent une plus grande porosité entre vie privée et vie professionnelle, et seront moins pressés que les autres actifs de revenir au bureau.

 

Un immeuble de bureau situé dans un environnement attractif

 

Il ressort de l’enquête que les éléments importants de l’attractivité de la vie au bureau sont l’emplacement de l’immeuble de bureau, la qualité du bâtiment et la qualité du quartier où se trouve cet immeuble. Ainsi, à la question : Quel degré d’importance a selon vous (…} pour votre qualité de vie au travail, la qualité du quartier où se trouve mon lieu de travail, 85 % des actifs ont répondu que c’était important, dont 30 %, très important.  Le Grand Paris est dans la moyenne alors que les actifs du GAFA Land sont 41 % à estimer que c’est très important, ainsi que ceux du Grand Londres (35 %), par opposition à ceux du Randstad, ce qui pourrait s’expliquer par la grande qualité urbanistique des quartiers d’affaires dans le Randstad.

 

De même, les actifs accordent de l’importance à la qualité du bâtiment où se trouve [leur] lieu principal de travail (89 % important, dont 35 % très important). Cela confirme à quel point la qualité des bâtiments constitue une variable clé dans le choix des lieux de travail. Le peu d’intérêt relatif des actifs franciliens et singapouriens qui restent proches de la moyenne, par comparaison avec ceux du Randstad (92 % important) et encore plus du Grand Londres (39 % très important contre 35 % en moyenne) et du GAFA Land (48 % très important contre 35 % en moyenne), peut s’expliquer par la différence de qualité de l’architecture et de l’aménagement intérieur des immeubles de bureau.

 

Éléments qui contribuent le plus à créer un lieu de travail de qualité

Les éléments qui contribuent le plus …

Moyenne

Le plus

Le moins

A la concentration individuelle

des espaces ou des équipements       pour se concentrer, être au calme

42 %

Paris 46 %

GAFA 33 %

Londres 37 %

Au travail en équipe

des espaces ou équipements pour faciliter le travail d’équipe, la collaboration avec les autres 

32 %

 

Londres 28 %

Au bien-être 

une conception permettant une hygiène parfaite

33 %

  

la présence de la nature

30 %

 

Singapour 25 %

des espaces ou équipements pour se reposer

22 %

Paris 27 %

Randstad 17 %

des espaces ou équipements pour jouer, s’amuser

14 %

  

À la durabilité 

une conception écologique

26 %

Londres 33 %

GAFA 30 %

Singapour 30 %

Paris 18 % Randstad 16 %

des solutions encourageant les comportements éthiques et écologiques

21 %

GAFA 26 %

Randstad 17 %

À la créativité 

des espaces ou équipements pour encourager la créativité

21 %

Londres 25 %

Paris 16 %

À la décoration 

personnalisée et adaptée aux besoins de l’équipement

16 %

  

qui reflète la culture et les valeurs de l’entreprise / de l’organisation

14 %

  

originale et surprenante

13 %

Randstad 16 %

Singapour 9 %

Source : Enquête internationale ACTINEO 2021

 

Un lieu de travail de qualité

 

Pour cerner les éléments constitutifs d’un lieu de travail de qualité, nous avons fait réagir les actifs sur douze items portant sur la qualité de l’environnement de travail. Avec ces éléments, nous avons constitué une grille qui nous a permis de disposer d’un outil d’évaluation de la qualité des lieux de travail pour les actifs et, avec cette grille, nous avons pu mettre en concurrence tous les lieux constitutifs des espaces de travail : les immeubles de bureau, le domicile et les tiers-lieux.

 

Ainsi, plus le domicile aura une qualité élevée, plus les actifs auront envie d’y travailler et seront exigeants vis-à-vis de l’immeuble de bureau qui leur sera proposé[1]. De même, en fonction des rapports de force sur le marché du travail, les salariés vont choisir l’entreprise dans laquelle ils souhaitent travailler en se basant, certes, sur la qualité de l’immeuble de bureau, mais aussi sur la qualité de l’ensemble des lieux constitutifs de l’espace de travail dont ils pourront disposer. Cela est vrai pour tous les actifs travaillant dans les bureaux. Cela est bien évidemment encore plus vrai pour les « jeunes talents » que les entreprises souhaitent attirer et retenir dans le cadre de la « marque employeur ». Dès lors, cet enjeu est particulièrement important dans la conjoncture actuelle marquée par de fortes tensions de recrutement et de pénurie de compétences[2].

 

La hiérarchie des éléments qui contribuent à la qualité de vie au travail (la « moyenne »)

 

La hiérarchie des éléments qui, selon les actifs, contribuent le plus à la qualité de vie au travail témoigne de la complexité de la conception des espaces de travail. Les facteurs constitutifs de la qualité du lieu de travail ont une valeur décroissante, à mesure qu’on passe de la capacité à pouvoir se concentrer, à la qualité de la décoration, en passant par la possibilité de travailler en équipe, aux éléments contribuant au bien-être, au développement durable et enfin à la créativité.

Ce sont en effet les espaces ou des équipements pour se concentrer, être au calme qui l’emportent avec 42 %, loin devant un trio constitué par une conception permettant une hygiène parfaite (33 %), ce rang traduisant indubitablement l’effet de la pandémie, les espaces ou les équipements pour faciliter le travail d’équipe et la collaboration avec les autres (32 %), et en troisième rang la présence de la nature (30 %) qui s’invite au même titre que l’hygiène à un rang particulièrement élevé.

À l’inverse, en queue de classement, avec respectivement 16 %, 14 % et 13 %, on trouve les trois composantes de la décoration — que l’on peut personnaliser, adapter aux besoins de son équipe, qui reflète la culture et les valeurs de l’entreprise/de l’organisation ainsi qu’originale et surprenante —, ce qui est un peu décevant si on considère que la qualité de l’aménagement, au sens de la décoration, de l’ambiance, fait partie de la qualité d’un lieu de vie. En queue de classement, avec 14 %, les espaces ou les équipements pour jouer, s’amuser, un comble, alors que ces derniers sont souvent présentés comme un « must » de l’immeuble de bureau un peu tendance ! 

Avec cette hiérarchie des priorités, on perçoit l’espace de travail idéal : les fondamentaux, le basique, jusqu’au supplément d’âme. Ce supplément d’âme devra être pris en compte par les employeurs s’ils souhaitent attirer les talents, et notamment des profils singuliers préoccupés par la protection de la planète et de la nature. De même, il ne leur échappera pas le peu d’intérêt accordé aux espaces pour jouer ou s’amuser ! Le baby-foot deviendrait un équipement de niche. Avec la généralisation du télétravail à domicile, l’aménagement des immeubles de bureau devra en priorité porter sur le travail collectif et la créativité — le travail individuel étant secondaire et déplacé à domicile — tout en mettant l’accent sur le bien-être et la durabilité.

 

 Analyse comparée des réponses suivant les aires métropolitaines

 

Les Franciliens, à 46 % contre 42 % pour la moyenne, sont ceux qui sont les plus attachés aux espaces et équipements pour se concentrer et être au calme. À 27,5 % contre 22 %, les Franciliens apprécient également les espaces pour se reposer (fauteuils massants, salles de sieste…). En revanche, à 18 % contre 26 %, ils expriment un intérêt moindre pour la conception écologique de l’immeuble de bureau et ne mettent pas en priorité les espaces et équipements encourageant la créativité (16 % contre 21 %).

Dès lors, on peut conjecturer que les Franciliens – surtout s’ils sont cadres ou s’ils appartiennent aux professions intellectuelles, scientifiques et artistiques, n’auront pas très envie d’aller travailler dans leur immeuble de bureau, sauf à y passer un jour ou deux par semaine, pour rencontrer les collègues et saluer la hiérarchie, avec une préférence pour les espaces informels et les lounges, dont toutes les enquêtes antérieures d’ACTINEO ont montré l’importance croissante.

 

Les Londoniens ont des inclinaisons inverses de celles des Parisiens, avec un moindre intérêt pour ce qui permet de se concentrer et travailler au calme (37 % contre 46 % pour Paris) et manifestent plus d’intérêt (33,5 % contre 18 % pour les Parisiens) pour la conception écologique de l’immeuble de bureau ainsi que pour les espaces favorisant la créativité (25 % contre 16 % pour les Parisiens). Il y a là une certaine cohérence avec ce que l’on sait du poids des open spaces dans les immeubles de bureau anglais et leur forte acceptation, tandis que le souhait du tout télétravail à domicile est relativement faible.

 

Les actifs du GAFA Land se rapprochent du Grand Londres, n’appelant pas en priorité à la possibilité de se concentrer et d’être au calme (33 % contre 42 % en moyenne). Idem avec 30 % des actifs qui souhaitent un espace de travail respectueux de la planète, tandis qu’avec 26 % contre 20,5 %, ce sont les actifs du GAFA Land qui souhaitent le plus travailler dans une entreprise encourageant les comportements éthiques et écologiques de ses utilisateurs. Ces souhaits sont en cohérence avec le modèle de croissance porté par les écologistes de la côte ouest américaine.

 

Les actifs du Randstad se distinguent de tous les autres par le moindre intérêt qu’ils portent à la conception écologique de l’immeuble de bureau (16 % contre 26 %), aux équipements et espaces pour se reposer (17 % contre 22 %) et à ce qui peut encourager les comportements éthiques et écologiques des utilisateurs (17 % contre 20,5 %). Avec 16 % contre 13 %, ils sont en revanche les seuls à accorder une plus grande importance à la décoration originale et surprenante. Il est vrai que les Hollandais bénéficient depuis longtemps, et plus largement que les autres, d’immeubles de bureau de grande qualité d’aménagement intérieur et de décoration, et que le standard est donc élevé sur ce point dans ce pays.

 

Les Singapouriens se distinguent de ceux des autres aires, avec 25 % contre 30 %, par la présence de la nature dans leurs bureaux, de même par leur attrait pour une décoration originale (9 % contre 16 %). Avec 30 %, ils souhaitent toutefois travailler dans un immeuble dont la conception est écologique, ce qui peut s’expliquer par l’influence de la politique publique de la Cité-État en matière de préservation de la nature.      

 

 Venir dans son immeuble de bureau : pour quelles raisons ?

 

Pourquoi les actifs continueraient-ils à venir travailler dans leur immeuble de bureau compte tenu de leur souhait de télétravailler à domicile, et accessoirement dans des tiers-lieux de proximité ?

En effet, on a vu que le domicile pourrait devenir un lieu de travail à part entière avec deux jours et plus (63 %) de télétravail, et même le lieu principal de travail, avec une pratique de quatre jours et plus (26 %). C’est pour cette raison que nous avons posé la question : Aujourd’hui, de plus en plus de personnes ont la possibilité de travailler depuis leur domicile. Selon vous, venir sur un lieu de travail plutôt que de travailler chez soi, cela permet avant tout… avec une liste d’items afin de cerner les diverses facettes de la vie au bureau[3]

 

Les différentes raisons de revenir au bureau (en « moyenne »)

 

L’échange informel apparait clairement dans les réponses, comme la principale raison pour venir au bureau plutôt que de travailler chez soi : des moments d’échange informel et de convivialité avec ses collègues, 41 % ; des échanges informels avec son management, 26 %, et la prise de connaissance d’informations officieuses, 21 %. Ainsi, en confirmation de ce qui est généralement dit, et dans la perspective d’une pratique massive de télétravail à domicile et accessoirement dans un tiers-lieu, la vertu principale de l’immeuble de bureau de référence sera, à travers ces échanges informels, d’être un lieu de socialisation et de vie collective autour d’un projet commun. 

 

Cependant, si on considère les 10,5 % des répondants qui estiment qu’on peut très bien travailler entièrement à distance, et si on garde en mémoire les 7 % des actifs qui déclarent ne pas pouvoir télétravailler ainsi que les 8 % qui déclarent ne pas vouloir pratiquer le télétravail à domicile et les 22 % qui déclarent ne pas vouloir travailler à leur domicile plus d’un jour par semaine, il y a donc 37 % d’actifs pour qui l’immeuble de bureau serait le lieu principal de travail. Ceci explique probablement pourquoi, dans la hiérarchie des motivations à revenir au bureau, on trouve en deuxième rang, la possibilité de disposer d’un espace réservé au travail que l’on peut clairement séparer de la vie privée (39 %), en troisième le fait qu’il permet des conversations professionnelles plus efficaces (34 %), et en quatrième position un espace parfaitement adapté à son travail (33 %).

 

Ces résultats confirment qu’un nombre significatif d’actifs attendent de leur immeuble de bureau qu’il garde les attributs de base d’un immeuble de bureau classique qui permet de bien séparer sa vie privée de sa vie professionnelle mais aussi qu’il propose des espaces ergonomiques adaptés au travail. On notera enfin que, pour les actifs, les services tels que crèche et conciergerie apparaissent moins essentiels que le reste, alors que ces équipements sont souvent présentés comme un atout pour l’attractivité, singulièrement des jeunes talents.

 

Pourquoi continuer à venir travailler au bureau ?

Travailler au bureau permet avant tout d’avoir :

Moyenne

Le plus

Le moins

Des moments d’échange informel et de convivialité avec ses collègues

41 %

Paris 45%

 

Un espace réservé au travail que l’on peut clairement séparer de la vie privée

39 %

GAFA 47 %

Singapour 45 %

Paris 32 %

Des conversations professionnelles plus efficaces

34 %

 

Randstad 25 %

Un espace parfaitement adapté à votre travail (chaise ergonomique, imprimante…) 

33 %

  

Des échanges informels avec son management

26 %

Londres 30 %

 

Des informations officieuses sur ce qui se passe dans l’entreprise ou l’organisation

21 %

 

Randstad 18 %

Des accès aux services sur le lieu de travail (crèche, conciergerie…)

18 %

Singapour 24 %

Paris 14 %

Rien de tout cela : on peut très bien travailler entièrement à distance 

10,5 %

  

Source : Enquête internationale ACTINEO 2021

 

Les différentes raisons, d’une aire métropolitaine à une autre

 

Le Grand Paris se distingue de tous les autres par son intérêt plus fort à la socialisation (45 % contre 41 %), et un intérêt moins fort pour la délimitation de la frontière vie privée/vie professionnelle (32,5 % contre 39 %). Les Franciliens s’opposent aux actifs du GAFA Land (47 %), ainsi qu’aux actifs de Singapour (45 %), qui accordent plus d’intérêt à la séparation vie privée/vie professionnelle. À Singapour, on est sensible aux services sur les lieux de travail (24 %).

 

Le Grand Londres accorde une importance plus grande à la possibilité d’avoir des conversations informelles avec la direction (30 %). La grande originalité du Randstad est que ses actifs accordent un intérêt moindre à bon nombre des dimensions retenues : la séparation vie privée/vie professionnelle (32 %) ; l’efficacité des conversations professionnelles (25 %) ; les espaces parfaitement adaptés (21 %) et les informations officieuses (18 %), tout en restant dans la moyenne pour les autres dimensions.           

 

Le principal frein au retour au travail dans son immeuble de bureau :

les pratiques de management

 

Si le travail hybride se développe en s’appuyant sur les espaces multi-lieux que nous avons retenus comme référence pour nos analyses (immeuble de bureau, domicile et tiers-lieux/espaces de coworking), il apparaît clairement que le choix des styles de management sera déterminant pour réussir la triple efficience sociale, économique et environnementale qui s’impose aux entreprises et autres organisations productives.

 

Pour aborder la question du type de management comme frein possible au développement du télétravail à domicile, nous avons pris en compte deux dimensions : le niveau de liberté dans l’organisation du travail et l’atmosphère de travail. Nous les avons retenus car les actifs travaillant dans les bureaux y sont particulièrement sensibles, en particulier les jeunes générations.

 

Le niveau de liberté dans l’organisation du travail

 

Pour ce qui est de la liberté laissée aux collaborateurs pour s’organiser, les entreprises et organisations du Grand Paris se retrouvent nettement à la traîne, à égalité avec Singapour.  Singapour fait moins bien que Paris pour ce qui est du travail dans une atmosphère détendue et informelle. À la différence du Randstad et surtout du GAFA Land, le Grand Londres se trouvant dans une situation intermédiaire.

 

Niveau de liberté dans l’organisation de son travail (tout à fait d’accord)

Aires métropolitaines

Travail dans une atmosphère détendue et informelle

Dans mon travail je suis libre de m’organiser pour atteindre les objectifs qu’on m’a donnés

Singapour

20 %

21 %

Paris

23%

21 %

Londres

27 %

26 %

Randstad

31,5 %

28,5 %

GAFA Land

33,5 %

35 %

Source : Enquête internationale ACTINEO 2021

 

Ainsi, si on considère que la liberté de s’organiser constitue une composante indispensable à la réussite d’une organisation du travail multi-lieux, et qu’en corollaire l’immeuble de bureau est appelé à devenir le lieu privilégié de relations sociales détendues et informelles, on peut légitimement penser que le mode de management dominant actuel en France sera un obstacle sérieux à cette évolution.

La place accordée à la hiérarchie, au mode de travail collectif et au fonctionnement informel

Il a semblé intéressant de questionner les actifs sur ces trois dimensions qui, prises conjointement, conditionnent en bonne partie l’atmosphère du travail au bureau.

 

L’importance du respect de la hiérarchie

 

À la question : Au travail, respecter la hiérarchie est très important, 87 % des actifs ont répondu qu’ils étaient d’accord, dont 32 % tout à fait, ce qui montre que l’ordre traditionnel relié à la verticalité du pouvoir est loin d’être dépassé. Au regard de ce l’on connaît de l’ordre social asiatique, nous ne sommes pas surpris de voir apparaître Singapour en tête avec 93 % de total d’accord.

On peut avoir la même vision en considérant que les 90 % total d’accord exprimés par les actifs du Grand Londres, sont le reflet du conservatisme de la société londonienne et tout particulièrement de la City.

Il en va différemment pour les actifs du GAFA Land pour lesquels on aurait présupposé une beaucoup plus grande liberté par rapport au respect de cette verticalité, alors que ce sont eux qui adhèrent le plus au respect de la hiérarchie, avec 46 % de tout à fait d’accord !

 

La place accordée à la prise en commun des décisions

 

Avec la question : Dans mon travail, les décisions sont prises en commun, en consultant les différents membres de l’équipe, on a voulu tester l’existence de la collégialité de fonctionnement dans les prises de décision.

Au regard de la question précédente sur la hiérarchie, et de celle sur la prise en commun des décisions, le niveau élevé des actifs qui sont d’accord avec le fait que les décisions sont bien prises en commun (80 % dont 26 % tout à fait d’accord) montre qu’il y aurait donc un modèle dominant, qui associe le respect de la hiérarchie à une certaine collégialité de la prise de décision, ce qui n’est pas une vision courante, ces deux dimensions étant plus souvent considérées comme antagonistes que complémentaires.

Sur cette vision de complémentarité entre hiérarchie et prise en commun des décisions, Singapour est au-dessus de la moyenne avec 83 % d’accord et le GAFA Land avec 36 % de tout à fait d’accord. L’intéressant ici, est que le Grand Paris est la seule aire métropolitaine à être inférieure à la moyenne, aussi bien en total accord (69 %), qu’en tout à fait d’accord avec seulement 17 %, ce qui signifie que c’est dans le Grand Paris que la distance est la plus forte avec la pratique de management participative.

 

La possibilité de travailler dans une ambiance détendue et informelle

 

Avec la question : Je travaille dans une ambiance détendue et informelle, nous nous sommes intéressés à une façon de vivre ensemble qui est en relation directe avec l’attractivité des immeubles de bureaux. En moyenne, 78 % sont d’accord et 26 % le sont tout à fait.

Cela montre que l’ambiance détendue, facteur de convivialité, n’est pas au rendez-vous dans les bureaux, alors que le besoin de convivialité est la principale raison invoquée pour revenir un nombre significatif de jours au bureau : trois jours ou plus. La mise en œuvre dans les bureaux de tout ce qui pourrait concourir à une ambiance détendue et informelle, devra demander un important effort managérial.

Si on compare les cinq métropoles, le Randstad se trouve au-dessus de la moyenne, aussi bien en d’accord (85 %) qu’en tout à fait d’accord (32 %), et surtout le GAFA Land qui, comme on pouvait s’y attendre compte tenu de nos représentations, fait mieux avec le tout à fait d’accord (34 %).

Nos représentations nous conduisent à ne pas être surpris par la situation en dessous de la moyenne de Singapour et du Grand Paris, avec respectivement 20 % et 23 % de réponses tout à fait d’accord.

On voit combien les pratiques managériales dominantes dans les entreprises et administrations publiques françaises seront amenées à opérer une véritable révolution culturelle si elles entendent pratiquer le télétravail à grande échelle. 

 

Conclusion : Pourquoi revenir travailler dans son immeuble de bureau lors du retour à la normale, après la pandémie ?

 

On assiste ainsi à la mise en œuvre de grands mouvements qui, à des degrés et sous des formes diverses, se retrouvent dans les cinq aires métropolitaines, suivant leurs morphologies et leurs caractéristiques sociétales.

Par opposition au GAFA Land, c’est dans le Grand Paris qu’un retour dans son immeuble de bureau devrait probablement être le moins problématique, en raison d’une plus forte prégnance de l’immeuble de bureau, aussi bien dans la morphologie des espaces de travail existants et fréquentés que dans les souhaits exprimés par les actifs franciliens. Sans oublier la prégnance du télétravail intensif au domicile, qui dans le Grand Paris, est la plus faible des 5 métropoles.

 

Une telle perspective devrait faciliter la vie de nos entreprises et autres organisations productives, qui seraient moins contraintes que les autres à faire évoluer drastiquement leurs pratiques de gestion, pourtant peu en pointe. Mais cela ne veut pas dire que pour satisfaire leurs collaborateurs, en particulier en matière de qualité de vie au travail, les entreprises n’auront pas de gros efforts à faire, aussi bien dans l’organisation du travail et des espaces, que dans les pratiques de management. On a pu constater, dans le baromètre ACTINEO 2019, combien les actifs étaient insatisfaits de leurs espaces de travail dans leur immeuble de bureau et estimaient que les aménagements s’étaient détériorés, mais aussi combien ils jugeaient que leur employeur ne se préoccupait pas de leur bien-être au travail.

 

2019 : bien-être au travail et qualité des espaces de travail

dans son immeuble de bureau en France

  • 22 % des actifs travaillant dans un bureau jugent leur lieu de travail très bien adapté à leurs besoins ;
  • 36 % des actifs travaillant dans un bureau sont insatisfaits de leur lieu de travail dans leur immeuble de bureau ;
  • 66 % des insatisfaits estiment que leur lieu de travail n’est pas adapté à leurs besoins   ;
  • 52 % estiment que leur lieu de travail dans leur immeuble de bureau s’est détérioré ces dernières années ;
  • 37 % d’actifs travaillant dans un bureau pensent que leur employeur ne se préoccupe pas de leur bien-être au travail.

Source : Baromètre ACTINEO 2019

 

Comment se fera le retour dans l’immeuble de bureau ?

 

Chaque salarié, en fonction de ses préférences et de ses contraintes professionnelles et personnelles, fera ses choix à partir ce qu’il juge le plus intéressant, sachant que pour nombre d’entre eux, il est primordial de bien séparer la vie privée de la vie professionnelle, singulièrement pour les parents, et notamment les femmes.

 

Plus concrètement, si la qualité de vie au travail dépend largement de l’intensité du temps de travail à domicile et du temps de travail connecté, l’immeuble de bureau est loin de devenir obsolète. L’immeuble de bureau reste d’autant plus attractif qu’il est parfaitement adapté aux besoins individuels et collectifs, qu’il fait bon y vivre, dans une atmosphère détendue qui favorise les relations informelles. Dans le cas par exemple d’un travail hybride intensif, l’atout de l’immeuble de bureau sera d’offrir de la convivialité et du lien social, indispensables aux activités collectives productrices de valeur et de sens.

 

Cependant, à l’encontre de cette vision de l’immeuble-hub et lieu de socialisation, l’enquête révèle pour une majorité d’actifs, le souhait de disposer d’immeubles de bureau où il serait possible de venir travailler en s’isolant. C’est aussi ce qui explique pourquoi, quand on demande aux actifs de choisir leur type d’espace de travail idéal, ils privilégient massivement des postes de travail attribués dans des bureaux fermés et si possible individuels, et rejettent le flex office. Ces préférences qui sont partagées par tous les actifs des cinq métropoles, ne sont donc pas propres aux Français et permettent de combattre l’image que l’on a de l’attachement forcené des Français à leur bureau individuel fermé, défendu comme un territoire.

 

0n voit également que, parmi les atouts des immeubles de bureau, figurent la qualité du bâti et des aménagements intérieurs, sans oublier leurs qualités environnementales et l’importance de l’emplacement géographique. Il s’agit là d’éléments qualitatifs qui ne sont pas sans incidence sur le coût du programme immobilier. On sait que cette équation financière joue un rôle capital dans les arbitrages des employeurs, qui analyseront désormais le nombre de jours de travail passés hors de l’immeuble de bureau, le coût représenté par la location de tiers-lieux à disposition de leurs collaborateurs, ainsi que la prise en compte de l’équipement du domicile de leurs télétravailleurs, le nombre de m² de l’immeuble de bureau à garder pour le collaboratif et l’informel ; les variables médiatrices étant bien évidemment les taux d’occupation escomptés de l’immeuble de bureau, mais aussi la nature des baux commerciaux.

 

 

[1] Cf. Baromètre Actineo 2019 et les comparaisons entre cinq lieux : le bureau, le domicile, le tiers-lieu, l’hôtel et le restaurant

[2] Voir par exemple : Les bureaux travaillent leur attractivité, Challenges, 08/12/2021, pp.34-38.

[3] On notera que la question posée ici, est destinée à avoir une opinion sur un comportement d’ordre général et non une opinion propre à chacun des répondants.